(procès-verbal de la séance du jeudi 23 octobre 2003)

Le président Pascal CLÉMENT : J’ai le plaisir d’accueillir M. Didier Cornardeau, président de l’Association des petits porteurs actifs (appac), ainsi que Maître Frédérik-Karel Canoy, l’avocat de l’association. Dans la mesure où les débats actuels sur la gouvernance mettent en lumière la nécessité de refonder la confiance des actionnaires, il nous est apparu indispensable d’auditionner les représentants d’une association d’actionnaires minoritaires sur la question de la rémunération des dirigeants sociaux.

Nous avons des questions précises à vous poser, mais peut-être pourriez-vous commencer par présenter votre association, qui est déjà importante puisqu’elle compte 4 500 membres. Vous pourriez aussi nous faire part de vos propositions pour que les petits actionnaires puissent faire entendre leur voix dans les entreprises.

M. Didier CORNARDEAU : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens en premier lieu à remercier l’Assemblée nationale d’écouter les petits porteurs. La représentation nationale joue un grand rôle dans les problèmes économiques de notre pays, notamment dans ceux de l’industrie.

Notre association a été créée récemment, en mars 2002, pour répondre au besoin manifeste des petits porteurs d’être représentés par une association. Notre association compte plus de 4 000 membres et travaille sur plusieurs dossiers.

L’appac joue deux rôles.

Le premier est préventif. Il s’agit de construire l’avenir, de sauvegarder nos entreprises et nos industries ainsi que le patrimoine des Français. Nous avons eu à connaître des dossiers très malheureux qui ont porté atteinte à l’image de marque de la France et des sociétés du cac 40. Nous cherchons à restaurer la confiance et réintroduire la moralité dans le monde financier. Je viens moi-même du monde financier. En effet, issu d’une famille de magistrats, j’ai exercé pendant douze ans la profession de notaire puis les fonctions de directeur du contentieux et des affaires spéciales d’une filiale du groupe cic. Le dernier dossier sur lequel j’ai travaillé, le dossier aom, fut un dossier malheureux. Les banquiers ont participé à un effort commun pour sauver les emplois et les entreprises. La suite des événements nous a démentis, mais nous avons travaillé ensemble.

Le but de l’appac dans les dossiers économiques, industriels et financiers est de participer à cet effort commun vers la restauration de la confiance, sans perdre de vue la notion fondamentale qu’est l’intérêt social, qui ne se confond pas, toutefois, avec celui des actionnaires. L’intérêt social, c’est l’intérêt de la société et des salariés. Il y a d’ailleurs des salariés de Canal Plus présents dans cette salle, qui ont tous participé à l’effort de l’entreprise. Les salariés et les petits porteurs représentent tous ensemble la société industrielle française. En représentant les petits porteurs, nous cherchons à sauvegarder notre patrimoine français, c’est-à-dire notre industrie. Car, derrière la participation financière se déroule une guerre féroce, la guerre industrielle. Les problèmes que nous connaissons actuellement s’expliquent par la rapidité du circuit économique. Nous ne sommes plus en 1929. Le système capitaliste, qui a ses avantages et ses inconvénients mais est pratiqué par tous les pays, est basé sur le libéralisme et sur la confiance. Le capitalisme a besoin de règles précises et stables, mais aussi, et surtout, d’une morale partagée. Or, cette morale a été mise à mal depuis quelques temps. Je voudrais remercier l’Assemblée nationale d’avoir conscience de ce problème et de nous aider à restaurer la confiance et l’investissement en France. Tous les acteurs - la cob, la justice, les actionnaires, l’assemblée générale, la représentation nationale - ont un rôle à jouer.

Comment restaurer cette confiance ? Il faut d’abord prendre garde à ne pas étouffer l’économie par des lois. C’est contraire au marché. Les petits actionnaires ont des torts. Ils se sont endormis, mais l’appac leur permet aujourd’hui de défendre leurs intérêts. Notre association est sollicitée dans beaucoup de dossiers, celui de Rhodia par exemple, et travaille à restaurer la confiance, en faisant notamment taire les rumeurs qui font baisser le cours des actions en bourse.

