La reconstruction du monde occidental
À quoi faites-vous allusion lorsque vous dites qu’aujourd’hui, vous formuleriez différemment certaines parties de votre discours de l’an 2000 à l’Université Humboldt ?
La question est de savoir si la perspective d’un noyau dur européen est encore valable en dehors de la constitution dans l’Europe actuelle. L’idée d’un centre de gravitation ou d’un groupe d’avant-garde se traduit, dans le traité constitutionnel, par les coopérations structurée et renforcée. Il ne faut pas mettre au rebut l’idée de gravitation. Mais la coopération renforcée ne concernera plus vraiment un noyau dur européen, car la plupart des États membres veulent être à chaque fois de la partie. Tous ne le pourront pas, un petit nombre d’entre eux ne le voudra pas. Mais il y aura presque toujours des majorités, pas de petits groupes d’États.
Où se situent les changements ?
À mon avis, une troisième dimension est apparue en Europe : la dimension stratégique. Elle est liée aux dates du 9 novembre 1989 et du 11 septembre 2001. Nous avons été confrontés pour la première fois à cette dimension stratégique en Yougoslavie. Une confrontation qui ne tenait plus du conflit Est-Ouest. Ce n’est pas sans raison que les passés européens sont remontés à la surface en Yougoslavie : Berlin et Vienne contre Paris et Londres. De nouveau, l’intervention des États-Unis a été nécessaire pour régler le conflit. Il est évident pour moi que le projet historique d’un nouvel ordre européen présente trois dimensions : historique, pragmatique et maintenant stratégique. La dimension historique a été de surmonter l’inimitié franco-allemande au moyen de l’intégration.
Et cette dimension est close ?
Non, ces deux États sont bien entendu très étroitement liés aujourd’hui. Le moteur franco-allemand et le rapprochement de nos États restent d’une importance capitale. Cependant, la réalité actuelle de l’Union signifie également de surmonter l’opposition Est-Ouest. Ce sera manifeste le 1er mai prochain, lors de l’adhésion de huit États d’Europe centrale et orientale ainsi que de Malte et Chypre. Outre cette dimension d’intégration est apparue la dimension pragmatique conçue par Schuman et Monnet : l’intégration des intérêts économiques. En 1989 s’est ajoutée la troisième dimension, que j’aimerais qualifier de stratégique. Il s’est avéré que l’Union ne pouvait plus se développer uniquement dans l’ombre portée du conflit Est-Ouest, où la charge stratégique avait été confiée aux États-Unis. Et l’orientation de cette dimension stratégique, qui a vu le jour le "9/11", est essentiellement définie par le "11/9".
Et démentie à nouveau par la guerre en Iraq ?
Non, pas démentie, au contraire. La guerre en Iraq a eu des répercussions complètement différentes. Le "11/9" a mis à jour les faiblesses de l’Europe. La véritable division de l’UE a débuté le 12 septembre 2001. Nous avons constaté que les nations européennes agissaient en fonctions de leurs anciens réflexes nationaux. À l’époque, l’UE n’était manifestement pas encore préparée à cette dimension stratégique de guerre et de paix. Aussitôt après l’attentat terroriste sur les États-Unis, chacun en Europe a ressenti que le monde allait changer. Mais les Européens, après une attaque ciblant leur partenaire le plus important, ne se sont pas rassemblés pour se livrer à une analyse stratégique. Nous n’étions pas en mesure de dialoguer alors que nous aurions dû l’être quand les conflits ont éclaté, ce qui était le cas lors de la crise en Iraq. Notre propre manque de conscience stratégique a conduit à une incapacité à mener un dialogue stratégique avec notre partenaire, les États-Unis.
Était-ce dû au fait qu’à l’arrière-plan, l’OTAN restait perçue comme l’instance stratégique ?
