Il y a un an, nous discutions en toute franchise, ici à Munich, de la question d’une guerre contre l’Iraq, comme il est d’usage entre amis.

Nos opinions divergeaient :

 L’analyse de la menace était-elle suffisante pour justifier l’arrêt des travaux des inspecteurs de l’ONU ?
 Quelles conséquences une guerre allait-elle entraîner dans la lutte contre le terrorisme international ?
 Quelles allaient être les répercussions d’une guerre en Iraq sur la stabilité régionale ?
 Les conséquences à long terme de cette guerre allaient-elles pouvoir être maîtrisées ?
 La légitimité controversée de cette guerre allait-elle limiter dangereusement la capacité de soutien nécessaire au terme de la guerre ?

Le gouvernement fédéral s’est vu conforté dans son attitude de l’époque par le cours des événements. Nous avons pris la décision politique de ne pas entrer dans la coalition car nous n’étions et ne sommes toujours pas convaincus de l’existence de motifs suffisants pour une guerre.

Cependant, deux choses étaient claires pour nous également, après que la coalition avait opté pour la guerre. Premièrement, la coalition devait remporter cette guerre aussi rapidement que possible ; deuxièmement, il fallait gagner la paix.

En effet, un échec aurait pour nous tous, Européens comme Américains, partisans comme adversaires de la guerre, des conséquences tout aussi négatives. C’est cette opinion qui a guidé l’attitude de l’Allemagne pendant et après la guerre en Iraq.

Nous sommes consternés par les terribles attentats terroristes, tels que dernièrement à Erbil, qui ont fait tant de victimes parmi la population civile, mais aussi parmi les soldats de nos alliés et amis. Nous adressons notre plus profonde sympathie à leurs familles.

Lorsque nous affirmons que nous devons gagner la paix ensemble, parce qu’autrement nous perdrons ensemble, quelle qu’ait été notre attitude vis-à-vis de la guerre, cela signifie que nous devons aujourd’hui aller de l’avant :

Nous sommes unanimes quant au fait que les efforts de la coalition doivent porter leurs fruits. Les forces de la terreur et de la violence en Iraq ne doivent pas avoir le dessus.

Nous sommes donc convaincus qu’il est à présent essentiel de rétablir la souveraineté du pays sur une large base de légitimité et de la céder à un gouvernement iraquien légitimé si possible par des élections. Les Nations Unies doivent jouer un rôle central dans le transfert de souveraineté et le soutien de la reconstruction démocratique, car c’est la seule institution capable de garantir la légitimité nécessaire du processus.

Dès le départ, nous avons affirmé vouloir orienter la reconstruction en Iraq sur les expériences faites en Afghanistan. C’est ce que reflètent également notre engagement humanitaire et notre projet de formation de la police en Iraq.

Permettez-moi d’aborder ici, avec la franchise qui est de mise pour nous, une discussion entamée il y a quelque temps déjà. Je crois que la décision d’une participation directe de l’OTAN en Iraq doit être très scrupuleusement étudiée et analysée. Le gouvernement fédéral ne refusera pas un consensus éventuel, même si nous n’allons pas envoyer de troupes allemandes en Iraq. Mais le risque d’un échec et les conséquences, qui pourraient être très graves, voire fatales pour l’Alliance sous certaines circonstances, doivent impérativement et scrupuleusement être pris en considération.

L’honnêteté m’enjoint ici de ne pas dissimuler mon profond scepticisme.

On en vient de plus en plus à la conclusion que la crise en Iraq ne pourra pas être résolue sans un processus de réformes durable et de longue haleine dans toute la région.

Indépendamment de la controverse sur la guerre en Iraq, nous sommes depuis longtemps convaincus qu’après le 11 septembre 2001, non seulement les États-Unis, mais aussi l’Europe et même le Proche-Orient ne peuvent plus accepter le statu quo au Proche et Moyen-Orient.

En effet, la plus grande menace qui mette en péril notre sécurité régionale et mondiale au début de ce siècle a son épicentre au Proche et Moyen-Orient : il s’agit du terrorismedestructeur du djihad et de son idéologie totalitaire. Il ne représente pas uniquement une menace pour les sociétés occidentales, mais aussi et surtout pour le monde musulman et arabe.

Les moyens militaires seuls ne nous permettront pas de surmonter la menace de ce nouveau totalitarisme. Notre réponse doit donc être tout aussi globale que cette menace. Et l’Occident n’est pas en mesure de la formuler seul.

En adoptant une attitude paternaliste, nous nous infligerions notre première défaite. Nous devons plutôt faire aux États et sociétés de la région une offre sérieuse de coopération basée sur un véritable partenariat.

