(extrait du procès-verbal de la séance du 24 juin 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président,

puis de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

J’aimerais en premier lieu que vous nous fassiez un bilan de la situation concernant le port du voile à l’école et que vous nous disiez si, selon vous, les textes, tant la loi que les décisions du Conseil d’Etat, permettent de trouver une solution à ce problème ?

M. Dominique BORNE : M. Yvon Robert et moi-même sommes chargés d’une mission de réflexion sur l’idée républicaine, la laïcité et la lutte contre le communautarisme, qui débouchera sur la rédaction d’un ouvrage à l’intention de l’ensemble de la communauté éducative.

Pour répondre à votre première question, les remontées que nous avons à l’Education nationale sur le port du voile ne sont pas toujours très fiables. Certains chefs d’établissement préfèrent parfois ne pas faire remonter cette information, estimant qu’ils seront mieux jugés s’ils ne font pas état de problèmes au sein leur établissement. D’autres estiment maîtriser la situation et pensent que les deux ou trois voiles qu’il peut y avoir dans leur établissement puisqu’ils ne posent pas problème, ne doivent pas être signalés car alors, ils en provoqueraient.

C’est dire qu’il est absolument impossible de décompter le nombre de jeunes filles portant le voile au sein d’établissements scolaires. Des tentatives ont été faites en ce sens, mais les comptages et les appréciations sont très diverses. J’ai essayé de regarder de très près la réalité. Même si, ici ou là, mais dans des lieux très précis, une croissance du nombre de voiles a pu être constatée, cela ne signifie en aucun cas une croissance générale.

En recoupant l’ensemble des informations dont nous disposons, il s’avère que, quand il y a croissance, elle se situe dans des lieux très particuliers, ghettoïsés, proches de cités où la non mixité sociale avec les cités voisines entraîne des problèmes forts dans les collèges et les lycées. Je ne crois pas que l’on peut parler d’une extension géographique sur le territoire. En tout état de cause, au regard de l’ensemble des établissements, le nombre d’établissements touchés ne dépasse en aucun cas un peu plus de 5 % de l’ensemble des établissements, mais reste certainement en dessous de la barre des 10 %.

M. Yvon ROBERT : Les établissements scolaires sont au nombre de 7 000, primaires et secondaires confondus, et accueillent environ 10 ou 12 millions d’élèves.

M. le Président : Sur ces 10 à 12 millions d’élèves, combien de jeunes filles portent-elles le voile ? Lors de certaines auditions, des personnes nous ont avancé des chiffres.

M. Dominique BORNE : Pour le secondaire, le nombre d’élèves est d’environ 4 millions. Nous ne disposons d’aucun chiffre sur les jeunes filles qui portent le voile à l’école. D’autant que ce décompte est très difficile à établir : par exemple, faut-il inclure, dans ce nombre, la jeune fille qui enlève son voile quand elle entre en salle de cours ? Dans de nombreux cas, les chefs d’établissement sont arrivés au compromis suivant : les élèves arrivent voilées dans l’établissement, mais enlèvent le voile en entrant dans les classes. J’ai beaucoup de témoignages en ce sens. C’est la raison pour laquelle il me semble que tout compte trahit la réalité.

Un fait certain est que, dans quelques lieux, des formes de durcissement sont constatées. A cet égard, je pense à un cas significatif d’une école maternelle de Marseille où des mères venant chercher leurs enfants complètement « grillagées » et enfermées dans leur voile, posent un vrai problème car on ne peut pas rendre les enfants si l’on ne reconnaît pas les mères. Ces dernières n’acceptent de lever leur voile qu’à l’intérieur de l’établissement, devant une femme, et volets clos.

En dehors d’un tel cas extrême, l’éventail des possibilités est large. Dans certains cas, la tension dans l’établissement est extrêmement forte, notamment quand, en raison de la jurisprudence du Conseil d’Etat, il y a eu obligation par l’établissement de réintégrer des jeunes filles qui en avaient été exclues. Ces cas ont entraîné une forme de durcissement de la communauté éducative. Dans d’autres cas, une sorte d’accord tacite a été passé entre les jeunes filles et la communauté éducative, mais ce n’est pas forcément dans ces cas qu’il y a le plus de ports de voile. C’est très compliqué à analyser.

A moins d’en avoir la preuve statistique, notre sentiment est que, dans quelques cas, une attitude d’interdiction fait naître le port du voile, alors qu’une autre attitude en fait disparaître. Cette conviction ne peut être affirmée de manière absolue et généralisée, car elle découle de quelques exemples.

Par ailleurs, ayant examiné un certain nombre de textes et échangé avec nombre de mes collègues, le problème essentiel est de savoir s’il faut analyser ou non le voile comme un signe religieux. Dans un nombre encore impossible à évaluer statistiquement, la revendication est plus identitaire que religieuse. Elle est soit identitaire soit de protection par rapport aux garçons. A cet égard, les cas sont extrêmement nombreux. J’ai une citation en tête, à savoir que chacun sait qu’une jeune fille voilée ne descend pas dans les caves. Ce sont des affirmations très claires que l’on pourrait répéter à plusieurs reprises.

Dans d’autres cas, il s’agit d’une affirmation identitaire et culturelle de la part de ces jeunes filles, qui ont le sentiment d’appartenir à des populations socialement ghettoïsées, exclues, où règne le chômage et qui ne trouvent que ce moyen pour affirmer un refus identitaire. Les deux choses, me semble-t-il, sont très souvent liées.

M. Yvon ROBERT : J’apporterai un complément d’information. Toutes les analyses et le travail de réflexion sont menés en relation avec les deux inspections générales. Très souvent, les chefs d’établissement indiquent que, pour beaucoup d’élèves, le port du voile constitue, à un moment donné, une étape, c’est-à-dire qu’une jeune fille portera le voile pendant trois mois, six mois ou un an. Mais cela peut survenir aussi bien en sixième qu’en quatrième, et s’arrêter à n’importe quel moment dans la scolarité.

Ceci fait que toute logique d’interdiction brutale compliquerait un travail d’éducation entrepris avec les élèves qui sont dans cette situation. Cela rend également difficile les comptages, au regard de ces évolutions quasi-quotidiennes.

Par ailleurs, c’est une réalité difficile à mesurer car on ne dispose d’aucun élément statistique. Toutefois, vous avez en France aujourd’hui, des établissements dans lesquels 80 %, voire 90 % des élèves sont musulmans, d’origine musulmane ou de parents musulmans. Ce sont soit des collèges situés dans certaines zones, soit des lycées professionnels qui regroupent tous les élèves en difficulté. Dans ce type d’établissement, tout repose sur la capacité du chef d’établissement à dialoguer en permanence avec les tentations de toute espèce.

Ma troisième remarque, qui est également ma conviction personnelle, complétera le propos de M. Borne. A partir de témoignages de différentes natures, il semble que la violence faite aux jeunes filles est sans doute plus grave pour elles et pour ce que représente un établissement scolaire que le port du voile à l’école. C’est un problème que l’on ne sait pas traiter. Quand on constate que le voile est une forme de protection contre cette violence faite aux jeunes filles, l’interdire à tout prix met dans une position délicate si, dans le même temps, on n’a pas de réponse à cette violence faite aux jeunes filles.

M. le Président : Si je comprends bien, il est quasiment impossible d’établir un bilan de la situation ?

M. Yvon ROBERT : C’est un bilan qui change chaque jour.

M. le Président : En réalité, ce n’est pas qu’il change tous les jours, c’est que les informations qui remontent sont imparfaites, imprécises et donc aléatoires, car elles dépendent de la situation, des professeurs, des chefs d’établissement.

M. Yvon ROBERT : Ce qui est certain, c’est que c’est un problème très minoritaire.

M. le Président : Qui plus est, très localisé géographiquement.

Quel bilan faites-vous de notre situation juridique ? Faut-il ou pas modifier notre législation ? L’avis du Conseil d’Etat est-il suffisant ? Par ailleurs, estimez-vous qu’il faut laisser la responsabilité aux chefs d’établissement de traiter ce problème ou bien fixer un certain nombre de règles générales ?