L’OTAN était tout d’abord un instrument de la guerre froide, et elle ne deviendra vraiment un instrument du XXIème siècle que lorsqu’on aura pris conscience de la dimension stratégique de l’Europe. Depuis quelque temps, je m’interroge au sujet du parallélisme stratégique croissant entre l’UE et l’OTAN qui ne conduit que lentement à une nouvelle approche. Au sein de l’UE, nous discutons de politique étrangère et de sécurité commune, mais à l’OTAN, nous nous comportons comme si seules des politiques nationales étaient représentées, ce qui n’est absolument plus le cas. Ainsi, je me suis souvent demandé, moi-même ainsi que d’autres : pourquoi faire du pilier européen un tabou ? Ce pilier européen ne sera que difficilement concevable sans l’UE élargie.
Vous entendez par pilier européen un "caucus", ce que les États-Unis ont toujours voulu éviter ?
C’est là que sont immédiatement apparues les angoisses d’être exclu. Et en effet, la relation entre l’OTAN et l’UE est complexe.
Tant que Washington devait craindre que Paris prenne la tête d’un caucus européen, il était facile de rejeter l’idée.
Je crois que vous jugez mal l’attitude de la France. Mais venons-en à l’Union élargie. Nous nous aventurons tous en terrain inconnu. Outre-Atlantique, on commence également à prendre conscience qu’une Europe plus forte est une bonne chose pour les États-Unis. La reconstruction du monde occidental joue un rôle crucial pour une conception positive de la mondialisation et la lutte contre les risques du nouveau terrorisme.
La reconstruction du monde occidental, une nouvelle mission transatlantique ?
Oui, et ce, dans les conditions du XXIème siècle.
L’ancien monde occidental n’existe plus ?
Si, il n’a pas disparu. Par reconstruction, je ne veux pas dire que quelque chose se soit effondré. Nous ne devons pas construire quelque chose de totalement nouveau, mais utiliser une dynamique qui réside dans le processus d’unification européenne et dans la conception positive de la mondialisation. Le Proche et Moyen-Orient prend une importance nouvelle, car c’est de cette région que part la menace. Il s’agit d’un nouveau transatlantisme, à la hauteur des changements en Europe ainsi que des nouvelles menaces stratégiques. C’est à cela qu’est liée l’idée de modernisation du Moyen-Orient. Contrairement aux États-Unis, nous défendons un double intérêt vis-à-vis du Proche-Orient. Un intérêt stratégique, comme les États-Unis. Mais nous sommes également des voisins directs - ce que les Américains ne sont pas. La division dans le conflit en Iraq a plutôt poussé les Européens à reconnaître qu’il faut aborder la dimension stratégique. Avec la nouvelle stratégie, le "papier Solana", nous avons, pour la première fois, créé les conditions nécessaires. Le développement de la politique européenne de sécurité, et surtout des capacités militaires, est ici un facteur essentiel.
L’approche américaine d’une nouvelle initiative au Moyen-Orient est-elle conciliable avec les idées que vous avez présentées à la Conférence sur la sécurité de Munich ?
Oui.
Travaillez-vous à concilier ces approches ?
Les gouvernements sont en pourparlers. Par ailleurs, depuis ma visite à New York et Washington une semaine après le 11 septembre 2001, nous avons été présents avec les États-Unis à tous les niveaux de la discussion. Même en ce qui concerne l’Iraq, nous n’avions pas de divergence de vues sur le fait que nous voulions une politique de défense du statu quo. Après le "11/9", il était clair pour nous que les États-Unis passeraient d’une politique étrangère maintenant le statu quo à une politique modifiant celui-ci. En effet, aucun gouvernement ne peut laisser sa population vivre sous la menace d’un tel méga-terrorisme. Quant à nous, nous sommes d’avis que la lutte contre le terrorisme doit se fonder sur un concept de sécurité élargi.
Revenons-en à la reconstruction du monde occidental au XXIème siècle ...
... pour laquelle une Europe capable d’agir, répondant au nom de l’UE, est indispensable.
Mais plus vous élargissez cette UE, plus la capacité d’action se réduit.
