(extrait du procès-verbal de la séance du 1er juillet 2003)

Présidence de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. Eric RAOULT, Président : M. Milcent, je vous propose de vous présenter puis de nous exposer votre point de vue sur la question des signes religieux à l’école. Je vous demanderais d’être assez synthétique afin que nous puissions réserver suffisamment de temps à un jeu de questions-réponses, de façon que cette audition soit la plus vivante possible. Pour votre information, je vous indique que le document, très complet, que vous nous aviez transmis pour cette audition a été remis en copie à l’ensemble de mes collègues.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie vivement d’avoir accepté de me recevoir dans le cadre de votre mission. Cette mission d’information représente à mes yeux l’une des traditions républicaines qui veut que l’on écoute tout le monde, y compris les avis les plus tranchés, afin de débattre au plan national et de trouver les meilleures solutions.

Je suis médecin généraliste, d’origine normande. Je me suis spécialisé dans les domaines de l’immigration et de l’exclusion sous toutes ses formes, exclusion sociale, exclusion liée à la toxicomanie ou à la prostitution... Je travaille dans un cabinet libéral dans la banlieue de Strasbourg.

J’ai voulu témoigner devant vous pour vous faire part de mon expérience en tant que défenseur, depuis 1989, du port du foulard islamique à l’école. En 1989, j’étais membre du bureau de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Nous avons été très douloureusement surpris quand la première affaire de Creil a éclaté. Nous étions franchement désemparés et ne savions pas du tout comment réagir.

Certains proposaient des réactions de type : « troubles à l’ordre public ». Issu d’une famille laïque, jacobine et républicaine, et conscient que nous vivons dans un Etat de droit qui protège les droits fondamentaux et les libertés individuelles - la France n’est pas une « bananocratie »-, j’ai refusé cette approche et j’ai proposé que nous réagissions sur le plan juridique.

Tout naturellement, on m’a donc chargé de rédiger la lettre des membres de la FNMF au Conseil d’Etat avant qu’il ne rende son avis du 27 novembre 1989. Depuis, j’ai été le coordinateur de toutes les actions en faveur du port du foulard islamique. Les associations musulmanes ne disposant pas des moyens d’expertise juridique pour défendre les jeunes filles impliquées dans ces affaires, j’ai décidé d’aller sur le terrain soit pour leur apporter mon soutien devant les conseils de discipline, soit pour discuter avec elles ou leurs avocats.

Mon ouvrage, « Le foulard islamique et la République française : mode d’emploi », est le résumé de cette expérience. Je me considère comme un militant des droits de l’homme. Je vous le dis tout de suite : je n’accepte jamais de défendre une jeune fille qui me donne l’impression de porter le voile de manière forcée. Je demande toujours à discuter avec elle, je l’interroge sur le caractère personnel de ses motivations et je lui précise que je continuerai à être derrière elle quand bien même elle changerait d’avis, puisque tel est son droit le plus strict.

Je profite également de ces affaires-là - et mon livre en est l’illustration - pour expliquer aux communautés musulmanes qui, parce qu’elles sont des communautés immigrées récentes, ne connaissent pas le fonctionnement de notre société sur le plan juridique et notamment celui de la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

A la lecture des déclarations de certains de vos collègues dans la presse, on peut se demander quel est le véritable problème pour lequel vous souhaitez trouver des solutions. S’agit-il de lutter contre l’intégrisme ? Il faut alors déterminer ce qu’est l’intégrisme et se poser la question suivante : la loi est-elle un outil adéquat pour lutter contre ce phénomène ? Ou bien, ce qui est différent, s’agit-il de lutter contre le communautarisme ? D’où vient alors ce communautarisme et doit-on considérer que les communautés musulmanes de France - car elles sont multiples - sont sinon les plus communautaristes, du moins constituent un ferment de communautarisme ? D’après mon expérience, à cette dernière question, je répondrai non, mais on peut en discuter. Enfin, s’agit-il d’imposer une forme de laïcité plutôt qu’une autre, à savoir confiner la pratique religieuse uniquement dans le domaine privé et imposer à tout le monde la neutralité dans le domaine public. Une telle approche serait contraire aux textes régissant la protection des droits de l’homme que vous connaissez aussi bien que moi.

Toutes ces questions se posent et sont très importantes tant il est vrai que lorsque la presse s’est fait l’écho de votre mission, tout le monde, et les musulmans en particulier, a dit que la pratique religieuse était visée. Je vous le dis franchement : la valeur d’un corps social se mesure au traitement qu’il apporte aux plus défavorisés et aux exclus. Les jeunes filles qui portent le foulard sont issues de l’immigration récente et sont extrêmement faibles du point de vue social. Elles commencent seulement à comprendre le fonctionnement de notre société. A chaque fois que j’ai été confronté à des affaires de foulards, je les ai vécues douloureusement parce que ces filles souffrent et leur communauté avec elles.

Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jean-Yves HUGON : Monsieur, que répondez-vous à l’affirmation suivante ? Dans une école de la République, un professeur ne doit pas pouvoir distinguer l’appartenance religieuse de ses élèves dans la classe.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Sur quel texte de la République vous basez-vous pour affirmer cela ?

M. Jean-Yves HUGON : Qu’il y ait un texte ou pas, je pense que cette question est au coeur du problème de la laïcité.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Absolument. Et je suis heureux que vous posiez cette question.

D’après moi, et c’est ce qui ressort de mon expérience dans ce domaine, il y a une énorme différence entre la laïcité républicaine telle qu’elle est définie dans les textes - qui est la laïcité que tout le monde accepte et qui fonde notre République - et la laïcité telle qu’elle est vécue par une grande partie de la population française, une laïcité un peu fantasmagorique, qui voudrait qu’un professeur ne connaisse pas les opinions de ses élèves ou que les élèves soient soumis à une certaine neutralité dans le service public. Je suis désolé, mais les textes de la République montrent clairement que la neutralité du service public, aussi bien de La Poste que du service public de l’éducation, s’impose aux organisateurs de ce service et non pas à leurs utilisateurs. Ce n’est pas du tout la même chose.

M. Jean-Pierre BRARD : Monsieur, l’objectif du postier n’est pas de rendre la lettre intelligente.

Je souhaitais vous poser la même question que mon collègue mais je vais la formuler autrement. Le fait qu’un député de droite ait la même question qu’un député de gauche ou inversement est significatif.

La religion ne relève pas du domaine de la raison, mais de celui de la croyance, de l’irrationnel et du subjectif. Au contraire, le champ de l’éducation est celui de la formation de l’esprit critique. Vous disiez qu’il n’est écrit nulle part - si je ne trahis pas votre pensée - que l’espace de l’école doive être neutre. Mais le professeur, lui, au moins, est soumis à la neutralité. Imaginez-vous qu’un professeur qui, à mon avis et par vocation, doit ignorer la croyance de ses élèves, puisse être complètement neutre, déconnecté d’une situation internationale donnée ? Et je termine en faisant référence à la définition que donne Régis Debray de la laïcité : « La laïcité n’est ni une croyance ni une valeur parmi d’autres. C’est une valeur essentielle qui permet aux croyances de cohabiter ensemble ». A partir du moment où les croyances interviennent dans l’espace éducatif et que l’on accepte qu’elles y soient identifiées, ne pensez-vous pas qu’il existe un danger majeur de guerres de religions dans l’espace scolaire ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je crois très important de dire, qu’à titre personnel, je me considère comme un fervent défenseur de la laïcité. Pour moi, la laïcité est fondamentale. Nous ne sommes pas dans un débat où s’opposent pro-laïcité et anti-laïcité. Je suis issu d’une famille laïque et républicaine et, je vous le dis très clairement, je me considère comme un laïc et un républicain.

