(procès-verbal de la séance du 8 octobre 2003)

Le président Pascal CLÉMENT : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d’axa. Monsieur le président, mes chers collègues, mesdames et messieurs les journalistes, vous vous souvenez que la commission des Lois a créé, voilà plus d’un an, une mission d’information sur le droit des sociétés, qui s’est donné pour mission d’examiner, dans un premier temps, la question de la gouvernance, avant de se tourner ensuite vers le droit des entreprises en difficulté et le droit pénal des affaires.

Après avoir auditionné un certain nombre de chefs d’entreprises et de responsables sur la question globale de la gouvernance, nous avons décidé, notamment sur la suggestion de MM. Alain Marsaud et Michel Voisin, de consacrer une partie de nos travaux au problème des rémunérations des dirigeants d’entreprises cotées. Le but de cette étude est, non pas de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas, mais d’être constructifs. Il convient, tout d’abord, de rappeler que l’économie de marché est fondée sur la confiance ; or incontestablement, en France comme aux États-Unis, certains événements ont entraîné une perte de confiance dans l’économie de marché. En outre, le manque de transparence, la difficile compréhension que l’on peut avoir des rémunérations d’un chef d’entreprise nous ont incités à approfondir ce sujet.

Ce n’est pas un hasard si M. Claude Bébéar est notre invité aujourd’hui : d’abord, parce qu’il occupe, dans le monde des affaires, une place à part, et ensuite, parce que la réussite d’axa lui confère plus d’un titre pour témoigner. Par ailleurs, il vient de publier un livre intitulé Ils vont tuer le capitalisme, qui fait un certain nombre de recommandations et contient des développements intéressants concernant, notamment, les agences de notation, les analystes et les rémunérations.

Nous souhaiterions que vous nous expliquiez quelles sont, à vos yeux, les origines de l’emballement qui a saisi le monde des affaires et qui permettent à certains chefs d’entreprise de recevoir des rémunérations totalement déconnectées des résultats de l’entreprise. En effet, au-delà des défaillances des hommes, ce qui nous intéresse, c’est aussi la défaillance du système. Cet emballement est-il une surchauffe temporaire ? Pour le dire autrement, les yeux des responsables du cac 40 étaient-ils trop fixés sur les États-Unis ? Nous sommes-nous pris pour des Américains ? Ou bien le problème est-il plus structurel, lié à un mauvais fonctionnement du conseil d’administration ? Les comités de rémunérations ne sont-ils pas un faux nez de la bonne gouvernance et servent-ils vraiment à quelque chose ? Cette dérive du capitalisme n’est-elle pas aussi la conséquence de la financiarisation exagérée de notre économie ?

Pour l’avenir, nous aimerions savoir quelles solutions vous préconisez, selon quelles méthodes : autodiscipline, réglementation, par le législateur ou par l’autorité de régulation des marchés ? Car, au-delà de la question, limitée, des rémunérations, nous souhaitons identifier les pistes permettant d’améliorer la gouvernance des entreprises, et notamment des sociétés cotées, seules concernées par l’obligation légale de publier la rémunération de leurs dirigeants.

M. Claude BÉBÉAR : Monsieur le président, messieurs les députés, l’emballement de certaines rémunérations auquel nous avons assisté est mondial ; il vient essentiellement des États-Unis, et plutôt de la sphère financière, et non pas industrielle. J’ai assisté, ces dix dernières années, à un emballement très net des rémunérations à Wall Street, où l’on raisonnait en dizaines de millions de dollars. Cet emballement a été porté par la bulle financière, qui a contribué à surpayer les talents. Même des entreprises européennes, telles que la Deutsche Bank, qui s’installaient aux États-Unis et qui avaient besoin de recruter des personnes de grande qualité, ont cédé au mouvement. Nous avons donc assisté à une montée des rémunérations liées aux résultats obtenus à Wall Street, dans ce contexte de bulle financière qui permettait de très bons résultats.

La première dérive vient de ce que ces rémunérations, qui montaient régulièrement, ne descendaient jamais, même lorsque les résultats de l’entreprise baissaient. Et si l’on prétendait vouloir lui diminuer son salaire, le dirigeant expliquait que l’on n’attendait que lui dans une autre société.

Dans le même temps, s’est développée l’internationalisation des entreprises et des marchés, ce qui signifie que la plupart des grandes entreprises françaises ont, maintenant, jusqu’aux trois quarts de leur activité à l’étranger. Inévitablement, les chefs d’entreprise ont alors comparé leurs rémunérations avec celles des dirigeants étrangers. Il est apparu que les dirigeants français percevaient des rémunérations nettement inférieures à ce qui existait aux États-Unis, et également inférieures à ce qui existait en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et en Italie. Nous avons donc assisté à une montée brutale des rémunérations en France.

Nous sommes passés à un nouveau système de rémunérations, avec une partie fixe et une partie variable, cette dernière étant normalement liée aux résultats de l’entreprise, et dans certains cas, à l’évolution du cours de la bourse. Or, avec l’emballement de la bulle, la partie variable a augmenté de façon très importante, ce qui a suscité des interrogations sur la légitimité du niveau atteint.

