(extrait du procès-verbal de la séance du 22 octobre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Madame et Messieurs, je vous remercie d’être ici parmi nous pour essayer de réfléchir au problème du port de signes religieux à l’école. Je vais tout de suite vous poser une question.

Pensez-vous que le dispositif juridique relatif au port de signes religieux à l’école, tel qu’il résulte de l’avis du Conseil d’Etat de 1989, des circulaires ministérielles et de la jurisprudence administrative, vous permet de faire respecter la laïcité dans vos collèges et lycées ? Pensez-vous, au contraire, qu’il soit nécessaire de modifier ces règles ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Tout est susceptible d’interprétation en fonction des convictions et de la bonne ou mauvaise foi de chacun. C’est ce qui nous rend la vie difficile. Manifestement, le dispositif n’est pas satisfaisant pour une partie de la population, puisqu’il y a régulièrement, au mieux discussion, au pire conflit et déchaînement des passions. C’est ce que j’ai connu l’année dernière dans mon établissement. Il serait souhaitable de préciser certains points.

M. le Président : Quels points ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : S’il était facile de répondre, nous ne serions pas là. Sincèrement, je ne sais pas comment les préciser.

M. Sylvain FAILLIE : L’avis du Conseil d’Etat exprime une conception de la laïcité que je partage en terme d’acceptation de la différence. A ce titre, je n’ai pas été ému de voir que les exclusions d’élèves au titre du port de signes religieux n’étaient pas possibles. Personnellement, cela ne me dérangeait pas. J’aurais toutefois souhaité connaître les positions de l’Education nationale, pour éviter les compréhensions et actes isolés, les positionnements individuels. A mon sens, une laïcité d’ouverture peut vraiment être mise en œuvre si tant est qu’elle soit vraiment partagée par le plus grand nombre.

M. le Président : Donc, vous pensez que les textes, les circulaires, la jurisprudence vous assurent la possibilité de faire respecter cette laïcité ?

M. Sylvain FAILLIE : Oui, de faire respecter cette laïcité qui permet de porter des signes d’appartenance à une religion.

M. le Président : Vous pensez qu’à l’école on peut porter des signes d’appartenance ?

M. Sylvain FAILLIE : Je ne suis pas perturbé par l’idée que l’on puisse montrer son appartenance à une philosophie, à une religion. Le prosélytisme peut être gênant mais il est difficile à cerner et à analyser. Cela dit, je ne crois pas que gommer les différences soit le meilleur moyen de fabriquer des esprits plus éclairés. Je pense que l’on peut élever des jeunes dans un sentiment républicain, dans un creuset qui n’a pas gommé les différences.

M. Jean-Pierre BRARD : Un voile ou le turban en cours d’éducation physique ne vous pose pas de problème ?

M. Sylvain FAILLIE : J’entends l’objection. Bien évidemment, si la sécurité des élèves et si l’application des programmes nationaux devaient être perturbées par une manifestation religieuse quelconque, je serais contre. C’est également sur ce point que l’institution doit préciser ses exigences en matière d’application des programmes nationaux, de respect des règles de sécurité et de fonctionnement des établissements. Si cela pose problème, par exemple, en cas de travail sur machine dangereuse dans l’enseignement professionnel, bien évidemment, il faut y remédier.

M. Jacques DESALLANGRE : Vous acceptez le port d’un signe distinctif comme, par exemple, le foulard qui fait partie des signes distinctifs religieux au motif que cela peut éclairer les jeunes esprits. Or, ce jeune esprit qui vient avec un foulard porte un signe distinctif de soumission de la femme. Pensez-vous que vous allez réussir à l’éclairer, alors qu’il continue d’affirmer cette appartenance et cette conviction ?

M. Sylvain FAILLIE : Je n’en suis pas sûr. En revanche, si je lui enlève ce signe sans m’assurer de sa réceptivité à l’éducation, à la tolérance, je n’y arriverai pas plus. Simplement, je ne verrai pas le problème.

M. Jacques DESALLANGRE : Quand je porte le voile, j’affirme mon adhésion à une religion. Demain, je suis élève, je viens avec une inscription « non à toutes les religions », que faites-vous ?

M. Sylvain FAILLIE : Je n’ai pas la prétention de penser que je serais capable de mettre en place un dispositif, mais en tant que chef d’établissement, je souhaiterais pouvoir ne pas réagir.

Mme Martine AURILLAC : Vous prônez le droit à la différence et, si j’ai bien compris, la possibilité pour tout élève de montrer clairement son appartenance soit à une religion, soit à une philosophie... Parallèlement, vous nous dites : « Ce qui me gêne malgré tout, c’est que les situations peuvent être très différentes d’un département à l’autre, d’un collège à un autre, d’un lycée à un autre. » Il y a là une contradiction. Comment expliquez-vous cela ?

M. Sylvain FAILLIE : En effet, il y a sans doute une contradiction mais c’est à cause de la complexité du problème. Pour ce qui est de la disparité entre les établissements, il me semble que, si au plus haut niveau de l’Education nationale, et pourquoi pas au niveau du gouvernement, il était affirmé - mais je conviens que c’est très difficile - que l’on peut montrer son appartenance, simplement montrer, et si c’était admis par l’ensemble de la communauté française, je pense que sans en arriver à uniformiser - car ce n’est pas mon objectif -, on pourrait peut-être parvenir à faire partager ce point de vue.

M. Jean-Yves HUGON : M. le Principal, êtes-vous, vous-même, confronté à ce genre de situation dans votre établissement ?

M. Sylvain FAILLIE : Je ne suis pas confronté au port du tchador dans mon établissement. D’ailleurs, étant principal de collège depuis simplement deux mois, j’arrive dans une situation relativement conflictuelle avec, pour l’instant, un certain recul. Tout de même, je vois sur les aires de sport du collège Jean Rostand de Trélazé, quatre femmes en tchador qui ont le droit de faire leur promenade et de tourner sur les terrains de sport où évoluent les élèves. Pour cette raison je reconnais que le voile est quelquefois un signe avilissant - mais là c’est dans la cité. D’une certaine manière, je suis donc déjà confronté à ce problème.

M. Jean-Yves HUGON : Avec votre équipe éducative, avez-vous l’occasion de parler de ce problème ?

M. Sylvain FAILLIE : L’équipe éducative est assez meurtrie et très tendue. On a beaucoup communiqué puisque les problèmes ne se posent pas que pour le tchador, mais se posent également à cause du refus - et là c’est beaucoup plus compliqué et je suis nettement plus ferme dans les positions que j’adopte - de participer aux activités de piscine, ou aux activités d’endurance pendant le ramadan, etc. Le problème se pose effectivement et, en particulier pour l’équipe de professeurs d’éducation physique et sportive, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans « Le Monde » en 2001.

M. René DOSIERE : Je souhaiterais que, dans leurs interventions, les chefs d’établissement puissent nous dire s’ils ont été confrontés ou pas à ce problème et qu’en particulier ils nous disent comment ils ressentent les réactions des élèves vis-à-vis de ce problème. On a peu entendu le point de vue des élèves eux-mêmes. Or il me semble intéressant de le connaître.

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Je souhaiterais donner ma version des faits qui ont eu lieu au lycée La Martinière-Duchère l’année dernière, car je n’ai pas vécu tout à fait les choses comme mes enseignants. Je voudrais pouvoir donner ma version des faits, parce que j’ai toujours refusé de la communiquer aux médias pour ne pas jeter de l’huile sur le feu.

Depuis 24 ans, je suis proviseur ou adjoint de lycées dans la région Rhône-Alpes et, depuis 1988, je dirige des établissements toujours situés dans des banlieues ou des quartiers difficiles. C’est un choix. J’ai constaté une évolution très importante du comportement des adolescents de ces quartiers au cours des années.

Je dirige actuellement un lycée qui accueille plus de 2 500 élèves, 1 400 en second cycle, c’est-à-dire seconde, première et terminale, et 1 100 en post-baccalauréat, en enseignement technologique, brevet technique et autres dans le domaine tertiaire et scientifique. La population scolaire de ce lycée est fortement féminine puisque 67 % sont des jeunes filles. Elle présente une mixité sociale importante puisque, si l’on se réfère aux catégories socioprofessionnelles des familles, un tiers est issu de milieu très favorisé, un tiers de classe moyenne et un tiers de milieu défavorisé. Le lycée possède un internat mixte de 200 places. Nous accueillons en intégration des jeunes handicapés : une trentaine de sourds et une dizaine d’autres handicapés dont certains en fauteuils roulants. 300 enseignants ou personnels d’éducation et de surveillance encadrent ces jeunes ; 120 autres personnels contribuent à la bonne marche de l’établissement.

C’est un lycée dans lequel les cinq continents sont représentés et, la plupart du temps, tout se passe très bien dans une atmosphère très majoritairement sereine et studieuse. Je dirais même que, jusqu’à l’hiver dernier, ce lycée était une réussite de mixité sociale, de tolérance et d’intégration. Les résultats scolaires sont au-dessus des moyennes académiques dans la majorité des diplômes que nous préparons : 6 baccalauréats et 16 diplômes post-baccalauréat.

L’an dernier, j’ai été confrontée à une situation délicate qui est très rapidement devenue passionnelle, et je tiens à dire qu’elle était passionnelle.

D’un côté une adolescente mineure, portant un foulard enveloppant complètement sa chevelure - comme celles que nous avons vues à la télévision ces jours derniers -, noué derrière sa tête, assorti à ses tenues vestimentaires élégantes et variées, et je tiens à le dire élégantes et variées. Elle refusait de l’enlever, arguant de convictions religieuses, malgré un règlement intérieur interdisant le port de signes religieux ostentatoires et recommandant une tenue correcte. Elle participait activement, poliment et intelligemment à toutes les activités scolaires.

De l’autre côté, une équipe pédagogique très partagée : entre autres, un professeur d’éducation physique et sportive, ayant longtemps vécu au Maroc et qui disait n’être pas du tout gêné par la tenue de cette jeune fille, qui avait toujours sa tenue de sport, et dont les cheveux attachés ne la gênaient pas dans ses activités sportives. En revanche, un professeur de lettres ne pouvait plus enseigner sereinement en face d’une jeune fille voilée qui affirmait ainsi ses convictions au vu et au su de tous dans la classe. Les enseignants de la classe étaient à peu près partagés, mais les positions se sont très rapidement cristallisées, en trois jours, et je n’ai appris l’affaire qu’au bout de ces trois jours.

La très grande majorité des enseignants (70 % de femmes) de l’établissement se sont positionnés contre le port du voile.

La jeune fille, quant à elle, disait se sentir agressée dans ses convictions profondes. Il faut vous dire qu’avec certains professeurs, à chaque cours, devant toute la classe, elle devait se justifier et était exclue. Malgré mes interventions, je n’arrivais pas à obtenir des professeurs qu’on la traite autrement. Malgré mes entretiens multiples avec la famille, une famille très modérée puisque le père, dès la première fois que je l’ai vu, m’a dit que, si cela posait problème, elle retirerait son voile, mais une mère qui la surprotégeait. Une jeune fille qui écoutait peu ses parents, mais qui en revanche, était très soutenue par sa sœur aînée, ancienne élève de l’établissement qui avait un compte à régler avec l’établissement, puisqu’elle était partiellement en échec scolaire. Malgré l’intervention de la médiatrice nationale, il fut impossible de lui faire ôter son foulard.

Après deux mois de conflit et de discussion, tous les enseignants de la classe finirent par l’accepter de nouveau en cours et elle reprit sa scolarité.

Ce qui aurait dû n’être qu’un incident devint passionnel. Les syndicats et groupes d’enseignants prenant parti et médiatisant à outrance l’événement - les médias ont joué un très grand rôle dans cette affaire.

La jeune fille est toujours scolarisée cette année dans le lycée, avec une équipe pédagogique entièrement nouvelle ; elle porte un bandeau accepté par tous. Nous l’avons accueillie cette année, elle est arrivée avec son voile. J’avais demandé qu’on l’accueille avec les autres élèves de la classe sans dire un mot pendant la période d’accueil, que les professeurs la gardent avec eux à l’issue de l’accueil et donnent leur position sans entrer dans la polémique et le conflit, et ensuite la conduisent à mon bureau.

