(procès-verbal de la séance du jeudi 9 octobre 2003)
Le président Pascal CLÉMENT : Notre mission veut comprendre l’origine de l’emballement des rémunérations de certains dirigeants de sociétés cotées. Nous avons assisté à des dérives ponctuelles, mais réelles. Or, la confiance, pierre angulaire de l’économie de marché, se trouve entamée par ce type d’évolution. Nous ne nous posons pas la question du montant des rémunérations en tant que tel. Ce qui paraît le plus choquant, c’est de constater une progression des rémunérations inversement proportionnelle aux résultats de l’entreprise et, par conséquent, leur déconnexion avec la marche de celle-ci. Certaines augmentations ont même été concomitantes à des suppressions importantes d’effectifs. Ce mouvement peut-il s’expliquer par un rattrapage pour les dirigeants français du niveau de rémunération pratiqué sur un marché devenu mondial ? Les rémunérations des chefs d’entreprise doivent sans doute être déconnectées des cours de bourse. Certains modes de rémunérations ont heurté l’opinion, à l’exemple des golden hellos ou des golden parachutes. Ces derniers semblent offrir aux dirigeants, que les conseils d’administration considèrent pourtant comme ayant démérité, un niveau de sécurité pécuniaire exorbitant, en particulier lorsque l’on compare cette situation avec celle d’un chef d’entreprise qui, tout au long de sa vie, a lancé sa propre affaire. Ainsi, le créateur d’entreprise paraît gagner beaucoup moins d’argent que le mauvais dirigeant qui part avec une fortune au motif que l’on cherche à s’en débarrasser.
Je souhaiterais que vous résumiez les grands axes du rapport du medef consacré à l’éthique et que vous exposiez les recommandations que vous avez avancées. Ne faut-il pas réfléchir sur le manque de contre-pouvoir au sein de l’entreprise, et singulièrement au sein du conseil d’administration, la notion d’administrateur indépendant n’étant pas, selon nous, pertinente. Dans les très grandes entreprises françaises, donc mondiales, nous rencontrons parfois des sortes de monarques absolus, alors qu’il serait urgent de passer à la monarchie constitutionnelle.
M. René BARBIER DE LA SERRE : Je débuterai par un bref rappel sur le rôle du comité d’éthique, que j’ai présidé à sa création, mais dont je n’assure plus la présidence depuis le mois de juin dernier. Nous avons créé ce comité sur la proposition du medef au début de l’année 2000 pour nombre de raisons, le sujet des rémunérations n’étant pas la principale. Nous avons commencé d’évoquer cette question au printemps 2002, parce que nous avons senti que ce que vous appelez « l’emballement des rémunérations », ainsi que la question de la transparence, suscitaient débat. Les commentaires se multipliaient et des abus apparaissaient. Le fait que la rémunération soit publique est une bonne chose. Cela ne paraissait plus suffisant.
Nous avons hésité, car le medef ne représente pas que les entreprises du cac 40. En effet, se pencher sur la question des rémunérations revenait, pour l’essentiel, à aborder la question des grandes entreprises. Aussi avons-nous entamé notre réflexion seulement au quatrième trimestre de l’an dernier en la confiant à l’un de nos membres, Mme Hélène Ploix. Cette dernière a débattu avec chacun des membres du comité d’éthique et rencontré des dirigeants n’en faisant pas partie. Nous avons ensuite discuté du texte au cours de deux ou trois réunions. Nous l’avons ensuite transmis aux dirigeants du medef qui ont jugé utile de le publier.
Ce rapport présente, dans sa rédaction même, une ambiguïté : il s’adresse à l’ensemble des dirigeants, mandataires sociaux, et pas uniquement aux dirigeants de sociétés cotées du cac 40. Si les deux sujets sont connexes, ils ne se recouvrent pas totalement. Nous n’avons pas cherché à être normatifs, car il est impossible de trouver la formule qui, sur la base de critères préalablement définis, fixerait la rémunération idéale du dirigeant. En revanche, pour que les comités de rémunération fassent leur travail et que les conseils d’administration décident en connaissance de cause, il nous a semblé nécessaire d’établir quelques principes et, au passage, de critiquer un certain nombre de pratiques.