Faut-il légiférer ? Je ne pense pas que le problème sera résolu par une loi. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé aux États-Unis il y a une dizaine d’années : une loi a été votée, disposant que la rémunération fixe ne devait pas être supérieure à un million de dollars, sous peine de sanctions. Cela a conduit à une explosion de la partie variable de la rémunération et n’a pas empêché la création de la bulle financière. Par conséquent, si une loi était votée en France, elle devrait à tout le moins avoir une application mondiale, afin de toucher les rémunérations de dirigeants de filiales étrangères. Il me semble donc qu’une loi ne serait pas efficace et que seule la transparence - l’obligation de tout mettre sur la table : salaire, intéressement, stock options, avantages en nature, etc. - pourrait freiner cette dérive. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je pense que ce qui a été fait en France, en ce domaine, est satisfaisant, dans la mesure où, aujourd’hui, les sociétés cotées sont obligées de déclarer les rémunérations dans toutes leurs composantes.

Cet emballement est-il dû à un défaut de surveillance par le conseil d’administration et à un mauvais fonctionnement des comités de rémunérations ? Cela dépend énormément des sociétés : certaines disposent d’un conseil d’administration qui fonctionne bien et qui contrôle réellement les salaires ; le comité de rémunérations fait son métier, notamment en menant des enquêtes comparatives internationales sur les salaires et en faisant des propositions au conseil d’administration, qui prend sa décision en toute connaissance de cause ; d’autres sociétés, en revanche, disposent d’un conseil d’administration qui fonctionne avec le vieux système, dans lequel le comité de rémunérations dit avoir analysé les rémunérations et fait des propositions que le conseil entérine sans même connaître les chiffres.

Aujourd’hui, avec les scandales qui ont eu lieu aux États-Unis, les conseils d’administration exercent bien mieux leur métier qu’auparavant. Je puis vous assurer que les conseils d’administration d’axa, de bnp Paribas ou de Schneider et de Vivendi sont parfaitement informés des rémunérations des dirigeants et prennent leurs responsabilités. Je parle des dirigeants, le rôle du conseil d’administration étant de décider du salaire des mandataires sociaux : s’agissant du salaire des personnes se situant aux niveaux de décision inférieurs, ils sont définis par la direction de l’entreprise.

Vous avez également évoqué, la question de la partie fixe et de la partie variable des rémunérations, notant que cette seconde partie était particulièrement importante en France. Il s’agit là d’un problème de philosophie des rémunérations. Dans le groupe axa, par exemple, nous considérons que, plus on monte dans la hiérarchie, plus le fixe doit être bas, la partie variable devant constituer l’essentiel de la rémunération. Tout dépend évidemment de la manière dont cette partie variable est calculée. Les critères qui la déterminent doivent conduire à lier l’intérêt du dirigeant à celui de l’entreprise. Ils doivent tenir compte des résultats de l’entreprise, de certains objectifs, et, in fine, de l’intérêt de l’entreprise - intérêts des actionnaires et du personnel. Il convient donc de fixer très clairement les objectifs que doit atteindre le management. Le rôle du conseil d’administration est de vérifier que ces objectifs coïncident bien avec l’intérêt de l’entreprise, ce qui n’a pas toujours été le cas. Je vous cite un exemple. Lorsque l’intéressement est uniquement basé sur l’ebitda (20) et que celui-ci est positif parce que l’entreprise fait des acquisitions, l’intéressement peut croître alors que les entreprises acquises n’ont pas de valeur. C’est la raison pour laquelle le conseil d’administration a un rôle essentiel à jouer dans la vérification des critères de l’intéressement.

Le président Pascal CLÉMENT : Puisque vous abordez la question des conseils d’administration, je dois dire que je m’interroge sur leur fonctionnement. Qui les nomme ? L’assemblée générale, mais qui les propose ? Le président. Il en va de même pour les comités de rémunérations. Or, au sein du conseil, et donc des comités, on constate souvent une certaine consanguinité. Sans doute s’agit-il d’une vieille habitude française, même s’il semble que cela soit pareil en Allemagne, mais ce défaut culturel a des conséquences redoutables : comme nous sommes bien élevés, nous ne posons jamais de questions désagréables et ne demandons jamais de chiffres. Au total, les conseils d’administration sont composés de personnes de bonne compagnie qui ne gèrent rien ou bien le font de très loin. Comment trouver l’homme idéal ? Cette question, les différents rapports Viénot I et II, puis Bouton se la sont posée : c’est toute la problématique de l’administrateur indépendant. Je ne crois pas à l’administrateur indépendant - surtout s’il en fait son métier - mais il serait peut-être préférable de faire appel à des personnes qui soient relativement indépendantes. Vous dites dans votre livre, monsieur Bébéar, que les « fournisseurs » - les banquiers - ne pourront plus à l’avenir, au regard des progrès de la gouvernance, siéger longtemps dans les conseils d’administration des sociétés qu’ils conseillent. Le conseil d’administration d’axa en compte quatre : allez-vous les garder ? Dans ces conditions, la rémunération des dirigeants sociaux doit-elle être décidée par un vote de l’assemblée générale ?