Nous avons rediscuté une nouvelle fois - j’avais déjà passé l’année dernière à peu près une dizaine d’heures avec elle et sa famille. Je lui ai dit que, cette année, il fallait qu’elle signe de nouveau le règlement intérieur dans lequel il était clairement dit qu’à l’entrée dans les locaux elle devrait se découvrir, que j’avais fait attention à lui donner une nouvelle équipe pédagogique dans laquelle il n’y avait que de nouveaux professeurs qu’elle ne connaissait pas, prêts à l’accueillir à condition qu’elle fasse, elle aussi, un pas vers nous. Elle m’a dit : « Qu’exigez-vous de moi ? » Je lui ai dit : « Je souhaiterais que vous portiez un bandeau, que l’on voie vos cheveux, qu’ils dépassent soit devant, soit derrière, mais que cela n’apparaisse pas comme un voile. » Elle m’a donné son accord et, depuis la rentrée, la jeune fille est en classe avec son bandeau.

Mme Patricia ADAM : Quelle a été la réaction des élèves ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Tout au long de l’affaire, les élèves sont restés en dehors, n’ont pas pris parti et ne comprenaient absolument pas la position des enseignants.

Lorsque M. Pena-Ruiz est venu faire une conférence sur la laïcité dans l’établissement, début mai 2002, c’est-à-dire après la médiatisation et après la situation conflictuelle dans le lycée, les élèves ont été extrêmement intéressés par ses explications. Ils ont un peu mieux compris la position des professeurs ; mais, comme nous avons dans cet établissement un grand nombre de jeunes d’origine maghrébine, donc musulmans, ils ont dit clairement que c’était aussi beaucoup de bruit pour pas grand chose. Il s’agit quand même d’une seule jeune fille sur 2 500 élèves.

Une autre élève a tenté de porter le foulard. Nous avons traité le problème dans la plus grande discrétion et le plus grand respect de la jeune fille avec sa famille. Cela n’a pas duré huit jours. A cette rentrée, deux autres jeunes filles sont arrivées avec un foulard sur la tête mais pas voilées. Nous avons également traité le problème dans la plus grande discrétion et le plus grand respect vis-à-vis de ces jeunes filles. Elles m’ont sidéré car elles m’ont dit que ce n’était pas un voile, mais plutôt une affaire de mode et d’esthétique, et que cela ne poserait pas problème.

Pour cette raison, je me demande parfois si, lorsque l’on parle de « voile islamique », on ne se trompe pas un petit peu.

M. le Président : On va demander à nos différents principaux et proviseurs de s’exprimer et après je donnerai la parole à mes collègues pour qu’ils posent leurs questions.

M. Jean-Paul FERRIER : La Grand’Combe est une petite ville, née au milieu du XIXème siècle pour la mine, qui s’est agrandie avec l’exploitation minière et qui a régressé, dès que les mines ont été fermées. Elle comptait 14 000 habitants en 1946 et 5 000 habitants à peu près aujourd’hui avec un collège qui a suivi à peu près la même courbe, puisqu’il comptait 900 élèves dans les années 70 contre 300 aujourd’hui.

Les traces de ce passé se retrouvent notamment dans la population qui s’est enrichie de vagues successives d’immigrations. Aujourd’hui, les élèves du collège sont à plus de 40 % d’origine maghrébine et l’on trouve d’autres origines.

C’est dans ce contexte que s’est trouvé posé le problème du voile islamique en septembre 1997. J’ajoute, car ce n’est pas non plus sans importance, que c’est une région fortement marquée par le protestantisme ; par conséquent, les notions de liberté de conscience et de laïcité prennent un relief particulier dans cette région.

La première remarque est que je n’étais pas en poste dans l’établissement quand le problème s’est posé. Je n’ai assumé que l’épilogue de la situation. Etant déjà présente dans le bassin, j’ai suivi « l’affaire » de près.

La deuxième remarque est que les deux élèves qui ont posé le problème ne sont pas d’origine musulmane, contrairement à ce que l’on pourrait croire, étant donné la population. Ce sont des élèves d’origine franco-italienne, converties par leur frère devenu intégriste à la suite d’un séjour en prison. Elles sont arrivées dans l’établissement successivement, d’abord à la rentrée 1997 pour la première, puis à la rentrée 1998 pour sa sœur.

Toute l’année 1997 a été consacrée à des discussions, des tentatives de conviction de la maman et de la première fille. A la rentrée de 1998, les discussions ont repris. Les enseignants du collège ne voulaient pas, dans un premier temps, exclure les deux jeunes filles pensant que l’on arriverait à résoudre le problème par des explications ou des échanges. Plusieurs tentatives ont été sur le point de réussir, puis ont échoué au dernier moment. La maman a accepté, à un moment donné, que ses filles suivent des cours par le Centre national d’enseignement à distance (CNED) à condition que la commune finance ces cours, ce que la commune a accepté mais, au dernier moment, la maman a refusé les cours par correspondance.

L’impression très nette s’est dégagée chez les enseignants que la maman était manipulée, d’une part, par le réseau intégriste, d’autre part, par les médias qui ont joué un rôle non négligeable dans cette affaire, allant par exemple jusqu’à publier à la dernière rentrée de septembre un article sur ces deux filles - qui ne sont plus au collège -, tout simplement pour dire qu’elles n’y étaient plus, ou pour dire que, l’an dernier, tout se passait bien et qu’elles avaient été réintégrées. Au bout du compte, en 1999, aucune solution n’étant apparue, les jeunes filles ont été exclues par le conseil de discipline en raison de leur non-participation aux cours de technologie et d’éducation physique, puisque le voile ne permettait pas qu’elles y assistent selon les normes de sécurité. Elles ont été réintégrées à la rentrée 2002, après une décision du tribunal administratif statuant non pas sur le fond, mais sur la forme de leur exclusion.

C’est à ce moment-là que j’ai pris mes fonctions, j’ai, donc, réintégré les deux jeunes filles dans l’établissement. L’année scolaire s’est déroulée tranquillement car les enseignants, après avoir fait grève, les parents après avoir occupé l’établissement, les élèves après avoir manifesté, étaient lassés de tout cela, considérant qu’ils avaient été désavoués d’une certaine façon et qu’il était inutile de se battre contre des moulins à vent. Les deux jeunes filles ont simplement accepté de réduire un peu leur voile pour les cours d’éducation physique. Aujourd’hui, l’une est en lycée professionnel, l’autre s’est mariée ou a été mariée. Le problème a disparu du collège.

M. le Président : Vous devez répondre de manière précise à la question posée. Si je comprends bien, après ces trois premières interventions, vous estimez que la jurisprudence du Conseil d’Etat et les circulaires ministérielles vous permettent de gérer les conflits ? Mme Lor Sivrais ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : A condition que les passions ne se déclenchent pas.

M. le Président : Les passions ne sont pas gérables.

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Non, justement. C’est bien pour cela que je ne sais pas.

M. le Président : Puisqu’il y a des passions, êtes-vous pour une nouvelle législation ? C’est dur de répondre !

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Très dur !

M. le Président : Donc, vous n’avez pas de réponse ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Non. Je vous l’ai dit tout à l’heure, je n’ai pas de réponse.

M. Sylvain FAILLIE : Je ne suis pas pour une nouvelle législation. Je suis pour que le droit actuel soit commenté, partagé et affirmé par l’institution dans son ensemble.

M. Jean-Paul FERRIER : Sur cette question, notre expérience montre que la nature ostentatoire, prosélyte ou provocante des signes d’appartenance religieuse n’est pas opérationnelle car elle est très difficile à prouver sur le plan juridique, même quand elle est évidente au plan du simple bon sens. Par conséquent, il y a des failles qui permettent à tous les intégristes de se faufiler. Par ailleurs, il y a une certaine ambiguïté dans le fait que la liberté de montrer son appartenance religieuse est laissée aux élèves, alors qu’elle est refusée aux enseignants. Cela pose un problème dans la mesure où la République est censée assurer l’égalité devant la loi de tous les citoyens.

Je pense qu’il faut préciser la législation. Comme on ne peut pas faire de distinguo, sauf à se faire taxer de racisme ou autre attitude discriminatoire.

M. le Président : Donc, vous êtes pour une législation sans ambiguïté dans la mesure où la réglementation actuelle ne vous paraît pas suffisante ou suffisamment précise ?

M. Jean-Paul FERRIER : Tout à fait. Il y a un autre danger qui est que les affaires sont traitées de façon très différente d’un endroit à un autre et que l’unité de la République s’en trouve un peu atteinte.

M. Eric GEFFROY : Je suis principal du collège Jean Monet de Flers, situé en zone d’éducation prioritaire (ZEP).

Je trouve que le dispositif juridique qui nous est proposé est tout à fait satisfaisant, tant que l’on n’est pas confronté au problème. La majorité de nos collègues a inscrit la règle de manière « religieuse » dans leur règlement, l’a fait voter, adopter, la plupart du temps à l’unanimité des conseils d’administration. Donc, on se pensait en quelque sorte prémuni ou protégé.

Du point de vue juridique, puisque telle est votre question, lorsque nous sommes confrontés à ce type de problème - je le sais pour l’avoir été deux fois, à trois années d’intervalle -, les chefs d’établissement que nous sommes, qui n’avons pas toujours forcément reçu ou appris le droit, nous trouvons parfois en face de familles qui bénéficient d’un entourage administratif, juridique, financier de grande importance.

Je ne vais pas raconter l’histoire de Flers, elle a fait la une de beaucoup de médias. Mais, lorsque l’on voit arriver dans une petite ville de province, comme Flers, un avocat en robe dans un conseil de discipline ou le docteur Thomas Milcent, plus connu sous le nom de docteur Abdallah qui vient d’Alsace pour assister à une séance de conseil de discipline dans un petit collège de l’Orne, on pense, en tant que chef d’établissement de base, que l’on ne « joue pas dans la même cour ».

Une autre question concernait l’accompagnement de notre institution. Il est le fait de personnes de bonne volonté qui cherchent à nous aider, mais la plupart du temps, le chef d’établissement et son équipe se retrouvent bien seuls et ont parfois du mal à affronter des personnes qui attendent que se déchaînent les passions, pour donner aux familles des réponses faciles car ils savent qu’en termes juridiques, au niveau des tribunaux administratifs, ils ont toute chance d’être reçus.

Pour répondre à la première question, cet environnement juridique est très utile et parfait, tant que l’on n’est pas confronté au problème.

M. Jean GLAVANY : Il me semble que l’on est au cœur du problème à travers ce témoignage, notamment pour ce qui est du docteur Abdallah, lequel est bien connu de nous tous.

Ma question est simple. Tout principe de droit fera toujours l’objet d’une interprétation différente. Si tous les principes de droit étaient appliqués de manière uniforme dans tous les tribunaux de France, cela se saurait. Même si l’on faisait une loi interdisant tout ce qui est visible, les chefs d’établissement devraient interprétés le mot « visible » au lieu d’un autre mot. C’est une mauvaise manière de poser le problème mais on va continuer à travailler sur le sujet.

La question est de savoir si vous vous sentez bien armés - et d’une certaine manière vous avez répondu à l’instant - pour faire face à ce genre de situation non pas en terme de droit mais en terme d’environnement. Autrement dit, si l’on enseignait la laïcité aux enfants - car deux enfants sur trois sortent du système éducatif en étant incapables de définir la laïcité -, si l’on enseignait la laïcité dans les IUFM car les enseignants n’apprennent plus la laïcité, si l’on vous dotait - car il y a un guide du docteur Abdallah - d’un « contre-guide » du docteur Abdallah et d’un accompagnement par les équipes rectorales académiques, vous sentiriez-vous mieux à même de traiter ces problèmes ? Pensez-vous que vous auriez alors les instruments suffisants pour faire face à ce genre de situation ?