Objection. Nous ne pouvons pas commettre l’erreur qu’ont faite les Allemands de l’Ouest au cours de la réunification : bien sûr que nous sommes très heureux, il n’y a plus de mur - mais à part cela, peu de changement. Nous allons avoir une plus grande République fédérale de l’Ouest. Cette pensée était marquée par un conservatisme compréhensible, car la République fédérale à l’Ouest était plutôt un pays conservateur. Je me demande si nous ne répétons pas la même erreur avec l’ancienne devise de l’UE "élargir et approfondir" : nous construisons notre maison individuelle à l’ouest de l’UE, les autres viennent se joindre à nous - mais nous poursuivons notre construction.
Or, approfondir, cela signifie justement être capable d’agir dans des situations où les intérêts divergent ?
C’est là qu’intervient mon objection, et ce, en deux étapes : si nous imaginons un instant une petite Europe - Allemagne, France et quelques autres pays - dans laquelle le processus de décision serait plus simple, comment le reste de l’Europe s’organiserait-il ? En tant qu’arrière-cour ? Des réflexes anti-hégémonie ne se feraient-ils pas immédiatement sentir ? Nous serions alors, dans des conditions élargies, à nouveau dans l’ancien système européen d’États - avec tous ses dysfonctionnements. La capacité accrue de décision d’une petite Europe s’avérerait alors être un trompe-l’œil. Les conceptions d’une petite Europe ne sont plus de mise ; les conditions ont changé.
Cela signifie-t-il que l’approfondissement est historiquement terminé ?
Non. On en vient maintenant au point déterminant. La Convention européenne a élaboré une constitution qui est, pour notre génération et les suivantes, l’optimum de ce que l’on peut atteindre sur le plan de l’intégration, et qui est aussi suffisamment dynamique pour satisfaire aux exigences qui en découlent.
Mais on ne peut quand même pas garantir la capacité de décision par une institution. Il faut une volonté commune, européenne, à la base. Tant que l’UE ne mènera pas le débat sur la finalité ...
Je vois les choses autrement à la lumière de la Convention constituante. C’est elle qui a mené ce débat et l’a fait aboutir ! Il y a eu un débat sur la finalité à la Convention. Celle-ci a réuni les différentes traditions européennes : celles des six États fondateurs, celles des Européens du Sud avec leurs expériences différentes de dictatures renversées, celles des Européens du Nord pragmatiques, et celles des Européens qui viennent s’y joindre et qui ont dû supporter la dictature soviétique pendant plus de cinquante ans. Ces grandes traditions ont dirigé le débat sur la finalité à la Convention de Bruxelles.
Un ministre européen des Affaires étrangères qui ne s’appuie pas sur une volonté commune, pratiquement impossible à obtenir avec 25 membres - n’est-il pas condamné à l’impuissance ?
Je ne suis pas du tout de cet avis. Le développement de la politique étrangère et de sécurité commune au cours des cinq dernières années a été empreint d’une forte dynamique. La coopération entre l’UE et l’OTAN, notamment - c’était au début un anathème. Mais également en ce qui concerne les processus de vote - ils sont tout à fait différents aujourd’hui, malgré ou peut-être précisément en raison de la division de l’UE lors du conflit en Iraq. Nous avons considérablement augmenté la densité de coopération en politique étrangère commune, même si nous sommes encore un peu loin d’avoir un ministre européen des Affaires étrangères à la pointe d’une pyramide dans la concrétisation d’objectifs politiques. La politique étrangère européenne est sous-estimée de manière impardonnable. Qui a développé la Feuille de route pour résoudre le conflit du Proche-Orient ? L’UE ! Qui a élaboré et mis en œuvre l’idée des réformes palestiniennes ? L’UE !
Mais tout ceci est resté tragiquement inachevé.
Excusez-moi, mais il s’agit d’un processus de développement. Qui va développer les contenus de l’initiative d’un grand Moyen-Orient ? L’UE y sera pour beaucoup. Le seul fait que les fonctions de la Commission et du Conseil soient rassemblées sous une double casquette donnera au ministre européen des Affaires étrangères un tout autre poids.