Vous proposez, par ailleurs, dans votre livre, la création d’un corps de censeurs, chargé de désigner les auditeurs. Mais qui va nommer ces censeurs ? Si c’est encore le management de l’entreprise, nous retrouverons le même problème qu’avec le conseil d’administration. D’une certaine manière, en proposant ces censeurs, vous cherchez un contre-pouvoir en face du conseil d’administration. Effectivement, pour l’instant, il n’y en a pas. L’assemblée générale peut-elle être ce contre-pouvoir lorsqu’on sait que les institutionnels ne s’intéressent à l’entreprise que dans les moments de crise, et que les individuels n’arrivent pas à se rassembler - ou rarement - et ont, finalement, un rôle très effacé ? Je pense qu’il nous faut pourtant quitter la monarchie absolue du chef d’entreprise pour aller vers la monarchie constitutionnelle ; reste à trouver le parlement. Pour l’instant, en effet, l’assemblée générale, supposée jouer ce rôle, ne fonctionne pas, et le conseil d’administration, qui l’équivalent du conseil des ministres, soit ne dit jamais rien, soit commence seulement à réagir - il est vrai qu’il revient de très loin.

M. Claude BÉBÉAR : On a beaucoup parlé, à juste titre, de la consanguinité des conseils d’administration mais cette tradition est en train de s’atténuer vigoureusement. Toutefois, dans certains cas, elle est justifiée. Pour en revenir à l’exemple d’axa, c’est un actionnaire important de bnp Paribas, elle-même actionnaire d’axa : l’intérêt économique de ce système croisé est évident. D’autres croisements peuvent, en revanche, être peu souhaitables : je suis administrateur du groupe Schneider, de même que le président de ce groupe est administrateur d’axa. Je vais donc quitter le conseil d’administration de Schneider, ce que je n’ai pas pu faire il y a deux ans, à cause de l’affaire Legrand.

Par ailleurs, dès l’instant où vous avez une activité internationale, il est nécessaire que les conseils d’administration soient internationaux. C’est la raison pour laquelle les conseils d’administration des grandes entreprises françaises sont de plus en plus ouverts aux étrangers. Il s’agit, là encore, d’une amélioration remarquable.

Reste que la question demeure posée des conditions de nomination des administrateurs. À cet égard, parler d’administrateurs indépendants, c’est une plaisanterie ! Lorsque j’en parle avec Daniel Bouton, je lui dis souvent que l’on peut proposer comme administrateur la personne avec laquelle on joue au golf tous les samedis qui, de fait, est totalement indépendante de l’entreprise. Mais en quoi cela sert-il le propos dans la mesure où, si l’on se place sur le plan des relations amicales, il n’y a pas plus dépendant que cet administrateur ? La définition d’un administrateur indépendant est donc extrêmement difficile à saisir ! Les qualités du bon administrateur sont, à mes yeux, la compétence, la disponibilité - car cela demande au moins un mois de travail par an - et le courage. Être courageux, cela signifie être capable de s’opposer au management.

Le président Pascal CLÉMENT : C’est rare !

M. Claude BÉBÉAR : Certes, mais, là encore, des changements sont à l’oeuvre. En effet, aujourd’hui, les administrateurs prennent conscience de l’étendue de leurs responsabilités et des poursuites dont ils peuvent faire l’objet, comme aux États-Unis. Ils sont donc obligés d’être courageux, y compris en « virant » les patrons qui exercent mal leur métier.

S’il est vrai que c’est le président du conseil d’administration qui propose les administrateurs à l’assemblée générale, il lui revient également de le faire dans un esprit de transparence, en présentant la personne pressentie - ce qui n’est pas toujours le cas, l’administrateur étant souvent élu sans que personne ne le connaisse, voire sans être présent -, en expliquant pourquoi il la propose et quelles sont ses compétences. À défaut, à l’assemblée générale de faire respecter la transparence des conditions de nomination des administrateurs. Il convient également - il en va aussi de la responsabilité des actionnaires - que l’assemblée générale puisse elle-même proposer des candidats. Aujourd’hui, alors que c’est possible, les actionnaires ne le font pas.

J’en viens aux censeurs. Je suggère effectivement que l’on élise, à côtés des administrateurs, des censeurs. En effet, les administrateurs ayant pour mission de gérer l’entreprise - ils choisissent les dirigeants et en sont donc responsables -, d’approuver sa stratégie et les grands investissements, il est inexact de considérer qu’il y a, d’un côté, les dirigeants qui dirigent et, d’un autre, les administrateurs qui surveillent : les administrateurs, aussi, participent aux grandes décisions. C’est la raison pour laquelle je pense que demander aux administrateurs d’être également responsables de l’audit, donc du contrôle du fonctionnement de l’entreprise, revient à leur demander de faire un exercice de schizophrénie ! En effet, puisqu’ils participent aux grandes décisions stratégiques, on ne peut pas, ensuite, leur demander de les critiquer ! De fait, la confusion actuelle des fonctions pousse parfois les dirigeants et le conseil d’administration à exercer des pressions inadmissibles sur les auditeurs : ils leur font comprendre que, s’ils veulent que leur mandat soit renouvelé, ils ont tout intérêt à ne pas être trop méchants. C’est afin d’éviter ce cas de figure que je suggère que l’on nomme un corps de censeurs : l’assemblée générale élirait, d’une part, le conseil d’administration qui a pour mission de diriger l’entreprise, et, d’autre part, des censeurs chargés de choisir les auditeurs et de définir leur mission. De ce fait, l’assemblée générale se verrait remettre deux rapports : outre celui du conseil d’administration, elle recevrait également celui des censeurs. Aujourd’hui, le rapport d’audit n’est pas pris en considération.