M. Eric GEFFROY : On ne peut qu’être favorable à un enseignement de la laïcité, en particulier dans les IUFM. Mais, pour revenir au fond du problème, lorsque que l’on a affaire véritablement non pas à des enfants, à des jeunes filles, telles que celles dont Madame parlait tout à l’heure, mais à des familles fondamentalistes et intégristes, on a l’impression d’être sur des voies totalement parallèles, où les chemins de la discussion ne peuvent pas se rencontrer. Même si l’on est totalement impliqué dans ce principe de laïcité, il nous est retourné par des personnes qui ont une dialectique qui n’arrivera jamais à croiser la nôtre.

M. Jean GLAVANY : Personne ne conteste cela, mais vous sentez-vous armés face à cela ? Contrairement à ce qu’indiquait l’un d’entre vous tout à l’heure, l’avis du Conseil d’Etat n’empêche pas du tout les exclusions, simplement il impose de les motiver d’une certaine manière. Vous sentez-vous de ce point de vue-là aussi suffisamment formés ? Disposez-vous d’un guide vous permettant d’arriver jusqu’à l’exclusion en la faisant accepter par les tribunaux, grâce à une motivation irréprochable ?

M. Eric GEFFROY : Les seuls éléments dont on dispose sont les arrêts du Conseil d’Etat et les arrêts des tribunaux administratifs.

M. Jean GLAVANY : L’Education nationale ne vous a pas donné de guide pratique ?

M. Eric GEFFROY : Non, pas de guide pratique, ce sont les arrêts du Conseil d’Etat qui peuvent très bien aussi parfois se contredire.

M. Jean-Paul FERRIER : Par rapport à ce que vous venez dire, il y a quand même une certaine hypocrisie à nous demander d’exclure les élèves pour d’autres motifs que la laïcité. Pour arriver à une exclusion valide, il faut en passer par d’autres problèmes, par exemple de sécurité, et pas par le caractère ostentatoire des signes religieux que l’on n’arrive pas à prouver.

M. Armand MARTIN : Je voudrais, avant de répondre à la question, présenter mon établissement.

C’est le quatrième établissement que je dirige. Dans tous les établissements dont j’ai eu la responsabilité depuis 25 ans, je me suis trouvé face au problème du voile et je l’ai résolu de façon différente dans chacun des établissements, sauf dans celui dans lequel je me trouve aujourd’hui. En prenant mon poste au lycée Queneau à Villeneuve d’Ascq il y a trois ans, j’ai trouvé la situation suivante d’abord au niveau de la ville.

Le lycée Queneau est le lycée d’enseignement général et technologique de Villeneuve-d’Ascq, ville universitaire et technopole de 60 000 habitants, créée il y a trente ans, ville où l’on aime vivre, étudier, s’installer après les études et y fonder un foyer. Le lycée compte 1 500 élèves, essentiellement scientifiques. Nous avons sept divisions de série S et des résultats supérieurs à la moyenne de l’académie au baccalauréat.

L’éventail des catégories socioprofessionnelles des parents d’élèves est ouvert avec une prédominance des classes moyennes supérieures (40 %) composées, pour une part importante, de professions intellectuelles, notamment d’enseignants du second degré et du supérieur. Ceci a son importance pour la suite. Le lycée, depuis sa création, accueille des élèves handicapés en fauteuil - 23 cette année. Ceci est très important pour la compréhension du problème.

Ces différents facteurs contribuent à faire du lycée un établissement où les élèves sont d’une très grande tolérance. Les 130 membres du corps enseignant sont pour la plupart dans l’établissement depuis plus de cinq ans, plus du tiers depuis plus de dix ans, quelques-uns ont fait l’ouverture en 1977.

A Villeneuve d’Ascq, la communauté de confession musulmane, de l’ordre de 5 000 électeurs, et j’insiste 5 000 électeurs, est très active dans la vie de la cité. Elle anime de nombreuses associations, certaines fondamentalistes proches des Frères Musulmans, telle Anissa, d’autres modérées. Ainsi en est-il de l’association cultuelle et de celle dont la mission est l’aide aux devoirs, Interface.

Début 2003, la communauté musulmane a obtenu de la ville de Villeneuve-d’Ascq un premier permis de construire pour une mosquée - à 1 km du lycée - qui d’ici trois ans pourra accueillir 1 500 fidèles au rez-de-chaussée, disposera de salles de réunions et de travail au premier étage ; et un second permis de construire pour une « aumônerie musulmane » jouxtant le lycée et dont la mission sera la réinsertion d’ex-détenus de confession musulmane. Ce que je vais vous dire là est très important. Plusieurs professeurs de l’enseignement public de confession musulmane, militant dans ces associations, ont leurs enfants inscrits au lycée.

Depuis le début de l’année scolaire 2002-2003, le nombre des élèves portant le « voile » a très fortement augmenté, passant d’une petite vingtaine à 55 - recensés à la veille de la fête de l’Aïd -, soit 6 % des 998 élèves filles du lycée. Une enquête approfondie a montré que 25 élèves en cours d’éducation physique et sportive portent un foulard très serré autour de la tête, voire une cagoule sportive et 11 en sciences physiques et sciences et vie de la terre.

Les élèves se montrent très tolérants envers cette pratique, il leur paraît inutile d’avoir un débat sur le port du voile. Selon eux, il s’agit d’un débat dépassé ; ces camarades ne créent aucun trouble, elles sont de surcroît sympathiques, bonnes camarades, assidues, studieuses, souvent brillantes et en la circonstance le slogan « enrichissons-nous de nos différences » prend ici tout son sens pour eux. Ceci est clairement exprimé par les élèves membres du conseil de la vie lycéenne qui fonctionne pour la première fois depuis l’année dernière, ainsi que par les instances de la « maison des lycéens » créée en fin d’année scolaire 2001-2002.

Il n’en est pas de même des personnels enseignants, dont une forte minorité agissante souhaite l’abolition du port du foulard, à bref délai. Mais la condamnation par le tribunal administratif du lycée en 1997, au motif que le conseil d’administration avait voté une décision énonçant que tout serait fait pour interdire le port du voile et dont la saisine avait été faite par un parent d’élève de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), membre du conseil d’administration, a généré chez ces personnels un sentiment d’impuissance, de frustration et une certaine rancœur.

Le débat a été rouvert au second trimestre 2002-2003 quand la FCPE du lycée, appuyée par les représentants élus des personnels enseignants, a porté devant le conseil d’administration la question de l’interdiction du port du voile, et je rejoins ce qui a été dit tout à l’heure : le port du voile est signe d’asservissement de la femme. Les prises de positions fermes des élèves élus, certains membres du conseil de la vie lycéenne ou de la « maison des lycéens » en faveur du statu quo n’ont fait que renforcer la détermination des enseignants élus et des représentants de ces parents d’élèves.

Nous sommes dans le Nord et que ce soit les parents d’élèves ou que ce soit les professeurs, ils sont très respectueux de la parole de leurs mandants. Donc, la communauté scolaire, parents d’élèves et professeurs, a estimé que le débat se situait au niveau du conseil d’administration et non pas au niveau de manifestations diverses, telles grèves ou autres manifestations.

La position du proviseur et du proviseur adjoint, soutenus par l’assistante sociale, l’infirmière et implicitement par l’autre association de parents d’élèves est différente. Il s’agit de l’association des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP). Leur opinion est que dans le lycée la paix scolaire est solidement enracinée, qu’elle repose sur la maturité des élèves, leurs engagements dans et hors du lycée, leur tolérance ; et qu’il n’y a à faire ni généralisation ni amalgame. Ils sont persuadés que des espaces de dialogue réglementaires existent : en éducation civique, juridique et sociale (ECJS), avec le débat contradictoire et la possibilité de faire venir des conférenciers ; et avec les travaux personnels encadrés en donnant aux élèves la possibilité de faire des travaux de recherche, ce qui se fait cette année. Ils sont persuadés que ce ne sont pas des sanctions, des exclusions qui feront avancer la réflexion et encore moins pourront redonner aux valeurs de la laïcité et de la République leur légitimité

Au terme de l’année scolaire 2002-2003, un terrain d’entente a été trouvé : le conseil d’administration a voté la demande de l’intervention d’un médiateur auprès du recteur pour la rentrée scolaire 2003.

Aujourd’hui, en octobre 2003, nous comptons 58 voiles au lycée. Les positions des uns et des autres n’ont guère changé, mais le lien n’est pas rompu et le dialogue est toujours ouvert. Pour reprendre un journaliste dans « Le Monde » du 14 octobre : « A la sortie des cours [du Lycée Queneau], en ce début d’automne très doux, le parti des nombrils à l’air l’emporte nettement sur celui des foulards islamiques, mais ce dernier frappe surtout par sa diversité. Certaines jeunes filles sont engoncées dans une superposition de vêtements sombres, tunique, pantalon, parka et bien sûr foulard noué autour du cou, qui renforce l’impression d’écrasement. D’autres allient un turban léger noué en chignon et une robe moulante rouge vif. Certaines sont touchées par la grâce religieuse, d’autres cherchent à se protéger et à se replier, d’autres considèrent le foulard comme un accessoire de mode. » résume le chef d’établissement, qui multiplie les signes de cordialité parce que « il faut maintenir le lien » et pour lequel « les valeurs de la République l’emportent par le dialogue et non par l’exclusion ». »

En conclusion, je dirais aujourd’hui que la question du foulard à l’école est largement dépassée par le problème posé à la société française de celui de la reconnaissance de l’islam de France et de sa place dans le cadre de la loi de 1905. A mon sens, le foulard à l’école est négociable avec les autorités religieuses islamiques, on peut imaginer qu’elles puissent recommander de ne plus l’y porter. J’ai entendu des responsables musulmans me le dire. Le danger provient davantage du courant fondamentaliste islamique qui pourrait s’attaquer directement à notre enseignement, à son contenu et à ses valeurs, ce qu’exprime un professeur dans sa contribution à la réflexion engagée dans le lycée, au sein des personnels.

M. Bruno BOURG-BROC : Ma première question s’adresse à M. Martin. Vous dites avoir réglé le problème de façon différente dans les divers établissements que vous avez dirigés. Vous ne nous avez pas parlé des autres exemples. Précisément, et vous l’indiquez dans votre conclusion, les autorités religieuses musulmanes vous ont aidé, à un moment ou à un autre. Y a-t-il un dialogue possible avec les imams pour régler le problème, sans faire appel à un médiateur extérieur ?

Notre réflexion porte sur le port des signes religieux d’une manière générale. On parle beaucoup du voile, c’est le problème essentiel, il est au cœur du débat, mais vous est-il arrivé dans votre expérience de chefs d’établissement d’avoir d’autres incidents avec des élèves d’un autre culte que ce soit catholique, soit juif et comment se sont passées les choses dans ce cas-là ?

M. Armand MARTIN : En 1993-1994, au lycée Van Der Meersch de Roubaix, à la fin du premier trimestre, quatre élèves se mirent à porter le voile ; dans cette affaire j’ai trouvé face à moi M. Lasfar Amar, recteur de la mosquée de Lille-Sud, appelé comme médiateur par les familles. M. Amar me déclara que si je ne transigeais pas, il se faisait fort d’organiser un sit-in de 400 personnes devant le lycée et bloquer ainsi la circulation de Roubaix. Au cours d’une discussion de trois heures, le Coran à la main, je fis valoir qu’en France le professeur était chez lui dans sa classe, que c’était une tradition héritée de l’université du Moyen Age et qu’à ce titre il avait le droit d’accepter ou de refuser l’entrée de sa classe. M. Amar se rendit à cet argument et il fut décidé que ces jeunes filles pourraient porter le voile dans les parties communes mais pas en classe. Je stoppai net un courant de sympathie en cours de développement en demandant aux élèves qui se présentaient voilées à la porte du lycée et n’étaient pas des quatre d’enlever leur voile, ce qu’elles firent. L’année suivante, il ne restait que deux jeunes filles à le porter et lorsque je quittai le lycée en 1996, il n’y en avait plus. Ces jeunes filles appartenaient au courant intégriste et populaire Jamaat Tabligh, d’origine pakistanaise, en cours de développement à Roubaix.

