Depuis près de cinq ans, en France, nous assistons non seulement à une banalisation des insultes antisémites, mais à une explosion des violences contre nos concitoyens de confession juive. On compte déjà 180 attaques depuis le début de cette année. Il ne se passe pas de jour sans que l’un de nos concitoyens soit violemment agressé pour le seul fait d’être juif. Tous les observateurs s’accordent à voir cette situation comme une conséquence de la seconde Intifada et à la faillite de l’intégration dans notre pays, mais il n’en demeure pas moins que cet état de fait est sans précédent dans notre pays. Même dans les années 30, on n’assistait pas à cette forme de pogrom larvé, complaisamment « compris » si ce n’est pas justifiée par une certaine élite et une certaine presse.
On peut aujourd’hui être tranquillement antisémite en France avec en plus la bonne conscience de la lutte pour les Droits de l’homme et contre l’occupation d’un peuple. Face à cette situation intolérable, j’avais pris, il y a deux ans, l’initiative d’un texte d’essence parlementaire aggravant les peines en cas de violence avec intention antisémite ou raciste. Cette loi a été adoptée à l’unanimité. Confortant cet effort de la nation, les déclarations du chef de l’État comme celles du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, fortes et sans ambiguïté, n’ont jamais varié sur ce sujet.
Malheureusement cette loi n’est pas appliquée. En 2004, la circonstance aggravante n’a été retenue que pour sept dossiers. Cette situation préoccupante provoque le malaise chez de nombreux Français, malaise renforcé par une certaine complaisance de la justice. Certains Français juifs se sentent abandonnés par la République et certains envisagent de quitter le pays. Soyons clairs : je n’ai nullement l’intention de servir d’alibi ou de caution de bonne conscience ni par mon nom ni par l’action législative qui a été la mienne à une situation où, loin de reculer, l’antisémitisme s’enracine chaque jour davantage dans notre pays.
Il est urgent de procéder à une évaluation précise des conditions d’application de la loi. En outre, il faut mobiliser les services de l’État et des collectivités territoriales contre ces dérives. Il y eut jadis les étoiles jaunes. Il n’est pas tolérable de voir des croix gammées accrochées aux juifs de France ou à leurs cimetières.

Source
Le Monde (France)

« Une loi tragiquement inappliquée », par Pierre Lellouche, Le Monde, 15 juin 2004.