Dans un article récent, Robert Kagan a lancé l’idée d’un « nouveau pacte atlantique » pour réconcilier les États-Unis et l’Europe. Or les occasions de parler au plus haut niveau entre Américains et Français ne manqueront pas au mois de juin avec les célébrations du débarquement, le sommet du G8 et celui de l’OTAN. Mais pour avancer, il faut une vraie volonté de mettre fin au différend, de part et d’autre, et la détermination d’aller au fond dans l’analyse de ses causes.
À l’évidence, les Américains attachent moins d’importance que nous à l’amitié franco-américaine compte tenu des poids relatifs de nos deux pays. La situation actuelle peut même constituer un alibi commode pour un gouvernement vis-à-vis de son opinion publique. La France peut difficilement ignorer que, de tous les pays européens qui se sont opposés à l’intervention militaire, la France est la seule que les États-Unis ont délibérément voulu punir. L’Histoire nous montre que la solide amitié franco-américaine est plus due à la sentimentalité qu’à l’intérêt et à la raison. Si nos pays partagent les mêmes valeurs démocratiques, ils ont des méthodes d’action et des attitudes générales sensiblement différentes.
Les Américains sont viscéralement attachés à détecter ce qui les menace et ils sont portés à raisonner en termes de Bien et de Mal. Ils ont une vision du monde un peu simpliste, avec d’un côté eux-mêmes et de l’autre côté tous les autres qu’ils ont tendance à traiter de la même façon, comme les Grecs appelaient Barbare tout ce qui n’était pas grec. Quand ils sont engagés dans une action, ils semblent peu soucieux de la manière dont ils vont s’en sortir dans les différentes hypothèses, d’où cette impression d’improvisation qu’ils donnent parfois, quand les choses tournent mal. Les Européens, nourris d’une histoire bien plus mouvementée, s’efforcent en revanche d’être plus réalistes et de ménager plusieurs scénarios. Ils ont une vision plus planétaire de la solidarité et de l’environnement. Ces différences donnent lieu à des coups d’épingle qui agacent des deux côtés de l’Atlantique.
Il est fâcheux que M. Kagan voit les Français braqués sur une volonté de changer l’ordre international ou les Européens exclusivement préoccupés à brider le géant américain. L’Europe a d’autres ambitions que de jouer à Lilliput et elle ne cherche pas à gouverner le monde. Si un nouveau pacte transatlantique est souhaitable, il nécessite que chacun perçoive bien ses différences par rapport aux autres. Cela nécessitera du temps. Il faudrait donc demander à un comité de très haut niveau de reprendre le dossier complet et de faire des suggestions aux politiques.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Oui à un nouveau pacte atlantique ! », par Jacques Boyon, Le Figaro, 31 mai 2004.