La laïcité signifie qu’en effet l’école doit être à l’abri des prosélytismes. Ceci est très clair également. Je ne pense pas que, parmi les musulmans de France, il y ait des gens sérieux, dotés de responsabilités associatives - je ne parle pas des « allumés » que l’on rencontre parfois -, qui demandent à faire du prosélytisme au sein de l’école. Cela n’existe pas.

L’école a pour vocation d’apprendre aux jeunes à raisonner et à faire leur choix, mais cet apprentissage est progressif. On ne peut pas demander à tout le monde d’entrer neutre dans le système pour en sortir neutre ou formé au raisonnement. Ce serait, d’après moi, plus qu’illusoire et plus qu’utopiste. Chacun entre à l’école avec sa part de croyance et de raisonnement. L’école permet à l’enfant de comprendre la société dans laquelle il vit, elle lui montre qu’il n’est pas seul, qu’existent d’autres croyances, d’autres raisonnements et d’autres philosophies que les siennes. L’école est une institution vivante, en connexion avec le monde.

M. Jean-Pierre BRARD : Quelle différence faites-vous entre l’enseignement de la religion et l’enseignement du fait religieux ? Par ailleurs, je voulais vous faire remarquer que la laïcité ne se prouve pas par des affirmations mais par des actes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Il est tout à fait clair que l’enseignement du fait religieux a sa place à l’école parce que c’est un fait historique. Les civilisations chrétiennes, israélites, bouddhistes, musulmanes correspondent à des faits historiques. A ce titre, il est bon qu’elles soient enseignées. Il est clair, aussi, que lorsque je veux enseigner la religion à mes enfants, je le fais en tant que croyant. A ce moment-là, je dis : « Nous croyons que... ». C’est très différent.

Concernant votre remarque complémentaire : « la laïcité se prouve par des actes », je crains de mal vous comprendre. Qu’attendez-vous comme actes ?

M. Jean-Pierre BRARD : C’est nous qui vous avons peut-être mal compris. Vous affirmez : « Je suis laïc, ma famille l’était déjà. ». La laïcité n’est pas dans les gênes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous sommes bien d’accord.

M. René DOSIERE : Je vous ai entendu dire que vous considériez presque comme attentatoire à la laïcité - vous avez employé un autre mot - le fait que la religion soit cantonnée dans le domaine privé et ne puisse pas s’exprimer dans le domaine public. Pourtant, la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat et la laïcité « à la française » ont justement eu pour vocation de rejeter sinon totalement, en tout cas fortement, la religion du domaine public pour la cantonner dans le domaine privé, ceci de manière à permettre aux diverses croyances de pouvoir coexister sans tomber dans les travers passés.

Je souhaiterais donc que vous précisiez votre conception de la laïcité. Partagez-vous cette définition de la laïcité à la française ?

Par ailleurs, vous êtes installé en Alsace, c’est-à-dire dans une région soumise au régime concordataire où, pour des raisons historiques, la laïcité n’a pas la même signification qu’à « l’intérieur ». Votre lieu d’habitation n’induit-il pas dans votre comportement l’idée que la religion doive nécessairement avoir une expression publique ?

Enfin, estimez-vous que le foulard est un signe d’expression religieuse et êtes-vous favorable à la création d’écoles musulmanes ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Vos questions sont extrêmement riches. J’espère avoir tout compris et pouvoir y répondre pour le mieux.

Vous parlez de la laïcité à la française, telle qu’elle définie dans les textes - et non telle que certaines associations laïques la prônent mais qui n’est pas dans les textes - et notamment dans la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.

J’attire votre attention sur le fait qu’il n’existe pas d’Eglise musulmane, au sens institutionnel du terme, excepté le clergé chiite qui est ultra minoritaire en France.

La loi de 1905 qui pose la question des religions en termes d’Eglises a donc une petite difficulté avec la religion musulmane. Cette situation est normale dans la mesure où les musulmans étaient très peu nombreux en France au début du siècle et je la comprends très bien. La présence massive des musulmans dans notre pays est un phénomène récent. Le compromis historique de 1905, entre le clergé catholique d’un côté, et les organisations très militantes de la laïcité de l’autre, peut être remis en question par le comportement des musulmans et des musulmanes qui arrivent en France. Il est vrai que ce comportement peut choquer au regard du compromis qui existait auparavant. Je comprends très bien qu’il interpelle.

Cependant, les textes sont très clairs. La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 prévoit que la pratique religieuse peut se faire tant en public qu’en privé. L’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme retient la même formulation. Vous savez à quel point la séparation des Eglises et de l’Etat a été douloureuse. Vous savez à quel point la question des processions et des sonneries de cloches a posé problème. Et il n’y a pas si longtemps de cela...

Je ne pense pas que la laïcité, telle qu’elle existe dans les textes, pose problème pour les musulmans. De plus, je ne pense pas que l’on puisse affirmer que la loi française, que le pacte républicain, impose aux convictions de ne pas s’exprimer dans l’espace public. Ceci constitue le fond du débat.

La question de la laïcité s’est en premier lieu posée pour les convictions politiques et syndicales. Si vous souhaitez - mais, à ce moment-là, il faut le dire clairement - que les convictions, et en particulier les convictions religieuses, ne puissent plus s’exprimer en public, alors vous reviendrez sur les interprétations du principe de la laïcité à la française qui en ont été faites au cours de son histoire. Vous avez ce pouvoir mais j’estime que cela constituerait un retour en arrière.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous êtes opposé à la révision de la loi de 1905 ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui, j’y suis opposé.

Si vous le permettez, je souhaiterais répondre à la deuxième question de M. Dosière : le fait d’habiter en Alsace où perdure le régime du concordat influe-t-il sur la conception que je me fais du principe de laïcité ? J’attire votre attention sur le fait que l’islam n’est pas une religion concordataire.

M. René DOSIERE : Je le sais. La religion musulmane n’existait pas en Alsace en 1806.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Elle existait mais elle était extrêmement minoritaire. En Alsace, l’islam ne bénéficie pas des mesures prises en faveur des religions concordataires. J’ajoute qu’à titre personnel, je suis opposé à l’enseignement religieux dans les écoles.

M. René DOSIERE : Je parlais de la création d’écoles musulmanes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je ne suis pas favorable à la création de telles écoles. Je préférerais que la République française se charge de l’éducation de nos enfants. Je suis issu de l’école publique - qui dispense un enseignement de très bonne qualité - et j’en suis très fier. Je ne suis pas du tout favorable à la création d’écoles communautaristes. Il faut l’éviter dans la mesure du possible.

Mais qu’allons-nous faire des jeunes filles voilées si vous les excluez et qu’elles persistent dans leur choix ? Va-t-on devoir les condamner à être mère à 16 ans ? Personnellement, je n’y suis pas favorable. Il faudra donc trouver un moyen de les éduquer.