La notion de rémunération répond au souci de donner la motivation et le confort nécessaires au dirigeant qui assume une responsabilité très forte. Prévaut également l’idée qu’il ne faut pas arriver à des montants trop élevés afin de ne pas perdre le sens de la mesure, ce qui peut constituer un élément de déstabilisation. On parle beaucoup de marché des dirigeants comme on parle du marché du travail. Or, ce n’est pas un véritable marché. Certaines références, certains repères font partie des éléments à partir desquels il est possible de se fonder pour fixer une rémunération. Chaque poste constitue néanmoins un problème spécifique, les hommes n’étant pas fongibles. Des hommes ont une valeur dans telle entreprise dans telles conditions et peuvent ne pas avoir la même valeur dans d’autres configurations. Ainsi, certains dirigeants qui n’ont pas démérité dans certaines entreprises ont parfois du mal à retrouver un travail.
La cohérence de la rémunération du dirigeant par rapport à celle du comité exécutif nous semble particulièrement importante. Vous avez parlé de monarchie absolue. Peut-être était-ce aller un peu trop loin !
Le président Pascal CLÉMENT : C’était une image !
M. René BARBIER DE LA SERRE : Cela dit, il est vrai que l’idée selon laquelle le dirigeant, le mandataire social, est un homme à part est une idée assez française. Dans les médias, on ne parle plus « du dirigeant de telle entreprise », mais de « l’entreprise de M. Untel ». On assiste à une sorte d’appropriation qui est passée dans les mœurs. Il faut réintroduire l’idée que, tant en matière de pouvoir qu’en matière d’argent, le dirigeant fait partie de l’entreprise. Il en est le responsable ultime, il est le patron du management, mais il en fait partie, il est dans le bateau. Si nous avons vu des chefs d’entreprise être les seuls responsables d’échec, le succès n’est possible que si le chef d’entreprise travaille en équipe. Le succès est toujours collectif.
Il est normal que le chef d’entreprise reçoive une rémunération élevée comparée aux autres, mais il ne faut pas qu’elle soit trop déconnectée par rapport à celle des membres de son comité exécutif afin de conserver la cohésion de l’équipe dirigeante. J’irai d’ailleurs un peu plus loin. La référence, lorsque l’on fixe la rémunération d’un dirigeant, doit s’étendre à l’ensemble des rémunérations de l’entreprise et correspondre à la culture de celle-ci. Personnellement, je n’aime guère l’idée qu’il faille rapporter la rémunération d’un grand patron au salaire minimum légal. En revanche, je comprends que l’on dise que cette rémunération représente x fois la rémunération moyenne de l’entreprise, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Nous avons ensuite développé des considérations sur l’objectif du comité de rémunération. C’est un point relativement important à rappeler : ce comité est une émanation du conseil, auquel il est chargé de proposer les conditions de la rémunération. Il ne peut en être autrement, car on ne peut discuter une rémunération de façon réelle à douze ou quinze personnes. On ne peut être plus de trois ou quatre. Le président du comité de rémunération a d’ailleurs une fonction extrêmement importante en la matière, car il s’agit en quelque sorte d’une négociation, et une négociation nécessite un chef de file. Mais le comité de rémunération doit rapporter dans le détail au conseil d’administration les termes de la négociation, et c’est le conseil qui arrête la rémunération. La plus grande transparence s’impose ensuite sur l’ensemble des données de la rémunération, qui, encore une fois, doit être motivante et cohérente au sein de l’entreprise.