Notre association ne joue pas qu’un rôle préventif. Nous savons aussi agir au pénal, comme nous l’avons démontré dans les dossiers sidel et Vivendi. Mais nous savons aussi nous arrêter. Beaucoup de petits actionnaires nous ont demandé de participer à une action judiciaire contre France Telecom. J’ai refusé, car je ne vois pas l’intérêt d’attaquer l’Etat français, c’est-à-dire nous-mêmes. En revanche, nous avons tous travaillé ensemble, avec M. Thierry Breton, pour restaurer la confiance et participer au redressement de la société.

Les problèmes que nous connaissons actuellement sont aussi dus au fait que certains agents de contrôle n’ont pas fait leur travail, même si les torts sont partagés. Ainsi, qu’a fait la cob, le gendarme de la bourse ? Il lui revient d’alerter le procureur et les actionnaires si elle constate des irrégularités et d’assurer la transparence. J’ai le regret de constater que la cob n’a pas fait son travail pendant de nombreuses années. Dans le cas contraire, Alstom ne connaîtrait pas les difficultés que l’on sait : les problèmes étaient déjà perceptibles dans les bilans, il y a trois ans. Elle n’a pas fait non plus son travail pour Vivendi et de nombreux autres dossiers encore. La cob a reçu des lettres d’alerte de petits actionnaires ; sa seule réponse a été de les enjoindre à aller voir le juge pénal.
Le gouvernement a pris conscience de ces problèmes et a décidé de fusionner la cob et le cmf dans un organisme unique, l’amf. J’espère que l’amf jouera son rôle de prévention et de transparence.

Je reviens sur le cas de Vivendi. La cob a été alertée, mais elle a mis quinze mois pour examiner les bilans consolidés de cette société. Les petits porteurs, des gens simples, ont mis quinze heures pour étudier le dossier et comprendre qu’il fallait déposer plainte ! Les petits porteurs ne devraient-ils pas siéger à la cob et mettre ses membres à la retraite ?

Non seulement, la cob n’a pas fait son travail mais, en outre, elle ennuie les pme et gêne les introductions en bourse, alors même que ce sont les pme qui constituent l’essentiel du tissu industriel français. Ces pme sont discrètes, à la différence des grandes sociétés du cac 40, qui donnent parfois une image peu brillante de notre tissu industriel à l’étranger.

Les petits porteurs et leurs associations se mobilisent et agissent, de plus en plus, mais pas toujours dans le bon sens, comme on le voit dans le cas d’Eurotunnel. Ils disent tout haut ce que tous pensent tout bas. On dit souvent que les petits porteurs ne représentent rien. C’est faux : ils représentent un investissement direct correspondant souvent à une part non négligeable - 13 % à 20 % - du capital d’une société et indirect, à travers les sicav et autres fonds d’investissement. Le fait que la confiance ne soit pas encore restaurée bloque le circuit économique d’investissement dans les entreprises. Or, celles-ci ont besoin de l’argent des Français et des investisseurs étrangers. Il faut empêcher que la France ne devienne un désert industriel. J’ai été triste d’apprendre qu’Alcan va racheter Pechiney ou encore de voir l’opa d’un groupe étranger sur sidel, alors que les comptes présentés depuis trois ans étaient faux et que la cob a laissé se faire cette opa à un vil prix. La cob a laissé un groupe étranger racheter cette société du Havre, par une opa qui s’inscrit dans un contexte de guerre économique et représente un vrai préjudice pour les petits porteurs. Je suis persuadé que, dans deux ans, cette société ne sera plus présente en France. On l’a vu avec Metaleurop. Nous devons nous réveiller pour défendre notre industrie ! Les petits porteurs l’ont d’ailleurs compris. Hier, j’ai rencontré le nouveau président de Rhodia, M. Yves-René Nanot, à qui j’ai dit que nous étions prêts à participer à un effort commun, à la condition toutefois que la société procède à une augmentation de capital et se désendette. Cet effort doit, en effet, s’inscrire dans le moyen terme, et pas dans le court terme. Qui plus est, les salariés de l’entreprise doivent y participer. Nous ne faisons pas de coup financier. Nous sommes simplement de petits porteurs épargnant pour leur retraite.