M. René DOSIERE : Pour vous, le foulard est un signe religieux ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C’est de la sémantique. Pour moi, le foulard est l’expression d’une liberté. Une jeune fille qui choisit de porter le voile, puis de l’enlever ou de le remettre, exprime sa liberté. Je n’ai pas à juger ses choix. J’ai vu des centaines de filles qui portaient le foulard. Je n’en ai pas vu une seule qui le portait ni de la même manière, ni pour les mêmes raisons que celle qui était à côté d’elle. Il faut se garder de faire des amalgames et de trop grands raccourcis. Les jeunes filles qui portent le voile expérimentent leur liberté. Ce sont des adolescentes, de 14 à 19 ans, qui se découvrent à elles-mêmes. C’est comme cela que l’on se fait une opinion. Souvenons-nous de nos errances de jeunesse. Nous avons tous fait des expériences que nous avons regrettées par la suite. C’est normal.

Mme Martine DAVID : Je vais essayer, puisque, apparemment, c’est le travers dans lequel vous voulez nous entraîner, de ne pas me positionner sur le terrain de la loi mais sur celui de la conception de la laïcité. Visiblement, la conception que nous en avons est totalement différente de la vôtre.

Vous annoncez - c’est dans le titre de votre ouvrage - que vous êtes favorable au port du voile islamique considérant qu’il est toujours librement consenti. Je suis tout de même très étonnée que vous puissiez penser que nous allons croire cela. Soit vous êtes très naïf, soit vous nous prenez pour des naïfs.

La mission travaille depuis plus de trois semaines. Nous avons auditionné beaucoup de responsables, notamment des chefs d’établissement, qui ont un vécu très important, et nous ont fait part de leur expérience. Nous avons également auditionné Mme Hanifa Chérifi, la médiatrice de l’Education nationale sur la question du voile, que vous connaissez sûrement.

Tous nous ont dit que, dans un certain nombre de cas, il était évident que le port du foulard n’était pas librement consenti. Nous-mêmes, élus, dans certaines communes, dans certaines cités réputées difficiles, nous savons aussi qu’il existe des associations, des réseaux fondamentalistes, qui obligent, d’une façon ou d’une autre, les jeunes filles musulmanes à porter le voile. On nous a même signalé, au cours de l’audition précédente - et nous n’avons aucune raison de mettre en doute ce témoignage d’un instituteur -, le cas d’une petite fille de 3 ans entourée d’un voile noir de la tête aux pieds. Je ne sais pas si l’on se rend bien compte de quoi on parle. Pour moi, cette situation est incompatible avec la conception que j’ai du principe de laïcité et je crois que mon avis est partagé par mes collègues de cette mission. Dans ces conditions, je ne comprends pas comment on puisse être favorable au port du voile islamique. Ou alors il y a entre nous une vraie opposition, ce qui est sans doute le cas.

Vous nous avez dit vous porter aux côtés des jeunes filles voilées pour les défendre dans les établissements scolaires. Or, nous savons bien qu’il existe des fillettes de 11 ou 12 ans qui sont très fortement influencées par leurs frères, leurs oncles... pour porter le foulard. Comment pouvez-vous être assuré, dans chacun des cas, que la jeune fille consente librement de porter ou non le voile ? Nous n’avons pas cette naïveté.

Par ailleurs, vous nous avez dit - et je n’ai pas de raison de mettre cela en doute - que vous étiez issu d’une famille laïque et que vous vous considériez vous-même comme un laïc. Au nom de ce principe, estimez-vous normal qu’une fillette doive subir la proximité d’une de ses petites camarades de classe portant le voile islamique ?

Nous considérons que la sphère de l’école est fragile parce que l’enfant lui-même est quelqu’un de fragile. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’à l’école, l’enfant, et notamment l’enfant dans sa première éducation, doit être protégé de toute atteinte à son état d’esprit.

Par conséquent, on ne doit pas permettre le port du voile islamique ou de tout autre signe religieux - on a trop parlé dans ce début d’audition du voile islamique - dans l’enceinte de l’école. Le port, par un élève, d’un signe religieux porte atteinte à la liberté de penser de l’enfant qui est à proximité de lui. Pour moi la laïcité c’est d’abord la liberté de chacun mais surtout la liberté de l’autre.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je vous remercie pour votre intervention. Elle est très riche. J’espère avoir tout compris et pouvoir y répondre. Comme je vous le disais, je suis, à titre personnel, favorable au port du foulard islamique, bien que je comprenne que certaines jeunes filles de confession musulmane préfèrent ne pas le porter. Avant tout, je suis favorable à ce qu’elles soient libres.

Vous me dites : « Vous ne pouvez pas ignorer que certaines parmi les jeunes filles voilées sont forcées ». Mettons-nous bien d’accord. Si vous connaissez des jeunes filles dans ce cas, je viendrai personnellement, avec vous, sur le terrain, leur dire qu’elles n’ont pas à porter le foulard islamique dans de telles conditions.

Je vous le rappelle, mon expérience en ce domaine est assez riche. Un chef d’établissement est confronté à « x » filles. Mon expérience repose sur l’ensemble de la France. Cela fait beaucoup de jeunes filles rencontrées. Et, mon expérience me montre, qu’en effet, dans moins de 10 % des cas, les jeunes filles étaient sous influence. Je vous rappelle également que je suis médecin et, qu’à ce titre, je sais détecter ce genre de choses.

Voici comment je procède. Je suis d’abord contacté par téléphone. Je demande toujours à parler à la jeune fille. Ensuite, une fois sur place, je demande à voir la jeune fille, seule, pour discuter avec elle de ses motivations. Je ne dis pas que je ne suis pas passé à côté de cas de filles forcées. Mais, je cherche réellement à les détecter. Et, quand je l’ai détecté, j’explique clairement à la jeune fille que ce n’est pas mon travail de participer au fait qu’elles soient forcées.

En ce qui concerne l’autre aspect de votre question, oui, nous subissons tous la pression de notre entourage, et les enfants en tout premier lieu. L’école leur enseigne justement - et vous l’avez souligné - qu’ils ont le choix et leur apprend à le faire. La famille aussi, en général, contribue à orienter leurs choix de vie. C’est pour cela que des jeunes filles changent d’avis. C’est normal. Devons-nous protéger les enfants de leur milieu familial, de son influence ? Je dis que si vous aviez cette mission...

Mme Martine DAVID : J’ai parlé de l’école...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ... Vous parliez de la pression des frères, de la famille. Faut-il protéger les enfants de la pression des choix de leur milieu familial ? Si vous vous engagez sur cette piste, vous faites fausse route. C’est mon opinion. C’est le droit des parents d’éduquer leurs enfants dans les philosophies qu’ils choisissent. Ce principe est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’enfant. Je vous invite à la relire car sa rédaction est très précise. Le milieu familial existe et les influences du milieu familial également.

L’école de la République apprend aux enfants, petit à petit - et c’est ainsi que l’on devient adulte -, à remettre en question les choix de leurs parents, pour qu’ils fassent les mêmes ou s’orientent vers d’autres. On a tous agi de même.

M. Eric RAOULT, Président : Il existe donc une pression au moins de la part des parents, si ce n’est de l’entourage.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, pas forcément. Je suis né dans un milieu laïc et républicain. Dès le départ, les choix laïcs et républicains m’étaient donc davantage présentés. Petit à petit, j’ai choisi d’être musulman. Je me suis écarté de cette tradition laïque et républicaine « bouffeuse » de curés dont je suis issu.

