(extrait du procès-verbal de la séance du 12 novembre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

puis de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. le Président : Je remercie M. Luc Ferry et M. Xavier Darcos d’être venus nous éclairer. Vous avez reçu un questionnaire et je voudrais vous poser un certain nombre de questions sur cette base.

Le ministère de l’éducation nationale ou le ministère délégué à l’enseignement scolaire disposent-ils de chiffres concernant le port de signes religieux à l’école ? D’une manière générale, quels sont vos moyens pour faire remonter cette information au niveau de l’administration centrale ?

M. Luc FERRY : Les chiffres, dont nous disposons pour l’année dernière, sont de 10 contentieux et 100 médiations environ. Pour ce qui concerne le port des signes religieux à proprement parler, nous n’avons pas d’informations fiables, non pas faute de capteurs, puisque, contrairement à ce qui a été dit ici ou là, les dispositifs mis en place par François Bayrou, sont toujours présents, et même plus performants que jamais. Il s’agit du logiciel SIGMA. Le problème est que les chefs d’établissement ne souhaitent pas forcément nous informer de tout ce qui se passe dans leurs établissements, car ils n’ont pas envie d’avoir des ennuis et la presse à leur porte.

Par conséquent, quand on a affaire à des petits bandeaux - prenons le cas le plus fréquent - et non pas à des tchador ou des foulards très visibles, suscitant des polémiques, les chefs d’établissement préfèrent ne rien dire. Quelles que soient les demandes qu’on leur adresse, ils ferment un peu les yeux sur la réalité de ces signes religieux. Ainsi, on estime - et c’est une estimation au « doigt mouillé » - qu’il doit y avoir environ 1 500 bandeaux dans les établissements. La plupart du temps, ce sont de petits bandeaux. C’est un chiffre à prendre avec la plus grande précaution car, encore une fois, les remontées par le logiciel Signa ne se font pas très bien.

M. Xavier DARCOS : Je confirme ces chiffres et je rappelle qu’en septembre 1994, quand la circulaire a été prise, on estimait à 1 500 et 2 000 le nombre de cas connus, signalés ou non. On observera donc qu’il existe une certaine continuité dans les chiffres et qu’il n’y a pas une forte poussée du problème, si l’on s’en tient à ce qui est comptabilisé. En revanche, sans aucun doute, sur le plan symbolique, le commentaire est plus vif.

M. le Président : Le Conseil d’Etat, le 27 novembre 1989 a rendu un avis, puis il y a eu des circulaires ministérielles et une jurisprudence administrative. Avez-vous le sentiment que ce cadre juridique suffit ou faut-il le compléter ou l’amender ?

M. Luc FERRY : Politiquement, le cadre juridique a manifestement besoin d’être complété, et je dis bien politiquement, pas juridiquement. Etant donné l’ampleur de la discussion sur le foulard ou sur le voile islamique, on ne peut pas en rester là. En effet, au moins symboliquement, il faut aller plus loin, même si je continue à penser que sur le terrain, lorsqu’on dit qu’on laisse les chefs d’établissement ou les équipes pédagogiques, seuls face à leurs responsabilités, c’est à la fois vrai et faux. C’est vrai en un sens, mais cela fait partie des grandeurs et des servitudes de ce métier.

Si l’on veut aller plus loin, il y a trois hypothèses de travail.

On peut imaginer une loi interdisant les signes ostentatoires. Certains ont fait cette proposition dans le débat public - à droite comme à gauche d’ailleurs. Il faut donc en tenir compte. Mais, ce faisant, on présente comme solution ce qui est le point de départ du problème car personne n’est véritablement capable de définir ce qu’est un signe « ostentatoire ». Si nous allions dans cette direction, nous aurions, après, le même problème qu’avant, c’est-à-dire que ce serait aux chefs d’établissement et aux conseils de discipline que reviendrait la responsabilité de définir localement ce que l’on entend par « ostentatoire », aucun d’entre nous n’étant capable de définir très précisément, dans la loi, à partir de quelle taille, de quelle forme, de quelle couleur, ou que sais-je, un signe devient ostentatoire.

D’où la deuxième tentation, qui est d’interdire purement et simplement tous les signes religieux visibles. Cette deuxième hypothèse a le mérite de la clarté, alors que la première, à mon avis, ne sert à rien. Je le dis comme je le pense. Par contre, cette deuxième solution a, entre autres inconvénients - même si politiquement cela permettrait, en effet, de régler une partie du problème ou, en tout cas, de répondre à une certaine attente - de ne correspondre ni à la tradition de l’idée républicaine à la française, ni aux principes généraux du droit français, tels que le Conseil d’Etat les rappelle très bien dans son avis de 1989.

La tradition française permet de dire que les signes ostentatoires sont interdits, mais pas les signes religieux en général. Autrement dit, l’appartenance à une religion n’est pas indigne. L’expression de cette appartenance, même à l’école, n’est pas indigne, quand elle n’est ni ostentatoire, ni agressive, ni prosélyte. L’arrêt du Conseil d’Etat le rappelle de façon parfaitement claire et tout à fait légitime. On ne peut pas le contester sur ce point.

Par conséquent, si l’on allait vers cette deuxième hypothèse - qui, encore une fois, n’est pas du tout absurde, a le mérite d’être claire et de régler le problème sur le plan juridique, au moins en apparence -, nous nous placerions dans une nouvelle conception de la laïcité. Il faut le dire clairement, on ferait un pas de plus. Evidemment, il y aurait une levée de bouclier des églises.

La troisième hypothèse consiste à refaire une circulaire, en indiquant clairement ce qui est interdit. Qu’est-ce qui est interdit ?

Les signes ostentatoires, c’est clair, même si leur définition relève de l’appréciation locale. De même, le fait de contester le contenu des programmes et des cours et de demander tel ou tel type d’examinateurs. Il faut rappeler ces interdictions et compléter ce travail par une série d’articles sur la laïcité, sur la République et sur la nécessité de lutter contre les communautarismes intégrés dans la loi d’orientation sur l’école. C’est dire que le débat, à mes yeux, n’est pas « pour ou contre » une loi, mais « quelle loi ? »

Si c’est une loi interdisant les signes « ostentatoires », elle ne sert à rien, et on revient au statu quo ante. Si c’est une loi interdisant les signes « visibles », elle a le mérite d’être claire, mais elle n’est pas dans la tradition républicaine ; c’est un pas supplémentaire, et il faut l’assumer comme tel. Troisième solution : on rappelle clairement que les signes ostentatoires sont interdits, qu’on n’a pas le droit de contester les programmes, ni de demander un examinateur homme ou femme et l’on dit qu’un élève qui le contesterait doit être exclu. Enfin, on complète le propos par trois ou quatre articles de loi au sein de la loi d’orientation sur l’école en cours de préparation.

Encore une fois, le débat n’est pas pour ou contre une loi, à mes yeux, c’est : quelle loi et dans quelles circonstances on veut la présenter ?

M. Xavier DARCOS : Je suis d’accord avec ce que vient de dire Luc Ferry. Simplement, je crois que le modèle traditionnel français auquel on se réfère, qui nous renvoie à la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, n’est pas figé. Le principe de laïcité s’inscrit dans un contexte historique, qui a changé par rapport à celui des textes qui ont été pris, aussi bien à la fin du XIXème siècle qu’au début de celui-ci, ou même d’ailleurs il y a encore une quinzaine d’années. J’en veux pour preuve, une conversation que j’avais encore tout à l’heure, non pas sur les établissements secondaires, mais sur les universités. Auparavant, on ne trouvait pas à l’entrée de l’université des tables invitant les jeunes à venir s’inscrire à telle ou telle église, et il n’y avait pas non plus de musique religieuse dans les réfectoires. Tout ceci était inimaginable.

