L’élection d’Evo Morales à la présidence de la Bolivie est un événement majeur en raison du score enregistré par le nouveau président dès le premier tour, du contexte du pays sortant de la « seconde guerre du gaz » et des origines amérindiennes du vainqueur. Il est l’ancien porte-parole des paysans producteurs de coca et le leader du Mouvement vers le socialisme (MAS), parti politique antiaméricain et anticapitaliste qui a joué un rôle important dans les guerres du gaz, proche d’Hugo Chavez et de Fidel Castro. Il est le premier président amérindien d’Amérique latine et est désormais à la tête du pays le plus pauvre du continent, et l’un des plus inégalitaires.
Cette élection est le symptôme d’un changement régional. Il existe une forte dynamique antilibérale qui se traduit par l’arrivée au pouvoir de mouvements progressistes et par une volonté d’appropriation collective des ressources naturelles. C’est ce qui s’est passé en Uruguay, qui a basculé à gauche pour la première fois de son histoire et qui a inscrit l’eau comme un bien collectif dans sa constitution. Le dernier sommet des Amériques a montré la forte opposition de nombreux pays au projet de zone de libre-échange des Amériques (Zlea). Evo Morales a également promis de nationaliser le gaz, principale ressource de la Bolivie même s’il est plus prudent depuis son élection.
Cette élection est significative pour le mouvement altermondialiste, où les Américains jouent un grand rôle. Evo Morales est une figure importante de l’altermondialisme et la révolte en 2000 de la ville de Cochabamba contre la privatisation de l’eau est un élément important, presque mythique, du combat contre la « mondialisation néolibérale ». Si, en France, la tendance dominante, incarnée par les ONG ou Attac, refuse de voir la mouvance se transformer en un mouvement politique et aspirer à la prise du pouvoir, d’autres en son sein ou à sa lisière n’ont pas fait le deuil du pouvoir, de la révolution et du socialisme. Avec Hugo Chavez, la tentation de regarder la Bolivie de Morales comme le modèle à suivre risque donc d’être grande pour une partie notable des altermondialistes.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Un autre monde est possible avec Evo Morales », par Eddy Fougier, Libération, 3 janvier 2006.