M. Dominique BORNE : Il y a certainement nécessité de faire mieux connaître les textes et les principes. C’est un sujet qui comporte une dialectique de l’égalité et de la liberté très difficile à comprendre et à dominer, auquel s’applique non seulement le droit français mais également le droit européen. Il est certainement nécessaire de rappeler ce qu’est la laïcité car on ne sait jamais vraiment à quoi l’on se réfère.

M. le Président : Pour ces familles, le mot « laïcité » a-t-il une signification particulière ?

M. Dominique BORNE : Il serait dramatique qu’il représente une interdiction et non pas une liberté. Il faut, à tout prix, faire en sorte que la laïcité représente une liberté, quelle que soit la solution choisie, loi ou pas. Sinon, il est quasi certain que l’on provoquera, en réaction, une multiplication du port du voile.

Sur ce problème, il y a ensuite la pratique. Certaines communautés éducatives et certains chefs d’établissement estiment qu’ils ne devraient plus être seuls à prendre des responsabilités et réclament une loi. Dans le même temps parfois, ils ont des revendications fortes d’autonomie. Il n’est pas simple de jouer entre toutes ces aspirations et revendications.

Certains chefs d’établissement ont su parfaitement utiliser la jurisprudence du Conseil d’Etat pour apaiser les tensions qui régnaient dans leur établissement, tandis que d’autres n’ont pas su s’en servir. On ne peut pas, me semble-t-il, affirmer que la jurisprudence du Conseil d’Etat a provoqué unanimement des bons ou des mauvais résultats. C’est une affaire d’espèce et de lieu. Chacun sait également que, dans un lieu que l’on peut qualifier de calme et où apparaîtrait un voile, cela provoquera un scandale invraisemblable. Dans d’autres lieux, c’est un phénomène davantage banalisé. C’est la raison pour laquelle il me parait difficile de porter un jugement sur ces outils juridiques.

Par ailleurs, d’autres éléments, me semble-t-il, n’ont pas été suffisamment mesurés dans le débat actuel. En premier lieu, il y a le problème de l’enseignement privé sous contrat. L’absence actuelle d’établissements privés sous contrat musulmans explique que les familles très religieuses n’ont pas d’autre solution que d’envoyer leur enfant dans un établissement scolaire public. Il me semble difficile à la fois de légiférer strictement tout en refusant des établissements privés sous contrat musulmans.

D’autre part, s’agissant du statut des établissements privés sous contrat, si le « caractère propre » ne fait aucun doute, le statut de l’enseignement lui-même, le savoir scolaire, est vérifié par des inspecteurs et reste parfaitement laïque.

Comment faire pour appliquer une loi aux établissements confessionnels sous contrat ? Doit-on faire une différence entre l’espace de l’établissement et l’espace de la classe ? Cette question comporte des difficultés redoutables. Je rappelle que, dans les établissements publics, on trouve des aumôneries. Actuellement, dans les établissements publics, tout signe religieux n’est pas prohibé officiellement, de sorte que si l’on légifère, il sera extrêmement difficile de cibler les interdits.

M. le Président : S’agissant des chefs d’établissement, estimez-vous qu’il faut leur laisser la responsabilité ?

M. Dominique BORNE : Sur ce sujet, il conviendrait de les aider avec des textes plus clairs.

M. le Président : Vous estimez donc qu’il faut donner un fondement juridique, mais avec de la souplesse.

M. Jacques MYARD : Je suis étonné par le constat que vous faites. Certes, je vous l’accorde, nous sommes moins que vous en contact avec les chefs d’établissement. Néanmoins, récemment encore, dans ma circonscription, le proviseur d’un lycée professionnel m’indiquait que l’on sentait monter le phénomène. Or aujourd’hui, vous nous donnez un cliché, mais pas une tendance. Nous savons très bien que le voile constitue pour les jeunes filles une protection, mais où va-t-on ? Cela pose problème.

S’il s’agit d’une revendication identitaire, c’est bien aussi un problème parce que, jusqu’à nouvel ordre, je vois des Français en face de moi et non pas une suite d’identités juxtaposées, ce qui s’appelle le communautarisme et qui est contraire à l’école de la République.

Je constate, dans une ville bourgeoise comme Maisons-Laffitte, que des voiles commencent à apparaître dans la population. Dans la ville voisine, plus populaire sociologiquement, il m’a été rapporté que les jeunes filles enlèvent le voile et le portent en bandana.

Il ne s’agit pas de mettre à feu et à sang les écoles de la République, mais il me semble que nous allons vers une crise. Votre attitude me fait penser au verset de la Bible qui dit que, quand le sel ne sale plus... Vous allez sans doute rencontrer un problème encore plus grave demain qu’aujourd’hui. Je voudrais vous entendre sur la perception que vous avez de l’évolution de ce phénomène.

M. Dominique BORNE : Il me semble avoir indiqué, au début de mon propos, que certains observateurs dénoncent ou annoncent un durcissement. C’est vrai dans certains cas. Les exemples dont j’ai connaissance ont plutôt pour cadre des lieux difficiles.

Je rappelle aussi que c’est un problème compliqué à analyser par rapport à une période où la situation internationale peut jouer. L’extension du port du voile est parallèle aux crises internationales qui touchent l’islam. J’adhère tout à fait à ce que vous dites. Dans les établissements scolaires, et c’est la grandeur de l’école, les professeurs ne connaissent pas l’origine de leurs élèves. Même quand les parents sont en situation irrégulière, aucune vérification n’est effectuée à cet égard, et leurs enfants sont acceptés. C’est la loi qui fait que l’on accueille actuellement tout le monde à l’école.

Ce qui me gêne dans le débat actuel sur le voile, c’est qu’il a pour conséquence, ce qui me semble dramatique, de rejeter vers le religieux, des enfants qui ne sont pas plus pratiquants que leur famille et de considérer que tous les fils et filles d’immigrés, quelle que soit la génération, sont obligatoirement musulmans. Ce n’est absolument pas le cas.

J’ai lu, hier, un article de René Raymond qui évaluait à 10 à 12 % le nombre de pratiquants parmi les musulmans, soit environ 400 000 pratiquants sur 4 à 5 millions de musulmans vivant en France. Il y a un danger très fort et qu’il convient donc d’éviter : c’est l’assimilation de tous les fils ou filles d’immigrés à des musulmans. L’approche de cette situation nécessite un peu de subtilité pour éviter cette assimilation.

M. René DOSIERE : Avez-vous le sentiment, de par vos connaissances, que la communauté éducative a aujourd’hui un comportement qui se voudrait plus répressif ou plus directif vis-à-vis du voile ?

En deuxième lieu, dans les établissements publics qui reçoivent une forte proportion d’élèves musulmans, a-t-on observé des comportements différents de ceux que l’on observe ailleurs ?

En dernier lieu, avez-vous constaté des phénomènes du même type par rapport aux autres religions, dans des établissements publics ou privés ?

M. Yvon ROBERT : Le niveau des difficultés tient fondamentalement à la manière dont le chef d’établissement traite le problème au quotidien. Dans tous les établissements où les chefs d’établissement sont au front tous les jours et le font de façon satisfaisante, on ne constate pas de difficultés particulières, même si certains d’entre eux, à un moment ou un autre, se lassent de cette situation.

Ceux qui se battent quotidiennement, sont confrontés à des tentatives de provocation ou autres. Ils se battent pendant cinq ou dix ans, puis à un moment donné, n’ont plus l’énergie pour le faire. Si le chef d’établissement doit faire face pendant longtemps à cette situation, il peut y avoir une montée des difficultés.