Le terrorisme du djihad n’est pas suffisamment puissant pour réaliser directement ses objectifs politiques, à savoir la déstabilisation du Proche et Moyen-Orient. Il tente donc de plonger l’Occident, et en premier lieu les États-Unis, dans une guerre des cultures - l’Ouest contre l’islam -, de provoquer des réactions excessives, voire de mauvaises décisions, afin de déstabiliser ainsi l’ensemble du Proche et Moyen-Orient. Le terrorisme et la guerre asymétrique doivent produire deux effets : d’une part, démoraliser les forces d’intervention et les opinions publiques occidentales, et d’autre part, plonger la région dans un chaos déstabilisateur.

C’est précisément pour cela que nous devons étudier très soigneusement chacune de nos décisions dans la lutte contre cette forme de terrorisme, et élaborer une stratégie commune pour combattre efficacement le terrorisme du djihad.

Le 11 septembre et le terrorisme meurtrier d’Al-Qaida sont les raisons pour lesquelles l’OTAN garantit aujourd’hui la reconstruction et la stabilisation en Afghanistan sur la base du mandat de la FIAS décidé par les Nations Unies. L’Allemagne est actuellement représentée en Afghanistan par 2000 soldats, dont 1800 à Kaboul et 200 dans notre équipe de reconstruction à Kunduz. Nous avons également joué un rôle primordial dans la reconstitution des structures de la police civile. En outre, l’Allemagne est l’un des plus gros donateurs d’aide à la reconstruction en Afghanistan : d’ici le milieu de l’année, nous aurons mis à disposition près de 280 millions d’euros et dépassé ainsi nos engagements.

Toutefois, si nous voulons remporter le combat contre le terrorisme du djihad, nous devons suivre une approche nettement plus vaste et plus approfondie dans la région du Proche et Moyen-Orient. En effet, derrière ce nouveau terrorisme se cache une crise profonde de modernisation, dans une grande partie du monde arabo-islamique.

Nos efforts communs pour la paix et la sécurité sont condamnés à l’échec si nous pensons que seules les questions de sécurité ont de l’importance. Elles en ont très certainement ! Mais dans cette lutte contre le terrorisme, la sécurité englobe des aspects bien plus vastes : la modernisation sociale et culturelle, tout comme la démocratie, l’État de droit, les droits des femmes et la bonne gouvernance revêtent une importance presque supérieure encore.

Ce principe est à la base de la Stratégie européenne de sécurité, adoptée en décembre 2003 par l’Union européenne.

À ce jour, les pays du Proche et Moyen-Orient ont malheureusement à peine vu l’amorce d’une conception positive de la mondialisation. Cette région n’a pas encore trouvé de solution aux défis pressants du XXIème siècle. Elle est totalement dépourvue face aux attentes d’une population majoritairement jeune - plus de la moitié des habitants de la région est âgée de moins de 18 ans. Les chiffres récents affichent un développement négatif, c’est-à-dire une régression des investissements au Proche-Orient.

Le dernier Rapport arabe sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement est lui aussi alarmant. Mais il envisage, en réponse aux déficits de la région, la perspective stratégique d’une société de la connaissance dans le monde arabe, et dont les piliers sont la démocratie et l’État de droit, l’égalité de droits pour les femmes et leur intégration dans la vie publique, le développement de sociétés civiles fortes ainsi que de l’économie et de systèmes modernes d’éducation.

C’est la tâche de toute une génération. Et l’initiative ne doit pas venir de l’extérieur, mais bien de l’intérieur. La clé du succès des réformes se trouve dans la région.

Si vous pensez cependant qu’il s’agit ici d’une chronique charmante qui n’aurait que peu, voire rien à faire avec la politique de sécurité, vous vous trompez lourdement. Notre sécurité commune au XXIe siècle dépend moins de l’intervention ou non de l’OTAN en Iraq (bien que je ne sous-estime en aucune façon l’importance de cette question), que du fait que nous, c’est-à-dire les États-Unis, l’Europe et les États concernés dans la région, abordions enfin de façon stratégique les défis de la modernisation et de la stabilisation au Proche et Moyen-Orient.

Pour y parvenir, l’Union européenne, les États-Unis et le Canada devraient, au vu de l’importance de ce défi pour notre sécurité commune, concentrer leurs capacités, leurs moyens et leurs projets dans une nouvelle initiative transatlantique pour le Proche et Moyen-Orient.

Une telle initiative pourrait ouvrir aux pays du Proche et Moyen-Orient une perspective totalement nouvelle : une coopération renforcée et un partenariat étroit en matière de sécurité, de politique, d’économie, de droit, de culture et de société civile.

