Rapport du Secrétaire général sur la situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales (S/2003/1212)

Ce rapport, soumis en application de la résolution 1471 (2003) du Conseil de sécurité en date du 28 mars 2003, rend compte de l’évolution de la situation en Afghanistan depuis le 23 juillet 2003.

Le Secrétaire général déclare dans ce document que deux ans après la mise en application de l’Accord de Bonn, la paix en Afghanistan traverse une phase critique, le processus de Bonn étant entré dans sa phase la plus sensible et la plus susceptible de diviser la société afghane : lancement, le 24 octobre 2003, de la phase pilote de la campagne de désarmement, de démobilisation et de réinsertion ; établissement des listes électorales, le 1er décembre ; et début de réunion de la Loya Jirga constitutionnelle, le 14 décembre. Si toutes ces mesures sont menées à bien, estime Kofi Annan, elles peuvent faire beaucoup progresser la constitution d’un Etat afghan en créant un cadre concerté pour un nouvel ordre politique ; en réduisant les factions armées ; en faisant place à la nouvelle armée et la nouvelle police nationale, et enfin, en ouvrant la voie pour l’élection d’un nouveau gouvernement.

Notant, dans ses observations, que le processus de Bonn, qui a permis des progrès considérables en Afghanistan au cours des deux dernières années, se heurte maintenant à de graves problèmes, le Secrétaire général appelle les Afghans et la communauté internationale à prendre sans tarder de nouvelles mesures qui permettraient de lever les obstacles existants. Le premier de ces problèmes, note-t-il, est celui de l’insécurité que les factions font régner dans les provinces, ainsi que les efforts que mènent des éléments perturbateurs, dont des Taliban, des partisans de Gulbuddin Hekmatyar, et éventuellement des éléments d’Al-Qaida, pour faire capoter le processus de paix et de reconstruction par des actes terroristes et de rébellion. Au vu des capacités limitées de l’armée et de la police nationales et des forces internationales, l’insécurité a réduit la zone dans laquelle le Gouvernement, les Nations Unies et la communauté internationale peuvent effectivement opérer. Le Secrétaire général note que les attaques perpétrées contre les Nations Unies à Kandahar et à Ghazni, et les menaces proférées par des personnes prétendant parler au nom des Taliban, montrent que la sécurité du personnel international et le processus de Bonn sont aussi désormais menacés dans les centres urbains.

Concernant le processus électoral, le Secrétaire général constate que le nombre de centres d’inscription sur les listes électorales est trop réduit pour que le taux d’inscription fixé comme objectif puisse être atteint. Etant donné que les zones difficiles d’accès du fait de l’insécurité sont situées dans le sud, la privation, pour les populations de ces régions, de la possibilité de voter, aura des conséquences ethniques extrêmement dommageables, prévient Kofi Annan. Même si des élections présidentielles à l’échelle nationale pourraient demeurer crédibles, bien que soumises à risques si le vainqueur ne l’emportait que de peu, note le Secrétaire général, des élections législatives ne seraient pas possibles. Il est donc urgent que le Gouvernement afghan, la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) et les forces de la coalition prennent toutes les mesures possibles pour résoudre les problèmes de sécurité qui risquent d’entraver le processus électoral, recommande-t-il.

Le Secrétaire général prie instamment l’OTAN et les forces de la coalition de prendre toutes les mesures possibles pour accélérer le déploiement de l’assistance en matière de sécurité dans les provinces, ce qui permettrait d’accélérer le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion. Comme ceux qui souhaitent arrêter le processus de Bonn ont montré qu’ils étaient en train de se réorganiser, la course est désormais lancée entre ceux qui appuient ce processus et ceux qui veulent le voir échouer. Pensant qu’il est possible de gagner cette course, le Secrétaire général met cependant en garde la communauté internationale contre tout excès de confiance.