En poste au lycée-collège Baudelaire, toujours à Roubaix, je fus confronté à une autre situation : en 1998-1999, au troisième trimestre, un garçon tenta d’arborer une tunique blanche avec une calotte de même couleur. Très vite je sus qu’il était chargé de faire du prosélytisme par la mosquée de courant fondamentaliste qu’il fréquentait assidûment et qu’en échange de cours de soutien et d’encadrement de jeunes à cette mosquée, il lui avait été promis, s’il obtenait le baccalauréat, qu’il partirait étudier deux ans en Arabie Saoudite et reviendrait ensuite à Roubaix. Je saisis la Direction de surveillance du territoire (DST), qui mena son enquête, procéda à des interrogatoires ; l’élève nous quitta en fin d’année sans son baccalauréat. Ce cas parut suffisamment sérieux à la DST pour qu’elle rédige une note de portée nationale.

Je réponds à la seconde question. Effectivement, lorsque j’étais principal au collège Marie-Curie de Tourcoing, je me suis trouvé confronté à des témoins de Jéhovah. Dans un domaine très précis, un professeur de français avait donné un sujet qui introduisait l’enfer. La famille m’a écrit : « M. le Principal, nous refusons que notre fille rende le devoir qui a été proposé par le professeur de français car dans notre concept il n’y a pas d’enfer. »

M. le Président : Avec toutes les expériences importantes que vous avez relatées, pensez-vous, aujourd’hui, avoir les moyens juridiques de vous opposer à ces phénomènes ?

M. Armand MARTIN : L’avis du Conseil d’Etat aux yeux de beaucoup d’enseignants - et je me situe dans ce cadre - des établissements que j’ai dirigés et de celui que je dirige est très laxiste ; il en est de même pour de nombreux parents d’élèves. Les circulaires ministérielles avec leurs déclinaisons locales dans les règlements intérieurs ne résistent pas toujours devant les tribunaux administratifs, cela a été dit, et il apparaît que la jurisprudence peut être contradictoire - les personnes que nous avons en face de nous savent fort bien les utiliser - et dans l’ensemble ne donne pas raison aux établissements.

L’avis du Conseil d’Etat est satisfaisant, il permet une très grande liberté d’action sur le terrain en ouvrant la possibilité de créer un espace de dialogue, encore faut-il que de part et d’autre l’on soit ouvert au dialogue. Mais l’avis n’est pas satisfaisant lorsqu’un établissement se trouve en situation de blocage délibéré. C’est alors le tribunal administratif qui tranche. Je pense qu’aujourd’hui il faut modifier l’avis du Conseil d’Etat ou plutôt le réécrire en lui faisant dire la même chose mais certainement de façon plus catégorique.

M. Jean-Yves HUGON : Si nous légiférions, cela signifierait-il que dans votre établissement la paix scolaire qui existe aujourd’hui serait rompue ?

Ma deuxième question est pour Mme Lor Sivrais. Si j’ai bien compris, lors des événements que vous nous avez relatés tout à l’heure, vous n’avez pas alerté la presse et ces événements n’ont pas été médiatisés. Cela signifie donc que les cas qui sont soi-disant répertoriés ne correspondent pas forcément à la réalité.

M. le Président : Pour prolonger la question, l’inspection d’académie a été informée du premier cas, l’avez-vous informée du second ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : J’étais en relation quotidienne avec le cabinet du recteur et l’inspecteur d’académie. Ils ont été au courant des trois autres cas que nous avons eus.

M. Jean-Yves HUGON : Tous les trésors de psychologie que vous avez déployés tout au long de cette affaire représentent du temps, de l’énergie. Trouvez-vous normal de dépenser autant de temps et d’énergie pour une élève sur 2 500 ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Il est évident que, lorsque je suis tant occupée par une élève, je ne m’occupe pas des autres. Un certain nombre de points de gestion, même de l’ensemble de l’établissement, n’ont pas pu avoir lieu. De toute façon, l’établissement était dans un tel état passionnel qu’il n’y avait plus que ce sujet-là qui était abordable, même à côté d’autres points extrêmement importants.

Nous sommes parfois aussi occupés par d’autres problèmes, je veux parler de problèmes de drogue, qui vont nous prendre aussi notre temps pendant une quinzaine de jours ou un mois. C’est notre métier.

M. Armand MARTIN : Je vais prendre un exemple avant de répondre directement à votre question.

Aujourd’hui, il y a la loi Evin anti-tabac. Dans mon établissement, depuis la rentrée scolaire, nous appliquons cette loi, mais il y a des problèmes. Je prends un cas précis. La loi Evin dit que l’on peut infliger une amende de 450 euros à un contrevenant. Voulez-vous me dire qui est habilité à infliger cette amende et à la percevoir ?

C’est la raison pour laquelle je conçois qu’il puisse y avoir une loi, mais, aujourd’hui, il me semble que la nation est pressée, qu’il y a urgence. Aujourd’hui, la focalisation se fait sur le voile islamique, mais demain que fera-t-on lorsqu’à la porte de l’établissement se présenteront des élèves en nombre significatif, donc susceptible de médiatisation - effectivement la médiatisation est une chose que nous supportons très difficilement et qui est terrible à supporter - le crâne rasé et en robe safran, puisque l’on peut être moinillon bouddhiste dès l’âge de 6 ans ? Contre cela une loi aurait peu d’effet et la médiatisation serait garantie.

En revanche, une disposition clairement définie, commune à tous les règlements intérieurs de France, une disposition nationale, codifiant le port visible de tout signe religieux et qui en même temps rappellerait que, de par la Constitution, l’enfant a droit à l’instruction mais que sa famille est libre de sa scolarisation, peut être suffisante. J’insiste, la nation doit l’instruction, mais ne doit pas la scolarisation. On peut avoir un précepteur. On peut être dans l’enseignement privé catholique. On peut être dans l’enseignement libre, l’enseignement sous contrat, hors contrat. En revanche, l’instruction, oui, en France, est obligatoire.

Lorsque j’attendais tout à l’heure de venir dans cette salle, j’ai relu l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».

M. Bruno BOURG-BROC : Dans les affaires qui ont pu vous opposer à des élèves, voire à des enseignants - puisque j’ai cru comprendre dans un des cas cités que le corps enseignant avait « contribué » au désordre possible dans l’établissement -, avez-vous eu le sentiment d’être vraiment soutenu et de quelle façon par l’inspection académique et par le rectorat ?

M. Armand MARTIN : Je me suis retrouvé dans la position d’un colonel avec son régiment sur la ligne de feu avec une mission qui était : faites au mieux, pas plus.

M. Bruno BOURG-BROC : Pas plus, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas venus vous aider sur place ?

M. Armand MARTIN : Non, d’ailleurs cela pose le problème de la cellule de veille. Dans chaque académie, depuis la rentrée scolaire, il devrait y avoir une cellule de veille. Dans notre académie il n’y en a pas, mais je n’incrimine personne car c’est un domaine excessivement sensible qui a des attendus considérables. La difficulté actuelle pour créer ces cellules de veille est de trouver des personnes compétentes.

M. Roger POLLET : Je suis proviseur à la cité scolaire Jean Moulin à Albertville en Savoie, ville tranquille de 20 000 habitants, et pourtant.

Une première réaction : je trouve qu’il n’est pas logique que nous soyons obligés de consacrer beaucoup de temps à très peu d’élèves, de supporter un stress immense et de régler des problèmes que l’on ne sait pas bien régler.

Deuxième réaction : je souhaiterais que nous ayons une feuille de route plus précise, remise à tous les chefs d’établissement pour éviter d’avoir à gérer seuls dans nos établissements des problèmes qui, finalement, sont semblables.

Ensuite, les avis du Conseil d’Etat ne sont pas perçus comme s’appliquant à tous car ils jugent des situations particulières. Les circulaires que nous avons eues de notre hiérarchie sont relativement vagues, elles laissent place à une large interprétation.

Pour répondre à une question qui a également été posée, je suis en relation régulière avec l’inspection académique et le rectorat où l’on me dit « faites au mieux, essayez de ne pas dramatiser la situation ».

J’ai, hélas, une expérience un peu longue, pratique et juridique, dans ce domaine. Le voile islamique - car c’est surtout de cela dont il s’agit - a eu un effet dévastateur auprès des enseignants et a fait exploser l’ambiance de l’établissement, a créé des inimitiés pour lesquelles les plaies ne sont pas encore refermées. Si les enseignants ne repartent pas au combat c’est parce qu’ils n’ont pas envie de revivre une situation qui a été extrêmement dure pour eux. J’ai maintenant une liste des enseignants résolument opposés au voile dans le conseil d’administration. Ce n’est pas fait pour améliorer l’ambiance.

Dans un autre établissement, il m’est arrivé, pour avoir invoqué le règlement intérieur, d’aller devant le tribunal administratif, d’être débouté et condamné à une amende, tout ceci en lien étroit avec la hiérarchie. Mais on se retrouve effectivement à certains moments tout à fait seul.

A l’heure actuelle, les tensions dans la cité scolaire que je dirige, restent vives à certains moments. Il faut savoir aussi que la presse se jette sur nous, dès qu’elle a vent d’une histoire de voile qui pourrait s’amplifier, et qu’ elle essaye de nous faire dire ce qu’elle veut dire elle-même.

J’ai failli voir arriver au conseil d’administration une élève voilée et je savais que nous allions au « clash ». On a tellement d’autres questions plus importantes à régler ! Comment l’ai-je résolue ? Comme d’habitude, en trouvant dans l’établissement, ou par moi-même, les ressources nécessaires. Ici j’ai trouvé un vice de forme dans l’élection des délégués élèves, vice de forme inattaquable, vu avec la cellule juridique. J’ai refait des élections. Je suis effectivement intervenu moi-même. Cette élève n’a heureusement pas été élue mais le problème est reporté à plus tard. On est toujours sur le fil et on essaye de gérer le moins mal des situations qui sont difficilement gérables.

Une petite minorité d’élèves - j’ai eu l’occasion de les voir - soutient carrément ces élèves. Certains m’ont même taxé de racisme lorsque j’expliquais qu’une élève voilée, puisqu’elle avait voulu se singulariser, ne pouvait pas prétendre représenter tout l’établissement.

De la part des autres élèves, il y a une certaine tolérance et pas mal d’indifférence. La grande majorité ne dit rien pour ne pas s’attirer d’ennuis. Cela est très net. Je me suis aperçu, à l’occasion d’un débat, que seuls parlaient les quelques élèves qui étaient pour, mais parmi tous ceux qui étaient contre personne n’était intervenu.

Je le redis, pour la tranquillité des établissements, nous avons besoin, sinon d’une loi, au moins de directives beaucoup plus nettes pour que nos interlocuteurs sentent qu’il y a une certaine unanimité dans nos convictions, pour éviter que nous réglions chacun dans notre coin des problèmes qui ne sont vraiment pas simples à régler.

M. Michel PARCOLLET : Je suis chef d’établissement depuis 1972. Ce n’est pas un titre de gloire, mais cela montre que j’ai commencé à une époque bien antérieure au déclenchement de l’affaire du voile que j’ai vécue de près puisque j’étais tout proche de Creil en 1989, lorsqu’il y a eu les événements sur le plateau de Creil.

Il est intéressant de voir que ces événements ont effectivement déchaîné les passions, puisque ce sont les termes mêmes de l’avis du Conseil d’Etat, ou du moins d’un arrêt du Conseil d’Etat. Lorsque l’on parle d’un dispositif, j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit de textes pris par le Conseil d’Etat, un avis en novembre 1989 et un arrêt qui est très important, l’arrêt Kherouaa, en 1992, qui force le dispositif, mais qui est en fait une réaction empirique permettant de réagir à des événements face auxquels le ministère de l’éducation nationale s’est trouvé assez dépassé à l’époque.

Concernant le lycée Faidherbe, il compte 2 000 élèves avec 1 000 élèves dans le second cycle et 1 000 élèves en classes préparatoires aux grandes écoles et un internat de presque 500 élèves, exclusivement de classes préparatoires. La spécificité et la difficulté, c’est de trouver et de favoriser l’homogénéité de cet ensemble qui se situe dans un périmètre d’environ 14 hectares.