Si la constitution existait déjà et que nous serions de nouveau confrontés à un événement comme le 11 septembre, croyez-vous vraiment que les réflexes nationaux transparaîtraient moins dans la réaction des pays européens ?
À mon avis, c’est déjà le cas aujourd’hui. Il n’y a pas eu besoin de la constitution pour cela. La constitution n’est quand même pas un projet de séminaire sur un sujet de théorie politique, elle s’inscrit dans des processus historiques. Face à un défi comparable, la réaction serait maintenant complètement différente. Il y a dans la future constitution des droits d’initiative d’un tout autre type pour la politique étrangère commune.
Lors du "sommet constitutionnel" de Bruxelles en décembre, on pouvait avoir l’impression d’une absence de volonté forte pour faire adopter la constitution.
Je n’ai cessé de le répéter : pour ceux qui étaient dans la Convention avant, ce n’était pas la même chose que pour ceux qui n’y étaient pas. Cette crise était peut-être nécessaire.
Y a-t-il eu tellement de changements ces dernières semaines qu’il y a des raisons d’être optimiste sur la perspective d’un accord sur la constitution ?
Si c’est possible sous la présidence irlandaise, il faut absolument que cela se fasse. Mais il ne faut pas se rencontrer sans consensus en vue. La situation demeure très difficile. Nous avons besoin de la constitution. Je ne veux pas susciter de faux espoirs, mais je tiens à dire que l’on y travaille intensivement.
Vous avez dit que les menaces asymétriques ne peuvent être maîtrisées que si l’on pense et agit en termes de dimension continentale. Vos comparaisons portaient sur l’Amérique, la Chine, l’Inde, la Russie, qui sont des États-nations. Qu’est-ce que cela signifie pour les Européens, dans quel sens doivent-ils aller, dans le sens d’un rapprochement étatique ? Et pourquoi faut-il une dimension continentale pour venir à bout d’un conflit ?
Je vais vous l’expliquer : sans cette dimension, nous ne pouvons pas agir ou seulement de manière limitée sur la politique de sécurité, la stratégie et l’économie. C’est la raison pour laquelle l’UE a créé le marché commun, la monnaie unique et la politique étrangère et de sécurité commune. C’est un fait : en 1991, avec les guerres de succession en Yougoslavie, nous avons dû faire l’expérience que ce continent ne supporte pas deux régimes différents pour organiser l’ordre de son système d’États. Une Europe du nationalisme ne peut pas coexister avec une Europe de l’intégration sans que nous ayons à payer un lourd tribut. Quelle a été la conséquence ? Le Pacte de stabilité pour les Balkans, pour ouvrir la voie vers Bruxelles et orienter la région vers l’Europe de l’intégration. Des éléments majeurs du potentiel conflictuel dans les Balkans sont toujours là aujourd’hui, mais l’orientation a changé. C’est ce que j’entends par dimension continentale.
La Turquie par contre dépasse ce contexte continental.
Non, pas du tout. La question de la Turquie est complexe, abordons cette question par étape. La Turquie a la fonction stratégique d’un pont, y compris dans le nouveau contexte du système d’États dans une structure de conflit au XXIe siècle.
Vous voulez dire, un pont avec les États d’Asie centrale et du Moyen-Orient ?
En plus de la région de crise du Proche et du Moyen-Orient, il y a encore autre chose qui compte à mes yeux. Depuis quarante ans, nous entretenons des liens, depuis quarante ans la Turquie est orientée vers l’UE et, depuis quarante ans, nous faisons des promesses.
Vous faites allusion à l’Accord d’association de 1963 ?