Nous avons rappelé quelques principes généraux : l’équilibre dans le niveau et l’exhaustivité dans les éléments soumis à transparence. Ce dernier principe ne va pas de soi. En effet, les rémunérations sont composées d’une multitude d’éléments : une partie fixe, une partie variable, des stock options, des avantages annexes, des conditions de retraite, sans oublier les golden parachutes précédemment évoqués. Tout cela doit faire l’objet du débat, le comité devant proposer au conseil d’administration une position sur l’ensemble des éléments qui doivent être arrêtés les uns par rapport aux autres. Le débat doit se dérouler dans le calme et la sérénité. Il existe une forme de marché de référence qui dépend du métier, mais qui n’est pas l’unique élément à retenir. La cohérence, la simplicité et la stabilité comptent également.
La déconnexion entre les rémunérations des dirigeants et les résultats immédiats de l’entreprise que vous avez relevée est un problème important. Une partie des explications paraît évidente. Par exemple, le bonus accordé au dirigeant est arrêté l’année suivant celle au titre de laquelle il est acquis ; il est donc en général en décalage. Personnellement, je recommanderai à l’amf de faire en sorte que, dans la publication de la rémunération des dirigeants, on inscrive le bonus à l’année au titre de laquelle il est acquis. C’est possible, puisque l’on arrête, en général, le bonus en même temps que les comptes. Ce serait une première avancée.
Une autre partie de cette déconnexion s’avère plus difficile à cerner. Dans la plupart des cas, la partie variable est liée au bénéfice de l’entreprise, ce qui est assez normal. Si je simplifie, le bénéfice de l’entreprise est constitué du résultat d’exploitation et d’éléments exceptionnels. Les éléments exceptionnels peuvent donner lieu, soit dans un sens, soit dans l’autre, à des conséquences aberrantes sur la rémunération du dirigeant. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une entreprise cède une année donnée un immeuble ou des participations précédemment sous-évalués, ce qui conduit l’entreprise à réaliser un profit important. Or, la qualité du chef d’entreprise n’y est pas pour grand-chose. De même, en cas de moins-values pour telle ou telle raison ne dépendant pas réellement de l’exploitation propre de l’année, la diminution de la rémunération du dirigeant qui en découle paraît peu justifiée. Aussi, de préférence au bénéfice net, certains comités de rémunération préfèrent retenir la marge opérationnelle ou le résultat d’exploitation qui constitue un agrégat défini plus en amont, mais plus signifiant de la marche réelle de l’entreprise dans l’année considérée. Si la seconde approche est plus juste, elle est plus difficile à comprendre. Personnellement, je suis plutôt favorable au fait d’asseoir la partie variable sur le résultat d’exploitation, mais il faut que, dans l’explicitation de la rémunération que l’on donne au moment du rapport annuel, cela soit bien expliqué afin d’éviter toute confusion.
Dans son rapport, le comité d’éthique développe plusieurs idées complémentaires. La partie fixe devrait rester l’élément essentiel. Souvent ce n’est plus le cas, ce qui est, selon moi, regrettable. Un mandataire social est une personne dont l’action se juge sur une assez longue période. Asseoir une partie trop forte de la rémunération sur les résultats immédiats ne me semble pas juste. L’action d’un président porte ses conséquences au terme de cinq, six, voire dix ans. La partie variable a pris indéniablement une proportion trop forte au cours des dernières années.
Le président Pascal CLÉMENT : En France, la part variable représente plus de 90 %.
M. René BARBIER DE LA SERRE : Oui et non. Tout dépend de ce que vous entendez par « variable ».
Le président Pascal CLÉMENT : Tout ce qui n’est pas salaire de base.
M. René BARBIER DE LA SERRE : En fait, cette partie variable est constituée de plusieurs éléments. Il y a le salaire de base et la partie variable « stricto sensu » ou bonus, qui doit, selon moi, varier entre 0 et 100 % de la partie fixe. A priori, une performance normale devrait donner lieu à une rémunération variable égale à 50 % de la partie fixe, une performance médiocre à 0 et une performance exceptionnelle à 100 %. Nous ne l’avons pas écrit, et je ne souhaite pas prendre position pour mes confrères, mais c’est mon opinion. La partie fixe, quant à elle, ne devrait évoluer que tous les trois ou quatre ans, sauf en période de forte inflation. C’est au bout de ce laps de temps que l’action d’un président produit ses effets. C’est alors que l’on peut rediscuter de sa rémunération fixe.