Le comportement des enseignants est très lié à celui des chefs d’établissement. Quand ce dernier tient son établissement et le dirige effectivement, ce qui est très difficile au quotidien, les professeurs sont globalement satisfaits. Les problèmes naissent dès lors qu’un chef d’établissement se lasse. Dès qu’il baisse un peu les bras, des tensions se créent entre les enseignants, qui sont totalement divisés sur le sujet. Puis si le débat s’étend dans l’établissement au lieu d’être traité au niveau de l’équipe pédagogique, il devient très vif et violent entre les enseignants.

A ce stade, il n’y a plus de réalité éducative quand, sur de tels sujets, le débat devient très vif. D’où la tentation de demander que les politiques prennent leurs responsabilités et leur indiquent la manière de procéder en la matière. C’est une tentation totalement légitime. Néanmoins, ma conviction est qu’à l’heure actuelle, cela aurait plus de conséquences négatives. Je ne suis pas certain que des grandes déclarations solennelles nationales feraient diminuer le problème.

M. le Président : Si le chef d’établissement parvient à imposer des limites, c’est parce qu’il y a un fondement juridique.

M. Yvon ROBERT : Selon un grand nombre de chefs d’établissement, le fondement juridique est parfaitement suffisant et leur convient. Ce problème requiert une construction quotidienne, car c’est chaque jour qu’il se pose dans ces établissements.

M. le Président : Je vous rappelle la deuxième question de M. Dosière qui était de savoir si vous voyez se développer d’autres signes ostentatoires d’autres religions ou d’autres sectes.

M. Dominique BORNE : La réponse est difficile. Je pense aux écoles juives sous contrat.

M. le Président : Je ne parle pas des écoles juives sous contrat, mais des lycées et collèges.

M. Dominique BORNE : Ceux qui veulent, dans la communauté juive, manifester ostensiblement des signes religieux mettent leurs enfants dans des écoles privées juives sous contrat. C’est un phénomène très clair pour lequel j’ai étudié les statistiques récemment.

Sur l’enseignement de l’hébreu en France, 80 ou 85 % des élèves qui suivent un tel enseignement sont dans des écoles juives sous contrat. Ce phénomène fait en sorte que l’on a moins de manifestations dans l’école publique.

M. le Président : C’est peut-être parce que peu d’écoles publiques proposent l’enseignement de l’hébreu.

M. Dominique BORNE : Non, pas du tout.

Le domaine dans lequel la laïcité doit être absolue est celui de l’assistance aux cours. Je crains parfois qu’une certaine rigueur sur le voile fasse oublier que l’essentiel est l’enseignement. Certains accommodements en la matière me semblent tout à fait condamnables, avec des dispenses d’assistance aux cours de gymnastique, des sciences de la vie et de la terre, etc. Ce problème, d’une grande gravité, ne doit pas être toléré. Or parfois, par accommodement, pour éviter des conflits, on tolère cette non-assistance aux cours.

M. le Président : Dans les établissements publics, pouvez-vous distinguer plusieurs espaces tels que la cour, la classe, etc. ?

M. Dominique BORNE : La différenciation entre l’espace public et l’espace scolaire est un problème. On trouve des aumôneries dans l’espace scolaire. Néanmoins, le lieu où la laïcité doit être totale est celui de la salle de cours.

M. le Président : Mais vous avez dit tout à l’heure que le voile n’est pas simplement un signe religieux.

M. Dominique BORNE : Absolument.

M. Robert PANDRAUD : Vos dernières déclarations nous permettent d’approcher un peu de la vérité. Ce que nous voulons éviter dans ce pays, c’est un communautarisme, l’école n’étant jamais qu’un aspect de cette tentation. J’aimerais connaître le nombre d’écoles privées sous contrat simple ou d’association musulmans.

M. Dominique BORNE : Il n’en existe pas, hormis une tentative à Roubaix.

M. Robert PANDRAUD : Combien y a-t-il d’écoles israélites ?

M. Dominique BORNE : Nous pourrons vous le donner par écrit.

M. Robert PANDRAUD : C’est un élément important à connaître car, dans les écoles israélites, le port d’un signe ostentatoire me paraît aller dans la nature des choses.

M. Yvon ROBERT : La loi Debré précise qu’on ne doit pas accepter, dans les écoles privées sous contrat d’association, des élèves selon un critère religieux et que les écoles privées sous contrat doivent accepter tous les enfants qui désirent s’y inscrire, quelle que soit leur religion.

M. Dominique BORNE : Les écoles sous contrat font partie du service public de l’Etat.

M. Robert PANDRAUD : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai pas dit que tous les élèves des écoles privées sous contrat israélites, arméniennes ou autres ne sont pas soumis aux règles que la loi Debré a heureusement introduites dans ce pays. Mais dans une école privée sous contrat israélite, essaie-t-on d’éviter le port d’un signe religieux ostentatoire ?

M. Yvon ROBERT : Non.

M. Robert PANDRAUD : Votre réponse me suffit. Il y a donc là un dérivatif pour les intégristes religieux, qui n’existe pas pour les intégristes musulmans.

Par ailleurs, toujours dans le cadre de la lutte que nous sommes tous disposés à mener contre le communautarisme, il faut constater qu’il est accéléré par l’introduction des doubles nationalités. En effet, quand vous avez une double nationalité, est-ce du communautarisme ou la disparition du pays ? Or beaucoup de personnes, que ce soient des musulmans, des israélites ou autres, ont la double nationalité pour le bien ou pour le pire. C’est dans une constitution ou dans la règle de la religion.

Troisième question : l’interdiction du port d’un signe religieux ne s’applique pas aux universités. C’est dire que nous faisons l’entonnoir. Nous essayons de sérier les problèmes à l’école primaire, dans les collèges et les lycées, mais en laissant de côté de facto les écoles privées sous contrat et les universités. Or, c’est aussi du communautarisme que d’accepter dans les universités tout signe religieux ostentatoire.

M. le Président : Vous avez fait à la fois les questions et les réponses.

M. Robert PANDRAUD : J’ai posé des questions auxquelles j’ai donné ma réponse. Mais j’attends les réponses de ces messieurs.

M. Dominique BORNE : Comme il n’y a pas eu d’enquête quant à l’enseignement donné dans les écoles privées sous contrat juives, je m’exprime avec précaution. Néanmoins, on assiste, dans l’enseignement même de ces écoles, à une tendance à des formes de communautarisme. Quelques rapports d’inspecteurs venus inspecter les cours d’histoire m’ont indiqué que les programmes d’histoire ne sont pas toujours suivis, alors que cela devrait être le cas.

Je ne voudrais pas que cette situation soit généralisée à toutes les écoles juives sous contrat, mais il est certain que dans quelques cas, c’est patent et clair. Il me semble que rejeter le religieux vers le privé sous contrat aurait plutôt tendance aggraver le communautarisme et non pas à lui trouver une solution.

M. Hervé MARITON : Lorsqu’il est énoncé que le port d’un signe religieux est en lui-même une expression d’intégrisme, nous sommes sur une piste assez redoutable.

Je relève, dans ce que vous avez évoqué tout à l’heure, qu’il y a un critère objectif qui est celui de l’enseignement et de la capacité de l’élève, en toute situation, à respecter l’enseignement pour lequel il est dans l’établissement. Dans ce débat, nous avons là un critère extrêmement simple, tout à fait objectif et pour le coup, me semble-t-il, plutôt facile à gérer. D’où quelques questions.

Vous évoquez la responsabilité et l’appréciation des chefs d’établissement, sans toutefois donner tout à fait votre sentiment à cet égard. Globalement, les chefs d’établissement, sur lesquels repose une lourde part aujourd’hui, sont-ils en état de répondre à ce qui leur est demandé ou leur tâche est-elle insurmontable ? C’est une partie du débat. Nous entendons beaucoup le discours selon lequel ce qui leur est demandé les dépasse, qu’ils ne peuvent pas faire, et qu’il faut les aider, éventuellement par des dispositions législatives. Sur ce point précis, compte tenu de votre connaissance de cette population, les chefs d’établissement sont-ils capables ou non de répondre à cette demande ?