Concernant le voile, le lycée Faidherbe a vécu des heures chaudes en 1995. Je n’y étais pas puisque je suis arrivé au lycée Faidherbe en septembre 2000. Le conseil de discipline a exclu 24 élèves d’un coup avec la dramatisation que l’on sait, y compris avec l’imam de la mosquée de Lille-Sud qui a été cité tout à l’heure et dont j’ai la fille, non voilée, en classe de première.

Il se trouve qu’après ce traumatisme de 1995, la région a fait des travaux, a clos le lycée qui ne l’était pas, et a aménagé un parking d’entrée qui permet d’appliquer un compromis élaboré à l’époque, les élèves entrant voilées dans ce premier parking, mais ôtant leur voile sur la voie piétonne qui arrive à la véritable entrée des bâtiments, cours comprises.

Ce consensus ou ce compromis, je ne sais pas comment dire, est réel depuis 1995 et actuellement il n’y a aucune jeune fille voilée au lycée Faidherbe dans les cours du lycée et dans les bâtiments, y compris la fille de l’imam de la mosquée de Lille-Sud.

Cet équilibre est extrêmement fragile. On le sent tellement que, tous les matins, avec les proviseurs adjoints nous sommes à la grille, dans les cours, très souvent, pour éviter que certains oublis, plus ou moins volontaires, fassent qu’un voile ou un foulard entre dans l’établissement. Nous essayons de l’éviter au maximum car nous savons qu’une partie non négligeable des professeurs, comme à Villeneuve-d’Ascq, réagirait immédiatement et je suis quasiment sûr que, dans l’heure qui suit, nous aurions un mouvement de l’ensemble du personnel et d’une partie des élèves. Donc, nous sommes extrêmement vigilants. Si nous n’avons pas d’affaire de voile en ce moment, nous sommes quand même toujours un peu sur le fil du rasoir.

Quant au dispositif, il est, à mon avis, assez extensif et va dans le sens de la liberté d’expression des élèves. Il faudrait clarifier la situation au niveau national. Dans les établissements, on essaye de répondre aux différents problèmes qui surgissent et il me semble que cette diversité met en cause l’unicité du service de l’Education nationale.

J’ai tendance à penser que la situation a quand même évolué depuis 1989, mais c’est un avis purement personnel. En 1989, quelques cas isolés d’expression religieuse ont posé problème, en grande partie aussi de par l’attitude de notre collègue principal du collège de Creil, que je connais très bien, et qui a volontairement attaqué de front ce problème, en le médiatisant, d’ailleurs.

Depuis 1989, il me semble que l’on est passé à un autre symbole. De l’expression d’une croyance individuelle qui posait problème et qui continue à poser problème, on est passé à l’expression d’une volonté plus ou moins affichée de changer les bases de la société civile française. C’est tellement vrai à mes yeux que, sans avoir aucun problème avec la fille de l’imam de la mosquée de Lille-Sud, je sais très bien que son objectif et l’objectif de ces milieux est, par l’éducation et par un respect apparent des lois, de les changer au fond pour prendre un pouvoir qui leur permettrait de changer les choses.

Cette interprétation m’est personnelle et me fait dire qu’un dispositif législatif m’apparaît non seulement nécessaire pour clarifier la situation, mais également indispensable pour faire face à ce risque d’évolution. Cela ne veut pas dire forcément dire qu’il faut une loi spécifique. La loi d’orientation du 10 juillet 1989 sera peut-être revue après le débat sur l’école. Peut-être faudrait-il que des dispositions de cette loi permettent de donner une sorte de statut officiel à ce qu’est un établissement scolaire en tant qu’espace d’éducation à la vie civique, civile et sociale sur la base des valeurs démocratiques de la République. Ces dispositions législatives devraient ne pas autoriser le port d’un signe religieux dans les établissements scolaires, mais en même temps, il faut prendre en compte la diversité des situations.

La situation du lycée Faidherbe où nous avons actuellement un équilibre n’est pas la même qu’à Villeneuve-d’Ascq avec ses 58 voiles et n’est pas non plus la même que celle d’autres établissements. Il faudrait qu’il y ait des règles, peut-être sous la forme de contrats d’objectif définis avec l’aide de nos instances hiérarchiques ou d’autres partenaires, pour supprimer le voile dans les établissements. Cela ne m’apparaît pas comme une exclusion, mais, au contraire, comme une manière d’intégrer tous les élèves.

M. le Président : Vous ne parlez que du voile mais, dans vos expériences, avez-vous été confronté à des jeunes qui portaient une kippa ?

M. Michel PARCOLLET : Tout à fait.

M. le Président : Et vous leur avez fait enlever cette kippa ?

M. Michel PARCOLLET : Oui, on a eu des jeunes qui portaient une kippa, des élèves qui ne voulaient pas travailler le samedi à cause du shabbat, on a connu un peu toutes les situations qui se sont réglées en expliquant aux élèves que la règle du lycée n’était pas celle-là. Ils s’y sont conformés parce qu’ils étaient peu nombreux. Au fur et à mesure que la pression augmente, le rapport de force qui s’instaure peut s’inverser. Ce risque existe pour le voile islamique mais il n’y a pas actuellement le même risque pour la kippa. Il y a d’autres exemples. Par exemple, on voit des élèves avec le keffieh palestinien ; actuellement, cela ne pose pas de problème majeur.

M. Jean-Pierre BRARD : Dans les propos qui ont été tenus, ne trouvez-vous pas choquant qu’un enseignant ait à connaître des convictions religieuses des élèves ? Si tel est le cas, le fait d’accepter des signes, quels qu’ils soient, n’est-il pas incompatible avec la laïcité ? Je suis instituteur de formation et je pense ne pas avoir à connaître de la conviction religieuse d’un élève.

Par ailleurs, ne considérez-vous pas, puisque les arrêts du Conseil d’Etat font référence à l’ordre public, que les différentes situations que vous avez décrites, en particulier pour les trois premières, sont des troubles à l’ordre public qui perturbent complètement l’établissement ?

M. Michel PARCOLLET : Je suis absolument d’accord avec ce que vous dites. L’enseignant n’a pas à connaître les croyances intimes des élèves. Nous n’avons même pas à essayer d’établir un compromis avec ceux qui soutiennent ces croyances et surtout ceux qui l’affichent dans un établissement. Je ne crois pas au compromis, au dialogue avec des imams ou d’autres qui pourraient être des partenaires comme parfois on l’a dit, hélas, sur l’interprétation du Coran. Cela fait partie de la sphère privée. Il faut évidemment distinguer cela de l’enseignement du fait religieux qui, lui, doit être intégré à l’enseignement et qui doit peut-être être clarifié sur la manière de le dispenser.

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Vous avez parlé d’autres manifestations de convictions religieuses. Ce sont plutôt les garçons qui me posent problème dans l’établissement quand ils arrivent en sarouel et en tarbouche, ce dont on ne dit rien. On leur a fait enlever le tarbouche, mais on ne leur a pas fait enlever le sarouel.

Je suis très gênée parce qu’une loi sur l’interdiction du port de signes religieux à l’école posera le problème de la barbe des jeunes musulmans. La barbe est-elle un signe religieux ? Faudra-t-il demander à ces jeunes gens de se raser ? Mais alors serons-nous obligés de demander à nos professeurs de se raser ? J’ai des professeurs musulmans dans l’établissement dont les femmes sont voilées.

M. le Président : Que proposez-vous alors ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Je ne sais pas car, une fois que l’on aura interdit tout port de signes religieux, on sera quand même obligé de supporter dans nos établissements ceux qui portent des dreadlocks ou des piercings tout autour de la figure marquant ainsi des appartenances à des groupes sociaux très clairs et aussi des pratiques illégales. Je ne peux pas interdire les dreadlocks.

M. le Président : Que proposez-vous ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Je ne sais pas. C’est bien d’ailleurs là mon souci.

M. le Président : C’est pour cette raison que l’on vous interroge. On est très déçu car on pensait que vous alliez apporter une solution.

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Je n’apporte pas de solution car, tout en m’interrogeant sur l’efficacité d’une loi, je crains que la tolérance du voile islamique soit une victoire pour certains de ces jeunes gens de conviction musulmane, qui ont parfois des attitudes extrêmement agressives envers les femmes, qui se permettent même d’écrire qu’ils ne liront pas les livres qu’on leur conseille de lire car ils ne lisent que le Coran, et que, dès lors, la situation soit encore plus difficile à gérer pour les enseignantes.

M. le Président : Je vais poser une question provocante. Puisque vous n’avez aucune solution, faut-il imposer l’uniforme ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : J’ai passé 12 ans en uniforme, donc, je ne répondrai pas.

M. Jean-Paul FERRIER : Il y a quand même une différence de nature entre les dreadlocks - même si les rastafaris peuvent constituer une religion d’une certaine façon - et ce que je ressens comme une entreprise concertée de démolition du principe laïque. Car il n’y a pas que le voile, mais aussi la revendication de nourriture halal, de salles à manger séparées pour les musulmans et les non-musulmans. Il y a la revendication de ne pas travailler le samedi pour certains élèves juifs, etc.

Je crois que le voile islamique pose le problème de la place de la femme dans la société. Dans mon établissement, quand le problème s’est posé avec une population, qui est à quasi majorité d’origine maghrébine, les femmes maghrébines sont venues manifester et signer des pétitions en disant qu’elles n’allaient quand même pas revenir au voile. Il faut le savoir.

M. Jean GLAVANY : Beaucoup tient à la manière dont on pose les questions. Pour moi, la question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre le port du voile ou de signes religieux dans les établissements scolaires. On est tous contre. Je n’ai jamais entendu un parlementaire dire qu’il est favorable au port du voile. On est tous contre car on considère que le port des signes religieux est la manifestation, dans l’espace public, d’une différence qui est contraire au principe de laïcité et qui est, au contraire, le ferment du communautarisme.

Le problème est bien plus de savoir comment réagir. C’est pour cette raison que je souhaite que l’on soit concret, dans les questions que l’on pose et dans les réponses que l’on apporte.

Il y a deux grandes options. Ou bien on fixe une règle selon laquelle on ne peut pas entrer dans un établissement scolaire avec un voile, et l’on dit : « ou vous le retirez ou vous êtes exclue », et ce n’est pas négociable. La conséquence est qu’on envoie alors dans les écoles coraniques, ou catholiques d’ailleurs, un certain nombre de jeunes exclues de l’Education nationale. Cela pose problème car le système éducatif n’a pas pour mission d’exclure, mais plutôt d’intégrer.

Ou bien on laisse un espace de discussion, de pédagogie, de conviction. Mais dans ce cas, il ne faut pas pour autant que cet espace soit celui du laxisme : on doit savoir que, faute de convaincre, il y aura refus. Mais il faut permettre cet espace de discussion et de pédagogie pour arriver à convaincre les jeunes de ce que doit être la laïcité.

Pensez-vous qu’une règle claire, non négociable, vous faciliterait la tâche mais avec le risque évoqué ? Auriez-vous alors le sentiment de répondre à la mission de l’Education nationale ? Ou demandez-vous qu’il y ait un espace de discussion et de pédagogie et que la règle que vous demandez soit éclaircie pour que tout le monde sache qu’au bout de la discussion, de toute façon, ce sera non ?

Je voudrais aussi faire une remarque. Je suis très choqué par le communiqué de presse de la mission d’information, sur l’ouverture du forum d’expression qui permet aux Français désormais de dire directement aux députés s’il faut une nouvelle loi sur le port des signes religieux à l’école. Je pense que l’on aurait pu débattre du contenu de ce communiqué.

M. le Président : On n’en a pas débattu certes, mais je vous l’ai fait distribuer avant qu’il ne soit diffusé.

M. Jean GLAVANY : Bien, alors il faudrait leur rajouter : « et si vous voulez une loi, avec quel contenu ? » Cette réduction du débat sur le thème « faut-il une loi ou pas », sans jamais dire quel contenu on donnerait à cette loi, me paraît être un abêtissement collectif ahurissant.