Pourtant, je veux être prudent car, si dans mon esprit la question posée ici n’est pas une question concernant exclusivement le voile, et les problèmes islamiques, et si je constate que le contexte a changé, je constate aussi, comme l’a dit Luc Ferry, que, parmi les difficultés, il y a ces problèmes de communautarisme, de tension, de prosélytisme.

En même temps que les conditions qui nous entourent ont changé, on voit apparaître une sorte de droit local. Les chefs d’établissement doivent faire du cas par cas. Ici, ils tolèrent le bandeau, là ils ne disent rien et s’arrangent, aménagent un peu les cours, à l’image de certains maires qui ouvrent les piscines à tel moment pour qu’il n’y ait que les musulmans, à tel moment pour qu’il y ait tel autre groupe. On arrive à une sorte de « bricolage » réglementaire local qui, si l’on n’y prend pas garde, installera une sorte de confusion par rapport au principe que nous voulons affirmer.

Comme l’a dit Luc Ferry, la question n’est pas d’être pour ou contre la loi, mais de trouver le système qui fonctionne utilement. Il me semble que la future loi d’orientation pourrait peut-être comporter une première partie où seraient rappelés les grands principes sur lesquels se fonde le sanctuaire républicain qu’est l’école et dans laquelle serait inscrite l’interdiction, non seulement de tous les signes religieux mais aussi de tous les signes politiques, et même peut-être de tous les signes publicitaires.

En effet, il y a aujourd’hui dans le champ clos de l’école une manifestation permanente, qui n’est pas seulement celle de l’appartenance religieuse, mais aussi celle d’autres formes de prosélytismes, toutes aussi condamnables d’ailleurs, qui sont des prosélytismes publicitaires à connotation, non seulement économique, mais aussi idéologique. Il en est ainsi, par exemple, lorsque des élèves portent des tenues rappelant les rangers, ou lorsqu’ils portent des treillis, ou des foulards palestiniens. Il s’agit peut-être de modes, mais pas seulement. Il y a dans toutes ces manifestations une vision déformée de l’espace sanctuaire qu’est l’école.

Autant je trouve qu’il faut être prudent à l’égard d’une loi qui ciblerait le voile, autant je trouve qu’un grand préambule ou une première partie intégrée à la loi d’orientation attendue pour l’année prochaine, rappelant les fondements de laïcité et l’interdiction de ces divers signes et proposant un nouveau contrat social ou contrat réglementaire à l’intérieur de nos établissements, serait bienvenu. A condition, évidemment, que cela s’accompagne de dispositifs éducatifs, de médiation, de guides, d’un enseignement du fait religieux, de moyens de lutte contre les diverses discriminations ; bref, qu’il y ait un accompagnement pédagogique et éducatif, et que cela ne soit pas simplement une loi sanction.

Il me semble, qu’en s’orientant ainsi, on disposerait d’une nouvelle loi laïque qui, sans aucun doute, serait utile, même s’il est vrai que l’arsenal réglementaire existe déjà et que la loi reprendra beaucoup de ce qui existe.

Il me semble nécessaire de rappeler, dans les principes législatifs d’orientation scolaire, le refus du prosélytisme, le refus de toute confusion entre confession et laïcité, le refus d’accepter que l’école soit le lieu où d’expression de toutes formes de discriminations, non seulement religieuse mais aussi sexiste - car le voile est aussi une discrimination sexiste -, économique, politique, que sais-je. Cela conviendrait assez bien à l’esprit d’une loi d’orientation, qui prétend avoir un regard sur l’horizon à dix ans pour l’école française.

M. Jean-Yves HUGON : Nous avons évoqué très souvent, lors de nos travaux, l’exception de l’Alsace-Moselle, et éventuellement du Territoire de Mayotte. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Par ailleurs, pensez-vous, s’il y avait loi ou modification législative, qu’elle pourrait s’étendre aux établissements privés sous contrat ?

M. Luc FERRY : Sur l’Alsace-Moselle, il n’y a pas d’incidence particulière. Ces départements auraient le même traitement, si l’on avait une loi interdisant les signes religieux, que les autres établissements. La différence est qu’il y aurait un paradoxe : on interdirait les signes religieux et on laisserait les croix aux murs.

M. Jean-Yves HUGON : Dans le département du Doubs, il y a encore des écoles primaires avec des crucifix !

M. le Président : Et s’agissant de l’extension aux écoles privées sous contrat ?

M. Luc FERRY : Cela paraît contraire à la clause d’exception qui caractérise les écoles privées. On aura de grandes difficultés.

M. le Président : Au caractère propre reconnu par le Conseil constitutionnel ?

M. Luc FERRY : Oui, on aurait du mal. Sur le plan politique, ce serait clairement une déclaration de guerre.

M. Jean-Yves HUGON : Pour celles qui sont sous contrat.

M. le Président : Oui, il n’y a pas de problème pour celles qui ne sont pas sous contrat.

M. Jacques MYARD : Vous vous êtes référé à la tradition française de la laïcité. N’en avez-vous pas une lecture un peu trop récente ? Etant « de la laïque », je n’ai pas souvenance qu’un enfant catholique qui serait venu en aube à l’école aurait été accepté.

M. Luc FERRY : Je ne pense pas avoir une lecture récente de la laïcité à la française. Je me trompe peut-être, mais pour y avoir consacré, depuis une vingtaine d’années, pas mal de livres, je crois avoir un peu étudié la question et ne pas m’être borné à l’avis de 1989, qui rappelle simplement une longue tradition.

La définition de la laïcité à la française est quelque chose de beaucoup plus profond que la question des insignes religieux à l’école, c’est un nouveau rapport à la loi qui s’instaure au moment de la déclaration des droits de l’homme. A cette époque, il se passe deux choses dans l’univers français, qui vont devenir universelles et que l’on va, en quelque sorte, « offrir » au reste de l’Europe et probablement au reste du monde.

Première chose : sans doute pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on pose - c’est la signification de la naissance de l’Assemblée nationale - que la loi est fabriquée par des êtres humains et pour des êtres humains, et qu’elle n’est plus enracinée dans un univers religieux. C’est ce qui nous différencie, par exemple, des républiques islamiques, dans lesquelles on a le droit d’épouser quatre femmes, car c’est inscrit dans le Coran. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on entre dans l’« humanisme juridique », c’est-à-dire dans la fondation de la loi sur les êtres humains que sont les représentants du peuple : les députés.

Deuxième chose : la déclaration des droits de l’homme, en même temps et pour les mêmes raisons, affirme qu’un être humain doit être respecté, indépendamment de toute espèce d’enracinement dans une communauté, quelle qu’elle soit, ethnique, linguistique, culturelle, religieuse ou même nationale. L’être humain mérite d’être respecté et c’est ce que l’on a appelé l’« humanisme abstrait » des enracinements communautaires. Voilà les deux sources fondamentales de la laïcité française : la source de la loi est humaine et l’être humain est respectable, indépendamment de ses enracinements communautaires.

Pour autant, la laïcité à la française n’a jamais exclu le droit d’appartenir à des communautés, y compris religieuses, ni même de le dire. Donc, la laïcité à la française, et c’est ce que rappelle le Conseil d’Etat en 1989, interdit les signes ostentatoires, les signes militants, peut-être même les signes publicitaires qu’évoquaient Xavier Darcos. Elle interdit tout ce qui relève du militantisme, de l’ostentation et tout ce qui peut troubler l’ordre public, mais elle n’interdit pas l’expression d’une appartenance religieuse. C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat. Sur ce versant-là, il est juridiquement incontestable. Par exemple, dans une dissertation de français, de philosophie ou d’histoire, ou dans un cours d’instruction civique, vous avez, si vous êtes élève, même à 14 ou 15 ans, le droit de dire que vous êtes catholique, juif ou musulman ; ce n’est pas interdit.

Je n’exclus pas la possibilité que l’on se trouve maintenant dans un contexte tellement différent des temps jadis, que l’on invente une nouvelle forme de laïcité. Mais que l’on ne dise pas, dans ce cas, que c’est la tradition française. C’est autre chose, c’est un nouvel apport à la tradition française, telle qu’elle a existé jusqu’à ce jour. Ce n’est pas grave, on a le droit.

M. Jacques MYARD : J’ai le sentiment, même si je suis tout à fait d’accord sur ce que vous venez de dire, que vous n’avez pas répondu à ma remarque. Pensez-vous que, jusque dans les années 60, voire même 70, dans ce pays, un enfant catholique venant de son propre chef dans une école laïque, en aube, aurait été accepté par les maîtres ?

M. le Président : C’est une tenue ostentatoire et, de ce fait, c’est le droit coutumier qui se serait appliqué, sans doute en fonction des endroits et des circonstances. Il y avait un principe et l’application était variable suivant que l’on se trouvait dans telle ou telle région.

M. Robert PANDRAUD : Il ne faut pas se voiler la face. Si nous posons le problème, c’est quand même à cause d’un accroissement du nombre d’adeptes de la religion musulmane et à cause de leurs méthodes. C’est vrai de tous les totalitarismes. Au nom des grands principes généraux de notre droit, de la déclaration des droits de l’homme universelle et européenne, il faudrait, selon eux, être totalement laxiste. Mais s’ils devenaient majoritaires, eux, ne seraient pas laxistes. Il faut trouver un équilibre et cela est très difficile. Faut-il donner la liberté aux ennemis de la liberté ? Vieux problème, que l’on a généralement traité, et heureusement, chirurgicalement !

Autre problème, tout à fait différent, je suis assez favorable à l’utilisation de la loi d’orientation, mais il faudra bien deux ans pour que cette loi, compte tenu des difficultés et du calendrier parlementaire, ne vienne en discussion.

M. Luc FERRY : Un an.

M. Robert PANDRAUD : Plus le temps des décrets d’application !

M. Luc FERRY : C’est pour cela que je vous propose une circulaire. La circulaire de François Bayrou a fonctionné.

M. Robert PANDRAUD : De toutes façons, il faudra du temps. Or, ne croyez-vous pas que les proviseurs - et vous avez dit vous-même qu’ils ont beaucoup de difficultés - attendent une loi beaucoup plus rapide, une déclaration d’intention, pour les aider à appliquer les textes actuels ?

Il n’est pas aussi facile que cela de réagir dans certains endroits. Je livre un exemple, dans un autre domaine : nos maires, dans certains secteurs, ont beaucoup de difficultés, lors des mariages, à faire dévoiler les femmes. Comment voulez-vous que l’on marie quelqu’un si l’on n’est pas capable de voir sa tête, et si la personne correspond bien à la photo ? C’est un problème pratique que la plupart des maires ont à résoudre hebdomadairement. On est arrivé à un stade, où l’opinion publique est telle, qu’il faut que nous réagissions rapidement, si nous ne voulons pas favoriser les extrêmes.

Ce que je dis n’est pas une question, mais une position un peu personnelle, que je vous assène. Tous nos interlocuteurs l’ont dit, même parmi les représentants les plus éminents de la communauté musulmane : « vous n’avez que trop tardé cela aurait été plus facile il y a quelques années ».

Il est temps pour nous d’agir.

M. Luc FERRY : Les mots ont peut-être dépassé votre pensée, à moins qu’ils ne la traduisent, je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il faille dire que la religion musulmane est totalitaire. Ne confondons pas la religion musulmane et l’islamisme, il faut un petit taux de précision.

M. Robert PANDRAUD : Je connais l’histoire des religions et comment elle est interprétée. Je sais bien que l’on réécrit l’histoire sans arrêt, mais je constate que, dans les pays musulmans, même si ce n’est pas nécessairement de l’islamisme, ce n’est quand même pas de la démocratie, en général.

M. Luc FERRY : Cela nous entraînerait dans une discussion historico-théologique un peu longue. Mais, par exemple, si l’on traitait de l’Andalousie, on pourrait évoquer une période de huit siècles pendant laquelle ces religions ont coexisté. On pourrait aussi citer des penseurs comme Averroès, grand libéral de la religion musulmane. Ce n’est plus le cas aujourd’hui pour des raisons historiques et politiques. Pour aller très vite, au moment de la décolonisation, on a utilisé la religion musulmane pour réaffirmer une identité arabe ou un nationalisme arabe, qui est devenu l’islamisme, mais la question de savoir si c’est intrinsèquement lié à la religion musulmane ou non, est une question qui, je crois, nous entraînerait trop loin.

Sur le fond de votre propos, et non pas du point de vue théologique, l’exemple d’Aubervilliers montre, s’il en était besoin, que des chefs d’établissement et des professeurs un peu talentueux et courageux - après tout, c’est leur métier - sont capables de prendre une décision dans le cadre de la loi actuelle. Il faut rappeler que les chefs d’établissement sont des représentants de l’Etat. Parmi les tâches qu’ils ont à exercer, il y a celles qui consistent à réunir un conseil de discipline. De même que l’on n’aurait pas l’idée de demander à un juge de ne pas interpréter la loi, on ne peut pas demander à un chef d’établissement et à une équipe enseignante de ne pas tenir compte du contexte. Je suis totalement solidaire de la décision de l’équipe d’Aubervilliers. Je l’ai dit tout de suite en les soutenant quand ils ont exclu ces deux jeunes filles qui, manifestement, troublaient l’ordre public et faisaient de l’agitation. Cela fait partie du métier de chef d’établissement, comme cela fait partie du métier de professeur d’être capable de prendre ces décisions. Ne disons pas que c’est une lâcheté de les laisser faire leur travail. Cela fait intégralement partie de leur travail.

M. Robert PANDRAUD : Quelle est la sanction éventuelle pour ceux qui ne le font pas ? C’est la conséquence de ce que vous dites.

M. Luc FERRY : Quand cela remonte, et c’est précisément le cas des contentieux, j’examine le sujet. Et quand il s’agit de jeunes filles, emmitouflées comme elles l’étaient à Aubervilliers, je demande qu’on les exclue. En revanche, la question se pose autrement quand on a affaire à une petite croix ou un petit bandeau dans les cheveux.

Il ne faut pas exagérer, on va finir par être dans une civilisation où « l’on a le droit de montrer ses fesses partout sur n’importe quelle plage l’été et on n’a pas le droit de mettre un bandeau dans les cheveux », pour citer Paul Ricœur. Il existe aussi un paradoxe. On est dans une situation où chaque soir, à la télévision, on peut voir des « films x » et des viols mis en scène en direct, et où les gamines n’auraient plus le droit de mettre un bandeau dans les cheveux. Il faut le dire !

