Q - Première actualité : l’attentat suicide de Jérusalem à bord d’un autobus. Huit morts à Jérusalem Ouest plus le kamikaze, une soixantaine de blessés. Ouverture des audiences devant la Cour internationale de Justice de La Haye qui doit se prononcer sur la légalité de la séparation qui empiète sur la Cisjordanie. Audience à la demande de l’Assemblée générale de l’ONU. Cet attentat justifie-t-il la construction par Israël de la séparation mur et clôture avec la Cisjordanie ?

R - Voilà une question difficile à laquelle il n’y a pas, à mon sens, de réponse simple. Sur le plan du principe, est-ce qu’un mur est susceptible de faire avancer la réconciliation entre deux peuples, voire de permettre à la sécurité d’être mieux respectée ? Le sentiment de la France est que ce n’est pas la meilleure solution. Mais la sécurité est le premier devoir de tout Etat et chacun voit bien au quotidien ce à quoi sont soumis les Israéliens.

Q - C’est indispensable pour empêcher l’infiltration des kamikazes, dit le gouvernement israélien.

R - Alors prenons en compte cet élément de sécurité. Bien évidemment, c’est le premier devoir des autorités israéliennes que d’assurer la sécurité de leur peuple mais faisons-le alors sur la base d’un tracé qui soit respectueux des engagements internationaux, c’est-à-dire les frontières de 1967, ce qui n’est pas le cas du tracé actuel. C’est-à-dire que, à la question de principe "faut-il ou ne faut-il pas construire un mur ?" s’ajoute un autre problème : "est-ce que le tracé de cette ligne choisi pour la construction du mur ou de la barrière de sécurité correspond aux engagements pris devant la communauté internationale ?". Sur ce point, il y a évidemment un débat très fort parce que, construire une barrière de sécurité ou un mur sur une ligne qui ne correspond pas au tracé légal, c’est susceptible d’accroître la frustration, le ressentiment, d’envenimer un peu plus les choses alors que chacun souhaiterait, au contraire, que la tension puisse décroître et que le processus de paix puisse reprendre.

Q - Est-ce que cette séparation est un mur de l’Apartheid comme le disent certains, pour permettre à Israël d’annexer de fait les secteurs où sont installés les plus grandes colonies de Cisjordanie ?

R - C’est la double interprétation possible de ce mur. A la fois, sécurité : c’est bien le langage que tiennent les Israéliens et chacun peut, une fois de plus, comprendre cet argument. Mais aussi construction politique qui pourrait retarder un processus de paix voire le rendre impossible. Il y a là un élément que nous devons prendre en compte parce que la vraie sécurité - et c’est l’expérience de la communauté internationale, d’Israël, l’expérience que nous faisons partout sur la planète -, c’est qu’il n’y a pas de sécurité qui puisse être obtenue seulement par des moyens sécuritaires. Pour obtenir la sécurité, il faut un processus politique et un processus de paix. Il faut que les peuples s’entendent. Pour cela, il convient d’avancer dans la création d’un Etat palestinien. Il faut rétablir la justice dans cette région. Ne tombons pas dans cette guerre des préalables qui consiste à dire : "Il faut d’abord arrêter la violence pour qu’un processus puisse prendre." Il faut faire les deux en même temps. Il faut crédibiliser un processus politique et cela demande un engagement sérieux des deux côtés.

Q - Le gouvernement dit : à La Haye, nous sommes jugés, accusés.

R - Là encore, à La Haye, nous sommes face à la même complexité et je voudrais pour les auditeurs, préciser les choses. A La Haye, il y a un double problème. D’abord, est-ce que la Cour internationale de Justice est compétente pour ces choses ? C’est une décision que la communauté internationale a eu à trancher. Le sentiment de la France, de l’Europe, c’est que cette saisine n’est pas opportune, c’est-à-dire pourquoi chercher à régler juridiquement un problème qui est par essence politique ? Deuxième question, dès lors que la Cour internationale de Justice a été amenée à se prononcer et se considère compétente, alors il faut bien évidemment être en mesure de juger sur le fond des choses et se pose alors la question du tracé. Donc vous voyez bien que la question se pose aux deux niveaux et cela a été d’ailleurs le problème de l’Assemblée générale des Nations unies qui a été saisie une première fois pour savoir si le mur en soit était une bonne chose. La décision de l’ensemble de communauté internationale a été de condamner la construction de ce mur. Deuxième étape, savoir si effectivement, la construction du mur justifiait la saisine de la Cour internationale de Justice. Une deuxième fois l’assemblée générale a décidé que oui. L’Europe s’est abstenue. Les quinze pays européens se sont abstenus parce que nous pensons que le problème est d’abord politique.