Mme Martine DAVID : Ce n’est pas parce qu’on est laïc que l’on est « bouffeur » de curés...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ...Oui, mais ma famille l’était !

M. Eric RAOULT, Président : D’où peut-être un effet en réaction.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C’est possible. Toujours est-il que l’école n’est pas là pour protéger les enfants contre leur milieu familial mais pour leur apprendre à choisir et à remettre en question les options de leurs parents. Ce n’est pas du tout la même chose. C’est très important. On pourrait imaginer que l’école de la République est une bulle qui placerait les enfants dans une neutralité totale. Mais, le jour où ils sortent de la bulle, ils découvrent des choses bizarres.

Vous parliez des signes religieux. Je vous rappelle, Mme David, qu’à l’école, la question de la neutralité s’est d’abord posée pour les signes politiques et syndicaux : « Avait-on le droit de venir avec une écharpe rouge ? ».

Mme Martine DAVID : J’insiste beaucoup sur ce que j’ai dit à la fin de mon intervention. Je considère, compte tenu de la conception que j’ai de la laïcité - qui pour moi est d’abord une liberté et non pas un interdit - que le port d’un signe religieux à l’école, quel qu’il soit, ou d’un signe politique, est attentatoire à la liberté du jeune enfant. Je le dis parce que je le pense profondément.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je comprends mieux votre réflexion.

Mme Martine DAVID : Quelle est votre appréciation sur ce sujet ? Visiblement, vous pensez le contraire. Cela signifie que nous avons une conception totalement différente de la laïcité.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je considère, mais je ne suis pas le seul - vos aînés, les députés, les sénateurs qui vous ont précédée, ont choisi d’aller dans le même sens -, que l’école doit être le lieu de l’apprentissage progressif de liberté de pensée, celui de l’autorisation progressive. La question s’est posée en 1968 et la réponse qui y a été apportée n’a pas changé depuis.

M. Eric RAOULT, Président : En 1905, l’hégémonie de l’église catholique dans notre pays conduit à un mouvement de liberté, qui fait suite à 1901, à la montée du radicalisme, à la possibilité de s’organiser, de faire des banquets... Le mouvement de mai 1968 n’est pas en rapport avec un interdit.

En vous écoutant, j’ai un peu l’impression de réentendre les professeurs qui me parlaient de la libération sexuelle ou de la possibilité de fumer dans l’aumônerie.

Vous avez été parfois un peu provocateur. Nous le sommes aussi. Nous ne traitons pas du problème du voile dans la société française mais de situations qui peuvent, aujourd’hui, poser des difficultés au regard de la laïcité. La question du respect du principe de laïcité ne se pose pas uniquement relativement au culte musulman mais aussi aux autres cultes, dans un contexte international qui peut conduire à des affrontements. Nous avons entendu des chefs d’établissement nous parler des problèmes auxquels ils étaient confrontés. Comme Mme David l’a souligné, nous avons tous connu, dans nos circonscriptions, des situations où, manifestement, la jeune fille voilée de 13, 14 ou 15 ans ne disposait pas de la liberté de jugement - au regard de son éveil à la sexualité, de par son entourage familial et de par sa situation d’exclusion. Dans ce cas, le voile ne se perçoit plus dans les termes que vous soulignez. Il devient un moyen de se protéger contre les garçons, de ne pas affirmer les mêmes sensibilités dans le cadre d’un établissement scolaire...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Certaines utilisent le voile comme un moyen de provocation, je les ai vues, mais elles ne sont pas majoritaires.

M. Eric RAOULT, Président : Et certaines portent le voile sans être musulmanes ou expliquent, par un raccourci, ce qu’est dieu, le prophète... C’est plutôt une version de supermarché du culte musulman.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut laisser aux jeunes filles la liberté de leurs choix et qu’elles puissent l’exprimer le mieux possible.

Mme Martine DAVID : Les fillettes ont-elles une vraie liberté de choix ? Je ne le crois pas !

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J’ai rencontré des fillettes, mais la tranche d’âge des filles concernées s’étale jusqu’à 19 ans.

M. Eric RAOULT, Président : Ici, nous traitons la question des signes religieux à l’école. Ce qui pose problème, c’est également lorsqu’une jeune fille demande à être dispensée de telle ou telle discipline, obligatoire dans le cadre du programme, qu’elle ne va pas au cours de sciences naturelles, en cours d’éducation physique et sportive. Dans mon académie il y a eu, depuis le début des épreuves du baccalauréat, une dizaine de cas de jeunes filles refusant d’être interrogées par des examinateurs hommes. Cela existe.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je n’ai, pour ma part, jamais rencontré de jeunes filles qui refusaient d’assister à certains cours.

M. Eric RAOULT, Président : Mais cela existe.

Mme Martine AURILLAC : M. le Président, j’interviendrai dans le sens de ma collègue Mme David. Je vais essayer d’être peu véhémente.

M. Milcent vous nous avez dit n’accepter de défendre que les jeunes filles qui arboraient librement le voile contre des écoles qui refuseraient qu’elles le portent. Tous ensemble, nous sommes convenus que le voile n’était pas toujours un signe religieux. Il symbolise également une forme de provocation, de réaction contre les parents... parce que l’on veut faire de la même façon que la petite amie. Une jeune fille voilée m’a même dit : « C’est tellement joli ! ». Mais beaucoup, et vous le savez, sont forcées par leur milieu, par de l’endoctrinement souterrain, à le porter. Je vous pose la question : n’est-ce pas celles-là qui mériteraient davantage d’être défendues ? Certes, c’est un peu provocateur...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, pas du tout. Je prends l’engagement, devant vous, de venir et de discuter avec ces filles « soumises », forcées à porter le foulard islamique, afin qu’elles l’enlèvent.

Mme Martine DAVID : Il y en a partout.

Mme Martine AURILLAC : Nous ne devons pas voir les mêmes écoles.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je suis à votre disposition. Je vous le dis clairement.

Mme Martine AURILLAC : Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que le voile est porté par les jeunes filles et jamais par un garçon. Ainsi, le voile ne met pas uniquement en question des problèmes religieux ou de laïcité ou des questions scolaires, mais également le principe de l’égalité entre l’homme et la femme. Vous dites que c’est un signe de liberté. Véritablement, pour nous, il ne l’est en aucune façon, surtout lorsqu’il est porté par des jeunes qui sont en voie de se construire.

Dernier point. Je ne voudrais ne pas être trop indiscrète. Vous me répondrez si vous le souhaitez. Par rapport aux auditions que nous avons eues, la votre constitue une exception. En dehors de la réflexion qui vous a conduit à une sorte de doctrine, à un corps de pensées que vous nous avez exposé, y a t-il eu un événement, dans votre itinéraire personnel, qui vous a marqué au point de décider de l’évolution de cette doctrine ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : En toute sincérité, si des filles sont forcées à porter le voile, je suis tout à fait d’accord pour intervenir. Cela ne pose aucun problème.

Mme Martine DAVID : Pourquoi dites-vous : « Si des filles... ? »

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Il m’est arrivé d’en rencontrer et de ne pas être d’accord pour les défendre.