Si nous disons aujourd’hui aux Turcs, vous avez seulement la perspective d’un partenariat privilégié, il vaut mieux alors leur dire tout de suite : vous ne rentrez pas. Face à la nouvelle situation stratégique, il faudra peser le pour et le contre. Cette réponse ramènerait la Turquie en arrière, et l’issue serait incertaine. La Turquie serait de nouveau seule, avec toutes les conséquences négatives que cela comporte dans une situation où nous sommes confrontés au défi stratégique de construire un nouveau grand Moyen-Orient. Ce serait également prendre clairement position : le monde islamique a, par le biais d’un pays comme la Turquie, des relations privilégiées avec l’Europe mais l’UE reste finalement un club de chrétiens. Voilà ce qu’il en est, soyons francs ! Si c’est ce que l’on veut, il faudrait le dire tel quel à la Turquie - et en assumer les conséquences. Ce n’est pas ma position. Vous direz à juste titre qu’il faut faire la part des choses par rapport à la perspective européenne ouverte à la Turquie. Cette perspective est-elle une menace pour l’Union ? Non, je ne le crois pas. Nous parlons d’une perspective à long terme. Nous parlons de la perspective de modernisation qui doit fonctionner, nous parlons des critères de Copenhague qui sont à remplir, nous ne parlons pas d’un processus à court terme. La Turquie sait que les possibilités financières de l’Union sont limitées. Le premier ministre M. Erdogan a dit ceci dans son discours de Berlin : le lien entre l’islam et la démocratie, entre l’islam et la société moderne, voilà la question centrale de la nouvelle menace stratégique. C’est votre voisinage, c’est mon voisinage, le voisinage européen qui n’est pas perdu quelque part dans le Pacifique mais qui est juste à côté. M. Erdogan a dit que le succès de ce développement dépend d’un solide ancrage européen de la Turquie. S’il réussit, ce sera une victoire stratégique dans la lutte contre la menace terroriste.
Vous n’avez pas peur quelquefois de votre propre courage ? Nous voulons stabiliser les Balkans, la Turquie et qui encore ?
C’est ce que j’appelle la dimension stratégique. Le Bélarus, la République de Moldova, les Balkans, la Turquie, toutes ces questions concernent la politique européenne. On y décide aussi de notre sécurité, de notre paix et de notre stabilité. Nous avons développé la nouvelle politique de voisinage comme instrument. Pensez aux relations avec le Maghreb. Il est encore plus important de se demander si la mer Méditerranée sera une zone de coopération ou de confrontation. Telle est la question de la sécurité au XXIe siècle ! Sur le fond, elle est complètement différente mais son poids est comparable à la menace que faisait peser la guerre froide. Nous n’échapperons pas à cette dimension stratégique de la responsabilité européenne. Il se peut qu’elle nous demande momentanément beaucoup d’efforts. Je suis néanmoins persuadé que relever ce défi permettra de surmonter ces crises.
Comment cela s’intègre-t-il dans le concept américain du "Proche-Orient élargi" ?
La réponse que l’UE apportera à la menace stratégique jouera un grand rôle dans la définition de nos relations avec l’Amérique. J’y vois une chance pour un partenariat transatlantique renouvelé pour le XXIe siècle.
Auriez-vous réfléchi à ce sujet avec autant d’empressement et d’engagement s’il n’y avait pas eu la politique iraquienne des États-Unis ?
Oui. Nous y avons déjà beaucoup réfléchi auparavant. Je me souviens d’en avoir aussi discuté, après le 11 septembre 2001, avec le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Hubert Védrine. Il disait déjà qu’il fallait désormais régler deux questions : le régime des talibans en Afghanistan et le conflit du Proche-Orient. Et ensuite, sur la base de ce gain de légitimité, réaliser une grande réforme globale dans l’ensemble de la région. Il avait raison.
Pourquoi n’avons-nous pas su retenir le gouvernement de Bush et lui dire que nous voulions mener ce débat avec lui ?