Q - Qu’attendez-vous de l’Autorité palestinienne aujourd’hui ?

R - Qu’elle avance, qu’elle bouge, qu’elle prenne des engagements extrêmement forts et au premier chef qu’elle accepte la trêve, un cessez-le-feu. C’est le point de départ de tout.

Q - Qu’elle arrête et condamne les terroristes ?

R - Absolument. Il faut clairement un engagement de la part des Palestiniens en faveur d’un processus politique. A partir de là, il faudra appuyer ses efforts pour crédibiliser cet engagement car elle ne dispose pas des moyens de police, des moyens d’un Etat de droit, pour faire respecter cela. Mais qu’elle s’engage résolument. Première étape possible : qu’elle accepte de rencontrer les autorités israéliennes. Il faut donc une reprise du dialogue avec les Israéliens, un engagement très fort sur le terrain pour lutter contre et condamner le terrorisme ; il faut un engagement de la communauté internationale. C’est cela qui est intéressant sur la scène mondiale. C’est au moment où tout le monde désespère qu’on entrevoit une lueur. Ariel Sharon a proposé un retrait de Gaza. Cela peut être le meilleur et le pire. Le pire s’il s’agit d’un retrait unilatéral qui nous éloigne d’un processus de paix. Le meilleur - et c’est bien dans ce sens que nous voulons travailler - dès lors que ce retrait de Gaza serait la première étape d’un processus international et donc de la recherche d’un règlement négocié. C’est dans ce sens que nous voulons travailler, mais travaillons tous. Cela signifie, à ce stade, que nous aurons donc à régler la question : "faut-il ou pas une force internationale qui se déploie à Gaza pour empêcher les violences, pour empêcher que le territoire israélien ne soit visé, pour faire en sorte que la stabilisation de ce territoire soit possible ?" Et faisons en sorte que cette première étape puisse conduire à d’autres étapes, c’est-à-dire que le démantèlement des colonies israéliennes qui sont aujourd’hui installées à Gaza ne soient pas transférées en Cisjordanie mais bien rapatriées en Israël et faisons en sorte que la Cisjordanie soit bien la deuxième étape. Et c’est pour cela que la France propose une conférence internationale parce qu’il faut une dynamique à la paix. Il faut trouver le momentum, c’est-à-dire rallier l’ensemble des énergies de la communauté internationale car nous savons que c’est un processus compliqué qui devra inclure d’autres pays, en particulier la Syrie et le Liban. Faisons en sorte que cette dynamique de paix puisse reprendre. Au moment où on serait tenté de baisser les bras, de voir cette montée éternelle de la violence, on entrevoit la possibilité de faire avancer la paix. Cela justifie, y compris en année électorale américaine, que les Etats-Unis et les Européens s’engagent. Je dis bien les Européens parce qu’ils ont vocation à faire davantage pour cette région. Nous sommes le premier partenaire économique et commercial d’Israël, nous sommes le premier pourvoyeur d’aide à cette région, nous n’avons pas en tant qu’Européens, un rôle à la mesure, sur le plan politique, de notre engagement. Il faut faire davantage.

Q - Vous en avez assez de payer pour rien ?

R - Oui, j’en ai assez surtout de voir cette fatalité de la violence alors que nous savons tous que, oui, nous pouvons faire quelque chose à condition de le faire ensemble. Les Américains se sont engagés depuis le Sommet d’Aqaba. Ils l’ont fait seuls, d’où l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Pour agir et pour être efficaces sur la scène internationale, il faut que nous agissions ensemble, c’est la grande clé.

Q - Autre point sensible de la planète : Haïti. Etonnant ce qui se passe à Haïti. A Port-au-Prince, la capitale, on fête le carnaval, sous protection policière et pendant ce temps-là, dans le nord du pays, ce sont les opposants qui prennent le pouvoir et qui disent qu’ils seront à Port-au-Prince dans deux ou trois jours. Aristide doit-il partir oui ou non ?