J’en reviens maintenant au mauvais fonctionnement des assemblées générales. Cet état de fait vient de l’implication insuffisante des grands investisseurs, qui constituent pourtant l’essentiel du capital aujourd’hui : ils sont, en effet, absents des assemblées générales et ne votent pas. Il faut les obliger à voter et, s’ils ne le font pas, les obliger à s’expliquer : les États-Unis s’engagent dans cette voie. Il est légitime de les y contraindre dans la mesure où ils gèrent l’argent d’autrui : ils doivent donc rendre compte de ce qu’ils font et expliquer pourquoi ils le font. Dans le même esprit, je suis opposé au vote blanc et au vote par correspondance. En effet, le vote blanc est un blanc-seing donné au management, qui signifie en outre que l’on considère comme acquis qu’il ne peut rien se passer d’important à l’assemblée générale. Par nature, le vote blanc disqualifie l’assemblée générale. Il en va de même du vote par correspondance, puisque le vote est formulé avant la tenue de l’assemblée ! Celui qui vote par correspondance considère donc également que l’assemblée n’a aucune importance. En revanche, je suis favorable à une évolution favorisant le vote électronique. En effet, les actionnaires pourraient assister à l’assemblée générale par Internet et voter en temps réel, en toute connaissance de cause. Un tel système est d’autant plus justifié que l’actionnariat est de plus en plus international et que tous les actionnaires ne peuvent donc pas se déplacer.

J’ajouterai que nous sommes victimes, s’agissant du problème de l’absentéisme aux assemblées générales, du fait que l’économie financière est déconnectée de l’économie réelle. L’économie financière a exclusivement une vision de court terme, alors que les entreprises veulent des investisseurs à long terme. Je compte beaucoup sur M. Warren Buffet pour m’aider à lutter contre cette dérive. Ce monsieur qui a démarré, à 25 ans, avec 5 000 dollars et qui est aujourd’hui à la tête d’une fortune de 40 ou 50 milliards de dollars, n’investit pas en bourse sans étudier auparavant l’entreprise. Il achète en effet des actions pour les garder : il s’agit d’un investisseur à long terme. Or aujourd’hui, les investisseurs, même institutionnels, agissent seulement dans le court terme ! On n’investit plus dans une entreprise, mais dans un « machin », dont on espère tirer profit trois à six mois plus tard. Nous sommes dans la spéculation. Un chiffre témoigne de cette dérive : il y a encore une dizaine d’années, les fonds de pension américains conservaient leurs titres en moyenne pendant sept ans. Aujourd’hui, ce chiffre est de sept mois ! Même les fonds de pension, qui, par construction, sont des investisseurs à long terme, sont entrés dans un système de court terme. Il s’agit là, non seulement d’une mode - le milieu financier est terriblement moutonnier -, mais aussi du résultat de préoccupations pécuniaires, les intermédiaires ayant tout intérêt à faire tourner les choses le plus rapidement possible.

Le président Pascal CLÉMENT : Nous avons appris qu’un certain nombre de plans d’assurance étaient prévus pour couvrir le paiement de la partie variable des rémunérations, si bien que cela échapperait complètement aux actionnaires - mais peut-être pas au conseil d’administration. Cela signifierait que les retraites, les parachutes, seraient versés, non plus par l’entreprise, mais par la compagnie d’assurance auprès de laquelle le risque est couvert. Cette information est-elle exacte, et si oui, que pensez-vous de cette pratique ? Par ailleurs, je rappelle que la mise en cause pénale et civile des dirigeants sociaux est possible : pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Le parcours judiciaire est-il vraiment trop compliqué ou s’agit-il d’un problème culturel ? Car la législation existe ! Que faut-il faire pour qu’elle soit appliquée ? Je ne connais pas de meilleur moyen pour stimuler les administrateurs !

M. Claude BÉBÉAR : En ce qui concerne l’assurance et la couverture de certains éléments de la partie variable des rémunérations, je découvre cette pratique ! Je ne la connaissais pas. Je ne pense pas qu’axa soit concernée, mais je vais tout de même me renseigner. Cela étant dit, il est vrai que les coûts liés aux rémunérations peuvent être couverts même par des produits dérivés. Ils ont toujours existé, dès la création de la Bourse au XVIIe siècle et les Hollandais eux-mêmes ont créé des produits dérivés sur les bulbes de tulipes ! Le problème est que si l’assurance sur les salaires est interdite par une loi, des produits dérivés seront créés.

Jamais la loi ne parviendra à arrêter les voyous. Je vous rappelle que Enron respectait à la lettre les prescriptions de la loi Sarbanes-Oxley. Le système américain, très formaliste, prouve, à rebours, que compte davantage, non pas le texte de la loi, mais son esprit. Comme vous, monsieur le président, je désapprouve les golden parachutes ; mais une loi les interdirait-elle qu’il s’en trouverait toujours pour les contourner.