Cependant, une telle initiative transatlantique commune repose nécessairement sur deux conditions qui doivent être remplies. Premièrement, cette initiative doit disposer d’une capacité de soutien et s’inscrire sur le long terme. Deuxièmement, le conflit régional déterminant, à savoir celui du Proche-Orient, ne peut ni être mis de côté, ni paralyser cette initiative.

La menace commune que représente le terrorisme du djihad et la déstabilisation possible d’une région qui revêt une importance stratégique pour notre sécurité, nos intérêts communs et le fait de multiplier nos possibilités en collaborant étroitement, voilà autant d’arguments qui doivent amener les États-Unis et l’Europe à tirer aujourd’hui les justes conséquences de leurs divergences à propos de la guerre en Iraq et à élaborer, de concert avec nos partenaires dans la région, une perspective et une stratégie pour le Proche-Orient élargi, je dis bien une "stratégie commune", et non une approche "boîte à outils".

Une initiative en deux temps s’offre à nous, puisque tant l’OTAN que l’Union européenne disposent déjà de coopérations dans la région méditerranéenne. Une première étape consisterait donc à lancer un processus méditerranéen commun de l’OTAN et de l’Union européenne.

Une deuxième étape pourrait être ensuite une "déclaration pour un avenir commun", qui porte sur toute la région du Proche et du Moyen-Orient.

Permettez-moi tout d’abord de vous exposer les réflexions quant au processus méditerranéen UE-OTAN.

Que la Méditerranée soit au XXIe siècle une zone de coopération ou d’affrontement revêtira pour notre sécurité commune une importance stratégique.

Le dialogue que mène l’OTAN avec les pays méditerranéens, ainsi que le processus de Barcelone de l’Union européenne pourraient se renforcer et se compléter mutuellement grâce à une étroite concertation des travaux en vue de leur regroupement dans le cadre d’un nouveau processus méditerranéen UE-OTAN.

Il ne s’agit pas de faire fusionner le processus de Barcelone de l’Union européenne et le dialogue méditerranéen de l’OTAN, mais de faire en sorte qu’ils se complètent sur la base de leurs atouts spécifiques.

Le nouveau processus méditerranéen UE-OTAN devrait associer tous les participants du dialogue méditerranéen de l’OTAN, c’est-à-dire, outre les membres de l’OTAN et de l’UE, les pays du Maghreb, soit l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Maurétanie, ainsi que l’Égypte, la Jordanie et Israël. Viendraient s’y ajouter tous les participants du processus de Barcelone, c’est-à-dire les pays que je viens de mentionner plus les territoires palestiniens, la Syrie et le Liban.

La coopération devrait se concentrer sur quatre aspects prioritaires : la sécurité et la politique, l’économie, le droit et la culture, la société civile.

La première priorité porterait sur le développement d’une coopération politique et d’un partenariat sécuritaire étroits, dont l’objectif serait d’instaurer la transparence et la confiance entre tous les États participants. De plus, il conviendrait de soutenir les processus de réforme engagés par les pays de la région, et ce dans tous les domaines de la politique, des institutions, de la démocratie et du droit.

Aux intérêts de sécurité légitimes de tous les pays de la région devrait répondre une coopération régionale en matière de sécurité fondée sur la transparence et la vérification, le désarmement et la maîtrise des armements. L’Union européenne a d’ores et déjà soumis à ce sujet des propositions détaillées dans le cadre du processus de Barcelone.

L’OTAN pourrait, dans ce contexte, contribuer tout spécialement à la réussite d’un partenariat politique et d’un partenariat sécuritaire efficace. Ses atouts tout à fait spécifiques et les expériences rassemblées dans le cadre du "Partenariat pour la paix" seraient ici très importants.

La deuxième priorité pourrait être un nouveau partenariat économique autour de la Méditerranée. Ceci est également de la plus haute importance pour la question de sécurité. Le développement et l’intégration de zones économiques nationales jusqu’ici distinctes pourraient en particulier apporter un soutien décisif à la mutation politique et sociale.

Pourquoi, dans ces conditions, ne pas poursuivre résolument l’ambitieux objectif qui consisterait à créer ensemble d’ici à 2010 une zone de libre-échange couvrant l’ensemble du bassin méditerranéen ?

Les Européens et les Américains peuvent en outre inciter à la coopération au sein de la région en pratiquant une politique d’ouverture ciblée de nos marchés aux produits d’origine transnationale.

Quant à la troisième priorité, le partenariat en matière judiciaire et culturelle, elle devrait englober la mise en place d’institutions démocratiques et fondées sur l’État de droit, ainsi que des médias libres et la coopération dans les domaines de l’éducation et de la formation.