J’en viens maintenant au thème de la gouvernance des entreprises et de la rémunération des dirigeants.

Il me semble que l’Assemblée nationale a déjà fait son travail en votant la loi de 1966 sur les sociétés commerciales, puis les modifications de celle-ci. En 1975, la cob a émis une note d’information précisant que le chef d’entreprise a droit à une rémunération fixe et à une rémunération variable. Celle-ci doit être en corrélation avec les résultats de l’entreprise, faute de quoi il y a abus de bien social. Mais alors, pourquoi ces messieurs de la cob n’ont ils pas agi contre Vivendi et Alstom ? Je reconnais toutefois que certains dirigeants - je pense notamment au président d’Alstom qui a renoncé à son golden parachute - ont fait un geste, mais c’est un autre problème de savoir si ce geste peut les exonérer des fautes commises dans la gestion de l’entreprise. MM. Messier, Bronfman et Lescure pourraient s’inspirer de ces exemples.

Si aucune solution n’est trouvée pour mettre fin à ces abus, la justice devra sévir, car l’abus de bien social est caractérisé, comme l’a d’ailleurs confirmé la Cour de cassation. Sans doute ce problème est-il avant tout une question de moralité, mais il pose aussi une question de forme, car les golden parachutes sont des conventions réglementées, régies comme telles par l’article L. 225-38 du code de commerce. La loi existe donc, il suffit de l’appliquer. Il n’est pas besoin de voter une nouvelle loi : il y en a déjà trop en France. Il ne faut pas étouffer le monde financier, qui doit être régi par le principe du libéralisme. La cob doit sanctionner les abus. Elle l’a d’ailleurs fait dans le cas de sidel puisqu’elle a condamné son dirigeant à payer un million d’euros.

La plupart du temps cependant, contrairement à la sécurité routière, domaine dans lequel on agit, la sécurité financière n’est pas assurée. C’est pourtant un problème sérieux qui se traduit par des taux de chômage de 33 % dans certaines villes. Cela est inadmissible quand l’insécurité vient de ce que certains dirigeants ont commis des abus très importants. Les problèmes de Vivendi ont coûté déjà 100 millions d’euros à la société. C’est inacceptable ! Il faut arrêter cette mascarade judiciaire qui se déroule aux États-Unis. Nous devons traiter nos problèmes nous-mêmes. Ils ne concernent pas que M. Messier, mais aussi M. Edgar Bronfman, qui a touché 25 millions d’euros au titre de son golden parachute, auxquels s’ajoute la somme de 10 millions d’euros qu’il a touchée en tant que consultant lors des mandats de M. Messier puis de M. Fourtou. J’ai lu un article de M. Bronfman où il expliquait que, bien que vice-président, il s’était fait « berner » par M. Messier. En tant que consultant, il aurait dû dénoncer l’abus de bien social au vu des résultats de Vivendi. J’enjoins M. Bronfman à rendre l’argent qu’il a touché aux salariés de l’entreprise et M. Messier à faire de même. Quant à M. Fourtou, il devrait arrêter de dépenser notre argent aux États-Unis. Les frais de procédure à New York ont déjà coûté huit millions de dollars. 25 millions d’euros ont été bloqués par la sec aux États-Unis et 20 millions d’euros en France, alors que le litige concerne une somme de 20 millions d’euros. J’ai donc proposé au président du tribunal de commerce de Paris de faire un pas vers la négociation, proposition qui a été entendue par M. Messier. Si ce problème n’est pas réglé à l’amiable, que va-t-il se passer ? Les actionnaires de Vivendi ne sont au courant de rien, ni du golden parachute ni de ses clauses d’arbitrage. La loi française est claire : ce sont les administrateurs responsables qui devront payer avec leur propre carnet de chèque. Je profite de la tribune que vous m’offrez pour inviter MM. Fourtou et Bébéar à s’asseoir à la table des négociations pour régler ce problème le plus rapidement possible.