M. le Président : Sur ce point, pour vous rassurer, voilà ce qui est indiqué sur le forum : « Bienvenue sur ce forum. La question du port du signe religieux à l’école fait actuellement l’objet d’une mission d’information de députés qui doit rendre ses travaux à la fin de l’année après avoir auditionné l’ensemble des parties prenantes. Il vous est proposé de participer aux débats en exprimant ici vos réflexions et propositions concernant ce problème et en particulier en nous donnant votre avis sur l’opportunité d’une intervention du législateur dans ce domaine. Si le législateur devait intervenir, comment pensez-vous qu’il devrait le faire ? Si vous pensez qu’il ne doit pas intervenir, pouvez-vous expliquer pourquoi ? »

Cela vous convient-t-il, M. Glavany ?

M. Jean GLAVANY : Ce n’est pas dans le communiqué de presse.

M. le Président : Les communiqués de presse sont toujours un peu réducteurs ! Quand les gens iront sur le forum, ils auront ce message.

M. Jean-Paul SAVIGNAC : Avant de vous présenter mon établissement, je voudrais vous livrer la synthèse que j’ai préparée avec mes collègues, car c’est un problème que nous avons voulu élargir par rapport à notre cas précis.

Bien que service public, l’école n’est pas un lieu public, elle a pour nom et pour mission l’Education nationale. Elle doit se protéger et être protégée. L’enfant est bien trop précieux pour qu’il soit exposé à des dogmes ou à des contraintes physiques ou morales, dans ce qui demeure un espace protégé de croissance et d’élévation.

Une loi interdisant le port de signes religieux à l’école aurait la maladresse de ne porter que sur les signes religieux à l’école, alors que l’Education publique nationale se situe au-delà des expressions culturelles et religieuses. Espace et sanctuaire de la République, l’école des citoyens doit répondre à des règles de vie et de comportement garantissant neutralité et respect de tous.

Enfin, nous nous sommes permis de proposer que la conception initiale de la laïcité, du rejet des particularismes et du refus de voir et d’admettre les signes d’appartenance identitaires ou culturels - nous le vivons à Marseille de façon très pointue compte tenu de la diversité des occupants de cette ville - soit remplacée par l’ambition de définir un espace commun de cohabitation des différences.

Ainsi, dans notre lycée, il y a un endroit que je veux utiliser comme un sanctuaire. Dans la cour de récréation on est un peu tolérant, devant le lycée on l’est davantage, dans les abords, on dialogue ; mais, dès que l’on rentre dans le sanctuaire où l’on va recevoir le message de l’enseignement, on devient intransigeant. La protection de cet espace de transmission des savoirs mériterait peut-être d’être davantage définie, clarifiée, rendue obligatoire pour les administrateurs que nous sommes car c’est le sanctuaire de la « classe » qu’il faut protéger.

Certes il faut donner aux enfants des espaces de rencontre et il est vrai que les cours de récréation permettent des brassages, des rencontres, des complémentarités, des projets pédagogiques multiculturels. Par exemple, on a fait un projet pédagogique sur « le pain autour de la Méditerranée ». C’est fabuleux ce que les enfants ont apporté d’invention, d’imaginaire. Ils se sont rencontrés, donné des conseils, des recettes. Quand on a partagé les pains de la Méditerranée, ce fut un très joli moment. C’est dans cet espace là que l’on « milite », si j’ose dire, pour la société plurielle qui est la nôtre.

Par contre, au sein de la classe, il faudrait que nous soyons plus armés pour être davantage intransigeants.

Mon établissement est un lycée professionnel situé en centre-ville de Marseille. Il compte 650 élèves, deux tiers d’adolescents, 80 % d’élèves boursiers - la moyenne nationale est en dessous de 20 %, la moyenne des Bouches-du-Rhône au-dessus de 25 %. 93 % des élèves sont français, mais comme on dit pudiquement 77 % d’élèves « non originaires de la communauté européenne ». C’est une façon polie de dire les choses. En cela, Marseille est une ville qui fait la démonstration de la richesse de ces brassages et qui arrive à obtenir un équilibre. Ce n’est pas un équilibre négocié, c’est un équilibre un peu tendu, mais c’est quand même un équilibre, qui permet de jouer sur les diversités.

Je terminerai avec l’exemple qui nous a fait faire un bond en avant très important en terme de tolérance dans cet espace de dialogue et de liberté.

Une association, « Marseille-Espérance », a publié, édité et diffusé très largement dans les établissements un calendrier unique sur lequel dans des colonnes parallèles figure le calendrier de toutes les religions. Il y a le calendrier musulman, orthodoxe, arménien, bouddhiste, juif. Quand nous le mettons dans les classes et que les professeurs l’utilisent dans leurs dialogues, l’on se rend compte que parfois, le même jour, il y a une fête appelée différemment selon les religions. Cela crée des rencontres. Cet espace est plus « laïque » car il permet d’échanger les intimités, les choix culturels privés. Mais en deçà, dans l’espace « enseignement », il faudrait que nous ayons une consigne nous permettant d’être plus intransigeants.

Mme Patricia ADAM : Je suis un peu interpellée quand vous dites que l’on peut partager les différentes cultures religieuses. Comment font les enfants qui n’ont pas de religion ?

M. Jean-Paul SAVIGNAC : Tout enfant, comme tout adulte, aime les histoires et les religions se fondent sur des histoires et des légendes. Nous avons amenés nos jeunes musulmans à Notre-Dame-de-la-Garde. Les chrétiens ne peuvent pas rentrer dans les mosquées, mais les musulmans peuvent rentrer dans les cathédrales et les églises chrétiennes. Les enfants voyant cet ensemble ont compris, aimé, dialogué, discuté. A Marseille, on fête Noël que l’on soit musulman, arménien, ou autre. Par ailleurs, l’histoire des religions est un devoir que nous devons transmettre. C’est l’histoire des religions avec un petit « h ». Mais, les dogmes qui sont liés aux légendes fondatrices des religions sont du domaine de la sphère privée et sont sujets à interprétation. Précisément, le voile est l’interprétation d’une légende qui a 14 siècles. Il y a 3 000 ans, le port du voile a été suggéré pour les femmes.

L’adolescent a envie de « montrer », c’est un jeu qui le structure d’ailleurs. Il est nécessaire que l’enfant affirme une identité. Il est en recherche soit de religion, soit d’identité. Nous gérons cela, mais il y a un endroit où il faut un peu retenir cette expression. Nous y arrivons.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je voulais revenir sur l’exemple de Lille pour poser une question à M. Parcollet. Il y a depuis 1995 un compromis dont vous pensez qu’il est assez fragile, mais qui fonctionne. Pouvez-vous nous préciser le nombre de jeunes filles voilées qui arrivent sur le parking et qui ensuite enlèvent leur voile ?

Par ailleurs, on a, avec Lille et Villeneuve-d’Ascq, deux exemples tout à fait différents qui illustrent bien le fait que les chefs d’établissement, les communautés enseignantes en général, sont confrontés à un problème difficile. Il y a, me semble-t-il, une réelle demande de clarification et d’appui car on voit bien que la situation, depuis 15 ans, reste très difficile, au-delà de la question du chiffrage du phénomène.

Je suis surpris, M. le proviseur, que vous puissiez nous indiquer qu’il y a 58 jeunes filles voilées dans votre établissement de Villeneuve-d’Ascq sans que cela ne pose trop de problèmes. C’est quelque chose qui me surprend beaucoup.

M. Michel PARCOLLET : Le nombre de voiles n’est pas très facile à estimer puisque, selon le compromis, ils n’entrent pas dans le lycée, mais les jeunes filles qui arrivent voilées sont de l’ordre globalement de 35, 40, mais c’est vraiment une estimation.

M. le Président : Qui arrivent voilées devant l’établissement ?

M. Michel PARCOLLET : Oui, qui entrent dans ce parking intérieur qui est à l’entrée de l’établissement. C’est un parking avec une voie piétonne qui a été installé en 1995 par le conseil régional, en partie, pour permettre ce cheminement vers la cour du lycée et vers les bâtiments.

Cela me donne l’occasion de dire, en toute amitié, que je ne suis pas d’accord avec mon voisin car avec le système de « sanctuarisation de la classe » de l’espace éducatif, court le risque d’être décortiqué en différents secteurs. On le voit d’ailleurs pour l’interdiction de fumer. Pour moi, le parking d’entrée fait partie de l’établissement. La notion de « territoire » chez les élèves est très forte, surtout dans Lille-Sud. Des élèves vous disent de façon extrêmement simple que pour eux, ici, c’est la loi de la rue. On a beaucoup de mal à leur expliquer qu’un établissement public n’est pas tout à fait la même chose qu’un lieu public. Donc, pour moi, le parking doit être compris dans l’ensemble du lycée.

En revanche, je suis d’accord sur l’intérêt de mesures d’accompagnement et d’« espaces de débats », par exemple les débats avec des associations, dans le cadre même de l’éducation civique, juridique et sociale ou autres. Mais il doit plutôt s’agir d’espaces organisés à l’intérieur d’un établissement, lequel doit rester un espace global et unique.

M. Armand MARTIN : Sur les 58 voiles dont j’ai fait état, nous devrions en fait en avoir 60, mais il se trouve que deux jeunes filles n’ont pas rejoint l’établissement. Une a intégré le lycée musulman Averroès qui vient de s’ouvrir à Lille, et l’autre a quitté l’établissement au bout de huit jours pour rejoindre ce même lycée. La deuxième jeune fille est fille d’un professeur de l’enseignement public.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je voudrais demander à M. le proviseur de Lille son appréciation sur le chiffre de 35 qu’il vient de nous indiquer. Le juge-t-il faible ou élevé ? Ce chiffre ne serait-il pas supérieur s’il n’y avait pas eu le compromis de 1995 ?

M. Michel PARCOLLET : Je ne m’engage pas sur le nombre de 35. Ce chiffre est une estimation extrêmement vague. Il est relativement faible compte tenu du quartier de Lille-Sud où l’on voit énormément de femmes, plus ou moins jeunes, voilées. Quand on dit « voilées », c’est même parfois la tenue complète.

On sent une évolution des choses. Au départ, il s’agissait du foulard islamique. Maintenant, on arrive vraiment à un voile et, parfois, des voiles très longs. On a l’impression d’avancer dans le bon sens, lorsque l’on obtient que l’élève enlève le voile et garde un foulard plus réduit, mais cachant l’ensemble des cheveux. C’est un compromis dangereux.

Concernant Lille-Sud, il est vrai qu’il y a beaucoup plus de personnes voilées, donc, pour moi, l’estimation est relativement faible, vraisemblablement parce que les élèves savent qu’il faudra enlever le voile à l’entrée.

Le Lycée Averroès dont il est question, qui a ouvert à la rentrée 2003 - pour l’instant modestement, puisqu’il y a une douzaine d’élèves pour une classe de seconde, ce qui est peu pour un lycée -, n’a pas eu d’impact du tout sur le lycée Faidherbe et son environnement. D’ailleurs, la fille de l’imam de la mosquée de Lille-Sud à laquelle est rattachée, quoi que l’on en dise, ce nouveau lycée, est en classe de première et tous ces enfants sont passés par le lycée Faidherbe, sans problème.

M. Jean-Pierre BRARD : Je suis un peu étonné par ce que vous dites sur la cour de la récréation - je caricature pour me faire comprendre - où l’on est « côte à côte », selon le modèle anglo-saxon, et sur la classe où l’on vit ensemble. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir cohabitation de deux systèmes.

Mais ce que vous avez dit sur les « belles histoires » m’inquiète davantage. Tout le monde aime les histoires, même les adultes. Vous n’êtes pas un spécialiste de la discipline que je vais évoquer, mais je parle sous contrôle de certains de nos collègues. Ne pensez-vous pas que l’enseignement religieux utilise beaucoup la parabole et la métaphore, donc, les « belles histoires » ? N’est-ce pas le début d’un enseignement religieux, ce qui n’est pas du tout la vocation de l’école publique ? L’école n’est-elle pas d’abord le lieu de l’enseignement rationnel et le lieu où l’on dispense la connaissance ?