R - Si l’on pouvait résumer ainsi la crise haïtienne, je dirais que c’est simple. Le problème est que l’on a trois grands acteurs sur le plan politique : le président Aristide - et chacun voit bien la responsabilité qui est la sienne dans la détérioration des choses tout au long de ces années après beaucoup d’espoir -, l’opposition politique qui aujourd’hui s’enferme dans un silence et refuse toute participation, tout dialogue, et puis un troisième groupe, celui qui aujourd’hui pose le plus de difficultés, formé de gangs, d’anciens militaires qui ont choisi la voie armée. La première étape est de rétablir un dialogue politique dans ce pays. On ne peut pas agir dans un pays en crise tant que chacun des différents acteurs n’a pas accepté de se mettre autour d’une table et de dialoguer. Comment envoyer dans ce pays une force de sécurité si elle doit être prise au milieu des combats ?

Q - Pour l’instant, il n’est pas question d’envoyer une force d’interposition ?

R - C’est une question que nous nous posons tous. Nous sommes mobilisés pour le préparer. J’y suis favorable dès lors qu’elle pourrait agir. Or, pour agir, il faut que les différentes parties s’entendent sur un processus politique.

Q - Des Français pourraient participer à une telle force ?

R - Nous sommes prêts à apporter notre concours dès lors que la communauté internationale serait mobilisée et d’accord pour le faire, dès lors que les Nations unies donneraient mandat, nous sommes prêts évidemment à apporter notre concours dans des conditions qui resteront à définir. Nous n’en sommes pas, malheureusement, à ce stade encore. Première étape : un dialogue politique. Comme vous l’avez très justement dit, c’est une course de vitesse. Est-ce que nous aurons des gangs, des groupes armés, qui vont prendre le pouvoir à Haïti pour semer une nouvelle fois la terreur et le désordre ou est-ce que du chaos actuel - car c’est un petit peu la situation ubuesque dans laquelle est cette île où les villes tombent sans combats et avec beaucoup d’exactions et de violence, comme à Cap haïtien -, le bon sens, le dialogue, la responsabilité vont l’emporter ? Il est important que chacun fasse un geste.

Q - Mais il y a un plan de règlement de la crise ? Encore une fois c’est conduit par les Américains.

R - C’est conduit par les Américains avec nous et avec l’ensemble des pays de la région.

Q - Vous n’avez pas peur que les Américains, encore une fois, se conduisent en gendarmes de cette région du monde en oubliant nos intérêts et les intérêts d’autres pays ?

R - Dans cette affaire, il n’est pas question d’intérêts. Le seul intérêt qui compte, c’est l’intérêt du peuple haïtien et c’est l’intérêt d’Haïti et c’est bien aujourd’hui l’état d’esprit…

Q - C’est aussi l’intérêt des Etats-Unis ?

R - Absolument, mais c’est l’intérêt de tout le monde que de stabiliser la situation dans cette île. Les Etats-Unis peuvent craindre à nouveau que des bateaux avec des milliers de réfugiés débarquent sur leurs côtes. C’est une inquiétude qui peut exister aussi dans les Caraïbes. L’intérêt, chacun le voit bien, c’est de faire en sorte d’arrêter les violences dans cette île. J’ai eu Colin Powell longuement hier soir. C’est donc un plan qui est celui de la CARICOM, c’est-à-dire celui de la communauté des Etats des Caraïbes qui regroupe l’ensemble des différents pays de la région plus les pays amis d’Haïti et il y a en a beaucoup : la France, le Canada, les Etats-Unis, le Brésil, le Mexique et l’Afrique du Sud. Je me suis entretenu avec les représentants de ces différents Etats pour essayer de voir comment ce plan politique pouvait être refondé, réactualisé. Et c’est ce à quoi nous réfléchissons aujourd’hui. Mais, au-delà de l’aspect politique, il y a un aspect humanitaire. Comment faire en sorte d’arrêter les violences ?

Q - On est au bord d’un massacre possible ?

R - Absolument, nous sommes devant un massacre qui se déroule. Il y a déjà eu plus de 70 morts au cours des dernières semaines. Le Secrétaire général de l’ONU a envoyé une mission humanitaire sur place qui rend en ce moment ses conclusions. Il faut donc se mobiliser sur le plan humanitaire, sur le plan régional et sur le plan international. Il y a une dimension Droits de l’Homme très importante et nous pensons qu’il faut envoyer là-bas des émissaires de la Commission des Droits de l’Homme pour pouvoir faire le point des responsabilités et au-delà de cela, il y a la question de la sécurité et c’est bien évidemment la question de l’envoi d’une force, force civile, force de police, ceci est à déterminer avec l’ensemble des membres de la communauté internationale.