Le dialogue interreligieux, un dialogue intense et une collaboration étroite dans le domaine culturel, ainsi qu’un partenariat de tolérance dans la culture et l’éducation, joueraient eux aussi un rôle essentiel dans le cadre de cette priorité.

La quatrième priorité viserait à renforcer et à associer les sociétés civiles ainsi que tout le secteur des ONG. En effet, des sociétés civiles fortes sont indispensables à la démocratie et à l’État de droit et dans le même temps essentielles à tout processus de renouveau.

Cette nouvelle initiative transatlantique en faveur de la paix, de la stabilité et de la démocratie dans la zone méditerranéenne devrait venir en complément du travail effectué par les institutions existantes. Des rencontres régulières des ministres des Affaires étrangères ou d’autres ministres compétents des pays concernés se prêtent donc comme instrument de pilotage. Les sociétés civiles devraient disposer de leur propre forum.

Permettez-moi maintenant d’aborder la deuxième phase de l’initiative, à savoir la "déclaration pour un avenir commun".

Elle ne devrait pas s’adresser uniquement aux participants du processus méditerranéen UE-OTAN mais, outre ces pays, aux autres États membres de la Ligue arabe. Il serait bon d’envisager aussi la participation de l’Iran.

Les signataires de la déclaration devraient s’engager à promouvoir et à soutenir ensemble les réformes dans les pays de la région.

Cette déclaration offre à tous les pays concernés un partenariat à égalité de droits et une coopération globale en vue d’un avenir commun.

La déclaration devrait contenir divers principes que les pays concernés s’engageraient à respecter.

Premièrement : les États signataires proclament leur attachement à la paix, la sécurité et le non-recours à la force, à la démocratie et à la coopération économique, à la maîtrise des armements, au désarmement et à un système de sécurité basé sur la coopération. Tous s’engagent à lutter ensemble contre le terrorisme et le totalitarisme.

Deuxièmement : les États signataires considèrent la politique de réformes politiques, économiques et sociales au sein de l’État et de la société comme la réponse décisive aux défis du XXIe siècle. Ils sont favorables à l’intégration de leurs économies.

Tous aspirent à la bonne gouvernance, qui est attachée aux droits de l’homme comme à la justice et à la loi, ainsi qu’à la participation de tous les citoyens au processus de décision politique, à une société civile forte et indépendante et à l’égalité de la femme et son intégration dans la vie publique.

Troisièmement : les États signataires s’engagent à donner libre accès au savoir et à l’éducation à tous, hommes et femmes, l’objectif étant d’édifier des sociétés de la connaissance dans la région. Cet objectif correspond à la mission stratégique centrale énoncée dans le Rapport arabe sur le développement humain.

La succession rapide des sommets du G8, de l’Union européenne et de l’OTAN ce printemps est l’occasion de lancer concrètement ce projet. Tous ses éléments essentiels existent déjà dans les initiatives adoptées par l’OTAN, l’Union européenne ou les capitales nationales. On pourrait donc soumettre à Istanbul une offre commune de partenariat avec les pays de la région.

Il n’en reste pas moins qu’une telle initiative demanderait à être soigneusement préparée en concertation avec les partenaires de la région car - je le répète - il faut éviter tout malentendu qui porterait à croire au paternalisme.

Ces réflexions sur une nouvelle initiative transatlantique reposent sur la conviction que la modernisation du Proche-Orient élargi sera décisive pour notre sécurité commune au XXIe siècle. Faire participer les populations du Proche et du Moyen-Orient aux conquêtes de la mondialisation est donc dans notre plus grand intérêt.

Le 1er mai 2004, l’Union européenne accueillera dix nouveaux membres, mettant ainsi définitivement un terme à la partition de l’Europe. L’Europe est en voie d’unification. Certes, cela ne se fait pas sans conflit ni querelle, mais l’Europe se construit, je n’en ai pas le moindre doute. Les expériences que nous avons faites depuis cette journée effroyable du 11 septembre 2001 devraient bien nous avoir fait prendre conscience des deux côtés de l’Atlantique que, compte tenu des défis phénoménaux qui nous attendent, le partenariat transatlantique est indispensable au XXIe siècle.

Si, face à la menace commune, les pays d’Europe et d’Amérique du Nord réunis au sein de l’Union européenne et de l’OTAN collaborent au plan stratégique en tant que partenaires, et si, aux côtés des pays du Proche et du Moyen-Orient, ils apportent leurs talents et atouts spécifiques dans une nouvelle coopération, nous pouvons, nous, fournir cette contribution essentielle à notre sécurité à tous. Mais si nous nous y refusons ou y renonçons par manque de sagesse, par étroitesse d’esprit ou tout simplement par pusillanimité, alors il nous faudra tous payer le prix fort.

Traduction officielle du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères.