“ La France respecte toutes les croyances ”


(article 1° de la Constitution)

Le Haut Conseil à l’Intégration occupe une place spécifique parmi les nombreux organismes investis par l’Etat d’un rôle dans la politique de l’immigration.

Il est déjà porteur d’une tradition puisqu’il a été créé il y a juste dix ans par le gouvernement de Michel Rocard. Il bénéficie d’autre part, selon les termes de son décret fondateur, d’une compétence générale sur l’ensemble des questions relatives à l’intégration des résidents étrangers ou d’origine étrangère. S’il est vrai qu’il est dépourvu de tout pouvoir concret, il détient celui de conseiller le Premier Ministre et son autorité réelle est née au fil des ans de la sagesse généralement reconnue de ses avis. Enfin, ses dix sept membres actuels assument des responsabilités dans le monde politique, administratif, universitaire, associatif et économique et un tiers d’entre eux, innovation récente et majeure, est issu des différentes familles de l’immigration.

Ses méthodes de travail ont peu varié depuis sa création et font alterner les auditions de personnalités, les déplacements sur le terrain au contact d’expériences jugées particulièrement significatives ou exemplaires et les débats internes au Conseil complétés par des contributions écrites de ses membres.

Le Haut Conseil a choisi il y a environ deux ans, comme thème de ses travaux, “ l’Islam dans la République ”, jugeant nécessaire d’aborder de front ce problème aux multiples facettes, central pour l’intégration harmonieuse dans la communauté française d’un très grand nombre de personnes étrangères ou d’origine étrangère proche ou lointaine.

L’étude du sujet et l’élaboration du présent rapport a donné lieu à des discussions approfondies et parfois vives au sein du Conseil, mais il a été adopté en définitive à la quasi-unanimité, un seul de ses membres ayant exprimé un désaccord global sur son contenu.

D’autre part, les recommandations relatives au port du voile par de jeunes musulmanes ont fait l’objet de la part de quelques-uns de nos collègues de fortes réserves qui seront évoquées plus loin.

Au-delà des analyses et des réflexions de tout ordre qui sont rassemblées dans ce rapport, il apparaît que la présence, historiquement nouvelle, d’une forte population musulmane installée durablement sur notre sol devrait nous conduire à nous interroger, littéralement à “ revisiter ” trois concepts fondamentaux de notre tradition française et républicaine, non pour les récuser mais au contraire pour en dégager les richesses pour notre pays : ce sont la laïcité, la citoyenneté, et finalement l’égalité.

Certains s’étonneront peut-être que le rapport consacre un long chapitre d’introduction à la loi du 9 décembre 1905, fondement de la séparation des Eglises et de l’Etat, élément essentiel de la laïcité, et en évoque la préhistoire sous la forme d’une chronique résumée des rapports souvent conflictuels que l’Etat français a entretenus avec les communautés religieuses et particulièrement avec l’Eglise catholique, au cours des derniers siècles.

Parce que ces conflits sont aujourd’hui heureusement résolus, cette histoire est peu connue, en particulier, on le comprend, par les fidèles de l’Islam, auxquels pourtant le cadre législatif qui en est issu s’applique comme aux autres communautés religieuses.

La loi de 1905, après les compléments que lui ont apportés la jurisprudence et les avis du Conseil d’Etat, a très bien vieilli et apparaît, après un siècle, comme un texte étonnamment moderne, inspirée par un souci de tolérance et assez souple pour répondre aux exigences particulières de chaque communauté, y compris l’Islam. Les ajustements nécessaires dans le cadre de la loi, dont le rapport a cité quelques exemples significatifs, relèvent de l’imagination, de la bonne volonté et de la force de conviction des acteurs locaux.

Les abus, s’il s’en trouve, ne mettent pas en cause la législation mais la vigilance des autorités chargées du contrôle de la légalité. En tout cas le Conseil, dans son ensemble, a considéré que le temps n’est pas venu pour une refondation du régime cultuel français, mais il estime qu’un effort doit être entrepris pour que le droit actuel français soit mieux connu, avec ses limites et ses souplesses, par les responsables des communautés musulmanes.

En définitive, la recommandation du Haut Conseil est de ne céder en ces matières ni à la complaisance ni à la méfiance : c’est ainsi que certains principes, tels que le respect d’autrui, dans sa personne et ses convictions, l’égalité des sexes, la liberté d’expression et de recherche sont intangibles. En particulier, et pour aborder le problème de l’école, il ne serait pas tolérable que des élèves ou des parents récusent, au nom d’une croyance religieuse, telle ou telle partie des programmes concernant la biologie, la littérature, la philosophie voire le dessin ou globalement l’éducation physique.

Mais en même temps, le simple respect de la règle de droit peut rester une solution de facilité, voire de paresse si elle ne s’accompagne pas, vis à vis des enfants et des familles concernés, d’une démarche de compréhension, de dialogue et de persuasion en quoi se résume la pédagogie.

A cet égard, le Haut Conseil a longuement débattu du problème du port du voile islamique. La question est d’importance en ce qu’il est le symbole emblématique des tensions évoquées plus haut et aussi, tout simplement, parce que la question du voile reste ouverte en raison, en particulier, des agissements de certains réseaux prompts à exploiter des revendications identitaires de la part des jeunes musulmanes.

Quelques membres du Haut Conseil souhaitent l’interdiction générale et absolue du port du voile à l’école ainsi que de tout signe d’appartenance religieuse, à l’exemple de ce qui se pratique en Turquie et en Tunisie : tolérer cette pratique serait, selon eux, accepter, à l’encontre du mouvement général des sociétés modernes vers l’émancipation des femmes, le symbole d’une discrimination éminemment sexiste, porter atteinte au principe de la laïcité qui institue, dans l’enceinte de l’école, un lieu de neutralité propre à protéger la liberté des enfants et enfin perpétuer les incertitudes des chefs d’établissements et des enseignants confrontés à ces problèmes.