Entre un bandeau dans les cheveux, une petite croix et des filles qui arrivent emmitouflées avec un quasi tchador et qui font de la propagande politique, les chefs d’établissement et les conseils de discipline ne peuvent-ils pas décider de ce qui est ostentatoire et de ce qui ne l’est pas ? Que l’on ne me dise pas que, dans l’état actuel des choses, on ne peut pas le faire, puisque cela a été fait.

Je termine pour qu’il n’y ait pas de malentendu. Etant donné l’état du débat, politiquement, nous avons besoin de « passer une deuxième couche ». On ne peut pas, après tout ce battage, y compris médiatique, revenir au statu quo ante ; ce serait ridicule.

Nous proposons - et je rejoins les propos de Xavier Darcos, nous l’avons dit dans des termes différents, mais la conclusion est la même - à la fois de rappeler très fermement les principes dans une nouvelle circulaire qui dirait clairement que les signes ostentatoires sont interdits et qu’on n’a pas à discuter du contenu des programmes. Si un élève trouve que le cours de gymnastique ne lui convient pas, il quitte le lycée et va ailleurs. On n’a pas à mettre en cause le cours sur la Shoa, ni le programme de biologie et avoir son opinion sur la reproduction. Si une jeune fille ou un jeune homme n’est pas d’accord avec cela, il ou elle est exclu(e) du lycée. Si l’on porte des signes ostentatoires, que l’on fait du militantisme, du prosélytisme, qu’il soit d’ailleurs religieux ou politique, on est exclu du lycée. Je soutiens les conseils de discipline et je suis prêt à aller sur place.

Par ailleurs, on inscrit le principe dans une loi d’orientation qui rappelle ce qu’est la laïcité aujourd’hui, ce qu’est la République aujourd’hui, et pourquoi l’objectif est de casser les communautarismes à l’école.

Il est clair que, quand un professeur entre dans sa classe, il n’a pas à savoir a priori qui est juif, qui est musulman et qui est catholique. Pour y parvenir, faut-il une loi ? Vous avez le droit de le penser, je ne le conteste pas du tout. Mais, si on le fait, on entrera dans une autre conception de la laïcité. Je préférerais que l’on dispose d’une grande loi, rappelant les principes fondamentaux de la tradition française, assortie d’une circulaire très musclée pour permettre aux chefs d’établissement d’avoir un cap très clair.

M. le Président : Le Conseil d’Etat n’a-t-il pas décidé que, dans le domaine de la laïcité, une circulaire n’avait pas de valeur juridique ?

M. Luc FERRY : Il l’a dit, et ce n’est d’ailleurs pas une décision à proprement parler du Conseil d’Etat, mais un simple rappel qui est parfaitement légitime, puisque c’est le cas. Cela n’empêche pas de faire des circulaires, je veux dire par là de réunir les recteurs, les inspecteurs d’académie et les chefs d’établissement, et de leur indiquer ce qu’est le droit.

M. le Président : Quand il y aura un conflit, le chef d’établissement ne pourra pas utiliser cette circulaire pour justifier sa décision. S’il y a un contentieux devant le Conseil d’Etat, il y aura un défaut de base juridique, puisque la circulaire n’a pas de valeur juridique.

M. Luc FERRY : Si vous regardez l’avis du Conseil d’Etat de près, il y a deux cas de figure.

Quand le trouble à l’ordre public est causé par les jeunes filles elles-mêmes - prenons le cas du foulard, puisque c’est de cela dont on parle pour l’essentiel -, comme c’était le cas à Aubervilliers, le Conseil d’Etat suit la décision du conseil de discipline. Quand, en revanche, le trouble à l’ordre public vient de ce que des professeurs ont décidé, par exemple, qu’un bandeau n’était pas acceptable, le Conseil d’Etat ne suit pas l’avis du conseil de discipline. Le Conseil d’Etat dit très simplement les choses : quand le trouble à l’ordre public vient des élèves, le conseil de discipline a le droit d’exclure ; quand cela vient des professeurs, l’exclusion est plus problématique. Dans ce cas, il examine les circonstances. Mais, encore une fois, cela représente 10 contentieux par an.

L’affaire d’Aubervilliers sera très importante et je serais prêt à dire que, si le Conseil d’Etat devait désavouer le jugement des professeurs d’Aubervilliers, je vous dirais « oui, il faut légiférer ». Si le Conseil d’Etat, comme il doit le faire à mes yeux, mais je ne suis pas conseiller d’Etat, suit l’avis du conseil de discipline dans cette affaire, cela prouvera que le dispositif fonctionne, tel quel.

M. Bruno BOURG-BROC : Même si ce n’est pas sans lien, la vocation de notre mission d’information n’est pas tout à fait de redéfinir la laïcité, mais de savoir ce qu’il est possible de faire en termes de signes religieux, et par extension communautaires et politiques, à mon sens.

Il y a une solution à la fois simple et difficile, proposée par un de nos collègues, membre de la mission, qui est le port d’un uniforme. Personne ne songe à revenir à la blouse grise, mais quel est votre avis sur cette question ?

M. Robert PANDRAUD : Cela fait dix ans qu’Eric Raoult et moi le demandons !

M. Xavier DARCOS : C’est au cours de l’entretien avec la Commission Stasi, qui traitait des mêmes questions de fond que celles que nous traitons aujourd’hui, que ce sujet a été évoqué, pour les raisons que j’ai indiquées précédemment.

Il nous semblait que parmi les manifestations prosélytiques que l’on voyait dans les établissements scolaires, il y avait des tenues extravagantes faisant référence à des valeurs qui ne sont pas celles de l’école ; par exemple, ceux qui arrivaient en rangers. On s’est demandé - comme cela a déjà été fait dans beaucoup d’endroits - que lorsque l’établissement le souhaite, on pourrait imaginer que les jeunes portent des tee-shirts de couleur, par classe, avec un sigle qui rappelle l’école. Cela a été caricaturé et tout le monde a dit, le lendemain, que j’étais favorable aux blouses grises et aux plumes sergent-major ; pas du tout ! J’observe simplement que dans beaucoup de pays, qui sont confrontés aux mêmes difficultés que nous, et en particulier ceux pour qui la fusion des diverses communautés est essentielle - et en France, je pense, en particulier, aux départements d’Outre-mer ou à des pays qui ont refait entièrement leur système éducatif, en particulier le Canada -, cette solution a été choisie et adoptée, et elle fonctionne. A la rentrée prochaine, au Québec, un collège sur deux, de sa propre volonté, a choisi cette solution pour lutter contre un certain nombre de manifestations ostentatoires. Il faut le dire avec prudence, mais c’est une réponse.

M. Claude GOASGUEN : Et la tenue des professeurs ?

M. Xavier DARCOS : Je pense que les professeurs n’arriveront pas dans des tenues extravagantes.

M. Claude GOASGUEN : Allez visiter quelques lycées !

M. Xavier DARCOS : J’avais proposé dans le même propos que les enseignants s’habillent correctement, qu’ils vouvoient leurs élèves ; ce qui a paru tout à fait « ringard » également. La mise à distance entre celui qui enseigne et qui est enseigné reste pourtant nécessaire.

Je reviens au problème du respect de la laïcité.