Jusqu’à présent, il faut reconnaître que les associations n’agissaient pas beaucoup au pénal, qui apparaissait en quelque sorte comme un domaine réservé. Cela doit changer et les chefs d’entreprise doivent comprendre qu’il y a une loi et une justice en France. Nous n’avons pas besoin de la justice américaine. À cet égard, je ne comprends pas la position de M. Jean-René Fourtou dans le dossier Vivendi : pourquoi aller en catimini régler les litiges à New York ? A-t-il honte de notre justice ? Moi, à l’instar de mes compatriotes, je n’ai pas honte de ma justice. Comme eux, toutefois, je veux une justice adaptée au monde financier, qui ait les moyens d’agir rapidement. Le garde des Sceaux me disait encore récemment que les procès doivent, comme les dossiers de divorce, être solutionnés dans les sept ans. Je lui ai répondu qu’il n’était pas possible d’attendre sept ans dans le milieu économique ! Des sanctions doivent être rapidement prises pour que la page soit tournée et que les acteurs du marché puissent investir à nouveau. Aujourd’hui, les investissements sont bloqués en France, les épargnants préférant mettre leur argent dans un bas de laine. C’est très mauvais pour notre économie, puisque cela se traduit par des fermetures d’entreprises et du chômage. Tous les acteurs doivent partager la même morale, mais aussi agir dans un esprit associatif. Salariés, chefs d’entreprises et actionnaires sont dans le même bateau. Nous souhaitons travailler pour le bien de notre industrie.

Le président Pascal CLÉMENT : Je vous remercie, M. le président. Concernant Vivendi, je vous rappelle que nous ne sommes pas une commission d’enquête.

J’ai été heureux de constater que vous vous inscriviez dans le cadre d’une économie libérale et que vous travailliez avec les entreprises dans un esprit constructif. Comme vous l’avez souligné, la législation existe, mais les acteurs ne sont pas toujours enclins à la faire fonctionner. Dans les affaires qui nous concernent, on s’aperçoit qu’aucun des acteurs n’a fait son travail : le management a des torts, le conseil d’administration se réveille tardivement - s’il se réveille - et l’assemblée générale est inexistante. Certes, il existe des associations de petits actionnaires, dont celle que vous représentez. Nous avons compris votre point de vue et je le partage, comme, je le pense, les membres de cette mission. Il nous faut avancer et faire des propositions pour améliorer le fonctionnement des organes de direction de l’entreprise.

Dans cette perspective, j’ai plusieurs questions à vous poser. Vous qui participez à des assemblées générales, pouvez-vous m’expliquer pourquoi cette institution fonctionne mal ? Que pensez-vous de la proposition qui permettrait aux petits porteurs d’élire un membre du conseil d’administration, chargé de représenter les petits porteurs ?
Si vous êtes favorable à la représentation des petits actionnaires au sein du conseil d’administration, quels seraient, selon vous, les avantages et les inconvénients d’un tel système ?

En Grande-Bretagne, l’assemblée générale doit être saisie pour avis de toute décision touchant à la rémunération des membres du comité exécutif. N’y a-t-il pas là un risque de voir les petits porteurs s’opposer systématiquement à des rémunérations pouvant être jusqu’à 500 fois supérieures au smic ? Or, les experts en ce domaine nous disent que le marché des managers est fort étroit : cela risque donc de poser un problème de recrutement.

Par ailleurs, les rémunérations des dirigeants français sont comparables à celles de leurs homologues étrangers des entreprises de même taille et du même secteur. Le petit actionnaire n’est pas toujours formé pour apprécier la rémunération des dirigeants de l’entreprise. Comment, selon vous, pallier ce manque de formation ?

Votre association, vous l’avez dit, agit au pénal, notamment en cas d’abus de bien social. Nous sommes en phase sur ce point : je pense en effet, et je l’ai d’ailleurs déclaré récemment, que le seul moyen d’améliorer la gouvernance sociale en France est la peur du juge. Mettre en jeu la responsabilité pénale des dirigeants fautifs ne semble pas poser de problème. Concernant la responsabilité civile, il faut prendre en compte la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, en cas de faute de gestion, c’est le préjudice social, donc, in fine, l’entreprise, et non l’actionnaire pour le préjudice indirect qu’il a subi, qui doit être indemnisée. Souhaitez-vous voir cette jurisprudence changer ?