L’élément nouveau réside dans les stock options, qui ont donné lieu à des plus-values très élevées lorsque des montées fortes de la bourse ont été enregistrées jusqu’il y a deux ans. C’est un système très motivant, très utile pour la gestion de l’entreprise - je ne parle pas seulement pour le mandataire social, mais pour l’ensemble des cadres. C’est une façon de réconcilier l’intérêt des cadres d’une entreprise et l’intérêt de l’actionnaire. Tant que l’on reste dans des niveaux de stock options relativement limités, c’est un excellent système. Il existe néanmoins un inconvénient que vous connaissez. Par définition, ces stock options sont extrêmement volatiles. Lorsqu’on les attribue, il est difficile de se rendre compte réellement de ce que l’on accorde à la personne considérée. Il y a, bien sûr, une théorie des options ; selon la formule de Black-Scholes, compte tenu de la volatilité du titre, la valeur de la stock option considérée représente une proportion de l’ordre du tiers de la valeur nominale du montant sur lequel porte l’option. Cette formule est une formule moyenne, qui se vérifie davantage sur le court terme que sur le long terme et qui est assez peu satisfaisante, y compris pour le bon sens ! Dans une entreprise dont le cours a grimpé fortement, lorsque l’on donne des options, la logique de Black-Scholes conduirait à ne donner que peu d’actions ; en revanche, en cas de forte baisse de l’action, la formule supposerait de donner beaucoup d’actions, puisque c’est le nominal qui compte, c’est-à-dire le multiple du nombre d’options par le cours du moment. Ce n’est pas totalement conforme au bon sens : lorsque l’action a énormément grimpé, les chances qu’elle continue de progresser ne sont pas si importantes alors que, si elle s’est effondrée, il y a de fortes chances pour que le rebond soit important. On perçoit la grande difficulté que peuvent éprouver les comités de rémunération pour fixer un montant de stock options lorsqu’il s’agit du dirigeant.
Le président Pascal CLÉMENT : Dans la composition des rémunérations en France, il n’y a pas de bonus, pas d’actions gratuites, il n’y a que le salaire de base et les stock options.
M. René BARBIER DE LA SERRE : Il existe tout de même une part variable stricto sensu.
Le président Pascal CLÉMENT : Le fait de donner une part élevée de stock options aux dirigeants français présente un effet pervers. En effet, cela conduit le chef d’entreprise à faire courir plus de risques qu’il ne conviendrait aux actionnaires et à l’entreprise dans le but de réaliser, quatre ans plus tard en général, ses options. Autrement dit, cela pousse à la « financiarisation » de la gestion des entreprises au détriment du long terme. Le président Bébéar nous disait hier une chose stupéfiante : les institutionnels qui, jusqu’à présent, croyait-on, investissaient dans les entreprises sur le long terme, ne conservaient en réalité leurs actifs que pour une période de sept mois en moyenne. C’est dire l’extrême volatilité du capital. On oblige les chefs d’entreprise à faire du court terme et on s’étonne après qu’il y ait des bulles. Tout cela ne participe-t-il pas de ce qui vient de se produire et de ce qui risque de se renouveler demain ?