Quant au problème de la mise en cause pénale, nous ne sommes pas dans le système américain et je m’en réjouis. Car ce système, très souvent, ressemble à du chantage. Je vous cite un exemple : en 1990, nous annonçons la conclusion d’un accord avec Equitable, compagnie américaine ; le jour même, deux plaignants ont introduit un recours en justice, sans la forme de deux class actions, la première émanant d’un avocat de Chicago, la seconde du fonds de pension des avocats américains, qui demandaient chacun un million de dollars. Avant même de connaître le contenu de l’accord, ils lancent déjà une class action ! C’est totalement abusif et à proscrire de notre système !

En revanche, si des fautes sont commises, elles doivent être sanctionnées. Vous avez raison de dire que la loi le permet aujourd’hui. Pourquoi cela ne se pratique-t-il pas ? En premier lieu, les investisseurs institutionnels, qui pourraient mettre les dirigeants en cause, ne le font pas ; en second lieu, les associations de particuliers ne sont pas suffisamment puissantes. Je suis favorable à ce qu’on aide les associations de particuliers afin qu’elles puissent être mieux informées et mener certaines actions mais je ne pense pas qu’une loi soit nécessaire pour ce faire. C’est d’ailleurs en train de se mettre en place : regardez Mme Colette Neuville et son association l’adam (association de défense des actionnaires minoritaires), qui, partie de rien, commence à avoir du poids.

M. Michel VOISIN : M. Alain Marsaud et moi-même avons proposé cette mission d’information à la suite des déclarations du président du Comité d’éthique du medef. Mon intérêt pour cette question est également lié au fait que j’ai exercé la profession d’expert-comptable, commissaire aux comptes et de commissaire aux comptes, pendant une trentaine d’années. Je ne suis pas opposé aux rémunérations importantes, bien au contraire : les patrons compétents, qui prennent des risques et engagent leur responsabilité, doivent être rémunérés à leur juste valeur.

Cependant, alors que la rémunération globale n’est composée aux États-Unis de stock options qu’à hauteur de 40 %, en France, celles-ci représentent, en moyenne, 60 %. Vous avez déclaré, voilà un an, lors d’une assemblée générale, que, compte tenu de la baisse des cours, il était impensable que certains dirigeants se voient attribuer un nombre d’actions très important de leur société. Or, selon la presse, les mandataires sociaux de deux sociétés dans lesquelles vous jouez un rôle très important - en qualité, respectivement, d’administrateur et de président du conseil de surveillance - se sont vu attribuer 800 000 actions pour l’un et un million pour l’autre. Ces actions ayant été distribuées à un coût excessivement bas, les plus-values acquises sont, d’ores et déjà, faramineuses. Comment peut-on contrôler ou, du moins, introduire une certaine éthique dans ces distributions, notamment par rapport aux petits actionnaires qui font confiance à l’appel public à l’épargne ? Il s’agit là d’un véritable problème. Vous l’avez dit, il sera très difficile de légiférer, d’encadrer les rémunérations de sociétés, mais ne serait-il pas possible de mettre en place un code d’éthique, qui permettrait d’établir, sur la base de certains paramètres, un « hit parade » de la bonne gouvernance ?

M. Claude BÉBÉAR : S’agissant des rémunérations, je dirais qu’un très bon patron n’est jamais trop payé, alors qu’un mauvais patron est toujours trop payé ! Si certaines rémunérations gigantesques peuvent être justifiées économiquement, en revanche, nous devons être attentifs à l’acceptabilité par la population de ces rémunérations : il s’agit là d’une question de cohésion sociale. Or, sur ce point, les choses sont différentes d’un pays à l’autre. Ainsi, l’acceptabilité n’est pas la même en France qu’aux États-Unis ou en Angleterre. Par ailleurs, il convient de tenir compte du fait que, une entreprise mondiale qui se situe dans une économie mondiale doit tenir compte, en son sein, de la cohérence des rémunérations.

Vous abordez le problème des stock options en prenant l’exemple d’axa et de la bnp Paribas. À mes yeux, c’est un faux procès qui est fait aujourd’hui au principe des stock options, à la suite des dérives, tout à fait coupables, auxquelles l’on a pu assister, notamment aux États-Unis. Car il convient de ne pas oublier que l’actionnaire n’accepte de diluer son capital au profit du manager que dans la mesure où celui-ci lui a fait gagner de l’argent. Il s’agit du système le moins onéreux, pour l’actionnaire, permettant de récompenser les managers, contrairement à un salaire ou un intéressement aux résultats qu’il faut payer immédiatement et sur lesquels sont prélevées des charges sociales. Le principe des stock options est donc, selon moi, un excellent principe. Dans sa mise en œuvre, il est vrai qu’il y a eu des dérives, notamment lorsque le manager est autorisé à lever ses actions rapidement : la tentation de manipuler les cours afin de réaliser un bénéfice à court terme est alors très forte. Pour éviter cela - et c’est le système français -, l’attribution des stock options doit être accompagnée d’une interdiction de levée pendant quatre ans, obtenue de facto en France par le régime fiscal qui s’y attache.

Vous me dites que les présidents d’Axa et de la bnp Paribas ont bénéficié de stock options à des cours très bas qui, d’ores et déjà, font apparaître des plus-values faramineuses. Je vous rappelle que dans ces deux entreprises, les attributions sont annuelles, quel que soit le cours. Et si je regarde celles d’axa, toutes les dernières attributions sont actuellement « dans l’eau » (21) ! En 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002, les attributions ont été faites à des taux qui sont très loin du taux actuel, ce qui signifie que les stock options attribuées au cours de ces années-là n’ont, à ce jour, aucune valeur.

