Robert Kagan, l’un des conseillers les plus écoutés et les plus proches de George W. Bush ainsi que l’un des porte-parole les plus reconnus de la pensée néo-conservatrice américaine, a signé récemment dans ce journal un texte essentiel car on doute qu’il ait pu être écrit sans l’assentiment officieux de l’entourage présidentiel. Ce texte, pour le résumer, affirme que les États-Unis peuvent effectuer seuls les tâches nécessaires à l’éradication du terrorisme et à la destruction de la menace représentée par l’« Axe du mal ». Cependant comme il s’agit d’une tâche longue, l’action des États-Unis ne saurait être comprise sans l’assentiment de l’ensemble des nations libres et pacifiques car l’Europe demeure, avec eux, le « c ?ur du monde démocratique libéral ». Dès lors, Kagan propose un nouveau contrat transatlantique où les Européens disposeront d’un droit de regard limité sur l’utilisation de la puissance états-unienne qui s’exercera dans le cadre de l’OTAN.
Cette proposition est une avancée majeure et les Européens doivent y répondre « oui » et engager dès que possible les conversations nécessaires à sa concrétisation. Cela nécessite que nous apprenions à être faibles avec dignité, nous qui nous sommes autodétruits lors de deux Guerres mondiales et avons contribué à créer la surpuissance américaine. Nous devons également apprendre à nous comprendre et il ressort du texte de Kagan qu’il ne comprend rien aux Européens.
Je fais partie de cette majorité de Français qui sont attachés à l’amitié franco-américaine et qui cherche à la renforcer, une position qui est hégémonique chez les socio-démocrates européen. L’opposition entre l’Europe et les États-Unis ne se situe pas dans l’appréciation des menaces, mais dans la façon de les traiter. Les Européens perçoivent la politique américaine comme manquant de discipline intellectuelle et ne tenant surtout pas compte de la sociologie. C’est l’oubli des questions sociologiques qui a fait ignorer aux États-Unis que leurs armées seraient vite perçues comme des armées d’occupation en Irak et que ces dernières, contaminées par le racisme, allaient commettre des exactions. L’Europe qui s’en est souciée a estimé que la guerre ne serait acceptable que si l’Irak représentait une menace réelle. Les États-Unis ont alors adopté la pire des attitudes en choisissant le mensonge.
M. Kagan, votre pays est en train de mettre l’Irak et toute la région à feu et à sang. L’unité de la communauté internationale ne sera pas de trop pour éteindre l’incendie. Nous savons que les États-Unis sont les plus forts, mais vous devez revoir vos outils intellectuels suite au gâchis provoqué et vous devez comprendre que le « soft power » fonctionne mieux que la force. Vous devez reconnaître le droit au désaccord dans le nouveau contrat transatlantique.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Robert Kagan et les "Européens réticents" », par Michel Rocard, Le Figaro, 28 mai 2004.