Q - Quelles recommandations donnez-vous aux Français qui sont sur place ?

R - Partir bien sûr. Nous sommes convaincus qu’aujourd’hui tous ceux qui n’ont pas de vocation à être présents sur place ne doivent pas rester. Nous avons notre ambassade, nos représentants qui travaillent, qui œuvrent en liaison avec l’ensemble des différents acteurs haïtiens pour essayer de nouer les fils de la crise mais ceux qui n’ont pas de raisons, de motifs, d’être présents, évidemment ne doivent pas rester dans l’île.

Q - Vous parliez de Colin Powell il y a quelques instants. Cela va mieux avec Colin Powell ?

R - Cela va bien parce que nous travaillons et nous agissons ensemble et c’est bien cela la diplomatie.

Q - Il y a deux ans, jour pour jour, le 23 février 2002, Ingrid Betancourt est enlevée par les FARC, principal mouvement de guérilla en Colombie. Deux Français ont été enlevés il y a un peu plus d’un mois. Je rappelle quelques chiffres pour nous remettre à l’esprit ce qui se passe là-bas : 200 000 morts, 3 000 otages, 40 ans de guerre civile dans ce pays d’Amérique du Sud. Est-ce que vous avez d’abord des nouvelles récentes d’Ingrid Betancourt ?

R - Non, les dernières nouvelles datent d’il y a maintenant quelques mois. Une cassette dans laquelle elle adressait un message à la Colombie et à la communauté internationale. Nous pensons qu’elle est dans un état de santé satisfaisant mais bien évidemment, au fur et à mesure que les semaines passent, l’inquiétude ne cesse de s’accroître. Deux ans dans des conditions terribles, vous l’imaginez, au cœur de la jungle. Bien évidemment, comment y résister ? Et c’est pour cela que nous pensons que chacun doit se mobiliser aujourd’hui partout, en Colombie et ailleurs, pour faire en sorte que la situation de ces otages soit traitée en tant que telle. Nous pensons qu’il y a là un vrai problème humanitaire. Un problème sans comparaison avec d’autres situations que l’on peut connaître ailleurs. Vous imaginez 3.000 otages, le nombre de familles qui aujourd’hui vivent ce drame, l’absence, l’inquiétude. Ceci demande un traitement spécifique. C’est pour cela que la France a lancé un appel. C’est pour cela que la France a proposé et a marqué sa disponibilité vis-à-vis du gouvernement colombien. C’est pour cela que les Nations unies ont nommé un émissaire pour voir comment on pourrait essayer de faire avancer les choses. Cette guérilla dont personne ne connaît bien les motivations a une responsabilité immense. Il lui appartient de prendre en compte cette dimension, cette souffrance et nous souhaitons…

Q - C’est un appel que vous lancez à la guérilla ?

R - Oui, c’est un appel que je lance à tous ceux qui ont une parcelle de responsabilité dans cela. Prendre en compte la dimension humanitaire spécifique des otages, sachant que face à un problème précis nous pouvons trouver des solutions imaginatives. Nous en avons parlé il y a quelques mois lorsque j’étais à Bogota avec le gouvernement colombien. Nous avons marqué notre disponibilité et celle de la communauté internationale, des Nations unies, pour faciliter un échange. Nous pensons qu’aujourd’hui il est temps que cette catastrophe humanitaire s’arrête et que chacun puisse, face à ses responsabilités, agir.

Q - Mélanie Betancourt était avec nous tout à l’heure en direct. Elle nous disait : le gouvernement colombien du président Uribe joue un double jeu sinistre. Vous le pensez ? Franchement ?

R - Ce n’est pas pour un gouvernement la bonne attitude. D’abord parce que face à une épreuve comme celle-ci, il faut mesurer les impératifs du gouvernement colombien. Le gouvernement colombien subit cette épreuve du terrorisme jour après jour depuis des années. Par rapport à cette situation, une logique de fermeté s’impose. Ce que nous disons, c’est que au-delà de la politique du gouvernement colombien qui est de la responsabilité du gouvernement colombien et ce n’est pas à la France de s’immiscer dans cette politique, il y a un problème spécifique, un problème humanitaire qui nous concerne tous et qui concerne la France puisque Ingrid Betancourt a aussi la nationalité française. Face à ce problème humanitaire, c’est une responsabilité d’homme. Et aujourd’hui sur votre antenne, c’est en tant qu’homme aussi que je parle. Je ne peux pas admettre que face à un problème humanitaire spécifique, nous ne recherchions pas ensemble, je dis bien ensemble, une solution. Il se trouve que je connais bien Ingrid Betancourt. C’est une amie par ailleurs et donc ma motivation est une motivation de connaissance, de proximité. Nous devons agir face à de telles situations.

