Juan Somavia, directeur général de l’OIT

L’Office International du Travail a rendu public, le 24 février 2004, le rapport de sa « Commission Mondiale sur la Dimension Sociale de la Globalisation » intitulé Une mondialisation juste. Créer des opportunités pour tous.

Cette « Commission Mondiale » fut créée à l’initiative du Directeur Général de l’OIT, Juan Somavia, et compte parmi ses membres, outre Somavia -membre de droit-, 25 autres personnes dont la majorité sont fonctionnaires ou ex-fonctionnaires gouvernementaux et internationaux. Il est co-présidé par Tarja Halonen, présidente de la Finlande, et Benjamin William Mkapa, président de la Tanzanie. On trouve à leur côtés des personnalités comme l’ex-président de l’Uruguay, Julio Maria Sanguinetti, et trois représentants du « noyau dur » du monde de l’entreprise : Taizo Nishimuro, vice-président de la centrale patronale nippone et président de Toshiba, François Périgot, président de l’Organisation Internationale des Employeurs, ex-directeur de Unilever et actuel président du MEDEF International, branche de l’organisation patronale française et Ann McLaughlin Korologos, vice-présidente de la Rand Corporation ainsi que membre des conseils d’administration de Microsoft, Kellogs et d’autres grandes multinationales, mais aussi ex-présidente de l’Institut Aspen. Avec un budget annuel de 160 millions de dollars, la Rand Corporation est le centre privé de recherches en stratégie et organisation militaire le plus important au monde. Il est la voix prestigieuse du lobby militaro-industriel états-unien. Condoleeza Rice et Donald Rumsfeld furent membres de son conseil d’administration avant d’assumer leurs fonctions officielles actuelles. L’Institut Aspen est un « think tank » du néolibéralisme qui fut fondé aux États-Unis en 1950 et qui possède aujourd’hui des filiales dans plusieurs régions du monde.

De même siègent dans cette commission le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, « repenti » du FMI devenu conseiller de George Soros, le président de la centrale syndicale états-unienne AFL-CIO et administrateur de la Fondation nationale pour la démocratie (NED), John J. Sweeney et Aminata Traoré, altermondialiste et co-organisatrice du Forum social africain.

Le résumé publié permet de se faire une idée de l’orientation générale du document complet (qui contient quelques 200 pages). Il débute par l’affirmation selon laquelle « les bénéfices pouvant être tirés de la globalisation sont immenses » et qu’elle « a ouvert la voie à de nombreuses retombées positives. Elle a favorisé les sociétés et économies ouvertes, ainsi qu’une meilleure liberté de circulation des biens, idées et connaissances ». L’expression « sociétés et économies ouvertes » ne parvient pas à occulter la réalité sous-jacente : des nations entières soumises au pillage des sociétés multinationales et du capitalisme financier international.

La phrase que nous avons soulignée est d’une incorrection notoire : le protectionnisme pratiqué par les grandes puissances va toujours croissant, la liberté de pensée est mise au pas sous l’influence les multinationales de la communication et toujours plus soumise au contrôle policier des États, de même les connaissances (technologiques, scientifiques ainsi que le savoir populaire et ancestral) sont monopolisées par les grands consortiums internationaux par le biais du système des brevets ou de la piraterie pure et simple.

Plus loin, le document mentionne quelques désastres humanitaires causés par la globalisation : chômage, travail mal rémunéré, fossé grandissant entre riches et pauvres, crise de la démocratie, etc. ; désastres largement connus en premier lieu par les victimes qui se comptent par centaines de millions, mais aussi par qui s’intéresse un tant soit peu aux questions sociales.

Le document formule quelques vagues propositions visant à améliorer la situation, dont une vraiment surprenante : « Le système financier international devrait fournir un soutient plus affirmé au développement durable global », feignant d’ignorer que justement le capitalisme financier international rentier et spéculatif est le principal responsable du désastre social mondial, y compris à l’encontre du capital productif.

Il est aussi expliqué dans ce document que le « terrorisme mondial menace les sociétés ouvertes », mais on ne trouve pas la moindre mention (du moins dans le résumé) de l’ultra-militarisme, des guerres d’agression et des atteintes portées, à l’échelle mondiale, aux droits et libertés sous prétexte de la lutte contre le terrorisme.

On peut constater qu’en somme ce document mentionne les effets pervers les plus visibles de la mondialisation, mais s’abstient soigneusement d’en souligner les causes profondes, de tirer les conclusions et de formuler des propositions conséquentes visant à combattre ses causes.

Sans porter préjudice à une analyse plus approfondie du document complet, on peut arriver à la conclusion que celui-ci reflète les préoccupations des élites dirigeantes mondiales au sujet du mécontentement grandissant des opinions publiques confrontées à une situation toujours plus flagrante. Les classes dominantes se cherchent des formules et voies de contournement qui leur éviteraient d’y laisser des plumes.

Partie intégrante de cette stratégie, la politique de récupération en cours des mouvements « altermondialistes » au travers de ce qu’il convient peu à peu d’appeler « le dialogue entre Davos et Porto Alegre ». Quelques grandes ONG ne sont pas étrangères à cette politique.

Le prochain Forum de Barcelone semble se préparer dans ce même esprit de récupération : les documents critiques envers le système sont rejetés et une polémique est née autour de l’aspect économique de celui-ci, notamment au sujet des projets d’urbanisme accompagnant le forum et en particulier au sujet de la participation et / ou du soutien apporté par des entreprises qui présentent des liens importants avec le commerce des armes en Espagne.

Article original publié par Red Voltaire. Traduit de l’espagnol par Hervé Duval pour le Réseau Voltaire.