Quelle est votre position, en tant qu’actionnaire minoritaire, sur les stock options ? Certains parlementaires bien connus souhaitent les supprimer. Pensez-vous, au contraire, qu’il faille les maintenir ? Auquel cas, quelles modalités d’encadrement permettraient-elles de mettre fin aux critiques justifiées qu’elles supportent actuellement ?

Concernant les stock options et les bonus, il nous semble important de faire respecter le principe selon lequel la rémunération des dirigeants doit être en corrélation avec les résultats de l’entreprise. Par ailleurs, il faut prendre en compte l’acceptabilité sociale de ce type de rémunération, notion toutefois très subjective et difficile à appréhender en raison du manque de formation des actionnaires minoritaires et des Français en général. Il y a un monde entre les chefs d’entreprise de pme ou même de grandes entreprise non cotées et les dirigeants des sociétés cotées. Or, aujourd’hui, le grand public est au courant du montant des rémunérations de ces derniers, même si celui-ci était déjà publié dans des revues spécialisées. Comment favoriser cette corrélation ?

M. Didier CORNARDEAU : Je vais répondre d’abord à vos questions concernant l’assemblée générale. Lors d’une réunion d’assemblée générale, les actionnaires ne sont identifiables que dans les quinze jours qui précédent la réunion de l’assemblée. De la sorte, même si les petits porteurs disposent d’un droit de vote et représentent une force dans certaines sociétés, comment pouvons-nous nous connaître ? Le problème est là.

Le président Pascal CLÉMENT : Les petits actionnaires ne se rendent pas aux assemblées générales.

M. Didier CORNARDEAU : C’est parce que les associations ne peuvent pas les contacter puisqu’elles ne les connaissent pas. Pour résoudre ce problème, nous suggérons, sans même qu’il soit besoin d’une quelconque intervention législative, de modifier le pouvoir attaché à la convocation à l’assemblée générale adressé par la société aux banques. Celui-ci ne laisse actuellement la possibilité à l’actionnaire que de donner son pouvoir au président.

Le président Pascal CLÉMENT : N’est-ce pas là la preuve que l’assemblée générale ne sert à rien ?

M. Didier CORNARDEAU : Tout à fait. Les petits actionnaires ne se rendent pas à l’assemblée car ils ne sont pas alertés à temps, le délai pour les contacter n’étant que de quinze jours, desquels il faut d’ailleurs enlever cinq jours. Les porteurs ne sont identifiés que lorsqu’ils ont bloqué leurs titres auprès de leur banque. Il suffirait que le pouvoir adressé par les banques à leurs clients contiennent la liste des associations, et pas seulement l’appac : celles regroupant les petits porteurs bien sûr, mais aussi celles représentant les actionnaires institutionnels. Ainsi, les actionnaires pourraient choisir à qui ils donnent leur pouvoir. Cela permettrait aux associations d’être représentatives.

Le président Pascal CLÉMENT : Les comités exécutifs n’accepteront jamais de créer un tel contrepouvoir. Une telle mesure poserait un problème de cohésion sociale entre les décideurs et les Français. Ce serait créer une nouvelle lutte des classes. Nous cherchons à améliorer le système, pas à le révolutionner.

M. Alain MARSAUD : Je voudrais souligner une autre difficulté, celle de la représentativité, qui se pose dans les mêmes termes pour les syndicats. Comment déterminer la représentativité d’une association de petits porteurs ou de porteurs institutionnels ?

M. Didier CORNARDEAU : Une association, pour être agréée, doit regrouper un certain nombre de membres et doit exister depuis plus de deux ans. Une association, qui ne dispose pas d’un nombre suffisant d’adhérents ni de moyens financiers adéquats, disparaît.