Q - Donc le gouvernement colombien doit prendre en compte… ?

R - Prendre en compte la dimension humanitaire spécifique.

Q - Et donc accepter de dialoguer avec les révolutionnaires ?

R - Il y a deux questions. Il y a les principes. Face au terrorisme, on condamne le terrorisme. On ne transige pas face au terrorisme, c’est une règle absolue. C’est vrai en Israël, c’est vrai en Colombie. Il y a une deuxième donnée, c’est la règle humanitaire et y compris le gouvernement israélien quand il discute avec le Hezbollah pour des échanges de prisonniers, c’est la règle humanitaire, on va jusqu’au bout de sa responsabilité quand on est confronté à un tel drame. Je ne demande pas au gouvernement colombien de discuter lui-même avec les FARC. Il y a les Nations unies qui sont là pour ça, il y a des pays qui peuvent faire passer des messages et il y a les FARC qui peuvent prendre en compte eux aussi cette dimension humanitaire. A quoi cela sert-il aujourd’hui aux FARC de disposer de 3.000 otages ? Il n’y a pas de revendications politiques particulières liées à la présence de ces otages. Il y a donc une dimension humanitaire qui mérite d’être traitée en tant que telle, c’est vrai pour les FARC, c’est vrai pour le gouvernement colombien, c’est vrai pour la communauté internationale, c’est vrai pour les Nations unies. Ce que je dis, c’est qu’il y a maintenant urgence. Les mois passent, les années passent et rien ne bouge. Faisons en sorte que surgisse l’amorce d’une solution - il y a des propositions possibles, une fois de plus nous avons parlé à un moment donné d’échange. Faisons en sorte que ceci se fasse dans le respect des principes car les principes face au terrorisme doivent être absolument respectés mais faisons en sorte que quelque chose se passe. C’est vrai en matière d’otages, c’est vrai en matière de paix. La clé c’est le mouvement. Il faut engager des processus. A partir de ce moment-là, les choses trouvent un cours naturel et quelque chose se passe. Ce que je demande, c’est que l’on sorte de ce silence, que l’on sorte de cette logique absurde d’immobilisme pour engager quelque chose.

Q - (de Mélanie Betancourt) Allez-vous exercer des pressions sur le gouvernement colombien ?

R - Mon but et celui de la France est d’essayer d’éclairer des chemins, c’est-à-dire de forger une conviction commune. Le gouvernement colombien est un gouvernement ami. Nous souhaitons par le dialogue avec le gouvernement colombien, avec l’ensemble de ceux qui ont une responsabilité, essayer de faire émerger un certain nombre de solutions possibles. Ce n’est pas en termes de pression qu’il faut parler avec un pays ami mais en termes de conviction commune. Notre détermination est grande à essayer d’apporter le concours le plus grand possible à la libération de ces otages, c’est dire que nous sommes mobilisés, que nous voulons agir pour répondre clairement à Mélanie que je salue.

Q - Des journaux affirment qu’Oussama Ben Laden serait actuellement encerclé à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan. Est-ce que vous avez des informations à ce propos ?

R - Non. On lit tout et le contraire de tout dans la presse. La conviction qui est la mienne, et c’est la conviction de notre pays, c’est que la lutte contre le terrorisme ne peut se réduire à la lutte contre tel ou tel. Chacun sait que le terrorisme aujourd’hui se nourrit de mécanismes beaucoup plus complexes. Bien sûr, il faut traquer et faire en sorte de pouvoir capturer l’ensemble des responsables terroristes mais attachons-nous, parce que c’est une urgence immédiate, à faire en sorte que les crises qui nourrissent ce terrorisme, que ce cercle vicieux de la crise qui conduit de plus en plus un certain nombre de jeunes réduits au désespoir à aller dans le sens du terrorisme, faisons en sorte que ces cercles vicieux s’interrompent.