Ces arguments, qui méritent d’être pris au sérieux, n’ont cependant pas entraîné l’assentiment de la majorité du Haut Conseil ; celui-ci estime qu’une mesure générale d’interdiction, exigerait une disposition législative dont la conformité à la Constitution et aux conventions internationales signées par la France, serait plus que douteuse.

Mais surtout les témoignages de plusieurs acteurs de terrains indiquent que l’expulsion pure et simple de la communauté scolaire des jeunes filles obstinées à porter le voile, contribuerait à les confiner encore davantage dans leur particularisme, quels que soient les motifs, éminemment variés chez une adolescente, de son affichage. Et surtout, une mesure aussi radicale contribuerait à accentuer la différence de traitement entre les garçons et les filles, les premiers pouvant fréquenter l’école quelle que soit leur tenue vestimentaire. Ce serait là une double discrimination que la majorité du Haut Conseil, dans son souci fondamental d’intégration et dans sa confiance envers l’influence émancipatrice de la communauté scolaire, a refusé, préférant s’en remettre à la jurisprudence équilibrée établie par le Conseil d’Etat.

Il a retrouvé néanmoins son unanimité pour reconnaître qu’un effort particulier d’accompagnement et de médiation soit engagé vis à vis des jeunes filles attachées au port du voile et de leurs familles et aussi qu’un large débat soit ouvert entre les enseignants, les élèves, leurs familles et les autorités concernées, afin que chacun soit éclairé sur ses enjeux.

Le deuxième concept qui mérite d’être exploré est celui même de citoyenneté parce qu’il occupe une place sans pareille dans notre tradition historique et politique. Loin d’évoquer je ne sais quelle uniformisation jacobine, la citoyenneté implique l’adhésion active aux valeurs qui fondent la communauté nationale sans que soient gommés pour autant les diversités religieuses et culturelles et le pluralisme des convictions et des identités.

Intégrer les musulmans vivant sur notre sol dans la République, c’est enrichir la nation française de nouveaux apports religieux et culturels et continuer ainsi ce perpétuel travail de recomposition et d’hybridation qui l’a constituée depuis les débuts de sa longue histoire. Remarquons dans ce contexte que l’expression courante “ français de souche ” n’a guère de sens et que les désignations symétriques de ceux qui sont supposés ne pas l’être, “ Musulmans ”, “Arabes, “ Maghrébins ” ou “ Immigrés ” ne sont que des simplifications abusives vis à vis de personnes dont les références ne sont pas essentiellement religieuses, dont les origines géographiques sont très diverses et qui, de plus en plus, sont nées en France de parents eux-mêmes français. Notre communauté nationale ne se définit pas comme une mosaïque de communautés mais plus que jamais par le plébiscite quotidien de nos concitoyens dont parlait Renan.

Nous avons eu à cet égard la satisfaction d’entendre à plusieurs reprises des témoignages de jeunes musulmans qui ont exprimé devant nous avec une tranquille simplicité leur attachement à l’Islam et à toutes les traditions héritées de leurs pères en même temps que leur bonheur d’être français. Nous avons, à leur exemple, tout à gagner à favoriser, en même temps que la liberté d’exercer leur culte garantie par la loi, l’expression des richesses culturelles dont ils sont porteurs et leur intégration à notre propre culture. Les étonnantes créations musicales nées de la rencontre de folklores algériens et français sont un exemple particulièrement réussi de ce syncrétisme culturel. Souhaitons seulement que notre éducation nationale, à tous les niveaux, travaille à familiariser, au sens propre du mot, nos compatriotes avec l’Islam pour qu’il apparaisse comme une richesse plutôt que comme une menace. Enfin aurons-nous peut-être aussi à réviser notre conception de l’égalité pour qu’elle soit capable de répondre aux exigences d’une population moins homogène que naguère.

Intégrer l’Islam dans la République, c’est donner concrètement aux musulmans toutes les chances de promotion à l’intérieur de la société française. L’accession à la citoyenneté ne serait qu’un leurre si elle n’ouvrait pas l’accès à la plénitude d’une intégration culturelle, sociale et économique : c’est une question d’équité et de dignité.

Nos systèmes statistiques ne livrent guère d’informations sur la place des immigrés à l’intérieur des différents corps sociaux sauf à constater, au vu de données fragmentaires, que l’ascension sociale des immigrés et de leurs enfants est lente et difficile, beaucoup plus que ne le fut il y a un siècle celle des fils de paysans français que la République, grâce en grande partie à l’école, a progressivement intégrés dans ses classes dirigeantes.

Les discriminations dont sont victimes ces populations sont patentes en particulier dans le domaine de l’emploi et du logement et elles expliquent en partie les replis identitaires qui sont évoqués dans le présent rapport. Le Haut Conseil renouvelle son souhait, réitéré dans chacune de ses publications, que ces délits soient plus énergiquement poursuivis et sanctionnés. Dans ses prochains travaux, il reviendra sur cette question et s’efforcera également de discerner les obstacles moins visibles qui, dans la formation ou le recrutement des cadres de la nation, excluent de fait ceux qui n’ont pas eu la chance d’apprendre à déchiffrer les codes dont la clef est chez nous une des conditions de la réussite sociale. Notre société a ses rigidités propres à un vieux peuple : puisse l’immigration nous aider à les surmonter.

Roger FAUROUX


Source : Haut Conseil à l’intégration (France).