Le président Pascal CLÉMENT : Certes, mais, d’un point de vue quantitatif, n’y en a-t-il pas beaucoup ?

M. Claude BÉBÉAR : Les stock options faramineuses auxquelles vous faites allusion ne peuvent pas être levées avant quatre ans. Si, dans quatre ans, les cours sont à un bon niveau, alors leur rémunération sera importante, c’est vrai ; je rappelle cependant qu’elles seront bientôt plus taxées que les revenus. En revanche, si les cours baissent, ces actions ne vaudront rien.

Le président Pascal CLÉMENT : Est-ce proportionnellement justifié d’en attribuer autant ?

M. Claude BÉBÉAR : Tout dépend de la philosophie des rémunérations de l’entreprise. Chez axa, notre philosophie est d’attribuer un fixe très faible, en mettant l’accent sur la partie variable, liée aux objectifs et aux résultats réels de l’entreprise. Il est vrai que ce système peut conduire à attribuer des rémunérations très importantes, mais, si l’on compare axa avec les autres groupes mondiaux, elles ne se situent pas à un niveau anormal. Par ailleurs, mon successeur à la Présidence du Directoire, ne touche que le quatrième salaire du comité exécutif de l’entreprise, derrière les Américains et les Britanniques, et la soixante et unième rémunération du groupe ! De même, le salaire de M. Michel Pébereau, président de la bnp Paribas, se situe, comparé aux salaires des banquiers mondiaux, tout à fait au bas de l’échelle.

M. Christophe CARESCHE : Je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir accepté notre invitation, car vous avez le mérite de poser un certain nombre de questions. Compte tenu de votre expérience professionnelle et du rôle que l’on vous prête au sein de monde économique français, votre prise de conscience est intéressante.

Considérez-vous qu’il y a eu des abus ce dernières années ? Vous êtes-vous dit, au regard des rémunérations que vous avez pu toucher, que le système était en train de devenir complètement fou ? Au vu des éléments qui ont été récemment publiés, nous avons vraiment le sentiment que le système s’est totalement emballé et devient incontrôlable.

Vous avez parlé de cohésion sociale, certes, mais il convient de ne pas oublier la cohésion dans l’entreprise. En effet, les premières personnes qui sont stupéfaites par ce qu’elles lisent dans la presse sont d’abord les salariés. Or nous sommes passés, ces dernières années, à des échelles de valeur qui n’ont plus aucune commune mesure avec ce que nous avons vécu jusque-là.

Les réponses que vous suggérez - et vous avez le mérite de le faire - me semblent un peu faibles. Ne conviendrait-il pas de prendre des mesures plus draconiennes qui permettraient d’assurer une véritable transparence ? De fait, vous nous parlez de transparence, mais nous avons le sentiment, d’une part, que de nombreux responsables hésitent à donner publiquement leurs rémunérations, et, d’autre part, qu’un certain nombre de choses sont cachées. Par ailleurs, comment assurer le contrôle et la maîtrise de ces rémunérations ? Ne conviendrait-il pas, compte tenu de l’emballement du système, d’envisager des mesures plus draconiennes, telles qu’un plafonnement des rémunérations ? Enfin, pouvez-vous nous dire comment les choses se passent chez axa ? J’ai cru comprendre qu’un certain nombre de problèmes avaient été évoqués au sein même de l’entreprise, s’agissant de votre rémunération et de celle du directeur général actuel.

M. Philippe HOUILLON : En préalable, je tiens à m’inscrire en faux contre ce qui vient d’être dit : je suis défavorable au vote d’une loi plafonnant les rémunérations des dirigeants d’entreprise. Tout d’abord, je ne suis pas certain que l’on pourrait se glorifier d’être un pays qui encadre la rémunération des dirigeants des entreprises ; par ailleurs, il serait illusoire de penser pouvoir encadrer ce type de rémunérations par une loi franco-française dans un marché international, de la même façon qu’il serait illusoire de vouloir plafonner le montant des transferts des joueurs de football.

Vous nous dites, M. Bébéar, que la réponse est la transparence. Mais vous évoquez également la question de l’acceptabilité par la société. Vous nous dites qu’un bon patron n’est jamais trop payé, ce qui se discute, mais le problème de l’acceptabilité se pose quand les actionnaires voient leur patrimoine fondre comme neige au soleil et que le dirigeant, qui, peut-être, en est responsable, continue, dans le même temps, à demander le paiement d’un golden parachute pour plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est la raison pour laquelle je trouve votre réponse - la transparence - un peu légère. Il me semble que la solution réside dans la définition d’un régime de responsabilité clair. Certains dirigeants touchant des rémunérations pharaoniques, il serait logique, quand il y a un problème, qu’ils soient responsables, sans assurance ! Le président de la commission des Lois disait tout à l’heure qu’il lui semblait que les responsabilités n’étaient pas suffisamment mises en cause en France. Effectivement, lorsque des actionnaires engagent des actions judiciaires contre les dirigeants pour faute de gestion, actuellement, la jurisprudence ne reconnaît pas l’existence d’un préjudice personnel. En tant que rapporteur de la loi de sécurité financière, j’avais déposé un amendement pour distinguer le préjudice social du préjudice personnel, amendement que l’Assemblée nationale avait adopté mais que le Sénat a supprimé. Il me semble pourtant que cette piste représenterait un début de réponse à la mise en jeu effective de la responsabilité de tous les dirigeants, sachant que les administrateurs sont des dirigeants de droit.

M. Xavier de ROUX : Nous nous situons dans un débat entre la morale et le marché. Comment fonctionne ce marché ? Quel est le rôle des différents intervenants sur ce marché ? Comment se discutent et se proposent les rémunérations dans un marché international ?

Le président Pascal CLÉMENT : On dit que ce marché est exceptionnellement étroit, ce que je n’arrive pas à croire !

M. Xavier de ROUX : Par ailleurs, faut-il ou non réglementer l’aspect variable des rémunérations ? S’agissant des stock options, le problème ne vient-il pas de ce qu’un dirigeant, qui a des droits financiers sur une entreprise, peut avoir envie de les exercer à court terme et donc être conduit à gérer l’entreprise pour son propre profit ? Les stock options ne sont pas neutres ! Même un grand manager est tenu par ses intérêts financiers personnels. Doit-on créer une hiérarchie entre les variables, intervenir de façon réglementaire ou par la loi sur ces variables, afin qu’elles soient non seulement transparentes, mais également relativement neutres par rapport au but de l’entreprise ?

Enfin, en ce qui concerne les censeurs, ne pensez-vous pas que les conseils de surveillance jouent déjà - ou devraient jouer - ce rôle ?

M. Claude BÉBÉAR : Comment fonctionne le marché des dirigeants sociaux ? C’est le rôle des « chasseurs de têtes » d’étudier les pratiques du marché et de nous en donner des informations. Il convient évidemment d’être vigilants, car ils peuvent nous manipuler et donner des informations destinées à faire monter les salaires de nos dirigeants : nous exigeons donc une éthique professionnelle solide. Plus globalement, je dirais que, comme tous les marchés, celui-ci fonctionne plus ou moins bien. Si vous regardez ce qui se passe dans l’ensemble des entreprises du marché et que vous segmentez ce marché en quartiles, tout le monde désire être dans le premier quartile, ce qui pousse les rémunérations à la hausse. Il convient donc d’être très attentifs à la façon dont ce marché fonctionne.

S’agit-il d’un marché étroit ? Tout dépend de la taille des entreprises : pour une entreprise moyenne, il s’agit d’un marché très large mais, pour une grande entreprise, trouver un bon manager devient plus difficile. Tout le monde n’est pas Bill Gates ! Cela étant dit, il existe un marché international qui permet un choix plus large, mais repose le problème de la comparaison internationale des rémunérations.

En ce qui concerne les excès liés à la partie variable des rémunérations, il y a, certes, eu des anomalies flagrantes, telle la fixation de critères qui n’allaient dans l’intérêt ni de l’entreprise, ni du personnel, ni des actionnaires, ni des clients. À cet égard, il faut à tout prix proscrire tout critère lié au cours de bourse, par nature trop volatile. Si, lorsque je dirigeais axa, ma rémunération avait été liée au cours de bourse, mon salaire aurait été multiplié par quatre ou cinq ! En revanche, mon successeur aurait été payé beaucoup moins, alors qu’il réalise un excellent travail. La rémunération du patron doit être liée aux performances demandées à l’entreprise ; le lien avec la bourse se fait par l’intermédiaire des stock options.

Vous suggérez, M. Caresche, de plafonner la part variable de la rémunération. Si vous souhaitez une délocalisation des directions d’entreprises, effectivement, plafonnez !

J’ouvre une parenthèse : lorsqu’on parle de la rémunération des dirigeants, il convient de faire la différence entre ce qu’ils touchent dans l’année - le fixe et l’intéressement au titre de l’année précédente - et ce qu’ils gagnent au titre d’une année n : le fixe et l’intéressement qui sera versée l’année d’après.

Avec une rémunération de deux millions d’euros, Henri de Castries, pdg d’axa, a perçu la 61e rémunération au sein du groupe au titre de 2002, ce qui veut dire que l’on accepte, d’une part, que le patron ne soit pas le mieux payé, et, d’autre part, de tenir compte des spécificités de chaque marché. Ceci pour montrer qu’un plafonnement n’aurait guère de sens. Il me semble que l’on a intérêt à garder les décideurs en France : à l’étranger, vous ne décidez plus de la même façon.

S’agissant de la cohésion sociale et de l’entreprise, je suis tout à fait d’accord avec vous. Laissez-moi préciser ma pensée : d’un point de vue strictement économique, un très bon patron n’est jamais trop payé et un mauvais patron l’est toujours trop. D’un point de vue sociétal, en revanche, qui implique de raisonner en termes d’acceptabilité par le corps social, ce constat ne vaut pas. Dernier élément à prendre en compte dans l’équation : les comparaisons internationales. Ce sont ces trois critères qui permettent de définit une rémunération raisonnable.