Deuxième point : est-il préférable ou non qu’il y ait une loi ? On peut deviner votre conviction au travers de certains de vos propos, mais à d’autres moments, vous avez observé un balancement très prudent.

Enfin, je n’ai pas compris lorsque vous avez dit qu’il ne faudrait pas qu’immigré veuille dire musulman.

M. Dominique BORNE : Je vais commencer par répondre à votre dernière remarque. Ce qui me frappe, c’est que nous ne savons pas comment qualifier les populations dont nous parlons. Je vais élargir mon propos pour me faire comprendre. Les chefs d’établissement, par exemple, n’ont pas le droit de faire une enquête sur la religion des élèves qui fréquentent leur établissement. Quand un chef d’établissement dit qu’il a tant d’élèves musulmans, c’est une appréciation qu’il a faite en comptant ceux qui pratiquent le ramadan, etc.

Nous avons un vrai problème pour parler simplement. Certains parlent d’immigrés. Dominique Schnaper dit très justement qu’on n’hérite pas de l’immigration et qu’en évoquant une deuxième ou troisième génération d’immigrés, on stigmatise des élèves. Ce n’est pas leur histoire à eux. Il va falloir finir par convaincre tout le monde de dire que les élèves sont français, ce dont ils ne sont d’ailleurs pas persuadés. Soit ils sont Français, soit ils le seront, on peut l’affirmer pour 95 % des élèves.

Par exemple, quand des élèves de Seine-Saint-Denis sont amenés à Paris, ils disent qu’ils vont chez les « Céfrans ». Ils ne se sentent pas habiter en France. Déjà ces élèves sont ou se sentent stigmatisés. Il ne faudrait pas en plus que leur comportement de nature politique ou revendicatif, y compris le port du voile, soit systématiquement renvoyé dans le religieux. Le renvoi dans le religieux me semble être un des dangers de la situation actuelle.

Néanmoins, l’école ne peut pas complètement ignorer le réel. On ne peut pas, par exemple, interdire le mot communauté, même si on lutte fermement contre le communautarisme. Dans une tribune libre, on a pu lire récemment « Voir les communautés refuser les communautarismes ». Je crois que l’attitude forte est celle-là. J’entendais dernièrement une jeune fille d’origine maghrébine se désigner comme citoyenne française, mais culturellement d’origine maghrébine. Son affirmation n’était en rien religieuse, mais la reconnaissance d’une culture, au sens large.

Ce problème de dénomination me semble très important actuellement. Pour revenir à ma position, je suis personnellement opposé à une nouvelle loi, en tout cas portant sur les signes religieux. Une loi rappelant que l’essentiel est l’enseignement et que tout enseignement est obligatoire, certes. Mais je craindrais, même si l’on parle d’autres religions, que l’on en revienne toujours à la religion musulmane et qu’une loi apparaisse comme dirigée exclusivement contre une religion et non pas contre l’ensemble des problèmes.

De plus, en raison de la situation internationale, il ne faudrait pas que cette loi apparaisse comme une loi de circonstance, en réaction au 11 septembre, au conflit israélo-palestinien, etc. On peut le craindre. Faut-il légiférer en période de crise ?

Par ailleurs, je peux affirmer que quantité de manifestations communautaristes ne sont pas des manifestations religieuses, mais des manifestations de jeunes de cités et d’exclus. Même par rapport à la tenue vestimentaire des jeunes filles, dans certaines manifestations, nous voyons bien que ce n’est pas la religion musulmane qu’il faut incriminer - celle-ci n’est qu’un habillage la plupart du temps - mais des comportements forts de jeunes qui prennent ainsi leur revanche sur la vie.

Je crois que l’on ne peut pas dire que tout communautarisme est religieux. Or, faire une loi semblerait le dire. Il existe d’autres moyens de lutter contre le communautarisme. Si l’on compare notre situation à celle de pays voisins - la Grande-Bretagne avec les Pakistanais et l’Allemagne avec les Turcs -, ce sont des populations qui pratiquent un islam complètement différent de celui qui est pratiqué en France. L’islam pratiqué en France est d’origine nord-africaine et très majoritairement modéré, même s’il a ses extrémistes, dans ses formes traditionnelles. Il me semble que l’on donnerait l’impression de légiférer contre une religion et non pas contre l’ensemble des signes religieux.

Concernant les chefs d’établissement, nous n’avons pas suffisamment de candidats au concours de chef d’établissement, parfois à peine plus candidats que de postes. Cela signifie que le résultat est très inégal.

M. Jean-Pierre BRARD : Nous sommes dans une matière extrêmement délicate. Vous faisiez référence à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne. Or notre modèle national et la façon dont on devient citoyen sont très différents. Kofi Yamgnane n’aurait jamais pris le risque d’être député ni en Allemagne, ni en Grande-Bretagne, sauf s’il avait eu une majorité d’électeurs noirs.

Nous sommes entrés dans une réflexion très importante et difficile et, si nous voulons aboutir, nous devrons prendre le temps qu’il faut pour bien déterminer notre champ d’intervention, y compris s’abstenir, tant que notre travail n’est pas conclu, de s’exprimer publiquement. Je suis en total désaccord avec la promotion des Frères musulmans par Nicolas Sarkozy mais je m’abstiens de le dire car je pense qu’en nous exprimant maintenant sur la place publique, nous ne réglerons rien.

Je m’interroge sur un phénomène d’accoutumance qui fait que l’on se résigne à un état de fait et qu’on le banalise. Dans ma circonscription, j’ai quatre lycées. Un des chefs d’établissement ne veut pas affronter la situation. Les autres sont confrontés à des phénomènes de surenchère au sein de la communauté pédagogique, qui rendent la gestion du problème extrêmement difficile. Cela me conduit à dire que nous avons intérêt à avoir des règles qui ne laissent pas reposer toute la charge sur les chefs d’établissement. Par déduction, je considère que les règles actuelles sont insuffisantes. A mon avis, laïcité ne signifie pas seulement liberté, mais aussi exigence de connaissances.

Sur l’espace, je ne suis pas d’accord avec ce que vous disiez, mais nous sommes là pour confronter des points de vue. Je me demande si l’espace défini pour l’école n’est pas celui de l’enceinte globale de l’école. En effet, on ne peut commencer à faire la différence entre la salle de classe, le couloir, la cour de récréation. Toutefois, vous soulevez un vrai problème avec l’aumônerie. Néanmoins, nous devrions nous sortir de cette situation dès lors que c’est un lieu fermé qui ne comporte aucun signe religieux extérieur, telle une croix.

Ma question est la suivante : pensez-vous que l’on pourrait résoudre cette situation dans de meilleures conditions si l’on ne se limitait ni au foulard ni aux signes religieux en général, mais que l’on engage une réflexion plus globale ?

En premier lieu, il ne faut plus ignorer les musulmans et la discrimination dont ils font l’objet du point de vue de la pratique religieuse - notamment les lieux de culte - sans pour autant les traiter spécifiquement. Je ne serai pas favorable à ce que nous prenions des dispositions spécifiques à l’égard des musulmans, mais plutôt des dispositions d’application générale pour les lieux de culte, y compris sur leur financement, sans qu’il en coûte un euro à la nation.

Par ailleurs, il conviendrait d’affirmer clairement la nécessité de combattre l’analphabétisme religieux et mieux structurer l’enseignement de l’histoire des religions dans les écoles, enseignement trop souvent laissé à l’initiative particulière.

Enfin, ne croyez-vous que si on affirmait l’égalité des cultes et que l’on compense ainsi les inégalités que certains subissent, et que l’on lutte contre l’analphabétisme religieux, une des conclusions serait que, dans l’enceinte scolaire, il n’y a pas de place pour les signes religieux ?

