Question/Slomka : (Ariel Sharon et George Bush ont créé des faits.) Dans quelle mesure est-ce compatible avec la feuille de route, à laquelle vous avez vous aussi contribué très activement ?
Joschka Fischer : Je pense que ce qui est déterminant et qui importe ici, c’est que l’on parvienne à une paix durable. Cette paix durable implique que les deux parties au conflit négocient les questions liées au statut final, sinon cette paix ne sera pas équitable et donc pas non plus solide. La voie qui mène à ce résultat est tracée par la feuille de route, et ce sont les deux points centraux dont nous avons également discuté ici. Un retrait de Gaza est sans aucun doute une étape importante si cela fait partie intégrante de la feuille de route. Si celui-ci mène à un transfert réglementé à l’Autorité palestinienne, il s’agira d’un pas en avant, mais il est déterminant que les Palestiniens soient considérés comme partenaires à la table des négociations. Je pense que nous pouvons vraiment aller de l’avant sur cette base.
Il ne semble cependant pas qu’Israël et les États-Unis considèrent encore les Palestiniens comme des partenaires. En tout cas, (lors de la rencontre entre Sharon et Bush), ils n’étaient pas à la table des négociations.
Joschka Fischer : Vous constaterez que la lettre du président Bush continue de se conformer non seulement aux résolutions pertinentes de l’ONU, non seulement à l’objectif de deux États avec un État palestinien indépendant, souverain et viable, mais également au fait que les questions relatives au statut final doivent faire l’objet de négociations, et ce, entre les deux parties au conflit …
Ces questions liées au statut final n’ont-elles pas déjà été anticipées par les négociations bilatérales entre Bush et Sharon ?
Joschka Fischer : Le droit au retour des réfugiés, les frontières, le statut de Jérusalem, la sécurité, sont autant de questions relatives au statut final, … et doivent être négociées par les parties au conflit, sinon il n’y aura pas de paix équitable et solide.
Des terroristes comme Oussama Ben Laden cherchent à semer la zizanie entre l’Europe et les États-Unis. Dans ce contexte, ne serait-il pas souhaitable que les États-Unis coopèrent plus étroitement avec les Européens également, plutôt que de faire cavalier seul ?
Joschka Fischer : Je crois que le rôle de l’Union européenne va s’accroître sur le plan politique dans cette région voisine. C’est pourquoi il est essentiel que nous fassions aboutir le processus constitutionnel, afin que l’Europe acquière une capacité d’action (à l’extérieur). Je souligne le mot politique, car l’Europe jouit d’une grande crédibilité étant donné qu’elle doit défendre ses propres intérêts dans la région. Une rencontre du quartet est prévue, rassemblant les Européens, les États-Unis, la Russie et le secrétaire général des Nations Unies. La communauté internationale joue ici un rôle déterminant. Je suis fermement convaincu que seules la coopération de la communauté internationale et la disponibilité des deux parties à négocier permettront d’aboutir au succès…
Pensez-vous que le transfert de pouvoir prévu en Iraq pour le 30 juin soit réaliste ?
Joschka Fischer : Lakhdar Brahimi, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, vient de se rendre en Iraq, et il a souligné à nouveau l’importance du calendrier. Si l’on pense pouvoir le remettre en question, il faut avoir conscience des conséquences. Le 30 juin est une date liée aux élections de la fin janvier prochain. Elle revêt une importance capitale pour la majorité des chiites, représentés par le leader religieux Sistani. Remettre ces dates en cause aurait des conséquences de nature très négative, et je pense donc qu’il existe un large consensus visant à s’y tenir, même si la situation est très difficile au niveau de la sécurité. Mais à moins qu’il n’y ait vraiment un transfert de souveraineté à une autorité iraquienne crédible, légitimée par les Nations Unies, je ne vois pas comment nous pourrions améliorer les conditions de sécurité. C’est pourquoi je considère qu’il s’agit d’un élément extrêmement important.
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