Le président Pascal CLÉMENT : Le problème vient de ce que les adhérents d’une association ne sont pas forcément actionnaires de la société dont cette association voudrait représenter les actionnaires. De combien d’entreprises votre association, par exemple, est-elle actionnaire ?

M. Didier CORNARDEAU : Une vingtaine.

Le président Pascal CLÉMENT : Pour la vingtaine restante, vous n’avez donc pas votre mot à dire ?

M. Didier CORNARDEAU : Pourquoi pas ? Certains actionnaires de sociétés dont nous ne sommes pas actionnaires nous contactent pour nous demander de les représenter. Il nous suffit pour ce faire d’acheter une action de la dite société.

Le président Pascal CLÉMENT : Essayons d’être pragmatiques. Que vont penser un chef d’entreprise et les membres du comité exécutifs d’une loi autorisant une association ne détenant qu’une seule action de leur société à remettre en cause leurs décisions ?

M. Didier CORNARDEAU : Vous ne m’avez pas compris. Le but d’une association est de représenter des actionnaires d’une société. Seulement, pour participer à l’assemblée générale de cette société, elle doit détenir au moins une action, mais elle n’en représente pas moins plusieurs actionnaires. Nous représentons par exemple 1 500 actionnaires de Rhodia et nous côtoyons d’autres associations lors des assemblées générales.

Nous avons simplement besoin de connaître les actionnaires, de nous faire connaître d’eux et de les rencontrer. Pour ce faire, certains ont recours à de grandes affiches dans la rue. Ce n’est pas mon style. Je préfère compter sur ma réputation et me faire connaître des journalistes, comme d’autres le font.
Certains petits porteurs aimeraient pouvoir donner leur pouvoir aux associations. Il suffirait pour ce faire de leur en donner la possibilité sur la convocation. C’est tout ce que nous demandons, le reste nous appartient : à nous d’éduquer les actionnaires, à nous de les représenter, à nous de participer. Nous pouvons certes nous en passer et procéder autrement, en nous faisant connaître par notre sérieux et notre volonté d’agir.

J’en viens à votre proposition concernant le conseil d’administration. Ce type d’organe existe en France sous deux formes : le conseil d’administration ; le conseil de surveillance dans les sociétés à directoire. Cette deuxième formule n’a pas été bien acceptée en France, à la différence de l’Allemagne. M. Claude Bébéar a proposé une solution intermédiaire. Il s’agirait de mettre en place des censeurs, que les statuts prévoiraient, représentant les actionnaires. Cette idée est bonne. Il y a déjà des administrateurs représentant les salariés, mais dans la pratique, il y a un deuxième conseil d’administration, siégeant sans les représentants des salariés. De toute façon, je ne crois pas que les salariés ou les actionnaires doivent participer au conseil d’administration. Leur rôle est de contrôler et celui des dirigeants est de diriger. À chacun son rôle.

Je suis, en revanche, favorable à un organe de contrôle. D’où l’utilité d’instituer des censeurs, qui seraient en contact avec les auditeurs et les commissaires aux comptes et seraient chargés de discuter la rémunération des dirigeants.

Le président Pascal CLÉMENT : C’est déjà le rôle des comités de rémunérations.

M. Didier CORNARDEAU : Tout le monde s’accorde à dire qu’ils ne marchent pas. Les chefs d’entreprise eux-mêmes y voient une petite comédie. Il ne faut pas oublier la pratique des participations croisées aux conseils d’administration : un chef d’entreprise propose à un autre de participer à son conseil d’administration, en échange de la participation au conseil d’administration de son collègue. La loi nre a limité le nombre de mandats à cinq, contre douze auparavant, mais c’est encore trop. Tout le monde sait que les grands patrons forment une bande de copains qui vont jouer régulièrement au golf.

Le président Pascal CLÉMENT : Il paraît que cela a évolué positivement.

M. Didier CORNARDEAU : Oui, ils jouent au tennis maintenant... Il faudrait réduire encore le nombre de mandats, peut-être à quatre. J’admire ces patrons, souvent déjà d’un âge mûr, qui arrivent à la fois à diriger une société, à siéger aux conseils d’administration de maintes sociétés et à écrire des livres. J’ai 55 ans et je ne fais pas tout ça !