Le Président Karzaï et son Ministre des affaires étrangères se sont entretenus avec la mission du Conseil de sécurité qui s’est rendue en Afghanistan de la possibilité d’une deuxième conférence internationale sur l’Afghanistan, note ensuite Kofi Annan en indiquant que son Représentant spécial a fait, à cet égard, distribuer un document officieux au Gouvernement afghan et au corps diplomatique à Kaboul. Ce document souligne, entre autres, que des engagements de la part des donateurs sont nécessaires au-delà des délais prévus dans l’Accord de Bonn pour consolider l’autorité du Gouvernement, asseoir l’état de droit, contrer la menace que constitue l’économie de la drogue et mener le processus de paix à un point de non-retour. L’une des façons de s’attaquer aux problèmes soulevés dans le document pourrait être de convoquer une nouvelle conférence politique et de donateurs au cours des premiers mois de l’année 2004 pour déterminer la marche à suivre, suggère le Secrétaire général. L’objectif de la rencontre serait de renforcer les acquis et d’accélérer l’exécution de l’Accord de Bonn ; elle contribuerait également au succès d’élections présidentielles prévues pour la fin du premier semestre de l’année 2004.

Déclarations

M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies, a déclaré que depuis la publication de son dernier rapport, une évolution majeure dans la mise en oeuvre de l’Accord de Bonn s’est produite en Afghanistan avec la conclusion de la Loya Jirga constitutionnelle et l’adoption, le 5 janvier dernier, d’une nouvelle Constitution afghane respectueuse des droits de l’homme, y compris ceux des femmes, et des fondements de l’Islam. Les Afghans doivent maintenant aller de l’avant, et cela signifie qu’il va falloir s’attaquer à l’insécurité et aux autres causes d’instabilité. Le nouveau Gouvernement afghan devra être légitime et pleinement représentatif, a dit M. Annan. Je remercie la communauté internationale pour son soutien au processus de paix en Afghanistan et j’ai suggéré que la communauté internationale, le Gouvernement afghan et tous les Afghans engagés en faveur de la paix dans leur pays soient solidaires pour évaluer les progrès accomplis et prendre les mesures nécessaires pour le succès de la transition, a-t-il rappelé. L’adoption de la Constitution, ne garantira pas à elle seule la paix et la stabilité. Je rends hommage à M. Lakhdar Brahimi, qui est réellement un citoyen du monde, pour le rôle remarquable qu’il a assuré au cours de ces deux dernières années, a dit M. Annan en indiquant que la communauté internationale continuera d’avoir besoin de son expérience.

M. LAKHDAR BRAHIMI, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Afghanistan, présentant le dernier rapport sur la situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales, a insisté plus particulièrement sur les résultats de la Loya Jirga constitutionnelle en Afghanistan qui a adopté, le 4 janvier 2004, la nouvelle Constitution. M. Brahimi a estimé que pour appliquer pleinement l’Accord de Bonn, il importait de consolider des institutions étatiques viables et capables de favoriser le développement de l’Afghanistan. Le 22 décembre 2001, l’Autorité intérimaire a été mise en place, puis en juin 2002, la Loya Jirga d’urgence a été constituée. De nombreuses initiatives ont été prises sur le plan politique jusqu’à l’adoption récente de la Constitution, a rappelé le Représentant spécial. Mentionnant également les progrès réalisés par l’Administration intérimaire afghane dans les domaine économique, social et des infrastructures, M. Brahimi a tenu à préciser que le processus qui a conduit à la Loya Jirga constitutionnelle, en dépit de la détérioration de la situation en matière de sécurité, s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes. Il a mis en garde ensuite contre les risques de déstabilisation par certains groupes qui entendent bloquer, notamment dans le Nord, le processus démocratique. En revanche, il a tenu à souligner la transparence des débats à la Loya Jirga qui étaient retransmis par la télévision. 