Mme Martine DAVID : Il y en a partout.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Franchement, non. Ce n’est pas la majorité de celles que j’ai rencontrées. Il est normal que nous ayons des vécus différents. Je suis contacté par ces filles et me présente à elles en tant que musulman. Il est vrai que je ne vois pas ces jeunes filles de la même manière que vous les voyez vous, que les perçoivent les chefs d’établissement ou les professeurs.

Votre deuxième question est très importante parce qu’elle souligne les enjeux de l’interprétation. Le problème du port d’un foulard islamique par les jeunes filles musulmanes, et notamment celui qu’il pose dans la société française, est très souvent un problème d’interprétation. La société française, dans sa majorité, considère qu’il s’agit là d’un signe de régression des droits de la femme, qu’il contrevient au principe de l’égalité des sexes... Je vous assure que la grande majorité des jeunes filles que je connais personnellement et qui le porte ou ne le porte pas, ne considère pas cela comme un signe d’infériorité ou de régression de leurs droits par rapport à ceux des hommes. C’est très important de le souligner.

M. Eric RAOULT, Président : Nous avons connu des exemples dans d’autres pays qui ont malheureusement abouti à des situations terribles et qui nous conduisent à nous interroger. Quand Mme Badinter dit : « Le voile aujourd’hui, la burka demain » cela signifie que, s’il est possible de réclamer une liberté dans un Etat démocratique, dans d’autres pays la liberté peut devenir une obligation.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous sommes entièrement d’accord. Personnellement, je suis très opposé au régime des talibans tel qu’il était en Afghanistan. Nous y reviendrons car je connais très bien ce pays.

Mme Martine DAVID : Il n’y a pas que ce pays.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Mais je connais ce pays-là en particulier. Ceci dit, la burka des Afghanes est plus ancienne que les talibans. Qu’il y ait tel ou tel régime à Kaboul ne change pas grand chose dans le port de la burka en Afghanistan. Le régime des talibans était un régime kafkaïen comme celui des Khmers rouges. Ils ont les mêmes références. C’était un régime délirant dans tous les domaines en ce qui concerne le port du voile, mais aussi dans le port de la barbe, de tel vêtement plutôt que tel autre, tel turban plutôt que tel autre... Ces délires réels ont eu lieu en Afghanistan, sous les talibans, et tout le monde le sait.

Vous me posiez une question sur mon itinéraire, le voici dans ses grandes lignes. Après mon bac, j’ai pris un an de congé sabbatique pour partir sur la route des Indes et j’ai passé pratiquement un an en Afghanistan. C’était l’Afghanistan du temps de Daoud Khan, avant le coup d’Etat communiste. Je suis tombé amoureux de ce pays et de ses habitants. J’y ai noué de très grandes amitiés. Puis, il y a eu le coup d’Etat communiste prosoviétique et l’invasion russe. J’étais étudiant en médecine. Les médecins ne pouvant pas travailler, avec des amis nous avons commencé à collecter des médicaments et du matériel médical. Nous les avons acheminés là-bas et nous avons vérifié que, sur place, les médecins les utilisaient. J’ai ainsi fait 14 ans d’aide humanitaire pendant mes études. Un jour, en 1980, alors que je convoyais du matériel médical, j’ai été pris sous un feu très nourri. C’étaient des rideaux d’artillerie qui se rapprochaient et il était impossible de fuir. Vous pensez alors : « Dans cinq minutes, c’est pour moi ». C’est comme cela que la foi m’est venue pensant qu’il valait mieux mourir musulman que mourir athée. Je suis devenu musulman.

Mme Martine DAVID : Pourquoi musulman ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je suis d’une famille athée, mais j’avais étudié les trois grandes religions monothéistes. Pour moi, ces trois religions forment une même religion, le monothéisme. Elles correspondent à une évolution logique, chronologique, dans les prophètes. Je me considère comme de la religion d’Abraham et de Moïse. Considérer tel prophète ou tel autre comme étant ou non un prophète n’est pas la question. Cela permet seulement de dire que l’on est musulman, chrétien ou juif. Telle est ma vision des choses, mais je comprends tout à fait que l’on puisse voir les choses différemment.

M. Lionnel LUCA : Nous avons eu cette discussion pendant une demi-heure, tout à l’heure, avant l’audition. Je voudrais, par petites touches, revenir sur tout ce qui a été dit d’essentiel en vous posant des questions précises. Pour vous, le voile est-il une obligation pour toutes les jeunes filles musulmanes ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, du moins pas d’une manière absolue. Tout d’abord, je ne suis pas un savant de l’islam. Je ne suis pas habilité à vous répondre du point de vue officiel musulman, si tant est qu’il existe, ce qui n’est pas certain. Personnellement, je considère qu’il y a une recommandation très forte mais pas une obligation.

M. Lionnel LUCA : Est-ce un signe ostentatoire d’affichage de sa foi ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Si vous appelez ostentatoire le fait que cela se voit, oui, c’est ostentatoire. On ne peut pas dire que cela ne se voit pas. Si mes souvenirs sont exacts, il y a un peu de provocation dans le terme « ostentatoire ». Mais, dans la très grande majorité des cas, je ne pense pas que les filles portent le voile dans un but de provocation.

M. Lionnel LUCA : Au-delà de la question du voile, de l’affirmation de sa foi, avec les nuances que vous nous indiquez, faut-il accepter d’aller plus loin et remettre en cause la mixité des cours de piscine et l’obligation de suivre les cours de sciences naturelles ? Vous disiez que lorsqu’on est voilé on n’a pas de sentiment d’infériorité par rapport à l’homme.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Les filles que j’ai rencontrées ne donnaient pas ce sentiment.

M. Lionnel LUCA : Apparemment, vous rencontrez des filles tout à fait épatantes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C’est vrai !

M. Lionnel LUCA : C’est rassurant. Ou bien il faut 10 000 docteurs comme vous dans tous nos quartiers ou bien il faut faire un recensement. Ce qui est gênant, c’est qu’à chaque fois, vous dites « si, si... » Personnellement, et par rapport à l’entretien que nous avons eu tout à l’heure, l’expression « si des filles y sont forcées » me dérange un peu.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Dans le cas où les filles sont forcées, je viens avec vous.

M. Lionnel LUCA : Vous nous donnez l’impression que, là où vous êtes, il n’y en aurait pas. C’est apparemment quelque chose qui vous est inconnu.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J’ai rencontré des filles dans cette situation.

M. Lionnel LUCA : Ce n’est pas l’impression que vous nous donnez. Faut-il remettre en cause l’égalité de la fille et du garçon à l’école publique ? Le cours de natation doit-il être mixte ? Les filles doivent-elle suivre les cours de sciences naturelles avec les garçons ? J’aimerais avoir des réponses précises.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J’ai peur de vous décevoir un petit peu dans la mesure où l’éducation est une chose très complexe et pour laquelle je ne suis pas très compétent.

Mme Martine DAVID : C’est l’école avec ses obligations.

M. Lionnel LUCA : Il n’est pas compliqué de savoir si garçons et filles doivent aller ensemble à la piscine ou assister à un cours de sciences naturelles. C’est ce qui m’intéresse. Oui ou non ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J’allais plus loin... Je n’ai jamais été confronté à ce genre de questions concernant les sciences naturelles. Je suis plus spécialisé dans le foulard. On ne m’appelle que pour le foulard.