Vous m’avez interrogé sur la responsabilité, civile et pénale, des dirigeants. L’appac a pris le parti d’agir au pénal. Une association telle que la nôtre n’a en effet pas les moyens d’agir au civil. Nous n’avons pas les moyens de payer des experts dans des dossiers comme celui de Vivendi. Il ne nous reste donc plus que la voie pénale. Il existe une brigade financière et un pôle financier. Nous les actionnons en déposant plainte, à la suite de quoi ils procèdent à des perquisitions, vont chercher les documents et nous les apportent sur un plateau. Il serait souhaitable que la cob fasse pareil. Nous ne pouvons pas agir au civil contre un dirigeant de société sans preuve à l’appui, car si nous ne réussissons pas à apporter la preuve, il nous faudra payer des dommages intérêts. De plus, aucun assureur n’accepterait de couvrir ce risque. Je vous rappelle qu’à peine l’appac créée, après avoir porté plainte, je me suis retrouvé avec un procès pour diffamation avec une somme de deux millions d’euros en jeu ! Tout cela parce que je voulais dire la vérité ! Je continuerai d’ailleurs à la dire, quoi qu’il m’en coûte. C’est notre rôle, mais je ne peux pas demander à nos adhérents de participer à une action en responsabilité civile. Nos adhérents ont déjà perdu suffisamment d’argent en investissant dans certaines sociétés pour que je leur fasse prendre un risque judiciaire.

M. Alain MARSAUD : Quand vous agissez au pénal, c’est bien parce que vous estimez qu’une infraction a été commise et non pour vous aider à constituer des preuves à l’appui d’une action civile ?

M. Didier CORNARDEAU : L’abus de bien social est une infraction pénale. Quand un salarié commet une faute grave, il est licencié sans indemnité. J’aimerais voir le même principe s’appliquer aux dirigeants lorsqu’ils commettent des erreurs graves - je ne parle pas ici d’erreurs stratégiques d’investissement, mais par exemple d’abus de bien social ou de délit d’initié.

Le président Pascal CLÉMENT : Aujourd’hui, dans le cas des sociétés du cac 40 visées par des plaintes, les infractions n’ont pas été reconnues par la justice. Vous ne pouvez donc pas affirmer qu’il y a eu des cas d’abus de bien social par exemple.

M. Didier CORNARDEAU : Dans le cas de sidel, la cob, quatre ans après l’ouverture du dossier et deux ans après l’opa, a pris une décision, certes tardive, mais qui a sanctionné un dirigeant pour délit d’initié, abus de bien social et présentation de faux bilan.

Dans le cas de Vivendi, chacun comprendra, au vu des rémunérations de certains dirigeants comparées aux résultats de la société, qu’il y a un abus de bien social.

M. Alain MARSAUD : Vous acceptez donc de partir pour sept ans de procédure pénale ?

M. Didier CORNARDEAU : Non, j’ai bien dit tout à l’heure que la solution la plus intelligente était la négociation. Le conseil d’administration, du temps de M. Messier, a commis des erreurs. M. Bronfman en faisait partie, il a bénéficié d’un golden parachute et a, de toute évidence, renvoyé la balle à M. Messier. On voit bien dans les documents présentés au tribunal de commerce qu’il y a eu un accord amiable. Ce que je reproche à la nouvelle direction, c’est d’avoir demandé à la justice américaine de traiter un problème français et d’avoir essayé de tromper les actionnaires. Il faut arrêter cela tout de suite, sans quoi ce ne sont pas 20 millions d’euros que Vivendi va dépenser, mais 70 millions d’euros. Il est donc nécessaire de résoudre le problème par la négociation et que chacun trouve une juste solution.

Le président Pascal CLÉMENT : Vous rejoignez donc M. Messier qui a déclaré être ouvert à la négociation devant le tribunal de commerce de Paris.