Q - Je ne comprends pas bien la diplomatie française parce que, d’une part, au moment de la guerre d’Irak, on s’est fait l’ennemi des Américains et d’une bonne partie de l’Europe - c’était certainement pour ménager nos intérêts dans les pays arabes - mais ce que je ne comprends pas, c’est comment et pourquoi, six mois plus tard on fait une loi contre le voile qui fait que l’on devient ennemi du monde arabe, parce qu’il faut savoir que le président iranien et des membres du Hezbollah ont écrit au président Chirac contre la loi sur le voile. J’aimerais savoir quels sont les blocs que M. de Villepin va essayer de privilégier dans la suite des événements et s’il pense que c’est une réussite de s’être fait autant d’ennemis, y compris le monde arabe aujourd’hui. Quel est le bilan de la diplomatie ? Ne s’est-on pas fait des ennemis un peu partout finalement ?

R - La position de la France est bien comprise et je peux dire même de nos amis américains. De ce point de vue-là, il n’y a pas de malentendus.

Q - Il y a une évolution ?

R - Il y a une évolution très claire. Il y a une évolution de la réalité.

Q - Ils vous l’ont dit ?

R - Cela transparaît clairement pour tous ceux qui se rendent aux Etats-Unis, il y a une compréhension de ce qui a nourri la politique de la France. Le point commun entre les deux éléments se sont les principes. Il y a des principes qui nous ont conduits : le respect du droit, le respect d’une certaine idée de la communauté internationale à défendre une position sur la crise irakienne.

Q - Vous n’avez aucun regret aujourd’hui ?

R - Comment peut-on avoir des regrets dès lors que l’on défend des principes et que l’on est dans un monde à ce point désorganisé, à ce point coupé de tout repère que la première des obligations que nous avons, c’est de fixer un cap. Le cap de la France est clair. L’ensemble de la communauté internationale l’a compris. On ne peut pas laisser passer l’auditrice quand elle dit que nous nous sommes fait des ennemis sur l’ensemble de la planète. Ce n’est pas vrai. Jamais la politique de la France n’a été aussi bien comprise. Qu’il y ait ici et là, pour des raisons d’ailleurs liées à la position prise par les Etats-Unis, des incompréhensions, mais chacun voit bien aujourd’hui comment les choses se remettent en place et comment le bon sens revient sur la scène mondiale. De ce point de vue, historiquement, on rendra à la France ce qui lui appartient. Sur la question du voile, là encore, il s’agit d’un principe. Nous sommes fidèles aux principes qui sont les nôtres depuis les Lumières, la révolution française, l’histoire du XXème siècle. On a fixé les principes de tolérances dans une histoire qui nous est particulière. On a été amené à séparer l’Eglise de l’Etat. A partir de ce moment-là, nous défendons un certain nombre de principes à l’école publique. Nous n’interdisons pas le port du voile en France. Nous faisons en sorte que, dans le cadre de l’école publique, un certain nombre de principes soient respectés. Croyez bien, dès lors qu’on a essayé, avec le bon sens indispensable dans l’application de la loi, de faire en sorte que chacun puisse être respecté, sur la scène internationale, nous passerons les caps. Je n’ai aucune inquiétude sur le fait que cette position sera de mieux en mieux comprise, y compris de la part de ceux qui aujourd’hui feignent de ne pas comprendre ce qui se passe.

Q - J’ai eu la chance, en 1997, d’être envoyé par le ministère des Affaires étrangères au titre des Nations unies, en Haïti, pour former la police haïtienne. A l’époque, sur place, nous savions tous qu’Aristide était déjà un escroc, un corrompu et un dictateur en puissance et je constate que sept ans après on cherche à le maintenir au pouvoir. Je suis quand même un peu étonné quand je vois ce que l’on a fait à Saddam Hussein - ce n’était pas le même cas de figure - mais c’est quand même assez contradictoire.

R - Là encore, question de principe. Aristide est le président démocratiquement élu. Nous sommes tenus à un certain nombre de règles vis-à-vis de la société internationale si nous voulons éviter qu’il y ait un peu plus de chaos encore. On essaye de prendre en compte la double problématique dans laquelle nous sommes : à la fois, construire à partir de ce qui existe mais au-delà, faire en sorte que le dialogue puisse reprendre et que chacun puisse trouver sa part dans la recherche d’une solution car nous sommes convaincus, effectivement, qu’aujourd’hui, l’opposition a un rôle à jouer. Il faut rétablir un processus politique. C’est ce que nous avons fait en Côte d’Ivoire. C’est ce qu’il faut faire partout dès lors qu’il y a une crise, c’est-à-dire passer du langage des armes au langage de la politique et donc avoir un processus politique suffisamment inclusif pour que la politique puisse reprendre ses droits.