Je note qu’en Espagne, à la fin de la semaine dernière, il a été pris la décision de rendre obligatoire l’enseignement de la religion catholique dans les écoles, sauf demande expresse de s’y soustraire.

Je terminerai par une information dont on m’a fait part samedi et qui m’effraie. Dans ma ville, qui n’est pas une ville où les intégristes tiennent le haut du pavé, une jeune fille juive porte le foulard et la main de Fatma pour se protéger contre la pression des jeunes Maghrébins. Quelle est la part de fantasmes ? Cette perception du réel est sans doute exagérée. Mais cette jeune fille et cette famille ne se sentent-elles pas abandonnées par l’Etat, même si elles ne l’intellectualisent pas ainsi, pour en être réduites à des moyens de protection individuelle de cette sorte. Le fait d’en arriver à de tels moyens favorise non seulement le communautarisme des uns, mais également celui des autres.

M. Yvon ROBERT : Quelles que soient les règles qui seraient énoncées, elles reposent sur les chefs d’établissement. Je ne suis pas certain que des règles apparemment extrêmement strictes soient forcément plus faciles à appliquer dans un établissement. En effet, une fois posées, il y a ensuite toutes les nuances. Quelle que soit la règle, il y aura toujours des jeunes qui seront à la limite de la règle, y compris par provocation. De plus, il ne faut jamais oublier que, dans un établissement scolaire, avec des jeunes entre 15 et 18 ans, il y a de toute façon de la provocation par rapport à la règle, de quelque nature qu’elle soit. Cela fait partie d’une étape dans la vie.

De toute façon, quelles que soient les règles, cela suppose des chefs d’établissement extrêmement forts, même si aujourd’hui, je suis convaincu que l’énorme majorité d’entre eux est capable de tenir. De plus, il n’est pas nécessaire d’avoir 7 500 chefs d’établissement exceptionnels car les problèmes difficiles ne sont pas dans tous les établissements du second degré. Notre métier est de faire en sorte que dans les 300, 400 ou 500 établissements qui connaissent des difficultés, d’y mettre les gens les plus aptes, à condition qu’ils veuillent bien y aller. Il n’y a aucun problème pour avoir 500 ou 600 chefs d’établissement d’une très grande qualité face à ces difficultés, hormis qu’à certains moments, certains n’ont plus envie d’y aller.

Ma première remarque sera la suivante : ne nous figurons pas qu’avec une loi claire nette et précise, ce sera plus facile à appliquer.

Sur le deuxième point, je suis entièrement d’accord avec M. Brard. On ne pourra traiter publiquement et fortement ces problèmes, avec ou sans loi, que si on progresse sur la question de la construction des lieux de culte musulmans.

Ayant été maire de Rouen pendant six ans, j’ai toujours été choqué que l’Etat, la région, le département, la commune n’aient aucun problème pour payer l’intégralité des dépenses sur les églises catholiques, que ce soit la réfection du chauffage, la rénovation du presbytère ... Sans compter qu’au titre de la protection des monuments historiques, ces lieux sont aussi entretenus. Les sommes mises dans le culte catholique sont absolument considérables. Etant catholique, je n’ai aucun état d’âme sur le sujet.

Quand il s’est agi de construire une mosquée à Rouen, les intéressés ont mis sept ans à la construire, quasiment de leurs mains. Chaque fois que j’ai essayé d’engager un tout petit peu de financement public sous une forme ou une autre, cela a immédiatement déclenché des polémiques sans fin. Je suis convaincu que l’on ferait avancer le problème de l’école et que l’on aurait un discours plus fort sur le voile si l’on avançait sur cette question. On ne peut pas traiter exclusivement le problème de l’école.

Je suis également convaincu qu’il faut absolument avoir ne serait-ce que cinq établissements musulmans privés de second degré en France. Même si ces cinq établissements étaient des lieux très fondamentalistes, ce n’est pas cela qui mettrait en péril la République française. Ainsi, il y aurait quelques endroits qui pourraient soulager les établissements publics. Il est clair que des élèves abusent et que, parfois, le chef d’établissement ne parvient pas à faire régner le calme. Ces élèves auraient ainsi un lieu pour suivre une scolarité. Cela permettrait de faire baisser la tension et d’en parler moins.

Je suis pour que de l’argent public soit consacré à la construction de mosquées et à celle de quelques établissements privés sous contrat musulmans, par exemple un à Lille, un ou deux dans la Seine-Saint-Denis, à Lyon et dans le nord de Marseille.

M. Dominique BORNE : Si j’ai insisté sur la classe, c’est parce qu’il me semblait que c’est là que s’exprime la valeur libératrice du savoir. Si l’on est en République, c’est le savoir qui fait tomber le voile. C’est cela qu’il faut affirmer très fortement. Je suis absolument en accord avec Yvon Robert sur la visibilité de l’islam.

Quelques incidents en région parisienne entre musulmans et juifs ont entraîné des familles à changer leur enfant d’établissement. Un enfant dans un établissement public a été mis dans un établissement privé sous contrat juif. Cela arrive dans la région parisienne, mais beaucoup plus rarement à Marseille où il y a pourtant une communauté juive, mais l’entente est meilleure à Marseille pour des raisons sans doute de proximité antérieure. On ne peut donc pas généraliser ce type de conflit, qui reste très localisé, avec un vrai problème de mots.

Il y a eu une époque où la France parlait « blacks, blancs, beurs ». Comment faire ensuite pour expliquer à un enfant qu’il ne faut pas dire « feuj ». Ce problème des mots est très compliqué actuellement. Il faut affronter ces formes de racisme puisque la violence raciste est une forme de communautarisme, et faire la part entre ce qui est plaisanterie douteuse, bien sûr à proscrire, et véritable racisme. Certains enfants pensent que puisque l’on dit « black », on peut dire « feuj », avec tous les risques de dérives sémantiques immédiates. Le problème lié à l’usage des mots est très complexe.

Je voudrais revenir sur un point qui m’a particulièrement atteint, puisque je me suis beaucoup occupé de l’enseignement du fait religieux à l’école. Je crois qu’il faut faire attention à ne pas traiter d’un côté, la religion, de l’autre la laïcité.

Le problème du religieux à l’école est un problème de savoir et c’est uniquement en terme de savoir qu’il faut traiter le religieux dans l’enseignement. Il n’y a pas de problème de laïcité par rapport à cela.

Mme Patricia ADAM : J’aurais voulu avoir des éléments plus précis sur l’enseignement obligatoire. Ce que j’observe dans ma circonscription, c’est la difficulté à rendre obligatoire l’ensemble des cours. Je pense aux cours de gymnastique et à d’autres cours qui existent sur la sexualité. Je pense aussi à des cours qui sont dispensés par des interventions de collectivités comme les cours de planification familiale. J’aimerais savoir si vous avez des éléments chiffrés sur ce type de questions et comment ces problèmes sont résolus.

Deuxième point, je vis en Bretagne où l’enseignement catholique est important. Nous sommes beaucoup plus confrontés à des problèmes d’intégrisme religieux qu’avec la religion musulmane. Nous avons quelques écoles intégristes. Je rappelle d’ailleurs qu’en France, l’enseignement est obligatoire, mais l’école ne l’est pas.

Présidence de M. Eric Raoult

Aujourd’hui, aucune législation ne permet de contrôler ces établissements pour y vérifier l’enseignement qui y est dispensé. Les maires sont absolument désarmés.

J’aimerais que l’on parle de l’exercice de l’intégrisme et du communautarisme, et cela ne s’arrête pas uniquement à la religion musulmane, mais va bien au-delà. Pour en avoir discuté avec le diocèse, celui-ci est bien désarmé face à ce type de phénomène qu’il ne souhaite pas voir se développer.

Si on élevait le débat en se posant la question sur le fond et sur l’obligation de l’école, peut-être arriverions-nous à regarder si nos textes sont conformes à ce que nous souhaitons et examiner comment y arriver. J’ai bien peur que si l’on stigmatise l’islam, on obtienne l’inverse de ce que l’on souhaite.