M. Alain MARSAUD : Un accord n’éteindra pas les poursuites pénales.

M. Didier CORNARDEAU : Vous avez raison, le procureur sera toujours libre de poursuivre et il aura matière à le faire. Il n’en reste pas moins qu’un accord préservant l’intérêt social sera accepté par l’appac, qui, en contrepartie, retirera sa plainte. Nous souhaitons tourner la page. Les actionnaires ne pourront retrouver leur argent que si le cours de l’action remonte, grâce à un climat serein et à un esprit de confiance.

Nous y sommes parvenus dans le cas de France Télécom. Nous rencontrons régulièrement M. Thierry Breton. L’action de France Télécom a été mise à mal, mais elle va remonter. L’action judiciaire n’est pas la seule solution pour réparer un dommage.

Le président Pascal CLÉMENT : Je me félicite de votre état d’esprit. En effet, l’entreprise n’est pas un champ de bataille. Une certaine cohérence est nécessaire afin de préserver l’intérêt social et d’éviter les coûts très élevés d’un conflit.

M. Didier CORNARDEAU : J’en viens maintenant aux stock options. Je pense que, dans un système libéral, le dirigeant qui apporte un plus à la société mérite une participation aux résultats. Je suis donc favorable aux stock options. Peut-être faut-il modifier leurs modalités de calcul et d’octroi. Il est nécessaire de donner des primes, stock options ou actions, aux chefs d’entreprise. Grâce aux primes, tous auront intérêt à travailler pour le bien de l’entreprise.

En revanche, la distribution d’actions sans que les bilans ne soient connus avec exactitude pose un problème. Il arrive, par exemple, que des dirigeants quittent une société avec des stock options et que l’on s’aperçoive, deux ans après, que les comptes n’étaient pas réels. Je suis donc favorable au blocage des actions distribuées à un dirigeant pendant deux ou trois ans, le temps de vérifier les comptes de la société. Les fonds communs de placement des salariés sont, eux, bloqués pendant un délai de cinq ans. Il est important de pouvoir vérifier les comptes, et notamment les provisions. On a d’ailleurs vu dans le dossier Alstom, où le président n’avait pas suffisamment provisionné les comptes pour les turbines 23 et 24 dont je dirais qu’il s’agit de « Rolls-Royce dotées d’un moteur de 2 chevaux » !

M. Michel VOISIN : Je partage votre avis, M. Cornardeau, lorsque vous dites que notre législation est suffisante et qu’il n’y a donc pas lieu de légiférer.

Vous avez parlé des commissaires aux comptes. Leur responsabilité est engagée lorsqu’un faux bilan d’une entreprise non cotée est publié. Vous semblez dire que les provisions se font librement, mais, autant que je sache, les rapport des commissaires aux comptes sont communiqués à la cob et joints aux documents financiers adressés aux actionnaires ! Il y a donc bien là un élément de responsabilisation de celui qui doit garantir les petits porteurs et l’appel à l’épargne publique.

Vous avez mentionné les conventions réglementées. Le commissaire aux comptes doit vérifier celles qui lui ont été communiquées, mais il doit aussi déceler celle qui ne lui ont pas été communiquées. Dans ce dernier cas, le commissaire aux comptes doit dénoncer ces faits délictueux au parquet, auquel il reviendra de qualifier ces faits. Il faut chercher à faire mieux fonctionner les organes de contrôle.

M. Didier CORNARDEAU : Je suis d’accord avec vous. Le rôle des commissaires aux comptes dans les pme est à la hauteur de leur mission. En revanche, il y a eu des problèmes dans certaines sociétés du cac 40. Le cabinet Salustro, commissaire aux comptes de Vivendi, a voulu alerter la cob, ce qui a donné lieu à un triste épisode. C’est pour cette raison que l’institution de censeurs, représentants les salariés et les petits porteurs, me paraît être une bonne idée. Elle permettrait aux commissaires aux comptes d’être plus libres de dire la vérité aux petits porteurs. Mettez-vous donc à la place du commissaire aux comptes dont une entreprise représente 90 % du chiffre d’affaires !

Dans le cas d’Alstom, nous n’avons eu connaissance du problème des provisions des turbines qu’à l’arrivée du nouveau président, alors que ces provisions ont dû être passées il y a trois ans.


Source : Assemblée nationale française