Certaines difficultés ont été rencontrées au cours du processus de la Loya Jirga constitutionnelle, notamment les plaintes exprimées par les formations pachtounes qui déploraient leur sous-représentation. La Loya Jirga a reconnu, dans la Constitution afghane, la légitimité des langues minoritaires, tandis que les femmes se sont vues accorder 25% des sièges à la chambre basse du parlement, a précisé M. Brahimi. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire, a déclaré le Représentant spécial, et après la Loya Jirga, il importe de donner vie à la Constitution que tous les Afghans, à commencer par les dirigeants, doivent considérer comme un instrument essentiel de leur processus démocratique. Les débats organisés dans le cadre de la Loya Jirga ont suscité des attentes et des aspirations importantes dans la population afghane, a-t-il dit, invitant la communauté internationale à soutenir le processus en cours. A cet égard, M. Brahimi a mis en cause l’insécurité croissante qui est le fait, selon lui, des Taliban et de certains responsables locaux, et souhaité que des mesures soient prises rapidement dans ce domaine. En outre, a-t-il dit, il importe de résoudre l’ensemble des problèmes de l’Afghanistan en renforçant les capacités de ce pays dans des domaines tels que l’armée et la police, de même que dans les secteurs administratif et judiciaire. 

Soulignant ensuite les efforts de la France et de l’Allemagne dans la formation de la police et de l’armée, M. Brahimi a estimé toutefois que les institutions chargées de la sécurité devaient être renforcées et ne plus être dominées par des factions, d’où l’intérêt de conduire des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). Dans ce cadre, le désarmement volontaire, a-t-il précisé, suppose une coopération pleine et entière de la part des partenaires locaux, coopération qui a été très faible à ce jour. Il a recommandé des mesures d’incitation pour le commandement militaire et a souhaité que les représentants du Gouvernement s’investissent dans ce processus. Déplorant ensuite les attentats qui se sont multipliés ces derniers mois, notamment à Kandahar en novembre contre le siège des Nations Unies, M. Brahimi a condamné l’attitude déstabilisatrice des Taliban et des partisans de Gulbuddin Hekmatyar et s’est inquiété des informations faisant état d’infiltrations depuis le Pakistan par des terroristes. Se félicitant des contacts entre les Gouvernements pakistanais et afghan dans le domaine sécuritaire, M. Brahimi a invité le Gouvernement afghan à faire en sorte que dans les zones où les Taliban continuent d’opérer, le mécontentement de la population ne soit pas accentué. A cette fin, il a souligné l’importance des programmes d’appui à la bonne gouvernance locale et des initiatives visant à associer tous les acteurs nationaux au fonctionnement des institutions. 

Evoquant ensuite le processus électoral, M. Brahimi a souligné les efforts de la MANUA et de la Commission électorale intérimaire dont les effectifs seront renforcés par ceux issus du Secrétariat de la Commission constitutionnelle. Le Représentant spécial s’est félicité ensuite de l’adoption de la résolution autorisant l’extension de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), avant de souhaiter que cette Force pourra renforcer son déploiement dans certaines zones sensibles. Il s’est inquiété du rythme lent de déploiement des équipes de reconstruction à l’échelle provinciale, avant d’inviter l’OTAN à prendre les mesures nécessaires pour faciliter l’expansion de la FIAS. M. Brahimi a ensuite alerté le Conseil de sécurité sur les risques posés par la culture du pavot à opium, cultivé dans 28 des 32 provinces du pays et employant 1,7 million d’Afghans pour un montant total de 2,3 milliards de dollars en 2003. Les efforts du Gouvernement n’ont eu à ce jour aucun effet sur la quantité d’opium produite et commercialisée illicitement, a-t-il ajouté, avant de souligner que la communauté internationale devrait intensifier ses efforts afin de lutter contre le trafic de drogues. Au lendemain de la Loya Jirga, a poursuivi M. Brahimi, il importe d’accroître le rythme de la reconstruction et de mise à disposition de services, de renforcer la légitimité du Gouvernement du Président Karzaï, et d’accroître la représentativité au sein des institutions. Faisant référence aux recommandations du Conseil de sécurité au terme de sa visite en Afghanistan, en novembre dernier, M. Brahimi a soutenu l’idée d’une deuxième conférence sur la reconstruction de l’Afghanistan. Il a estimé toutefois que dans l’immédiat, il importait de surmonter les lacunes observées dans l’application de l’Accord de Bonn en mettant à la disposition des institutions intérimaires les capacités nécessaires à la poursuite des efforts de reconstruction. 

Source : ONU
Référence CS/2613