M. Dominique BORNE : Nous ne sommes pas spécialistes de ces questions car nous nous occupons essentiellement d’enseignement public. Il me semble qu’il conviendrait d’améliorer aussi le contrôle des établissements privés sous contrat qui n’est pas toujours ce qu’il devrait être, y compris sur ce qui est obligatoire. En effet, le programme d’enseignement dans les établissements sous contrat est le même que pour les établissements publics et il est vérifié par des inspecteurs.

M. Yvon ROBERT : Par rapport à cette question, vous auriez intérêt à entendre la directrice de la direction de l’évaluation et de la prospective. Cette direction qui lance 50 000 enquêtes chaque année dont certaines à caractère exhaustif. Ce sont des enquêtes par questionnaire, alors que pour notre part, nous ne sommes jamais dans l’exhaustivité. Notre travail et notre analyse complètent ces enquêtes.

Pour notre part, nous allons dans les établissements passer plusieurs journées et recueillir de l’information qualitative. Il serait intéressant pour vous d’avoir accès aux données quantitatives ou de demander des enquêtes qui ne sont pas faites et qui mériteraient de l’être.

Mme Martine AURILLAC : J’ai été très frappée, et ce positivement, par votre souci d’affirmer que toute réglementation sur le respect de la laïcité devait être positivée et ne devait pas apparaître comme une interdiction systématique, mais bien au contraire comme un pas supplémentaire vers plus de liberté.

Je crois que pour les jeunes filles, c’est un élément extrêmement important. Il y a là une voie ouverte pour permettre d’arriver non seulement à la liberté mais aussi à l’égalité que nous recherchons.

J’en reviens aux chefs d’établissement, car ils représentent une partie importante de notre mission. Ils ont été finalement très démunis par l’avis du Conseil d’Etat qui les laissent véritablement « nager ». Vous dites que vous pouvez trouver sans problème 500 caractères bien trempés, tant mieux. Mais le découragement est là aussi parfois. Je vois que même dans des quartiers relativement privilégiés comme le mien, les chefs d’établissement sont très demandeurs d’aide. Si vous êtes manifestement contre la loi, pensez-vous que des circulaires supplémentaires pourraient les aider ?

M. Dominique BORNE : Dans ce domaine, un dispositif d’aide est actuellement mis en place par le ministère de l’éducation nationale. A la direction de l’enseignement scolaire, se mettent progressivement en place une cellule appelée « valeurs républicaines », pour bien signifier son rôle, et un site. Une première réunion s’est tenue à Paris. Chaque académie compte un certain nombre de médiateurs aptes à répondre très précisément à des demandes d’établissement. Nous mettons en place, au ministère de l’éducation nationale, un réseau à la fois d’écoute et d’aide, du fait de la grande diversité de nos chefs d’établissement.

Nos deux ministres, Luc Ferry et Xavier Darcos, ont réuni, il y a trois ou quatre mois, une centaine de chefs d’établissement venant de lieux réputés les plus difficiles. Nous étions présents à la réunion et nous avons été frappés par le nombre de chefs d’établissement tenant à affirmer qu’ils ne rencontraient aucun problème dans leur établissement. Le disaient-ils parce qu’il fallait être positif devant le ministre ? Nous ne sommes pas naïfs car nous savons que, devant le ministre, personne n’affichera les problèmes qu’il rencontre dans son métier.

Néanmoins, il y a autre chose. Je suis convaincu que certains chefs d’établissement ne rencontrent pas de problèmes particuliers, parce qu’ils arrivent à les résoudre et qu’ils n’ont aucune envie qu’on les résolve à leur place parce qu’ils sont maîtres de la communauté éducative. Les problèmes sont inexistants ou ont trouvé leur solution, dès lors que le chef d’établissement a réussi à créer autour de lui une véritable communauté éducative. C’est ainsi qu’il faut poser le problème. Il est vrai que certains d’entre eux ne sont pas préparés à cela et qu’il est incontestable qu’il faut alors les aider.

Mme Martine DAVID : Je partage toute l’inquiétude que vous avez évoquée par rapport à la violence et l’attitude d’un certain nombre de jeunes filles qui considéreraient le port du voile comme une protection. Cela fait partie de nos préoccupations fortes.

En revanche, vous avez évoqué un autre point qui m’a remémoré ce que nous indiquait Mme Chérifi lors de son audition, sur le fait qu’un certain nombre de jeunes filles passaient une étape en portant le voile.

Comment appréciez-vous la part de la révolte liée à tout enfant qui grandit, la part liée à la sexualité et puis éventuellement, celle qui est liée à l’appartenance religieuse ?

Est-ce que les jeunes filles reviennent fréquemment en arrière ?

M. Yvon ROBERT : Je ne m’aventurerais pas à faire des parts entre les différentes étapes. Je suis absolument convaincu que tout est lié chez des adolescentes de 14 ou 15 ans : la religion, la sexualité, la dimension personnelle. Bien malin qui saurait faire la part entre les différentes étapes. A un moment donné, la religion peut contribuer à l’éveil à la sexualité. Personne ne sait véritablement quelles sont les dimensions. Toutefois, tous les témoignages concordent pour dire que certaines jeunes filles qui s’obstinent vraiment, à un moment donné, dans le port du voile, l’enlèvent ensuite. L’étape est finie. Pourquoi ? Il y a ce que l’on peut penser et ce qu’elles peuvent penser. Entre ce qu’elles pourraient dire et la réalité, il y a aussi tout un champ sur lequel nous avons peu d’éléments.

Mais encore une fois, je crois que l’extrême difficulté est de quantifier. Dans ce problème, on veut absolument tout illustrer avec des exemples très précis. Les grands discours ici ou là sont souvent bâtis sur des réalités mais des réalités marginales et dont personne ne sait ce qu’elles représentent effectivement.

Pour ma part, je passe mon temps à dire qu’il faut que l’on se méfie de toute généralisation dans le domaine de l’éducation. C’est vraiment un domaine où l’on peut tous se tromper parce qu’on peut trouver des faits extrêmement graves sur tous les sujets, dans un établissement quel qu’il soit. Il faut donc rester extrêmement prudent sur le sujet de l’éducation.

M. Jean GLAVANY : Ma première question concernera la réflexion sur les espaces dans l’école, cour de récréation et classes. On dit que l’école doit être perçue comme un sanctuaire laïque et qu’on ne peut faire de distinguo alors que de fait, il y a un. Au jour le jour, tout le monde sait qu’il se passe dans la cour de récréation des choses qui ne se passent pas dans les classes, y compris vous-même qui citez le fait que, dans de nombreux établissements, le compromis fait que certaines jeunes filles rentrent avec leur voile dans l’espace de l’école et le retirent à l’entrée de la classe. Existe-t-il, dans le droit réglementaire de l’éducation nationale, un quelconque distinguo entre la cour de récréation et la classe ?

Je reviendrai maintenant sur le problème des chefs d’établissement. Leur diversité constitue peut-être un problème. Il y a évidemment plus de problèmes de voile dans certains collèges ou lycées professionnels de banlieue qu’au lycée Henri IV - et pourtant, les chefs d’établissement qui ont une expérience et une autorité sont plus facilement placés au lycée Henri IV que dans les établissements professionnels de banlieue.

Le mode de gestion des corps de chefs d’établissement est-il adapté à la difficulté du problème posé ? J’en viens à cette idée de loi pour dire que la question n’est pas tant sur le constat ni l’objectif, sur lesquels nous sommes quasiment tous d’accord, ni même sur l’idée d’une nouvelle loi, mais sur son contenu et son application.

Vous avez dit tout à l’heure, et cela m’a beaucoup marqué, qu’au fond un interdit ne serait pas mieux applicable par l’Education nationale, sous prétexte qu’il serait exprimé par une loi.

