(procès-verbal de la séance du jeudi 28 novembre 2002)

Le président Pascal CLÉMENT : En tant qu’avocat, seriez-vous favorable à l’instauration d’une class action à la française permettant de mettre en cause, le cas échéant, la responsabilité des administrateurs ? Comment favoriser la responsabilité civile des dirigeants et lutter du même coup contre l’excessive pénalisation du droit des affaires ? Quelles évolutions du droit des sociétés faudrait-il encourager ou bien, au contraire, décourager ? Quel bilan tirez-vous des dispositions adoptées dans le cadre de la loi nre ? Faut-il étendre les règles applicables aux sociétés cotées aux sociétés non cotées ? Comment traiter dans notre droit le problème de la société patrimoniale ? Trouvez-vous satisfaisant le système français actuel de redressement des entreprises en difficulté, nombreux étant ceux qui le jugent inefficace et trop favorable aux salariés ?

M. Gil GASCON : S’agissant de la loi nre, nous commençons à avoir une petite expérience de son application sur le terrain. Nous nous trouvons confrontés à certaines difficultés qui portent, notamment, sur la notion de conventions courantes conclues à des conditions normales, qui deviennent le pensum de tous les avocats, conseils et commissaires aux comptes - il me paraîtrait important de définir ces règles de manière plus claire. La deuxième difficulté porte sur le fait que l’on a introduit une confusion entre l’actionnariat simple et l’actionnariat salarié : le texte prévoit que, lorsque les salariés disposent de plus de 3 % du capital social, le conseil d’administration est tenu de leur réserver un poste en son sein. Dans les petites entreprises, on réserve souvent des postes du conseil à des membres de famille ou des membres extérieurs qui apportent leur compétence. Le fait de réserver un certain nombre de sièges en faveur des salariés actionnaires conduit à une certaine discrimination entre les différents actionnaires.

De manière générale, s’agissant de l’application de la loi sur les sociétés commerciales, il serait judicieux de permettre aux dirigeants de sarl et de sas de choisir leur régime social. Certains, pour ne pas être pénalisés, adoptent telle forme sociale, alors que la société devrait appliquer une forme plus adaptée. D’autres transforment leur société pour bénéficier d’un régime social plus favorable : c’est l’exemple du gérant, qui devrait choisir la sarl, mais qui préfère que la société soit directement transformée en sa pour bénéficier d’un régime fiscal et social plus favorable. Normalement, le choix de la forme sociale doit se faire en fonction de l’activité de la société. Aujourd’hui, les avocats jonglent avec les chefs d’entreprise pour savoir quel est le régime social le plus adapté à leur situation personnelle.

La sas a décongestionné le droit des sociétés, parce que le pacte social est plus finement écrit et appréhendé. Pour autant, je ne la préconise pas à chaque fois. Parfois, la sa, avec ses impératifs de communication de documents et de convocation formelle, est adaptée à des sociétés dans lesquelles les gens ont parfaitement intégré des modes de fonctionnement. Transformer ces sociétés en sas ne leur apporterait rien de plus. La loi a eu l’avantage de mettre la question de la publicité de la rémunération sur la place : certains chefs d’entreprise n’ont pas toléré cette publicité et n’ont pas accepté que les actionnaires puissent leur demander des comptes sur les conventions conclues dans des conditions normales. D’autres y ont vu un avantage à l’égard de leurs salariés. Le fonctionnement de la sa est trop contraignant pour certains : convocations, tenue d’un conseil d’administration avant l’assemblée générale. Il faut assouplir les règles ou les adapter au fonctionnement de la société. Nous disposons désormais de trois véhicules bien adaptés, qui correspondent tout trois aux cultures spécifiques des chefs d’entreprise et à des degrés particuliers de développement de l’entreprise. Dire que la sa est la seule adaptée aux sociétés cotées et non aux petites et moyennes entreprises est faux. La sas relève du cousu main et peut être adaptée en permanence de manière souple. La sa est plus rigide, mais peut être acceptée.

Le président Pascal CLÉMENT : Les barrières entre sociétés cotées et sociétés et non cotées doivent-elles être infranchissables ?

M. Gil GASCON : Le formalisme applicable aux sociétés cotées ne s’avère pas du tout adapté à certaines sociétés non cotées. Le traitement de l’information n’est pas géré par les mêmes acteurs. De nombreuses pme n’ont pas de service administratif structuré. Leur imposer les règles des sociétés cotées serait vécu comme une charge beaucoup trop importante. Avant d’entrer en bourse, pendant un an, un chef d’entreprise doit former ses collaborateurs à ce qu’est le traitement d’information d’une société cotée en bourse. C’est possible lorsque l’entreprise est florissante. Dans de nombreuses structures, le coût économique d’une telle formation est insoutenable. La loi nre, d’ores et déjà, a marqué un pas réel dans le rapprochement des deux types de sociétés. Il a été demandé aux chefs d’être plus transparents, aux commissaires aux comptes de faire preuve de plus de vigilance. Alourdir les procédures et augmenter les exigences de transparence n’est pas toujours opportun dans les pme.

Je n’ai pas de solution face à la pénalisation excessive de la responsabilité des chefs d’entreprise. Il est aujourd’hui victime d’une certaine « paranoïa ». L’action ut singuli constitue une forme de class action. Si l’intérêt de la société est en danger, l’actionnaire peut d’ores et déjà saisir la justice. Mais, je n’ai pas d’éclairage précis sur cette question.

La procédure de redressement doit être rendue plus publique : toute personne devrait pouvoir consulter le plan de redressement. Aujourd’hui, cela se fait au greffe des tribunaux de commerce. La procédure doit être plus simple. Un dossier doit pouvoir être consulté librement à tout moment. Par ailleurs, il faut accélérer certaines formalités. Ainsi, devrait-on obtenir un récépissé de demande d’immatriculation plus rapidement.


Source : Assemblée nationale française