Dans le problème du voile spécifiquement - oublions une seconde les autres signes religieux ou les autres manifestations de prosélytisme -, ce qui est gênant, c’est ce qu’il y a derrière. Si, depuis 1980, on reparle des signes religieux, c’est bien à cause du voile, ce n’est pas parce que des jeunes filles portent une petite croix autour du cou. Or, derrière l’obligation ou non de ces jeunes filles de porter le voile, on voit bien qu’il y a une conception de la femme, une conception des relations interpersonnelles, une conception de l’éducation qui n’est pas la nôtre. Nous ne pouvons pas faire comme si nous l’ignorions. J’entends même dire, par ceux qui font des analyses un peu sophistiquées de tous ces phénomènes, que d’une manière de plus en plus agressive apparaissent des jeunes filles voilées dans les établissements scolaires. Autant, je suis tout à fait d’accord avec Luc Ferry sur le fait qu’il ne faut pas sortir des valeurs laïques de la République française, autant il faut bien accepter que, dans une certaine mesure, une sorte de guerre est faite à la laïcité.

M. Luc FERRY : Je veux bien que l’on sorte de la conception traditionnelle. Mais dans ce cas, j’ai précisé qu’il fallait le dire clairement.

M. Xavier DARCOS : Une certaine forme de guerre est faite à la laïcité de manière tout à fait visible, de manière ostentatoire. Si nous avons des armes faibles, si nous atermoyons et si nous renvoyons la responsabilité aux chefs d’établissement, nous ne combattrons peut-être pas efficacement - avec la même fermeté de principe en tout cas - ceux qui sont peut-être derrière ces jeunes filles et qui les poussent à venir voilées dans les établissements scolaires.

M. Pierre-André PERISSOL : J’ai écouté avec beaucoup d’attention les propos de M. Luc Ferry sur le recours à une nouvelle circulaire, pour rappeler clairement qu’on n’a pas le droit de choisir les cours que l’on veut bien écouter, que l’on ne peut pas choisir son examinateur ou venir les jours où l’on veut. Nous avons posé ces questions à ceux qui ont été auditionnés. Derrière le voile qui est le premier plan de lutte, il y a, évidemment, les autres problèmes. Un certain nombre de représentants estimaient que le voile devrait être accepté. On leur demandait ce qu’ils diraient à une jeune fille, dont la conscience lui interdit d’aller dans la piscine avec des garçons. Ils répondaient que, selon eux, la piscine devrait être optionnelle.

Les chefs d’établissement, les enseignants nous demandent de légiférer, parce que le droit n’est pas très clair et que leurs décisions ne reposent pas forcément sur des bases solides. Quand on leur a rappelé que ces bases solides existent pour l’assiduité aux cours, la présence à tous les cours, etc., ils nous ont répondu qu’ils ne peuvent pas agir car, concrètement, il suffit d’un médecin pour délivrer un certificat de complaisance, et qu’ils n’ont pas les moyens de faire vérifier la validité du certificat. Pour une jeune fille ou un jeune homme qui ne veut pas venir le vendredi, il suffit d’une attestation de sa famille disant qu’un événement familial retient ce jeune chez lui. Ils nous disent qu’ils ne peuvent pas le contester.

Certes, ils ont le droit avec eux, mais ils n’ont pas les moyens de le faire respecter parce que les procédures peuvent être totalement détournées par tel médecin ou telle famille. Par ailleurs, les procédures que leur impose l’Education nationale sont tellement lourdes qu’en fait ils ont énormément de mal à faire appliquer une loi ou un règlement, même lorsqu’il est clair.

C’est un des points sur lequel la mission pourrait insister : que comptez-vous faire pour que, sur le terrain, ceux qui ont à appliquer le droit puissent le faire avec efficacité ? Sachant que s’ils n’ont pas la capacité de le faire quand le droit est clair, vous imaginez ce qu’il en est lorsque le droit n’est pas clair !

Sauf à ce que la circulaire change les règlements, il n’apparaît pas qu’une réaffirmation de ce qu’est le droit solutionne les choses. Ils pensent vraiment qu’il faut fabriquer de nouvelles procédures et ils ne se sentent pas directement soutenus, du moins sur le plan pratique, pas sur le plan des principes.

M. Luc FERRY : Un argument a fortiori, mais le fait de faire une loi sur les signes religieux ne changera rien aux problèmes que vous évoquez.

M. Pierre-André PERISSOL : Bien entendu, c’est pour que cela change en aval.

M. Luc FERRY : Vous évoquez un problème beaucoup plus vaste que le débat sur la question des signes religieux ostentatoires ou simplement visibles, c’est tout simplement le problème de l’autorité et du contournement de la loi.

J’écoutais Xavier Darcos tout à l’heure sur l’uniforme avec intérêt et en même temps, avec un amusement un peu triste, car la vérité est que nous manquons cruellement d’autorité. Ce que vous rappelez l’indique parmi tant d’autres choses. La question que nous aurons à résoudre, et je ne suis pas sûr que ce soit uniquement une question de circulaire ou de loi, c’est fondamentalement la question de la crise de l’autorité.

Pardon, je vais dire quelque chose d’horrible, mais c’est la vérité. Lorsque j’ai traversé avec le Président de la République la cour du lycée de Dammarie-les-Lys - je vais dire des grossièretés, mais c’est ce que j’ai entendu -, malgré la présence du Président de la République, du député, du préfet en uniforme, du ministre, des professeurs, du proviseur et avec le professeur d’histoire qui avait invité toutes ces autorités, j’ai entendu, à moins de deux mètres : « Enc..., sale p... ». C’est cela que ce professeur vit toute la journée. Le problème est là !

Que peut-on obtenir en terme d’obéissance au règlement quand on vit dans une telle atmosphère ? C’est la vérité de ce que l’on vit dans certains établissements et la réalité de ce que nous avons à combattre. C’est une toute autre dimension du problème liée à la crise de l’autorité et à la nécessité de rétablir cette autorité dans les établissements. Je serais prêt aussi à en parler, car c’est un vrai sujet. C’est probablement la question que vous posez : « ce qu’il y a derrière ».

Sur le problème du contournement de la loi, c’est comme si vous me disiez que l’on contourne la loi sur la limitation de vitesse ou toute autre loi. C’est le même type de problème et ce n’est pas spécifique.

M. Pierre-André PERISSOL : Je voudrais juste vous poser ce contre-exemple. Dans une entreprise, si quelqu’un se fait « porter pâle » en excipant des certificats médicaux de complaisance, le chef d’entreprise peut immédiatement demander une contre-expertise. Cela ne pose aucun problème. Peut-être y a-t-il une crise de l’autorité dans la société, en tout cas, dans ce contre-exemple, les moyens de faire respecter la loi existent.

Les chefs d’établissement nous disaient - et vous ne partagez peut-être pas leur avis - que même sur un point où le droit était clair, ils n’avaient pas le sentiment d’avoir les moyens de le faire respecter. Effectivement, ce n’est pas le sujet dont on débat, mais c’est directement lié à ce sujet, car il ne sert à rien de légiférer si, en aval, on ne se donne pas les moyens de faire respecter la loi. Commençons déjà par faire respecter la loi actuelle, celle qui existe aujourd’hui.

M. Claude GOASGUEN : Avez-vous le sentiment que cette affaire, qui concerne le voile islamique, est, à l’origine, provoquée par le voile islamique ou davantage par un déclin général de l’autorité au sein des établissements ? - et cela rejoint d’ailleurs la réponse que vient de faire M. le ministre. Si oui, je ne vois pas comment l’on pourrait traiter le déclin de l’autorité au sein des établissements de façon différente, selon qu’il s’agit du voile islamique ou d’autres difficultés. Je ne vois pas en quoi le voile islamique serait redevable de la loi et le fait d’insulter un professeur ou de lui taper dessus serait simplement redevable du conseil de discipline, c’est-à-dire du règlement.