M. Lionnel LUCA : Vous êtes musulman.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui.

M. Lionnel LUCA : Ce n’est pas incompatible avec la question que je pose.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je ne cherche pas du tout à éviter de répondre à votre question... Un conseil français du culte musulman vient d’être mis en place. C’est une instance de dialogue dont le but est de réfléchir à ce type de question. Personnellement, je suis élu au conseil régional du culte musulman d’Alsace et au conseil d’administration du Conseil français du culte musulman. Mais ce n’est pas à ce titre que je suis venu devant vous. Il y a vraiment un travail à faire.

M. Lionnel LUCA : Je n’ai donc pas la réponse à ma question.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je ne peux pas vous répondre.

Mme Martine DAVID : Trouvez-vous normal que des jeunes filles de confession musulmane ne respectent pas les contraintes liées à l’école publique qui rendent tous les cours obligatoires ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, mais...

Mme Martine DAVID : Non, mais... ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui, non, mais... D’un autre côté, il est normal que, jusqu’à présent, l’école publique se soit construite dans l’ignorance d’un particularisme musulman, d’une identité musulmane, puisque l’immigration musulmane est très récente. Il est probable qu’il y ait matière à discuter sur certains points. Je ne me juge pas compétent dans ces discussions.

Mme Martine AURILLAC : Sans être compétent. Imaginez que vous ayez une fille de 14 ans...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ... J’ai une fille de 15 ans.

Mme Martine AURILLAC : Suit-elle des cours ? Trouvez-vous normal...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Elle suit tous les cours et, si vous voulez tout savoir, elle ne porte pas le foulard.

M. Lionnel LUCA : Je poursuis mon interrogation. L’acceptation du port du voile islamique à l’école entraînerait normalement l’acceptation du port de la kippa.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui, bien sûr.

M. Lionnel LUCA : Cela ne vous pose aucun problème de voir, dans une école publique, certains élèves arborer les uns le voile, les autres la kippa... Ne serait-ce qu’au regard des événements internationaux qui peuvent être transposés et au regard des autres élèves qui, bêtement, n’arboreront aucun signe ostentatoire, sinon ceux de marques de vêtements, telles que « Chevignon » ou « Nike », ne pensez-vous pas que cette situation est source de conflits ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Cela ne pose aucun problème. Dans mon quartier, les jeunes de toutes les religions coexistent sans heurts.

M. Lionnel LUCA : Cette situation ne me paraît pas compatible avec la définition de la laïcité...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Avec votre conception de la laïcité...

M. Lionnel LUCA : Celle communément établie...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Qui n’est pas celle de la loi...

M. Lionnel LUCA : ... et qui s’oppose à l’affichage de signes communautaires ou religieux à l’intérieur de l’école.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : La laïcité autorise la manifestation des identités et non pas celle des communautés. C’est très différent et vous l’avez souligné dans votre propos...

M. Lionnel LUCA : Cela revient au même.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, c’est très différent.

M. Lionnel LUCA : Si l’école publique, comme dans le passé, obligeait de nouveau les élèves à porter une tenue identique, trouveriez-vous alors normal et naturel que le port du foulard islamique soit interdit ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Si tous les élèves portent la blouse, alors, oui, l’interdiction du voile me paraîtrait justifiée.

M. Eric RAOULT, Président : Cela vous paraîtrait-il normal ou simplement vous l’accepteriez ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je l’accepterais. Je préfère le système actuel, à savoir celui où les jeunes ont la liberté de se choisir une identité et d’en changer. Je considère que le système actuel est bon.

M. Eric RAOULT, Président : Dans nos départements et nos territoires d’outre-mer, les élèves de bon nombre d’établissements scolaires portent une tenue identique qui peut se résumer à un jeu de couleurs. Ainsi, on respecte l’unicité de l’élève sans pour autant distinguer les classes sociales et les couleurs de peau.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : La question des classes sociales est pour moi la plus importante. Notre système est un bon système. Bannir les signes de classes sociales est plus importants que bannir les signes religieux. J’ai été personnellement confronté au problème et j’ai été choqué de devoir acheter telle marque de vêtement plutôt que telle autre. Si vous choisissez de bannir tous les signes, il est vrai que le port d’un uniforme ou d’une tenue réglementaire permettrait de réduire certaines inégalités. Ce serait alors une situation logique. Si votre but est d’interdire tout signe politique ou religieux, la conclusion logique est cette solution. Je ne l’estime pas bonne mais elle est la moins injuste.

M. Eric RAOULT, Président : A ce moment-là, vous retiriez votre livre d’internet.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Si vous légiférez, mon livre sera obsolète et je serai obligé de le corriger et de le réécrire !

M. Jean-Yves HUGON : Je souhaite revenir sur deux points sur lesquels vous avez déjà été interrogés mais pour lesquels vous n’avez pas donné de réponse précise. Vous semblez représenter un islam modéré et ouvert. Ne pensez-vous pas que votre position sur le port du voile à l’école fait le lit d’un islam plus intégriste ? Deuxième question, très terre à terre. Le port du voile peut parfois, notamment en cours de chimie, représenter un danger physique pour l’élève. Faut-il alors l’interdire ? J’aimerais avoir votre position.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Le fait d’accepter ou de favoriser le port du foulard à l’école ne fait-il pas le lit de l’intégrisme ?... Au contraire. J’ai profité de mon livre pour expliquer à quantité de gens qui n’auraient jamais approché la lecture de la Constitution ou la lecture de la convention européenne des droits de l’homme ce qu’était la République française. C’est important. Je regrette profondément que l’on ait abandonné les cours d’instruction civique à l’école. Il faudrait rétablir l’instruction civique afin que nos enfants comprennent comment fonctionne le système. C’est ainsi qu’on lutte contre l’intégrisme. Je me suis penché sur le problème de l’intégrisme après l’affaire Khaled Khelkal. Avant 1995, je considérais qu’il n’y avait pas d’intégristes en France, du moins, je n’en connaissais pas. Cette affaire m’a si fortement interpellé que je suis allé sur place afin de rencontrer l’entourage de Khelkal. J’ai rencontré sa famille. J’ai voulu comprendre.

Qu’en est-il ressorti ? Khaled Khelkal ne connaissait rien de l’islam. Il avait été endoctriné par des services plus ou moins parallèles, par des groupuscules, eux-mêmes manipulés par des Etats. Au contraire, c’est en laissant les musulmans sincères, qui travaillent sur le terrain, expliquer ce qu’est l’islam que l’on désamorcera des caricatures de Khelkal. J’en suis convaincu. C’est pour cette raison que j’ai écrit mon livre. Afin d’expliquer que l’islam ne fonctionne pas comme vous l’imaginez. Nous ne sommes pas tous contre vous.

M. Eric RAOULT, Président : Savez-vous qui a écrit : « L’action politique a plus de chance d’aboutir si elle joue sur la crainte qu’ont les pouvoirs publics de voir la communauté musulmane s’organiser politiquement autour d’axes de revendications spécifiques » ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C’est moi !