Ma conviction est que, tant du point de vue de la constitution française que de la législation européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice européenne, nous ne pourrions déplacer l’équilibre de l’interdit que si, par ailleurs, nous inscrivions dans le droit de nouvelles avancées en termes d’équilibre, c’est-à-dire aumôneries, établissements privés sous contrat musulmans ou autres.

Ma troisième question est la suivante : l’Education nationale, au-delà des constats et des réflexions, a-t-elle une réflexion sur le contenu d’une loi, son applicabilité et ses conséquences ?

M. Dominique BORNE : Sur la question d’un distinguo entre la cour de récréation et les salles de classe, je ne suis pas juriste, mais je ne crois pas qu’il y a une distinction. Il y a néanmoins une distinction symbolique, à savoir que l’espace de la classe est l’espace du savoir national avec des programmes nationaux. Si j’avoue mon ignorance sur les conséquences juridiques, dans le domaine du symbolique, il me semble que l’espace de la classe est un espace particulier.

Quand le conseil d’administration l’autorise, on peut faire venir dans l’établissement le conseiller général du canton où est situé le collège, qui peut s’entretenir avec les élèves, sans pour autant que l’on estime que la laïcité est enfreinte dans ce domaine. De fait, il me semble que l’on fait une distinction, mais je ne sais pas si elle est de droit.

Sur votre deuxième question concernant les chefs d’établissement, il y a effectivement une réflexion à mener à leur égard, mais il ne faudrait pas dire deux choses à la fois, c’est-à-dire davantage de lois pour les aider et, d’un autre côté, qu’ils soient plus autonomes. Nous sommes là dans une contradiction forte où les deux thèmes sont parfois conjugués ensemble, sans que l’on se rende compte de cette contradiction.

Cela étant, la tendance actuelle, avec les expériences qui devraient être menées dans les académies de Bordeaux et de Rennes, va vers une autonomie plus grande des établissements, auquel cas on ne peut pas souhaiter une loi plus forte pour les chefs d’établissement restreignant leur autonomie. C’est très compliqué. Cependant, dans la formation des chefs d’établissement, il manque un élément qui s’appelle l’apprentissage de la gestion de crise.

M. Yvon ROBERT : Je suis d’accord pour dire qu’il y a une extraordinaire diversité des chefs d’établissement. La gestion est assez bien adaptée aux différents cas de figure. Mais il y a une réelle prise en compte de la situation de l’établissement avant de nommer quelqu’un à sa tête. Reste que l’on ne supprimera pas la dimension prestigieuse d’un certain nombre d’établissements et donc le souhait d’un certain nombre de personnes d’accéder à des établissements prestigieux. Aucune loi ne peut changer cet état de choses.

De plus, il est certain qu’un certain nombre de chefs d’établissement supportent plus difficilement à 55 ou 60 ans, un certain type d’établissement. La complexité tient alors au problème de la rémunération. A un moment donné, certains chefs d’établissement peuvent souhaiter entre 55 et 65 ans un poste dans un établissement plus petit et plus tranquille, mais sans pour autant voir diminuer leur rémunération. Il y a là des éléments de contradiction qui ne sont pas propres aux chefs d’établissement.

Je voudrais revenir sur un point qui n’apparaît que peu, à mon sens, dans le débat public. Toute loi sur ce sujet ne peut pas être une loi sur l’enseignement public et toute loi sur ce sujet est forcément une loi sur l’école, y compris privée. Aujourd’hui, la réalité de l’enseignement catholique des établissements privés sous contrat est qu’ils ne respectent pas les lois actuelles. Il ne doit pas y avoir des crucifix dans les salles de classe de l’enseignement catholique. Quand on en voit, on les supprime.

Une loi qui interdirait les signes religieux à l’école signifierait qu’il faudrait commencer à examiner comment on applique, dans l’ensemble de l’enseignement catholique, une telle loi aujourd’hui. Ce point n’est presque jamais évoqué. Il me semble que cela crée en France, aujourd’hui, des problèmes infiniment plus graves que la difficulté à gérer quotidiennement le voile.

L’autre point, et là aussi les témoignages vont toujours en ce sens, concerne une dimension forte liée à la situation internationale. La réalité du conflit israélo-arabe pèse considérablement. Il y a une vraie solidarité. Si l’on se reporte vingt ou trente ans en arrière à ce qu’a représenté pour une génération de lycéens ou d’étudiants français le rapport à la guerre du Vietnam, sans aucun jugement de valeur, on peut comprendre ce que représentent les événements actuels. Je suis absolument convaincu que l’on peut édicter toutes les lois que l’on veut, tant que le conflit israélo-arabe sera dans cette situation de tension quotidienne, comme il l’est aujourd’hui et comme il ne l’a jamais été dans les trente dernières années, nous aurons des situations très tendues.

S’il y avait une vraie diminution de la tension internationale sur ce sujet, la situation serait infiniment moins compliquée à traiter, peut-être pas du jour du lendemain. Ce sont des éléments à garder en mémoire avant de s’engager dans une voie, quelle qu’elle soit.

M. Bruno BOURG-BROC : Un certain nombre d’entre nous ont mis en valeur le fait qu’il fallait enseigner le fait religieux. Je voudrais savoir comment l’inspection générale envisage l’enseignement de ce fait religieux, par quels corps très précisément. Faut-il en créer un spécial, et comment apprécier la neutralité de cet enseignement religieux ?

Ma deuxième question porte sur la formation des chefs d’établissement. Une des difficultés actuelles du recrutement des corps des chefs d’établissement est le recul devant les risques et les responsabilités. Nous avons autant de chefs d’établissement de qualité diverse que de situations. Mais au-delà de l’enseignement de la gestion de crise, comment peut-on sensibiliser davantage, dans le système actuel, les chefs d’établissement aux problèmes que nous évoquons ? De quelle façon est-ce fait actuellement ?

Vous venez de soulever un problème important sur la différence de traitement entre l’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat en disant qu’une loi pourrait remettre en cause le « caractère propre » de l’enseignement privé sous contrat, lequel est inscrit dans une des lois fondamentales.

Vous avez également évoqué la manière privilégiée dont était traitée la religion catholique par les pouvoirs publics. Mais l’islam se caractérise par une revendication identitaire, alors que les catholiques constituent, dans les faits et dans la société, un groupe majoritaire, culturellement et historiquement, et qui ne demande pas à être traité comme une communauté particulière. Une différence de traitement qui se justifierait par l’histoire et la culture, sans être pour autant une atteinte à l’équité, vous choquerait-elle ?

M. Dominique BORNE : L’enseignement du fait religieux ou de la dimension religieuse, domaine que je connais particulièrement bien, est effectué depuis toujours. En sixième, on enseigne les dieux de l’Egypte, la mythologie, la naissance du christianisme ; en cinquième, l’islam. On ne peut pas parler d’histoire médiévale sans parler de fait religieux. Cela se fait depuis très longtemps.

Dans les années 90, on a décelé une perte de connaissance culturelle dans le domaine religieux. A l’époque, en charge des programmes d’histoire, j’ai veillé personnellement à ce qu’y figurent certains enseignements. Par exemple, actuellement, en classe de seconde, une question aborde la naissance et la diffusion du christianisme, une autre la Méditerranée au XIIème siècle et la confrontation entre l’islam, l’orthodoxie et le christianisme.

Tout récemment, à l’instigation du ministre précédent et de Régis Debray qui a effectué une mission en la matière, cette réflexion a été étendue à l’ensemble des disciplines. Par conséquent, il ne s’agit pas d’avoir un personnel formé spécialement pour cela, mais de mesurer que, dans un poème de Victor Hugo, un texte de Kant ou de Descartes, il peut y avoir une dimension religieuse. De même qu’il peut y avoir une dimension économique ou culturelle, il peut y avoir une dimension religieuse. A mon sens, cela n’a pas de rapport avec la laïcité parce que c’est un problème de connaissances et il me semble qu’il n’est pas souhaitable de traiter les deux problèmes ensemble.