Pour en revenir à la dimension sociétale, il est évident que l’on doit tenir compte de la cohésion sociale, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. D’ailleurs, en ce qui me concerne, j’ai donné toutes les informations sur ma rémunération dès 1989, alors que je n’y étais pas obligé. Cela n’a jamais créé de problème au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, la transparence est obligatoire ; les manquements en la matière doivent être sanctionnés. Je suggère d’ailleurs que cette transparence soit également obligatoire pour toutes les personnes qui gèrent et vivent de l’argent public. Qu’elles déclarent leur salaire et leurs avantages sociaux ! Cela devrait concerner les hommes politiques, les associations, la haute fonction publique, etc.

Le président Pascal CLÉMENT : Même si l’on réclame la transparence, l’écart des salaires entre les personnes travaillant dans le public et dans le privé sera toujours aussi énorme.

M. Claude BÉBÉAR : Les qualités demandées ne sont pas forcément les mêmes ! Mais ne nous focalisons pas sur les rémunérations du secteur privé même si, il est vrai, certaines sont choquantes, parce qu’injustifiées : ce ne sont que des cas particuliers, qu’il faut se garder de généraliser. Il existe un moyen de sanctionner les rémunérations abusives, via l’abus de bien social : dans cette hypothèse, c’est le conseil d’administration dans son ensemble qui serait concerné. J’en reviens donc à mes propos initiaux : que les actionnaires fassent leur travail ! La transparence est aujourd’hui obligatoire ; si les actionnaires jugent qu’il y a des abus, qu’ils agissent ! Les actionnaires ont des droits et des devoirs ; or l’un de ces devoirs est de veiller à ce que l’actif de l’entreprise ne soit pas dilapidé. Quid, dans ce cas, de la responsabilité personnelle des dirigeants ? En cas de faute, elle doit être engagée. D’ailleurs, je puis vous dire que mes administrateurs américains sont obsédés par leur responsabilité personnelle, alors même que la société n’est plus cotée aux États-Unis.

Vous parlez ensuite des stock options réalisables à court terme. Je vous ai dit très clairement mon opposition à cette pratique. La philosophie des stock options est une bonne chose, mais il est important que l’on ne puisse pas les manipuler. Le régime fiscal existant évite cette tentation, d’autant qu’en pratique, les entreprises bien gérées interdisent la levée des stock options avant quatre ans.

La question m’a également été posée de savoir si les membres du conseil de surveillance n’étaient pas déjà des censeurs. Ma réponse est non. Je suis président du conseil de surveillance d’axa, qui approuve la stratégie et les grandes décisions ; le conseil est donc totalement impliqué dans la définition de la stratégie. Il participe à la direction de l’entreprise. Il me semble donc que l’on a tout intérêt à séparer l’audit, afin qu’il soit réellement indépendant. Mais, là encore, tout dépend de l’attitude des actionnaires. Si, à l’assemblée générale, ils ne font pas leur métier, les entreprises ne seront pas réellement contrôlées.

S’agissant des rémunérations des dirigeants d’axa, le conseil de surveillance est dotée d’un comité de rémunérations qui récolte des informations sur le marché et fait des propositions chiffrées concernant les mandataires sociaux. Par ailleurs, il porte un jugement sur la politique de l’entreprise. La responsabilité de la rémunération des mandataires sociaux est assumée par le conseil de surveillance ; la question qui pourrait se poser, en cas de mise en cause, est la suivante : qui est responsable ? Le conseil de surveillance en tant qu’entité, ses membres, personnellement, ou le président seulement ? Quoi qu’il en soit, il faut condamner la pratique qui consisterait à s’assurer pour échapper à sa responsabilité : si vous commettez une faute, vous n’avez pas le droit de vous assurer.

Le président Pascal CLÉMENT : Qu’en est-il de la responsabilité sans faute ?

M. Claude BÉBÉAR : Un chef d’entreprise est, certes, responsable de son entreprise, mais si cette dernière a des filiales dans soixante ou quatre-vingts pays, il me semble normal qu’il soit assuré, sauf faute personnelle.

Le président Pascal CLÉMENT : Pensez-vous qu’un ancien responsable de grande entreprise nationale puisse être mis en cause pour une acquisition malheureuse ?

M. Claude BÉBÉAR : Oui, mais il convient de faire du cas par cas. Au moment de l’acquisition, l’idée était peut-être bonne.

M. Philippe HOUILLON : Les actes de gestion ne peuvent pas être mis en cause.

M. Claude BÉBÉAR : En tout état de cause, si un dirigeant conduit une société à la ruine, il ne me semble pas anormal qu’il rende ses rémunérations. Personnellement, cette rétroactivité ne me choque pas. La justification du profit et de la rémunération des dirigeants, c’est le risque ; ils doivent donc l’assumer.

M. Michel PIRON : Il y a la faute de gestion, mais il y a également la faute stratégique, qui est encore plus grave, alors qu’elle n’est pas reconnue comme faute. Vous avez dit qu’un bon patron n’était jamais assez bien payé, et un mauvais patron toujours trop. Mais ne doit-on pas plutôt dire qu’un mauvais patron n’est jamais assez sanctionné ?

M. Claude BÉBÉAR : S’il est possible de prouver que le chef d’entreprise a pris une décision folle par mégalomanie, il faut faire jouer sa responsabilité. Les sanctions sont effectivement indispensables. Mais il est très difficile d’apprécier une faute stratégique : au moment où la décision a été prise, elle pouvait apparaître comme une idée remarquable. Nous sommes donc sur un terrain extrêmement délicat.


Source : Assemblée nationale française