M. Eric RAOULT, Président : Depuis le début de notre entretien, j’ai l’impression qu’il y a deux M. Milcent. Le premier, sympathique, souriant, jovial - avec lequel on a envie d’aller prendre un verre... Mais il existe un autre M. Milcent qui refuse de voir la réalité d’un certain nombre de lycées, de collèges, cette réalité qui rend les choses complexes.

Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, et dans ma ville plus particulièrement, quand un évènement intervient au Proche-Orient, les relations entre les communautés qui existent se tendent. Le port de la kippa ou du voile déstructure alors complètement l’école qui doit ressembler, au minimum, à un sanctuaire. Nous ne nous prononçons pas sur le culte musulman, sur le port du voile des dames de 40 ans. Le problème du voile à l’école existe depuis une quinzaine d’années - vous en avez été l’un des acteurs à Creil - et le problème n’a toujours pas été solutionné. Des chefs d’établissement nous disent qu’ils sont complètement démunis. Ils ne souhaitent pas forcément des textes de répression mais ils aspirent à une clarification de la réglementation. Il appartient à la République, non pas d’imposer, mais de proposer une protection à tous.

M. Jean-Yves HUGON : Vous n’avez pas répondu à ma deuxième question concernant les situations très concrètes où porter le voile peut devenir dangereux...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Tout à fait... Le Conseil d’Etat a répondu à ma place. Je me conforme à sa décision. Contrairement à ce que vous disiez, M. Raoult, j’estime la position du Conseil d’Etat extrêmement claire. Le problème est que les professeurs et les chefs d’établissement l’ont refusé dès le départ. Le Conseil d’Etat dit que le port du foulard est autorisé. Vous n’avez pas le droit de l’interdire, sauf en cas de troubles à l’ordre public, de prosélytisme... toutes limites imposées par le Conseil d’Etat et cela depuis le début. Seulement, la population française, et en particulier les professeurs et les chefs d’établissement, ne sont pas prêts à entendre un tel discours. Il y a un abîme entre, d’un côté la conception qu’ont ces personnes du principe de laïcité, et, de l’autre, les textes du Conseil d’Etat qui sont fondés sur une jurisprudence administrative extrêmement classique.

Vous êtes des spécialistes du droit, vous savez mieux que moi sur quels critères s’est fondé le Conseil d’Etat pour prendre sa position. Simplement, ce choix n’est pas compris des chefs d’établissement et des professeurs qui se croient autorisés à s’arroger le rôle d’arbitres de la laïcité, ce qu’ils ne sont pas. Les chefs d’établissement ne sont pas des arbitres de la laïcité. Vous l’avez dit, il n’y en a que deux arbitres de la laïcité en France : le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. Et il n’y en a pas d’autres.

Mme Martine DAVID : Comment pouvez vous accuser les chefs d’établissement d’avoir une interprétation qui serait la leur ? Ils se réfèrent comme vous à l’avis du Conseil d’Etat qui parle de signes « ostentatoires ». C’est sur ce point que notre conception de la laïcité diffère. Vous ne pouvez dire que les chefs d’établissement font une lecture déformante de l’avis du Conseil d’Etat. Nous pensons que, dans la plupart des cas, le port du voile islamique est un signe religieux ostentatoire.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je vous l’ai dit, je considère que le foulard islamique est indiscutablement un signe religieux ostentatoire. Cependant, le texte auquel vous faites référence n’est pas l’avis du Conseil d’Etat, mais la circulaire du ministre de l’éducation nationale qui, je vous le rappelle, ne fait pas opposition au port du voile. La circulaire ne dit pas que les signes ostentatoires sont prohibés, elle dit : « ...les signes ostentatoires qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination - ce qui est très différent - sont prohibés ». Le Conseil d’Etat a jugé, dans l’affaire Saglamer, que le foulard islamique n’entrait pas dans cette définition. La question a été posée au Conseil d’Etat en 1994 et en 1995. Il a maintenu constante sa jurisprudence : non, le foulard islamique ne constitue pas, par lui-même, un élément de prosélytisme ou de discrimination, tant qu’il est porté « en bon père de famille »... Cela est extrêmement simple et extrêmement clair.

Mme Martine DAVID : Qu’est-ce que cela veut dire ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Sans faire de prosélytisme, sans distribuer de tracts, de pétitions, sans organiser de manifestations à l’extérieur de l’établissement.

M. Eric RAOULT, Président : Le problème qui se pose n’est pas celui du port du voile au foyer, dans la cité... mais à l’intérieur de l’école. Nous avons débattu ici de la question : la cour de récréation, la salle de classe ne doivent-elles pas être considérées comme un sanctuaire, un lieu que l’on « respecte » ? Lorsque j’entre dans les mosquées de ma circonscription, je retire mes chaussures.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Vous soulevez une question fondamentale.

M. Eric RAOULT : C’est votre méthode dialectique. Dès qu’une question est gênante, elle est fondamentale.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : L’école n’est pas le sanctuaire de la religion laïque.

Mme Martine DAVID : De la laïcité, si.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Alors vous considérez la laïcité comme une religion qui s’impose à l’exclusion des autres. La mosquée est le sanctuaire de la religion musulmane comme l’église est le sanctuaire de la religion chrétienne.

M. Lionnel LUCA : C’est le sanctuaire du respect des consciences.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Là, je suis d’accord. Mais, il n’y a pas de positions particulières à avoir pour pénétrer dans l’école. Vous allez exclure des générations de jeunes filles qui, les unes après les autres, vont devoir choisir entre l’école et leurs convictions et qui vont se retrouver mères de famille à seize ans devant les fourneaux parce vous aurez fait de l’école un sanctuaire.

M. Eric RAOULT, Président : C’est un peu réducteur.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je connais certains pères qui me disent : « Je la marie dans un an ! ».

Mme Martine DAVID : Ce n’est pas sérieux ! Il y a beaucoup de jeunes filles qui, suite à la médiation faite par Mme Hanifa Chérifi au niveau national, ont tout bonnement accepté de retirer leur voile à l’école. Elles le portent en sortant de l’établissement, dans leur vie privée, si elles le souhaitent. Beaucoup de cas se sont réglés ainsi. Il n’y a donc pas un empêchement absolu à cette règle et à celle de la laïcité à l’intérieur de l’école.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je vous signale qu’à plusieurs reprises j’ai proposé des débats à Mme Chérifi. Je l’ai rencontrée deux fois. A chaque fois, je lui ai demandé que nous débattions ensemble. Elle a toujours refusé.

M. Eric RAOULT, Président : Les missions sont différentes. Vous donnez des informations...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Mais pourquoi refuser de débattre, si on se base sur les lois de la République... ?

Mme Martine DAVID : Vous écrivez. Elle vous connaît. Elle sait que ce vous pensez.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Elle n’écrit pas.

M. Eric RAOULT, Président : Elle agit. Vous donnez des informations militantes qui conduisent à avoir un jugement, non pas sur vous, mais sur la méthode. Elle a une mission de médiatrice. Vous-même, vous considérez-vous comme un médiateur ou un propagateur ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je me considère comme un médiateur, ou plutôt un militant des droits de l’homme.

M. Eric RAOULT, Président : Vous qui avez beaucoup voyagé, quel regard portez-vous sur des pays musulmans qui ont légiféré sur le port du voile comme la Turquie ou la Tunisie ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Dans ces pays, je regarde surtout le niveau de protection des droits de l’homme et des libertés individuelles, et j’en suis triste.