Sur la formation des chefs d’établissement, j’avoue mon incompétence, car ce n’est pas un domaine dont je m’occupe directement. Mais là encore, je crois qu’il y a une insuffisance dans la connaissance culturelle des problèmes. Les chefs d’établissement devraient posséder quelques connaissances sur l’islam. Savoir qu’il n’y a pas un islam mais une diversité extraordinaire de l’islam, afin d’éviter la simplification dramatique qui a fait dire que Ben Laden c’était l’islam, avec toutes les dérives que cela a occasionnées. Car Ben Laden, même s’il se réclame de l’islam, représente un islam mais pas tous les islams. Il y a là des connaissances culturelles fondamentales qui manquent.

Le retour du religieux a été aussi, à un moment donné, Jean-Paul II et la Pologne. Je suis extrêmement frappé de voir comment l’islam focalise trop, à mon sens, toute la réflexion sur le religieux. Le religieux, dans le monde contemporain, c’est aussi expliquer à des professeurs d’anglais que l’on ne peut pas enseigner la civilisation américaine sans mesurer la place du religieux dans la civilisation américaine. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas d’exception musulmane, ce qui me semble être actuellement un des dangers de ce thème.

M. Yvon ROBERT : Cela ne me choque pas qu’il y ait une différence de traitement, aujourd’hui, entre le fait catholique et le fait musulman. Je dis simplement qu’avant que le fait musulman ne soit traité par les pouvoirs publics de façon comparable au fait catholique, il se passera des années. Ce que je trouve profondément choquant, ce n’est pas tant la différence de traitement, mais que d’un côté, ce soit considérable, de l’autre, inexistant. Le traitement restera différent, mais il ne peut rester aussi inégal. C’est ainsi que je pose le problème en le simplifiant.

Concernant l’enseignement privé, je ne remets pas du tout en cause le « caractère propre ». Je veux simplement attirer l’attention sur le fait que je n’ai quasiment jamais vu le problème posé par rapport à l’enseignement privé, même dans la presse, malgré la quantité hallucinante d’articles sur le sujet.

J’insiste de nouveau sur ce point. La loi Debré n’est pas totalement appliquée et le « caractère propre » est un terme que peu de personnes savent définir parce qu’il est indéfinissable. En fait, le « caractère propre » est un mot inventé pour recouvrir une contradiction dans la loi, contradiction qui fait que notamment dans les établissements juifs et catholiques, il y a une forte présence de la dimension religieuse alors que la loi Debré est une loi beaucoup plus laïque qu’elle n’y paraît.

Il y a une vraie contradiction dans les termes mêmes de la loi entre les deux sujets. Aujourd’hui, cela n’a pas grande importance. Un équilibre a été trouvé, à tort ou à raison. Ma conviction est qu’aborder la question des signes religieux ostentatoires à l’école par une loi nous obligerait inéluctablement à reprendre tout le sujet. C’est à cet égard que je nourris quelques craintes, même si je partage complètement le souhait de ceux qui voudraient en finir avec cela. Sur le fond, je partage complètement ce souhait, mais j’ai le sentiment qu’une loi précise obligerait à reposer nombre de questions qui ne sont résolues autrement que dans les faits quotidiens. Donc méfions-nous !

M. Jacques MYARD : M. le doyen, vous avez dit tout à l’heure que l’islam d’Afrique du Nord est modéré. Je vous mets en garde. L’école malékite est une école rigoriste et c’est sur la base de cette école rigoriste qu’elle a été travaillée par des wahhabites.

Quant à la situation internationale, il est certain qu’elle est à notre porte et qu’elle va aller en empirant. Le problème est le phénomène de ressourcement qu’expriment actuellement un certain nombre de communautés. Il n’y a pas de ligne Maginot des idées. Nous allons être de plus en plus confrontés au besoin permanent de ressourcement d’une immigration qui va chercher ses valeurs à l’extérieur et qui ne les puisent plus chez nous. Cela pose le problème d’une certaine pusillanimité chez ceux qui devraient être les vestales de la laïcité.

Je voudrais aborder le problème de l’absentéisme aux cours. Vous dites que c’est plus grave que le problème du signe ostentatoire. Puis-je vous rappeler que l’un ne va pas sans l’autre. Pour ce qui est de l’absence des cours, et notamment les revendications dogmatiques de certains religieux du shabbat du samedi matin, l’absence pour les prières, etc., si l’on ne dit pas c’est ainsi et pas autrement, vous allez ouvrir la boite de Pandore.

Enfin, je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il existe un problème avec certaines écoles sous contrat qui ne respectent pas les lois de la laïcité. On a laissé faire des choses qui ne sont plus acceptables, que ce soit par laxisme, simple démagogie et lobbying.

M. Christian BATAILLE : La dernière intervention de M. Robert me fait réagir. Le doyen Borne nous conseille de ne pas légiférer et M. Robert vient de nous conseiller d’abolir la loi de 1905. La loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, dans un de ses articles centraux, prévoit bien que l’Etat ne subventionne ni ne finance aucun culte. Vous faites référence au financement des églises ou des cathédrales qui sont souvent des dépenses d’entretien ou à but culturel. Il est certain qu’il y a eu des dérapages. Je ne connais pas la cathédrale de Rouen qui est fort ancienne, mais je connais celle d’Evry. Je crois que c’est un contre-exemple tout à fait déplorable.

Pour autant, je veux dire mon désaccord avec votre proposition qui décarcasse complètement la loi de 1905, laquelle est, quand même, une loi de cohérence et d’unité nationale. Votre propos est très dangereux.

M. Yvon ROBERT : Ce qui est fait en matière de subventions aux églises catholiques, ce n’est pas du dérapage et ce n’est pas qu’à Rouen. Je vous garantis que c’est sur toute la France. Certes, ces subventions concernent le fonctionnement, mais lors de la construction de la mosquée de Rouen qui a duré sept ans, ils ont uniquement rencontré des problèmes de fonctionnement.

M. Christian BATAILLE : Je vous rappelle que la construction des cathédrales a pris quatre cents ans.

M. Yvon ROBERT : Certes, mais aujourd’hui on refait les chauffages et les presbytères, puisque ces lieux appartiennent aux communes. La loi de 1905 n’est pas respectée, mais je ne propose pas de la supprimer. Ce que je constate dans la réalité quotidienne, que ce soit pour la loi de 1905 ou pour celle de 1959, c’est que bien des lois ne sont pas appliquées. Ce n’est pas simplement le problème de l’éducation, c’est qu’en fait, il y a à côté de la réalité des lois, des équilibres sociaux, culturels, politiques quotidiens dont les uns et les autres nous nous contentons, avec lesquels nous vivons. Je veux bien que l’on bouleverse ces équilibres, mais attention à la manière de le faire.

Fondamentalement, je crois que sur ce sujet, il y a un très large accord sur le fond, tant au niveau des responsables de l’Education que parmi la classe politique. La vraie difficulté, ce sont les modalités pour y parvenir. C’est là qu’il y a de vraies divergences mais qui, à mon sens, n’ont pas grand-chose à voir avec les divergences politiques. C’est la manière dont on perçoit notre capacité collective à faire appliquer une loi.

Je constate, au regard de tous les exemples dont on dispose qu’un certain nombre de lois sont très difficiles d’application, dès lors qu’elles touchent aux croyances, aux convictions, aux sentiments les plus profonds. Il ne suffit pas de proclamer. Ce que j’ai envie de dire à la représentation nationale, si une loi est faite, c’est qu’en même temps qu’on la fait, posons-nous la question de toutes les conséquences de son application. Avant de faire un texte, il conviendra d’avoir listé, de façon très approfondie et réfléchie, les conséquences de l’application de cette loi.

M. Eric RAOULT, Président : Je vous remercie pour vos interventions.


Source : Assemblée nationale française