Je pourrais vous raconter bien des choses à ce sujet. Mais il faut que vous attendiez que j’écrive mes mémoires. Je ne veux pas susciter de nouvelle querelle, c’est pourquoi cela ne sert à rien de regarder en arrière. Je vise autre chose. Nous avons un triangle dans lequel nous pouvons prendre des orientations stratégiques. Ce triangle comprend le solide ancrage européen de la Turquie qui est crucial pour la perspective de transformation. Ensuite, nous avons le problème de l’Iran - deuxième pays essentiel au plan stratégique -, à savoir si la démocratisation intérieure réussira à l’emporter dans les années à venir. Et troisièmement, le règlement durable du conflit au Proche-Orient. Tout cela aboutira seulement si l’UE joue un rôle de plus en plus important, notamment dans toutes ces questions. Si, par là même, nous parvenons à une nouvelle définition transatlantique, nous aurons tiré les conséquences nécessaires du "11/9" et de nos différends sur la question iraquienne.
Revenons aux affaires européennes courantes. Le gouvernement fédéral demande que le plafond du budget de l’UE reste limité à un pour cent - malgré l’élargissement à l’Est. Comment cela peut-il fonctionner quand tous les pays candidats espèrent que l’UE les fera bénéficier d’avantages matériels ?
Voyons cela sous l’angle de la rentabilité. Au plan économique, la modernisation de ces États revêt une importance décisive pour l’UE. Nous ne faisons qu’avancer l’argent pour les investissements. Les anciens États membres de l’UE, et parmi eux les économies nationales les plus fortes, sont les principaux gagnants de ces investissements. En Allemagne, un emploi sur cinq dépend d’ores et déjà de l’Europe. D’autre part, nous avons du mal à accepter l’immigration, mais nous allons devoir changernotre position. Nous faisons déjà appel à l’immigration pour compenser notre évolution démographique négative. Il ne faut pas l’oublier. À la fin de cette décennie, l’industrie allemande sera confrontée à une situation très difficile à cause de l’évolution démographique, mais derrière il y a le marché commun. Il n’y a pas que les Allemands qui ont ce problème démographique. Les sociétés vieillissantes dont la population décroît n’auront pas vraiment à débattre de la croissance et du dynamisme. L’UE résout une partie du problème grâce à l’élargissement. L’UE en tant qu’économie paneuropéenne s’élargit et crée ainsi de nouvelles possibilités.
Le plafond d’un pour cent ...
Un pour cent n’est pas un chiffre absolu. Plus ce marché intérieur développe sa dynamique économique, plus la valeur de ce un pour cent augmente.
L’Allemagne n’y contribue que très peu actuellement.
C’est une autre question. À la différence d’autres pays, nous devons relever le défi supplémentaire de l’unité allemande - ce dont nous nous réjouissons - et de réformes structurelles trop tardives. Je le répète : un pour cent n’est pas un chiffre absolu mais relatif, plus la croissance économique est forte, plus le montant est élevé. Cela crée des incitations et relance les efforts pour faire avancer le processus de modernisation de l’UE, comme convenu à Lisbonne. Je comprends que la Commission défende une autre position ; mais il faut aussi comprendre que les contributeurs nets campent sur leurs positions.
Les entreprises allemandes justement font de bonnes affaires avec un grand nombre de pays candidats.
J’espère que cela continuera d’être le cas. Mais cela ne peut pas fonctionner sur le modèle suivant : l’élargissement est un projet allemand, c’est à Berlin de payer et, en même temps, de respecter à la lettre le Pacte de stabilité. Ceux qui bénéficient aujourd’hui de la solidarité ne doivent pas s’imaginer non plus que cela va tout simplement continuer et que le coût de l’élargissement viendra en plus. Cela n’est pas possible, et de rudes négociations nous attendent. Mais elles seront beaucoup plus faciles à mener dans le cadre d’un règlement des questions institutionnelles que sans.
Parce que les institutions de l’UE fonctionnent comme système de blocage ?
Nous devons nous demander si l’UE peut remplir ses tâches quand elle s’appuie sur des minorités de blocage, comme c’est le cas dans le système de Nice. La procédure de décision que propose la Convention, la double majorité, est simple et transparente. Avec le système actuel de pondération des voix fondé sur le blocage, l’Union élargie aura une capacité d’action extrêmement restreinte. Nous pensons que la procédure de décision basée sur la double majorité oblige à réfléchir à des compromis et favorise les majorités d’action.
Traduction officielle du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères
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