Les conséquences sont importantes. Si l’on fait une loi sur le voile, je souhaite qu’elle porte également sur le problème de l’autorité à l’école en général ; ce qui d’ailleurs ne serait pas forcément inutile.

Pourquoi légiférer sur le voile islamique à l’école seulement ? Quelle est la différence entre la neutralité du service public à l’école ou ailleurs ? Cela voudrait dire que le voile islamique à l’école ferait l’objet d’une loi, mais qu’en revanche, le port du voile islamique par les infirmières dans les hôpitaux publics relèverait simplement du domaine réglementaire, de même que le port du voile par une employée de gare ? Si nous appliquons une loi sur le voile islamique dans le cadre de l’école, il est clair qu’il faut appliquer les mêmes lois dans l’ensemble des services publics. Il ne peut pas y avoir deux poids et deux mesures.

Troisième élément, je voudrais vous montrer à quel point la loi dans ce domaine ne règle rien. Vous partez du postulat que la loi va tout d’un coup régler les problèmes. Mais si la loi n’est pas appliquée ? Très franchement, dans le cadre actuel du système éducatif, est-on en mesure de faire appliquer la loi ? Le texte de la loi prévoira des sanctions, mais à l’égard de qui ? Je suppose que l’on ne va pas nous proposer un texte déclaratif d’intention. Ce genre de texte, en matière législative, a toujours fait sourire. Une loi, pour qu’elle soit effective, doit être sanctionnée.

Sur qui pèsera la sanction ? Sur l’élève ? Mais il est mineur. Je vous signale que, si loi il y a, la réglementation pénale doit s’appliquer à celui qui le représente, c’est-à-dire sur les parents.

Que se passera-t-il si le chef d’établissement n’applique pas la loi ? Si dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d’Etat, il estime que l’ostentation n’est pas évidente et s’il n’a pas envie, non plus, d’être frappé par la famille de celle qui porte le voile ? S’il y a loi, la sanction pèsera sur le proviseur. Or si celui-ci a la « lâcheté » bien compréhensible de ne pas appliquer la loi pour éviter de se faire « casser la figure », il sera sanctionné.

Avez-vous bien réfléchi à la portée des sanctions qu’il faut évidemment prévoir si l’on veut que la loi soit appliquée ?

Si nous réglons le problème du voile dans le cadre global d’un code de discipline au sein de l’école, je suis favorable à la loi car, dans ce cas, c’est un cadre général. De la même manière, nous pouvons régler le problème du voile par référence à la règle fondamentale de la neutralité du service public et, par conséquent, en globalisant le problème.

Mais, si nous nous focalisons sur le problème du voile à l’école, les conséquences vont être terribles, d’abord parce que ceux qui constituent les provocateurs - car il s’agit d’une provocation organisée depuis plusieurs années - vont avoir beau jeu de dire : « Voyez, on ne veut pas de vous » ; une querelle sur la laïcité redémarrera qui nous entraînera très loin. Plus grave, la loi ne sera pas mieux appliquée que ne l’est le droit actuellement. Comment allez-vous traduire la réalité dans les mots ? Qu’est-ce qu’un voile ? Est-ce le voile qui couvre la tête ou celui qui cache le visage ? Vous serez obligés de faire référence au caractère ostentatoire dans la loi elle-même, c’est-à-dire que vous transformerez l’avis du Conseil d’Etat en texte législatif. Quelle sera alors la différence ? Si l’on n’applique pas une jurisprudence ou une réglementation parce qu’elle n’est pas claire, on a au moins le motif de dire que ce n’est pas clair, mais quand il s’agit de la loi et qu’on ne l’applique pas, imaginez-vous le désaveu que cela implique ?

M. Jean-Pierre BLAZY : M. Ferry nous a dit qu’il n’y avait que 10 contentieux par an et une centaine de médiations. Les auditions, et notamment celles de chefs d’établissement et d’enseignants, nous ont montré des situations que l’on ne peut plus accepter et qui montrent que le dispositif actuel, issu du Conseil d’Etat, fonctionne mal. Nous sommes tous d’accord pour le dire.

Il n’est pas normal que, dans deux établissements, géographiquement proches l’un de l’autre, le problème soit réglé, dans le premier, au prix d’un compromis selon lequel les élèves voilées arrivent à la porte de l’établissement, traversent une sorte de parking, se dévoilent et entrent dans l’établissement, de sorte qu’il n’y a plus de voile dans cet établissement et que dans l’établissement situé à quelques kilomètres, on accepte exactement 58 voiles. J’ajoute qu’évidemment, dans ce dernier cas, la situation n’est pas remontée jusqu’au ministère.

Peut-on continuer à régler les questions au cas par cas ? Les enseignants et les chefs d’établissement nous ont dit qu’ils avaient l’impression d’être abandonnés. Les recteurs et les inspecteurs d’académie nous demandent de ne pas faire trop de vagues. Ils se débrouillent, mal et cela prend beaucoup de temps. Ils demandent à ne pas être abandonnés et que les politiques clarifient la situation. C’est le message fort que nous avons entendu.

Je ne sais pas si le fait d’interdire les signes visibles marquerait une nouvelle conception de la laïcité. Comme vous l’avez dit, on peut en débattre. Mais je suis aussi un peu interpellé par ce que vous venez d’indiquer. Je pense à l’évidence qu’il faut clarifier la situation et je crois qu’un dispositif législatif m’apparaît nécessaire. Evidemment, cela posera des problèmes, notamment celui de l’application. Mais si l’on ne donne pas un signe fort, comment pourra-t-on se sortir de cette question difficile ? Une loi est nécessaire mais, en même temps, pas suffisante et, je le dis très fort, il ne faut pas stigmatiser une religion.

Le problème du voile n’est pas uniquement une question religieuse d’ailleurs, et nous sommes tous d’accord pour le dire. Il ne faut pas stigmatiser une religion et il faut prévoir des actions d’accompagnement. Vous les avez évoquées, nous en parlons nous aussi.

Pour les enseignants avec lesquels nous discutons, et j’en étais un il n’y a pas encore si longtemps, la situation ne peut plus durer et je ne crois pas qu’une circulaire, même musclée, serait suffisante. Je n’ai pas le sentiment non plus qu’une loi réglera à coup sûr les problèmes ; nous avons tous beaucoup de doutes, mais en même temps, la loi, la force de la loi, est un signe qu’il faut donner assurément. C’est ma conviction intime.

M. Xavier DARCOS : Ce que vous dites rejoint le préambule de Luc Ferry. Nous sommes assez d’accord sur le fait que la loi est un bien, mais il faut surtout qu’elle puisse s’appliquer.

Par ailleurs, je trouve très intéressant l’évolution de la discussion, et je voulais le signaler. Je crois, en effet, que le problème des signes religieux, et toutes les questions évoquées aujourd’hui, renvoient, en fait, à une réflexion sur l’autorité dans la chose scolaire et sur la façon de faire appliquer cette autorité.

J’ajoute que, pour ce qui est du service public, puisque Claude Goasguen l’a évoqué, nous avons toujours pensé, en effet, que tous ceux qui exercent l’autorité dans le cadre du service public, doivent être concernés par un même dispositif. Il n’y a aucune raison qu’il en soit différemment.