M. Eric RAOULT, Président : Donnez-moi une réponse plus précise. Je vous ai posé une question sur la Tunisie. Vous considérez donc que la Tunisie n’est pas un pays démocratique.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Notamment, mais pas seulement. La Tunisie me paraît être - je connais des cas concrets - un pays dans lequel les libertés individuelles font plus partie des voeux pieux que des réalités concrètes du terrain. La Turquie est en train d’évoluer, peu à peu.

M. Eric RAOULT, Président : Dans le bon ou le mauvais sens ? Ils vont bientôt faire partie de l’Europe.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Justement... J’habite à Strasbourg et je vais régulièrement assister aux séances de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci cite très abondamment la jurisprudence du Conseil d’Etat français en exemple, notamment dans les affaires turques. Dans deux affaires auxquelles j’ai assisté récemment, la Cour européenne des droits de l’homme semble s’orienter très nettement vers la sagesse du Conseil d’Etat français.

Mme Martine DAVID : Une question subsidiaire à notre débat. J’ai bien compris votre position. Il n’empêche que beaucoup de nos interlocuteurs, aussi bien dans cette mission, que des amis de confession musulmane, prétendent que rien, dans la lecture du Coran n’indique, que le port du voile est un signe religieux. Quelle est votre position ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Il y a plusieurs lectures de l’islam et toutes sont valables. Personnellement, je considère le voile comme un signe religieux mais je comprends qu’on puisse interpréter les textes différemment. Ceci dit, la République laïque n’a pas à entrer dans les consciences religieuses. Elle n’a pas à dire que telle interprétation prévaut sur telle autre...

M. Eric RAOULT, Président : Nous traitons de l’école. C’est ce qui est important.

M. Lionnel LUCA : Et réciproquement, pour nous, dans l’idée que nous avons de l’école.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous n’avons pas du tout la même conception de la laïcité. De mon côté, elle est uniquement fondée sur les textes, et uniquement les textes. Vous avez une conception de la laïcité qui est fondée sur une tradition militante.

M. Eric RAOULT, Président : Non, on veut éviter qu’il y ait une trentaine de journalistes devant un collège ou un lycée quand il y a des problèmes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Bien sûr. Je n’ai jamais fait d’autres déclarations à la presse que celle-ci : « Je me félicite du bon fonctionnement des institutions ».

M. Eric RAOULT, Président : Dans la diversité des auditions que nous avons eues, M. Milcent, je pense que mes collègues et moi-même pourront dire à ceux qui n’ont pu assister à celle-ci qu’ils ont raté un débat intéressant et même édifiant sur un certain nombre de points. Notre mission va se prolonger durant plusieurs mois... Tout de même, un point important : nous avons parlé de l’affaire de Creil, d’autres affaires plus récentes, qui ont abouti à l’exclusion de jeunes filles. Que pensez-vous de cette situation ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C’est dramatique et très douloureux.

M. Eric RAOULT, Président : Si vous deviez écrire un deuxième livre, seriez-vous prêt à faire un « mode d’emploi » sur le sujet suivant : « Il vaut mieux rester dans l’éducation, avoir un diplôme, plutôt que de devenir maman au foyer à 16 ans » ? Dans votre mission, vous pouvez donner un avis militant, mais aussi un conseil humain.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Les situations que j’approche sont d’abord et avant tout des drames humains. Ce que vivent les filles est très douloureux et très « moche ». Nous essayons de trouver des solutions, ensuite.

M. Eric RAOULT, Président : Vous trouvez des solutions avec les services sociaux ou avec les associations musulmanes ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J’essaie d’abord de convaincre le père que sa fille doit continuer sa scolarité malgré tout. Ce sont des ouvriers de base qui ne sont ni très lettrés ni très éduqués. Ils disent : « Ils l’ont exclue ! Tant pis. » En général, les filles que je rencontre ne sont pas des cancres. Souvent, elles travaillent bien et sont intelligentes. Nous essayons de convaincre le père, la famille, qu’il est nécessaire de la laisser continuer sa scolarité. Mais cela ne fonctionne pas toujours.

M. Eric RAOULT, Président : Vous ne m’avez pas répondu. Vous dites : « On accompagne, on conseille ». Avec les services sociaux de la ville ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, malheureusement... Jusqu’à présent nous discutons avec les associations locales.

M. Eric RAOULT, Président : Lesquelles ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ... musulmanes. Malheureusement, il est vrai que, jusqu’à présent, les discussions avec les institutions étaient très peu nombreuses, voire quasi inexistantes. Je me réjouis de la création des conseils régionaux du culte musulman. Ils pourront constituer une interface entre les musulmans, les associations musulmanes, et les pouvoirs publics. Le but étant de permettre cette interface. Parce que, jusqu’à présent, à part moi qui travaille localement en tant que travailleur social et médecin, sur le terrain, il y a peu de personnes ou d’organismes pour faire le lien entre les musulmans d’un côté et les institutions de l’autre. Chacun se considère comme étant en opposition avec l’autre. D’un côté, il y a la mairie qui croit lutter contre les intégrismes, de l’autre, les associations musulmanes qui ont l’impression que tout le monde est contre eux.

M. Eric RAOULT, Président : Vous vous définissez comme coordinateur des associations islamiques pour le foulard. Qui vous a nommé ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Ma position est très informelle. A la suite de la première affaire du foulard, j’ai dit aux musulmans : « Nous ne sommes pas dans un Etat régi par le fait du prince. » Cela n’existe pas en France où nous avons des droits. Nous pouvons les défendre, même si nous sommes minoritaires, même si nous sommes très faibles et que nous ne représentons rien socialement, nous pouvons avoir un raisonnement juridique et l’exposer. Ils m’ont dit que, puisque c’était mon idée, je devais la défendre.

Mon principal travail de fin de mandat, jusqu’en 1992, à la fédération des musulmans de France, a été de parcourir la France pour suivre ces affaires. Ensuite, j’ai été le coordinateur de la plupart des associations musulmanes. J’ai voulu que mon action déborde du cadre de la fédération nationale des musulmans de France pour agir auprès de l’ensemble des associations et même au-delà lorsque n’existait aucune association. Il n’existait alors aucune cellule d’expertise juridique pour discuter des textes. On a donc fait appel à moi. C’est comme cela qu’en 1995, lorsqu’il a été question d’une première loi déposée au Sénat, on m’a nommé coordinateur et demandé de rédiger une lettre adressée aux sénateurs. Toutes les associations ont signé cette lettre que vous avez en annexe du document que je vous ai remis.

M. Eric RAOULT, Président : M. Milcent, merci. Je ne résumerai pas ce que mes collègues et moi-même avons trouvé d’intéressant dans votre démarche, dans votre maniement du verbe, de la rhétorique, sur un certain nombre de points.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Vous êtes les professionnels, je ne suis qu’un amateur.

M. Eric RAOULT, Président : Merci beaucoup, ce dialogue n’a pas été inutile.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je sais que l’on peut me voir de manière caricaturale. Je vous remercie de m’avoir écouté, d’avoir fait l’effort intellectuel d’accepter que quelqu’un vienne exposer devant vous des idées souvent très opposées aux vôtres. Je suis fier de vous qui êtes les représentants du peuple français, mes représentants.


Source : Assemblée nationale française