M. René BARBIER DE LA SERRE : La très grande majorité des chefs d’entreprise français a pour premier objectif et préoccupation essentielle la réussite de leur entreprise et du projet de leur entreprise. Leur rémunération est un point important, mais qui reste second dans les préoccupations en question. Cela dit, il est vrai que cet effet pervers des stock options peut exister. Dans notre rapport, nous indiquons que ce système pourrait conduire certains dirigeants, mandataires sociaux, à faire prendre davantage de risques à l’entreprise et aux actionnaires qu’il ne conviendrait. Il pourrait y avoir une différenciation de mesure du risque entre le dirigeant particulièrement préoccupé par ses stock options et l’actionnaire qui garderait le souci de l’intérêt propre dans l’entreprise. C’est la raison pour laquelle, nous recommandons de conduire une réflexion sur cette question. S’agissant des dirigeants, il conviendrait probablement qu’une partie des stock options au moins puisse être remplacée par une distribution d’actions qui ne présenterait pas l’inconvénient du comportement différent entre l’outil option et l’outil action. Pour que cela soit possible en France - c’est possible aux États-Unis et vous connaissez la décision prise récemment par Microsoft -, des dispositions fiscales devraient être prises. En effet, le chef d’entreprise devrait être obligé de garder son action un certain temps, sinon ce serait une autre forme de bonus. Mais alors il faudrait l’imposer au moment où il peut céder l’action et non au moment où on la lui donne.
Les conditions de retraite font enfin l’objet de plus en plus de discussions au sein des comités de rémunération. Il est impératif qu’elles soient intégrées dans la rémunération globale. Le côté exceptionnel qui s’attache à la rémunération du chef d’entreprise en exercice, du fait de ses responsabilités éminentes, n’a pas lieu de perdurer au moment de sa retraite. Il faut donc faire preuve d’une certaine mesure dans la définition des conditions de celle-ci.
J’en viens aux golden parachutes, indemnités de séparation et autres : l’idée de donner beaucoup d’argent à une personne qui ne convient pas et dont on doit se séparer est assez choquante. Mais ce n’est pas le cas le plus commun.
Le président Pascal CLÉMENT : M. Tirouflet, président de Rhodia, n’est pas parti sans rien.
M. René BARBIER DE LA SERRE : Je trouve que M. Pierre Bilger, ancien président d’Alstom, a fait preuve d’un sens de l’honneur que je salue. Mais je ne veux pas entrer dans des problèmes personnels. Des départs de chefs d’entreprise, mandataires sociaux ou présidents, se passent sans que le chef d’entreprise ait démérité. En cas de fusion, les deux équipes dirigeantes sont rapprochées et les deux responsables ne peuvent être gardés. Il est normal que celui qui n’a pas été retenu reçoive une certaine somme. À mon sens, tout cela doit être prévu dans des conditions raisonnables et limitées.
Le président Pascal CLÉMENT : Quel est le critère du raisonnable ? La phrase est belle, tout le monde y adhère, mais comment la décliner ? Par comparaison ?
M. René BARBIER DE LA SERRE : Non, il convient d’asseoir l’indemnité que touche le dirigeant qui part sur un pourcentage de ce qu’il gagne annuellement. Il faut étudier les choses dans le détail et regarder, par exemple, si cette personne recevait une rémunération un peu faible ou un peu élevée. Le multiple n’est pas quelque chose à graver dans le marbre. Cela dépend aussi de l’appréciation et du fait que, pour telle ou telle raison, la rémunération de cette personne ne correspondait pas exactement à son poste, soit dans un sens, soit dans l’autre. Mon idée serait d’asseoir l’indemnité sur un ou deux ans de la rémunération fixe. Cela me semble dans l’ordre des choses, mais c’est là un avis personnel. D’autres peuvent être plus ou moins généreux.
Vous avez évoqué l’emballement récent, que j’ai personnellement ressenti depuis six ou sept ans avec une courbe dont la pente s’est accentuée dans les trois dernières années. Les causes en sont relativement connues. La première est l’internationalisation des activités, du personnel et de l’actionnariat des entreprises du cac 40. Qu’on le veuille ou non, les rémunérations étaient en France plutôt en retrait par rapport à celles pratiquées dans d’autres pays, comme les États-Unis, mais également l’Angleterre et l’Allemagne. Nous avons donc assisté à un rattrapage en même temps qu’à un emballement international. Un autre effet est lié à la transparence, qui en soi reste évidemment une bonne chose : des dirigeants ont publié des rémunérations et d’aucunes très élevées. Au fond, les dirigeants, comme tout le monde, ont quelque tendance à raisonner un peu en valeur absolue, et beaucoup en valeur relative. Certains recevant des rémunérations très élevées, d’autres se sont dit : « Pourquoi pas moi ? ». C’est une réaction humaine.