Enfin, il ne faut pas hésiter à légiférer au motif qu’on craindrait que la loi ne soit pas appliquée. Faisons la loi et l’on fera tout, ensuite, pour qu’elle soit appliquée, car nous aurons de bons recteurs et de bons inspecteurs généraux pour la faire appliquer.

(Départ de M. Xavier DARCOS)

(M. Eric RAOULT remplace M. Jean-Louis DEBRÉ à la présidence.).

M. Jean GLAVANY : Puisque les travaux de la mission vont bientôt s’achever, je voudrais faire part d’un témoignage personnel. Tout au long de la mission, j’ai dit mon extrême réserve sur la nécessité d’une loi sur le sujet, et je reste convaincu de cela, pour des raisons qui ont été déjà largement débattues ici.

En même temps, je me rallie volontiers à l’idée qu’il faut une disposition législative, ne serait-ce que pour clore ce débat qui me paraît complètement abscons. Au moins, une loi permettra de passer aux choses sérieuses. Je ne dis pas que ce que nous avons fait n’était pas sérieux, c’était très passionnant. Mais on voit bien, qu’une fois la loi votée, tous les problèmes resteront devant nous. Je crois à la force de la loi, mais je ne crois pas à la force « miraculeuse » de la loi.

On se sera fait plaisir. Il n’est pas inintéressant de faire plaisir, y compris à des parlementaires ou au Président de l’Assemblée nationale - je ne dis pas cela d’une manière ironique - qui veulent affirmer des principes républicains par un acte d’autorité. En même temps, je me dis que tout restera à faire.

Si l’on vote cette loi et si l’on continue à ne pas enseigner la laïcité dans les écoles, cela ne changera pas la réaction de la communauté éducative. Si l’on n’enseigne pas la laïcité dans les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), comment voulez-vous que les maîtres soient préparés à réagir à des situations extrêmement compliquées ? Si l’on ne donne pas à ces équipes pédagogiques les documents opérationnels, comment feront-ils ? Je pense à cette note de la direction juridique du ministère de l’éducation nationale datant de mars 2003, que nous avons eue grâce au pouvoir d’investigation du Parlement, mais que les chefs d’établissement n’ont pas tous reçue. De ce fait, ils prennent des décisions, qui sont attaquées, car elles sont mal fondées, alors que, s’ils avaient cette note, leurs décisions seraient juridiquement inattaquables devant les tribunaux administratifs et devant le Conseil d’Etat.

Au-delà de ce dispositif d’envergure pour l’Education nationale - enseignement de la laïcité, y compris dans les IUFM, guide opérationnel pour ces équipes confrontées à des situations extrêmement difficiles -, je pense qu’il n’y a pas qu’une crise d’autorité. La crise d’autorité est au cœur d’une autre crise, celle de la citoyenneté, qui va bien au-delà. Si des certificats médicaux sont faits à outrance, ce n’est pas seulement à cause d’un déficit d’autorité mais aussi d’un déficit de citoyenneté. On n’enseigne plus les droits et les devoirs attachés à la citoyenneté républicaine. Les certificats médicaux sont l’expression de cette dilution de la responsabilité. On le voit dans l’Education nationale pour la dispense de tel ou tel cours. On le voit en Corse quand des jurés sont requis ; récemment, dans un jury d’assises, sur 18 jurés requis, il y a eu 17 certificats médicaux de dispense. C’est la dilution des responsabilités, signe d’une crise de la citoyenneté. On pourra faire toutes les lois que l’on voudra, s’il n’y a pas une réponse et une mobilisation citoyennes, cela ne servira à rien.

Est-ce que vous, ministre de l’éducation nationale, êtes disposé à ce que votre administration prenne le taureau par les cornes et donne des moyens à ces équipes éducatives, à ces équipes pédagogiques, et aussi à ces chefs d’établissement lesquels - vous l’avez dit et je vous rejoins totalement -, doivent aussi assumer leurs responsabilités, puisqu’ils les assument dans d’autres circonstances, y compris lorsqu’il s’agit d’exclure un jeune pour des raisons de discipline ou de le transférer devant le conseil de discipline ?

Il faut une reprise en main citoyenne permettant que ce sujet soit réglé sur le fond dans les années à venir et non pas un coup de baguette magique, fusse-ce par une loi, que je voterai d’ailleurs des deux mains, pour faire plaisir à tous ceux qui la souhaitent.

M. Luc FERRY : S’agissant de la note rédigée par M. Girardot, j’ai décidé moi-même, il y a déjà pas mal de temps, de l’envoyer à tous les recteurs, à tous les inspecteurs d’académie, à tous les chefs d’établissement. Donc, ils l’ont eue. J’ai trouvé qu’elle était très bonne, qu’elle était remarquable, très bien faite.

Je prépare pour janvier 2004 un livret républicain qui comportera un guide pratique en direction des chefs d’établissement leur donnant une centaine de fiches sur des cas réels d’événements graves relatifs à des conflits religieux ou interethniques, racistes, antisémitismes ou à des attaques contre les principes de laïcité et de république. Ce guide donne un certain nombre de conseils et de solutions, notamment les bonnes solutions trouvées par leurs collègues. Il s’agit donc de faire une bourse aux idées.

Je livrerai également très bientôt une anthologie de textes sur la République, sur la laïcité, qui sont des textes juridiques, philosophiques mais surtout littéraires. Il est important que les élèves puissent travailler sur la base de textes un peu « charnels », et pas uniquement à partir de principes juridiques, même s’il faut aussi rappeler les principes et ils le seront. Bien sûr, la note de M. Girardot figurera dans ce recueil.

Je mettrai tout cela sur le site du ministère pendant un mois pour que les professeurs, les chefs d’établissement puissent s’en saisir, critiquer, amender et faire des propositions intéressantes. Je pense que c’est la bonne façon de procéder, même si cela n’est pas suffisant et je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit Jean Glavany sur le fait que l’on ne peut pas se borner à la loi, d’autant - et on le voit bien après ce que vous avez dit, M. Blazy - que le problème n’est pas de savoir s’il faut ou non une loi, mais de savoir quelle loi.

Encore une fois, je vous ai donné les trois hypothèses d’évolution et je pense qu’il n’y en a pas d’autres. Je n’ai pas dit que mon choix était nécessairement le meilleur. J’attends que la Commission Stasi nous donne ses recommandations, ne serait-ce que par correction vis-à-vis d’elle.

Je voudrais ajouter une chose, si vous le permettez. Et c’est le fond du problème car, encore une fois, on n’a que 10 contentieux et 100 médiations par an.

M. Jacques MYARD : C’est le bout émergé de l’iceberg.

M. Luc FERRY : Vous dites cela, car vous voulez une loi qui interdise.

10 contentieux et 100 médiations par an : c’est factuel. M. Girardot, directeur des services juridiques, peut en témoigner... Je ne pense pas qu’une loi d’interdiction nous donnera moins de problèmes juridiques et moins de contentieux. Mais vous avez parfaitement le droit de penser le contraire. Le problème est de savoir pourquoi c’est devenu un débat national cette année, alors que nous n’avons pas plus de difficultés que les années passées. Il n’y a pas plus de foulards. Que s’est-il passé ?