M. Jean-Paul SAVIGNAC : Marseille a besoin d’espaces un peu protégés dans lesquels l’échange va pouvoir se faire de façon neutralisée, écrêtée - car la rue est souvent le terrain des violences, des tensions ou l’expression des cultures. Nous débattons beaucoup au niveau de l’inspection académique et du rectorat sur ce point et nous comprenons que nos établissements sont des espaces protégés dans lesquels il y a l’infirmière, l’assistante sociale, des personnels qui écoutent, des surveillants, etc. Ce sont des espaces de dialogue dans lesquels l’échange se fait selon les préoccupations des adolescents. Il est vrai que les cours de récréation sont parfois des agoras. Il s’y passe des choses un peu bizarres, tendues, des débats forts, parfois virils, mais nous protégeons les jeunes et nous les laissons faire. Nous avons la main sur le couvercle de la marmite, si j’ose dire. Ce sont des échanges très riches parce que dans la cité, on ne peut pas discuter avec l’imam, avec les grands frères, avec les vigiles. Les adolescents ont besoin de cet espace d’expression et notre lycée le leur donne.

Un jour, je me suis permis de leur dire que celui qu’ils ont appelé « le Prophète » fut un temps un voleur. L’histoire le dit. L’histoire leur a apporté une lecture neutre des fondamentaux de leur religion dont on leur impose les dogmes et les interprétations. On a ainsi provoqué des discussions, quelques rancœurs, des haines, des contradictions, mais aussi un éclairage nouveau par rapport aux rites, dont ils ne peuvent pas demander les raisons ou l’origine à celui qui les leur impose. Ils ne savent pas très bien pourquoi il y a le ramadan, pourquoi il y a l’aïd-el-fitr. Notre rôle d’éducateur passe également par l’histoire des religions.

M. le Président : Donc, le port du voile n’est pas forcément l’expression d’une appartenance religieuse ?

M. Jean-Paul SAVIGNAC. : Du tout ! C’est une interprétation et une forme de militantisme par rapport à un choix que l’on veut imposer aux autres. Il en est de même de la pétition qui est sur mon bureau me demandant de garantir que la viande de la cantine est halal.

M. Philippe TIQUET : Je rebondis très vite sur la dernière remarque de mon voisin et à votre question. Je pense effectivement que le port du voile n’est pas toujours l’expression d’une conviction religieuse chez certaines de ces jeunes filles. C’est aussi une façon de se construire une identité personnelle. Cela m’a été un certain nombre de fois assez franchement dit par les intéressées.

M. le Président : Ou, pour leur famille, d’éviter l’intégration.

M. Philippe TIQUET : Oui, aussi. Cela étant, je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut vraisemblablement une accentuation, sinon sous forme de loi, en tout cas sous forme de vives recommandations, de l’interdiction - il ne faut pas avoir peur du mot - de signes religieux ostentatoires - et non religieux d’ailleurs parfois - dans les établissements scolaires.

Je dirige un lycée de 1 800 élèves dans la banlieue sud d’Orléans qui s’est construite dans les années 60-70 autour de son campus universitaire, et aujourd’hui autour de son pôle technologique. Cette banlieue a accueilli des générations de travailleurs immigrés dans un quartier qui fait actuellement l’objet d’un « grand projet de ville », puisque telle est sa dénomination.

Dans mon lycée, 26 nationalités (africaines, nord-africaines et autres) cohabitent et la population d’origine étrangère représente 7,7 % de l’effectif total, la moyenne académique étant de près de 4 %.

A la différence d’un certain nombre de collègues, j’ai la chance, alors qu’un certain nombre de jeunes filles arborent le foulard dit « islamique », de ne pas avoir été confronté à des situations conflictuelles, non pas parce que je détiens une recette, mais parce que, bon an mal an, ces jeunes filles enlèvent ce foulard à l’entrée du lycée - et j’insiste -et le remettent à l’extérieur du lycée. Chaque année quelques cas sont à suivre de près, soit parce que de nouvelles élèves essaient de nous tester, arrivant parfois d’un établissement où le port du foulard est autorisé, soit parce que l’actualité internationale - on n’en a pas assez parlé peut-être - crispe certaines situations. Dans ces dialogues, que l’on se doit d’avoir notamment avec ces nouvelles élèves, la discussion n’est pas toujours facile, parce qu’elles nous testent.

La jurisprudence du Conseil d’Etat, dans les situations de crise, est globalement satisfaisante. Je vais peut-être étonner l’assistance en disant que c’est surtout dans les situations de crise qu’elle l’est car elle donne quelques outils, en particulier si l’on entend par « dispositif fondé sur la jurisprudence » tout ce qui nous permet de réagir, y compris les notes comme cette note juridique que j’ai dû demander pour l’obtenir. Et je rejoins la question qui était posée de savoir si l’on est aidé : oui, on est souvent aidé dans mon académie par un service juridique très présent.

M. le Président : C’est la note de mars 2003 ?

M. Philippe TIQUET : Tout à fait ! Précieuse à mon avis.

M. GLAVANY : Est-elle diffusée à tous les établissements ?

M. Philippe TIQUET : Dans mon académie, je l’ai réclamée, et dans le secret de cette assistance, je dois dire que j’ai insisté pour l’obtenir. Mon interlocuteur m’a dit qu’il me la donnait confidentiellement - elle n’était pas utilisable à l’époque. Peut-être a-t-elle eu depuis une diffusion plus large. En tout cas, je ne l’ai pas vue passer officiellement.

M. le Président : D’autres chefs d’établissement ont-ils eu cette note ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Je l’ai eue, mais compte tenu des circonstances, ce n’était pas très utile.

M. le Président : L’avez-vous réclamée ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Non.

M. Philippe TIQUET : Je l’ai réclamée car j’ai eu vent de son existence et j’étais en train de vivre une situation non pas de crise, mais où j’avais intérêt à prendre les devants et à dialoguer avec les jeunes filles.

Cette note est d’autant plus intéressante que, sur certains points, elle est beaucoup plus précise que le dispositif qui remonte à plusieurs années.

M. le Président : Pour l’ensemble des députés, je précise qu’il s’agit d’une note expliquant les conditions du port du voile.

M. Jean-Pierre BRARD : Qui n’ont aucune valeur normative.

M. le Président : Qui n’ont effectivement aucune valeur. C’est une note interne du service juridique de l’Education nationale. On va vous la distribuer.

M. Philippe TIQUET : Cela étant, elle est parfois très affirmative. Je cite un exemple : « D’autres tenues peuvent et doivent être interdites au sein des établissements publics d’enseignement, même lorsqu’elles sont l’expression d’une conviction religieuse. » Juste avant, la note explique que, si le voile n’est que le port d’un signe de manifestation religieuse, il n’est pas en soi incompatible avec la laïcité, vous connaissez le contexte. « Il en va ainsi, à l’évidence, des tenues qui couvrent l’intégralité du visage en ne laissant que les yeux apparents. ».

Un peu plus loin, cette note dit : « Doivent être également interdites les tenues qui, tout en laissant l’ovale du visage entièrement découvert, dissimuleraient par exemple l’intégralité du corps sous un habit noir. »

Un peu plus loin : « Il faut souligner que ce raisonnement ne concerne pas spécifiquement ni principalement l’islam. Le port d’une aube de communiante, à supposer qu’il soit ressenti comme une nécessité religieuse par les intéressés, ne saurait davantage être admis dans un établissement public d’enseignement. »

La situation qui prévaut à l’heure actuelle et qui, de mon point de vue, supposerait des indications plus strictes, ne me paraît pas pouvoir durer plus longtemps pour plusieurs raisons.

Premièrement, ce qui me choque - au sens où cela m’embarrasse, et c’est un euphémisme -, c’est que sur un pareil sujet on puisse accepter de laisser coexister des attitudes diverses, voire contradictoires d’un établissement à l’autre, parfois même au sein d’un même établissement car les enseignants sont loin d’être d’accord, y compris dans leurs actes et leur façon de réagir sur un pareil sujet. Par exemple, on a vu des jeunes filles interdites de foulard dans tel établissement public et exclues, alors qu’elles sont autorisées à le porter dans un établissement voisin. Dans le Loiret, après une enquête que j’ai personnellement menée auprès de collègues, le foulard n’est pas toléré dans la cour de tel établissement, par exemple dans le mien, il l’est dans un établissement qui est situé à 50 kilomètres d’Orléans.

Je ne pense pas que cette diversité de réactions puisse se justifier par l’autonomie de gestion des établissements à laquelle il est fait allusion dans le questionnaire. Sur un pareil point, nous touchons à mon avis à des principes fondateurs sur lesquels doit s’exercer toute l’autorité de l’Etat dans son expression la plus nationale.

Deuxième raison de mon malaise, si le port du foulard ne peut pas être interdit par principe, il le devient dans le cas d’un comportement prosélyte. Or, le prosélytisme n’est pas toujours facile à déterminer ni à prouver car il revêt rarement une forme extrême, caricaturale. Or il faut convaincre le juge. Je cite un extrait de la même note de la direction des affaires juridiques diffusée confidentiellement il y a quelques mois dans les académies : « En l’absence de tension ou de trouble à l’ordre public, lorsque le port d’un signe d’appartenance religieuse prend un caractère massif dans un établissement ou dans une classe, une mesure d’interdiction sera justifiée si l’administration est en mesure d’en convaincre le juge et de le convaincre que cette mesure était nécessaire ou que l’augmentation du nombre des élèves portant un signe d’appartenance religieuse révèle un phénomène de prosélytisme rampant. » Très modestement, je ne suis pas sûr de pouvoir prouver le prosélytisme de telle ou telle manifestation religieuse.

Troisième cause de mon malaise. Si l’on met de côté les cas de prosélytisme avérés ou de dysfonctionnement condamnable - c’est-à-dire de l’élève qui ne veut pas aller en cours d’éducation physique et sportive (EPS), qui refuse de retirer son foulard en cours d’EPS, en travaux pratiques de physique/chimie, car ce sont des cas où nous avons le droit de lui interdire très formellement de le porter -, et que l’on prenne le cas d’une élève qui travaille bien, qui assiste à tous les cours, qui va en EPS, qui parfois se fait dispenser officiellement, que fait-on ? Le port de ce foulard n’est pas condamnable dans ce cas.

Si nous sommes dans un établissement comme le mien où manifestement l’autorisation de le porter provoquerait un réel malaise, on doit discuter. Cela signifie que, dans ce cas de figure, tout repose sur la capacité de persuasion du chef d’établissement et de ses représentants. Une telle capacité me paraît, par définition, fragile et aléatoire. Jusqu’ici je n’ai pas vécu de situation de crise. Mais il m’arrivera peut-être de vivre les situations que mes collègues ont décrites précédemment.

Faut-il une loi ? Après avoir beaucoup hésité - car il n’est pas facile de se faire une idée définitive sur le sujet -, j’incline aujourd’hui à penser, même si je n’ignore pas les difficultés philosophiques, morales, législatives que poserait une loi, qu’il faut être plus incisif, plus directif. En tout état de cause, l’alternative me semble être la suivante. Ou bien l’on fait une loi ou un règlement, appelons-le comme on veut, même si la nuance est importante, qui interdit sans ambiguïté le port des signes religieux à l’école.

M. le Président : Le port « visible » de signes religieux.

M. Philippe TIQUET : Ou bien, au nom de la tolérance - et n’en déduisez pas que je suis intolérant par nature -, on laisse les élèves arborer de tels signes et il faudra en assumer les conséquences logiques et inévitables, croix catholique contre kippa, kippa contre foulard, foulard contre croix catholique.

Je me souviens d’une anecdote à propos d’autres signes. J’avais fait une remarque à une jeune fille qui tardait à enlever son foulard en entrant dans le lycée. Je fis également une remarque à un jeune garçon qui arborait une croix catholique d’évêque, très importante, beaucoup plus importante que la petite croix qui peut être sous un chandail ou sous une chemise. Ce garçon me dit : « Mais, monsieur, les jeunes filles à foulard, on ne leur interdit pas toujours ou pas assez vigoureusement de porter le foulard, alors quel est le problème ? Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas porter cette croix ? ».

Il y a des arguments qui militent en faveur de la tolérance. Un très bel article de M. Spitz, philosophe, dans « Le Monde », il y a quelques jours m’a interpellé, a failli un peu lézarder mes fragiles assurances sur le sujet. Si on laisse parler la tolérance, à mon avis, l’établissement public d’enseignement n’aura plus de public que le nom et connaîtra des situations qui, personnellement, me paraissent absolument intenables et inadmissibles.