Au cours des dernières années, nous avons également assisté à de nombreuses opérations de restructuration. Elles ont donné lieu à des appels à divers consultants, dont certains recevaient des rémunérations très élevées. Des dirigeants, dès lors qu’ils prenaient la responsabilité de la décision, se sont demandés pourquoi ils seraient payés trois fois moins que le consultant. Nous avons assisté à un effet de contagion relativement important, qui explique en partie l’emballement en question. Dans certains cas, on a assisté à des abus. C’est pourquoi il a semblé utile au medef de prôner le sens de la mesure.
M. Christophe CARESCHE : Comment votre démarche a-t-elle été reçue par les chefs d’entreprise ?
M. René BARBIER DE LA SERRE : J’ai lu dans la presse que j’avais été évincé du comité d’éthique parce que je n’étais pas suffisamment vigoureux. Mais ce n’est pas exact. Mon départ était prévu ab initio. Il était sain que le comité d’éthique soit présidé par un chef d’entreprise et non par une personne qui ne l’était plus. Notre texte a été débattu avec un certain nombre de dirigeants. Ils l’ont accepté, et souvent trouvé conforme aux normes qu’ils avaient en tête. Certains ne partagent pas l’avis sur les stock options. Ils considèrent que le remplacement au moins partiel de stock options par des distributions d’actions peut se discuter. Sur tel ou tel point, il y a eu d’autres remarques, mais, d’une façon assez générale, ce texte a reçu, pour autant que je puisse le savoir, un assez large assentiment Certains l’ont trouvé lénifiant ; d’autres disent qu’il va un peu trop loin. Si l’on fait la synthèse des deux échos, on se dit que l’on ne se situe en un point proche de la médiane.
Je reviens sur un dernier point : il est impératif que les comités de rémunération raisonnent avant fiscalité.
Le président Pascal CLÉMENT : C’est prudent en France !
M. René BARBIER DE LA SERRE : Oui et c’est cohérent, en ce sens que le domaine de référence est l’entreprise. Après, on vous parle de cohésion nationale, ce qui est tout à fait normal, mais la cohésion nationale s’exprime par la fiscalité.
Le président Pascal CLÉMENT : À ceci près toutefois, qu’à un moment donné une fiscalité fait fuir les hautes rémunérations. On peut imaginer, dès lors qu’une entreprise compte des filiales dans le monde entier, que l’on puisse être payé dans de nombreuses filiales, avec une fiscalité diversifiée.
M. René BARBIER DE LA SERRE : Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à deux phénomènes : d’une part, le phénomène d’emballement dont nous avons parlé, d’autre part, un phénomène de clarification et de simplification. Il y a quelques années, des rémunérations étaient versées dans les filiales. Je ne dis pas qu’elles étaient importantes, mais la pratique existait et le résultat était un peu opaque. Les comités de rémunération, les conseils d’administration et les dirigeants ont souhaité que tout cela devienne transparent et net. Tout ce qui est avantage en nature, dérive condamnable, du type « travaux faits au domicile privé », qui ont pu intervenir dans le passé, relèvent d’un phénomène qui a diminué depuis assez longtemps pour s’éteindre dans les dernières années. J’en suis profondément convaincu. Cela peut expliquer une partie de l’augmentation globale, bien que je n’attribue pas la totalité de l’augmentation à ce facteur.
Encore une fois, c’est dans la politique de rémunération de l’entreprise que je cherche la cohérence. Cette réflexion n’est pas neutre dans l’appréciation que le législateur doit faire pour prendre ou non des mesures. Il est naturel qu’il se préoccupe de la bonne gouvernance des entreprises, pour que la cohésion sociale soit préservée, mais en sauvegardant le fait que c’est dans l’entreprise que cela se passe et que c’est à l’entreprise elle-même d’assurer le respect de la mesure et de l’éthique.
Source : Assemblée nationale française
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