Il faut bien voir une chose, et c’est le fond du problème pour moi : l’idée républicaine à la française - et je rappelais précédemment que le principe de la laïcité est fondamentalement anti-communautariste, là-dessus, nous sommes tous d’accord, même si l’on peut diverger sur les moyens d’y parvenir - a été attaquée de toutes parts. Elle a été attaquée par les dispositifs sur la parité hommes/femmes, qui sont éminemment démocratiques mais aussi éminemment anti-républicains car c’est une politique de quotas. Ils ont été attaqués par des idées nouvelles comme le droit des minorités, par des politiques de discrimination positive qui ne sont pas en accord avec l’idée républicaine, par le droit à la différence et par un certain nombre de problématiques nouvelles, qui sont directement importées des Etats-Unis et qui nous faisaient « rire » il y a 20 ans. Il y a 20 ans, on riait de l’interdiction de fumer, de la ceinture de sécurité, du féminisme américain et de la discrimination positive. Tout cela est chez nous aujourd’hui et sacralisé, à droite comme à gauche.

M. Jacques MYARD : Pas par nous.

M. Luc FERRY : Cette idée républicaine est en crise, voilà pourquoi je veux mettre en place un livret républicain, rappeler les principes de la laïcité de la République et lutter contre les communautarismes.

Que s’est-il passé dans le même temps ? Nous avons vu monter un islamisme radical et se durcir les communautés musulmanes en France. La conjonction de ces deux phénomènes fait que l’on est dans une situation effectivement explosive. La réponse par une loi qui interdit tous les signes visibles est-elle la bonne réponse ? Sur ce débat, il faut accepter que l’on puisse se tromper. Si le débat était simple, il serait réglé depuis 10 ans. Acceptons de changer d’avis, de réfléchir. Ce n’est pas anormal et il n’y a pas de honte à prendre en compte les arguments des autres et à essayer de réfléchir sur le sujet. Encore une fois, s’il était simple, ce serait réglé.

Je peux donc me tromper mais j’ai la conviction que dans l’Education nationale, d’une manière générale, il est plus facile de régler les problèmes au niveau local qu’au niveau national. Plus vous agissez au niveau national, plus vous avez des ennuis.

Au niveau local, comme cela a été le cas dans l’affaire d’Aubervilliers, on peut prendre des décisions fermes dans le cadre actuel. Encore une fois, je pense qu’il est politiquement nécessaire d’intervenir mais dans le sens de ce qui existe déjà. C’est du moins ce que je souhaiterais, même si l’on est plus ferme et plus clair, si l’on rappelle le cap, si on explique aux chefs d’établissement un certain nombre de choses qu’ils ont besoin d’entendre et qu’ils demandent. Ma conviction est que tout ce qui est difficile au niveau national peut être réglé au niveau local.

Mais il faudrait, pour éviter des disparités trop grandes, continuer à faire ce que je vais faire pour le guide pratique, c’est-à-dire avoir une sorte de jurisprudence des décisions rendues par les conseils de discipline.

Dans le cadre actuel, je le répète, un chef d’établissement courageux et intelligent peut exclure des jeunes filles qui portent un voile ostentatoire, ou même des élèves qui font de la politique militante dans les établissements. C’est parfaitement faisable et cela se fait.

Je rejoins ce qui a été dit précédemment, c’est le métier des chefs d’établissement. Ils sont des représentants de l’Etat. N’ôtons pas à tout le monde la peine de penser et d’être responsable !

M. Claude GOASGUEN : Si nous sommes obligés de passer par une loi, ce que personnellement, je ne trouve pas être la meilleure solution, ne serait-il pas plus utile, pour l’ensemble de la communauté scolaire, de réaffirmer dans la loi les notions de comportement citoyen et d’autorité au sein de l’école publique, et d’ajouter alors le problème des signes ostentatoires ? Car vous serez obligés de vous référer au critère d’ostentation.

En tout cas, je souhaite, si loi il y a, qu’on élargisse la mesure au problème de l’autorité et de la citoyenneté au sein des établissements publics, et que l’on ne mette pas le voile islamique en exergue, car cela produirait plus d’inconvénients que d’avantages pour l’ensemble de la communauté scolaire.

M. Yvan LACHAUD : Ce matin, lorsque nous avons discuté entre nous, nous n’étions que trois à ne pas être favorables à une loi dans ce sens, et cela a été bien repris par le Président, lorsqu’il a parlé d’une « très grande majorité » en faveur de la loi.

Pour avoir dirigé pendant 15 ans un établissement privé sous contrat, je crois qu’une loi ne réglera rien. D’abord, les cas, comme Mme Hanifa Chérifi nous l’a rappelé, sont peu nombreux par rapport à la communauté nationale. M. le ministre faisait état de 10 contentieux, on nous a parlé 200 ou 300 voiles répertoriés... Par ailleurs, je ne sais pas comment l’interdiction pourra s’appliquer dans l’enseignement privé sous contrat. Je disais ce matin au Président Debré que, par rapport à la loi de 1959, loi Debré, on allait réanimer une guerre scolaire si la mesure était appliquée aux établissements privés sous contrat.

M. Jean GLAVANY : Ce serait un comble !

M. Yvan LACHAUD : C’est faire fi de vingt siècles d’histoire. Interdire le « port visible de tout signe d’appartenance religieuse », cela signifie que l’on va interdire le port d’une petite croix. Ce serait un comble, dans notre société judéo-chrétienne ! L’histoire montre que lorsqu’un homme a révoqué l’Edit de Nantes, cent ans après, il y avait la guerre. Il s’agit de sujets extrêmement délicats.

Je ne suis pas favorable au port du voile à l’école, mais je ne pense pas qu’une loi règlera ce problème. Des circulaires existent, peut-être faut-il ouvrir un débat avec le Conseil d’Etat, qui a émis un avis qui n’est pas tout à fait satisfaisant, c’est vrai, mais il existe certainement des ouvertures dans ce domaine.

M. Luc FERRY : Claude Goasguen a dit beaucoup de choses, qui me paraissent extrêmement sensées. Nous voyons bien que nous sommes en désaccord mais on peut être en désaccord avec son propre frère ou sa propre famille sur un tel sujet. C’est vraiment comme l’affaire Dreyfus !

Je crois qu’une sortie par le haut, acceptable par tous, est la loi d’orientation. En attendant, comme cette loi est prévue à moyen terme et puisqu’il faut aller plus vite, je vous propose un certain nombre de mesures très rapides, très actives et très claires rappelant ce qui est vraiment interdit, ce qui n’est pas acceptable.

C’est relativement facile à faire, mais la loi d’orientation reste le bon point de chute, me semble-t-il, pour rappeler globalement - pas simplement en se fixant sur le foulard - les valeurs de la laïcité, de la République et la nécessité de lutter contre les communautarismes. En tout cas, c’est la proposition que je fais en l’état actuel des choses, et en attendant les conclusions de la Commission Stasi, prévues d’ici la fin de l’année.

M. Eric RAOULT, Président : Merci, M. le ministre, de vos réponses. Votre présence a animé le débat ! L’apaisement viendra sûrement, et je le dis à l’égard de l’ensemble de nos collègues, nous n’arrêtons pas aujourd’hui une décision. Il y a encore l’audition du ministre de l’intérieur et nous aurons l’occasion de nous revoir.

Le souhait du Président Debré, comme il l’avait souligné auprès des membres de la mission, est que nous attendions la mi-décembre pour parvenir au rapport final, qui comprendra sûrement beaucoup plus de pages que la note reprenant les conclusions de la mission, conclusions qui, en fait, ne sont pas encore définitivement « conclusives ».


Source : Assemblée nationale française