M. le Président : Les chefs d’établissement veulent-ils à réagir à ce que vient de dire M. Tiquet ?

M. Armand MARTIN : Je reviens sur ce que j’ai dit tout à l’heure et qui va dans le sens de mon collègue. S’il y a une loi, il faut que les décrets d’application sortent très vite. Il ne faut pas attendre des années. Certaines lois n’ont jamais eu de décret d’application. J’en prends une notamment concernant les parents d’élèves et les assurances des parents d’élèves. C’est une loi qui a été prise en 1946 et qui n’a jamais fait l’objet de décret d’application. Je reviens également sur la loi Evin pour laquelle il n’y a pas eu de décret d’application. Si l’Assemblée nationale veut une loi, les décrets doivent sortir tout de suite.

M. le Président : Mme Lor Sivrais, vous qui n’avez pas les mêmes certitudes que M. Tiquet, que vous inspire son évolution personnelle sur la nécessité d’une intervention législative ?

Mme Stanie LOR SIVRAIS : En tant que femme, je suis évidemment contre le port du voile qui pour moi est une forme d’oppression, mais ayant personnellement des convictions religieuses qui ne sont pas islamiques, je suis très mal à l’aise devant l’interdiction de tout port de signes religieux.

Je discutais avec une de mes professeurs de philosophie qui est juive - qui a un nom très juif et qui a subi des remarques dans d’autres lycées de la part de ses élèves -, qui revient d’un temps d’expatriation au Brésil et qui me disait : « Ce qu’il y a de terrible dans nos établissements scolaires, c’est que, lorsque l’on fait de la philosophie, nos élèves ne peuvent même pas dire qu’ils croient en Dieu. » C’était la réaction d’un professeur de philosophie, je vous la donne comme telle. Elle regrettait que l’affirmation de convictions ne puisse pas se faire de manière sereine dans le cadre d’un cours de philosophie.

J’ai été profondément choquée au printemps dernier par des affirmations excessives d’opposition à toute manifestation religieuse. Cela me gêne beaucoup, même dans un établissement laïque. Je repense à une phrase de Malesherbes qui disait : « Est-ce que l’on pouvait penser qu’il y aurait des fanatiques de la tolérance ? » On est un peu dans cette situation. L’idée de l’interdiction de tout signe religieux me met très mal à l’aise.

M. le Président : De tout signe religieux « visible ».

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Oui mais alors, le jour où je viendrai avec ma croix d’Agadez, qui est un cadeau de famille rapporté par un de mes ancêtres, je ne pourrai pas la porter visiblement dans le lycée ?

M. Jean GLAVANY : J’ai consulté un juriste qui m’a dit que, même si vous utilisez le terme « visible », cela donnera lieu à interprétation. Sur deux jeunes filles qui porteront une croix catholique en pendentif, l’une aura un décolleté ouvert, le proviseur jugera que c’est visible et il l’exclura de l’établissement. L’autre aura le col fermé et elle pourra rester dans l’établissement.

Ce n’est pas du jésuitisme. C’est une réalité objective que tout principe de droit fait toujours l’objet d’interprétation. Les chefs d’établissement y seront de toute façon amenés et c’est leur responsabilité. Je suis en désaccord avec ceux d’entre vous qui disent que ce n’est pas leur métier d’avoir à trancher cela. En réalité, vous n’arrêtez pas d’arbitrer. C’est bien votre responsabilité de traduire des élèves devant des conseils de discipline, de les exclure temporairement, définitivement, pour d’autres raisons liées à la discipline. C’est votre fonction, c’est votre mission.

M. le Président : Ils le feront d’autant mieux que les bases seront claires.

M. Jean GLAVANY : Mais il y aura toujours un degré d’interprétation du droit.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je voulais réagir à ce que vient de dire Madame. Je comprends ce que vous dites mais, en même temps, j’ai l’impression que l’on va bientôt dire que c’est le principe de la laïcité qui ne respecte pas la tolérance, alors que dans l’esprit des pères fondateurs de la laïcité, c’est l’inverse. Les pères fondateurs n’étaient pas des anti-religieux, c’étaient des anti-cléricaux. Il y a aujourd’hui une sorte d’affaiblissement idéologique de la notion, y compris dans le milieu enseignant, pourtant très laïque. Je ne voudrais pas que l’on soit contaminé. Je comprends à la fois ce que vous dites mais, en même temps, la laïcité n’est quand même pas l’intolérance, c’est le contraire, attention !

M. Jacques MYARD : Ne pensez-vous pas qu’en réalité l’épiphénomène du voile cache beaucoup d’autres choses derrière ? Tout à l’heure, on l’a vu avec la nourriture halal. Pensez-vous que cela va plus loin ?

M. Michel PARCOLLET : Je sens, au-delà de croyances religieuses individuelles, un véritable mouvement de remise en cause des lois de la République. C’est pour cette raison que je souhaiterais une interdiction claire. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de mesures d’accompagnement et que la responsabilité des chefs d’établissement ne restera entière dans l’interprétation et la mise en œuvre locales. Je sens effectivement un autre mouvement que purement religieux.

M. Sylvain FAILLIE : J’ai exprimé au départ de la discussion un souci de tolérance à l’égard du port des signes religieux. Je continue en rappelant que les pères fondateurs de la laïcité se sont également fondés sur des affirmations comme « si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis » ; donc, la laïcité est bien fondée sur l’acceptation de la différence. C’est à ce titre que j’invitais, au départ, à ne pas légiférer dans une trop grande urgence en demandant si, finalement, on n’avait pas intérêt, à l’égard d’une simple manifestation d’appartenance, encadrée et limitée, à ne pas perturber les programmes et à ne pas créer de trouble dans l’établissement. Je ne pense pas que le simple fait de signaler une appartenance puisse présenter un véritable problème.

M. Brard, a dit que lorsque qu’il était instituteur, il estimait qu’il n’avait pas à connaître l’appartenance de ses élèves. J’ai également été instituteur, il y a très longtemps, et je cherchais à savoir qui étaient mes élèves, leur appartenance, leurs problèmes sociaux ou médicaux et autres, d’autant que je travaillais dans l’enseignement spécialisé.

Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’une loi résoudrait tous les problèmes. Il y a autre chose derrière le simple port de signes qui ne serait pas résolu par une simple loi interdisant d’afficher des signes et il s’agit du problème du communautarisme dans les cités qui environnent les établissements où ces problèmes se posent.

Par ailleurs, une telle loi devrait nécessairement s’accompagner d’un volet vestimentaire. On a parlé d’uniforme. Moi j’en ai porté un pendant huit ans dans une école militaire. Cela n’a pas forcément que des inconvénients, de même que la blouse de nos anciens écoliers ! Mais les établissements scolaires deviendraient des sanctuaires déconnectés d’une société dans laquelle il faut quand même réémerger la jeunesse. Voilà les précautions.

M. Jean-Paul FERRIER : Je pense également qu’il y a autre chose derrière le port des signes religieux. Par ailleurs, je partage tout à fait l’opinion de mon collègue Tiquet quant à la nécessité de disposer d’une loi claire car, même si l’on peut toujours interpréter le droit, plus celui-ci est clair, moins il est facile à interpréter.

Pour en revenir à la question de M. Bourg-Broc, il est vrai que le fait de manifester son appartenance religieuse peut apparaître comme une condition de la liberté de conscience, mais cela peut être aussi un danger. Le fait que l’on ne connaisse pas la religion des personnes ou qu’elles ne manifestent pas leur appartenance - on a reproché à certains pays de mentionner l’appartenance religieuse sur les passeports - est aussi un facteur de liberté. Dans notre pays, certains ont eu à manifester leur appartenance religieuse par une marque jaune, on devrait s’en souvenir ; la manifestation des signes religieux n’est pas toujours du côté de la liberté.

M. Philippe TIQUET : Ces convictions, ces assurances sont celles d’aujourd’hui. Imaginez bien que je n’en fais pas un code parant à toutes les situations. Je fais une grande différence entre le fait d’arborer des signes religieux - ou politiques, on pourrait aussi en parler - qui ne paraît pas viable dans un établissement scolaire et le fait de pouvoir, dans un cours de philosophie ou dans tout autre cours, reconnaître, à l’occasion d’un débat d’idées, que l’on croit en Dieu ou non.

D’ailleurs, le drame de notre école est que l’on n’ose pas aborder certains sujets avec les élèves et, en particulier, les sujets religieux. L’école souffre peut-être d’un déficit de discussion, de connaissance, de réflexion sur le fait religieux, mais aussi sur le fait culturel et sur l’histoire des pays de ces enfants, nés sur le territoire français mais dont les parents sont originaires du Maghreb ou d’ailleurs. Cette histoire est parfois scandaleusement absente des livres d’histoire.

On pourrait très bien, et cela me paraîtrait même nécessaire, se montrer exigeant sur le port de signes visibles marquant des convictions religieuses ou politiques et moins frileux au sein des cours, en acceptant de parler d’une culture nationale, d’une histoire nationale et d’un fait religieux quel qu’il soit, voire de l’athéisme puisque l’on y a fait allusion, ou même de l’absence de convictions religieuses. Bref, il ne faut pas faire de nos élèves des citoyens décervelés.

Mme Stanie LOR SIVRAIS : Je voulais exprimer une inquiétude. Si on légifère contre le port de tout signe religieux, ne faudra-t-il pas faire des concessions par ailleurs, et ne serons-nous pas amenés à ouvrir des aumôneries pour d’autres religions dans nos établissements ? J’avoue que je n’ai pas très envie d’être obligée de négocier des aumôneries dans nos établissements.

M. Jean-Pierre BRARD : Il y a un problème qui a été évoqué en filigrane par certains d’entre vous. On ne trouvera pas de solution globale si l’on n’évoque que les problèmes de l’école. Il y a aussi le problème de l’égalité de la pratique des cultes. Si notre Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte, il reconnaît la liberté de pratiquer le sien. Cela passe par une garantie d’égalité qui n’existe pas aujourd’hui pour des raisons historiques, l’islam étant la religion du colonisé et étant arrivée après les autres. Ce n’est pas l’objet de notre mission, mais il est clair qu’il faut régler la question du financement, sans qu’il ne coûte un euro à l’Etat républicain, et qu’il faut des lieux de culte libres. Je dis souvent à ceux qui s’émeuvent de l’apparition de lieux de culte musulman que je préfère les savoir dans des lieux de culte dédiés, plutôt que de les savoir dans des caves, lieux de tous les complots, ou dans des appartements. Mais cela dépasse l’objet de notre mission.

Par ailleurs, quand j’entends dire qu’il est difficile de faire une loi, je me demande à quoi sert le législateur ! J’ajoute que c’est notre rôle d’appliquer la loi de 1905, sans la réviser.

M. Roger POLLET : Pour résumer, je pense qu’il y a effectivement, derrière le voile, un mouvement qui est plus large. Il ne faut pas en rester au statu quo actuel et donc il faut un cadre plus précis - peut-être législatif. Je pense que les politiques doivent prendre leurs responsabilités et qu’ils ne doivent pas la transférer au Conseil d’Etat dont les avis ne clarifient pas la situation.

M. Jean-Paul SAVIGNAC : Une remarque sur les pratiques de l’école française, puisque l’Europe donne quelques exemples en la matière. Dans l’école française, plus de la moitié de notre temps est consacré à d’autres fonctions que les fonctions pédagogiques pures pour lesquelles nous étions au départ missionnés. En fait, nous sommes gérants de locaux, gardiens de personnels. On nourrit des élèves, on les lave, on les soigne, on les entretient, on les finance, on distribue des bourses. Nous n’avons toujours pas réussi à obtenir de notre tutelle qu’elle définisse la véritable priorité de notre mission. Je conclus en disant que l’espace d’enseignement pur mériterait d’être reclarifié car cela est très obscur.

M. le Président : Madame, Messieurs, merci beaucoup, vous nous avez fait passer une matinée très intéressante.


Source : Assemblée nationale française