Michel Barnier : Ces entretiens, comme l’a dit M. Ahmed Maher, ont été marqués par beaucoup d’amitié et de cordialité et cela était le cas, je dois le dire, dès le premier de nos entretiens puisque c’est la troisième fois que nous nous rencontrons après Paris, Dublin et Le Caire. Je suis très touché de l’amitié et de la qualité de cette relation qui est exactement proportionnelle et à la mesure des relations amicales qui existent entre le président Chirac et le président Moubarak.

Naturellement j’aurai une autre occasion de rencontrer le président Moubarak à qui le président de la République française a souhaité dire ses vœux de très prompt rétablissement à la suite du problème de santé qu’il a et je sais que nous aurons soit en octobre à Paris soit auparavant d’autres occasions de nous rencontrer.

Personnellement, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de retrouver ce pays cette fois-ci comme ministre des Affaires étrangères et pour ma première visite officielle, un pays dont, je dois le dire, j’ai beaucoup entendu parlé personnellement et familialement puisque mon grand-père a été médecin ici pendant plusieurs dizaines d’années et ma mère elle-même a vécu 18 ans en Egypte, soit au Caire, soit en Haute Egypte.

Depuis très longtemps, nous considérons que ce grand pays qui est le vôtre est un pays qui a une place particulière dans notre cœur et par son partenariat avec la France et c’est un pays aussi qui a une place stratégique dans cette région, stratégique encore une fois pour nos relations politiques, économiques et culturelles mais stratégique aussi pour la paix et la stabilité. C’est donc précisément pour cette raison que j’ai voulu commencer ma première visite au Proche-Orient ici au Caire.

Nous avons beaucoup à faire, entre nous et avec les autres pays de cette région et avec les pays européens pour retrouver le chemin de la stabilité et de la paix, qu’il s’agisse de l’Irak ou du conflit israélo-palestinien.

J’ai, naturellement, à propos de l’Irak, indiqué à M. Ahmed Maher dans quel esprit nous avons travaillé avec les autres pays européens, avec la Russie dans un dialogue qui a été un vrai dialogue avec les Américains à cette résolution 1546 pour engager dans les meilleures conditions possibles un processus politique de sortie de cette tragédie irakienne.

La condition de cette sortie politique par le haut de cette tragédie irakienne, c’était naturellement que le nouveau gouvernement à Bagdad soit un gouvernement souverain et qu’il ait la capacité de gérer lui-même le destin des affaires de l’Irak.

C’est maintenant à partir du premier juillet, à travers nos négociations avec le gouvernement irakien, que nous allons trouver les voies et les moyens de participer en tant qu’Européens et en tant que Français à la reconstruction politique et économique de ce pays.

Naturellement dans cette région, dans votre région Mesdames et Messieurs, le conflit qui est au centre de toutes les frustrations, de toutes les instabilités, de toutes les humiliations, c’est le conflit entre Israël et les Palestiniens. Nous avons sur cette question majeure pour vous, pour nous, pour le monde entier, partagé les mêmes préoccupations, les mêmes analyses et le même volontarisme parce qu’il n’y a pas pour nous de fatalité. Nous pensons qu’il faut arrêter cette spirale de violence, de sang et d’instabilité.

Le moment est venu de donner un nouvel élan au processus de paix, et c’est pour ce nouvel élan que les Européens ensemble, ils l’ont redit il y a quelques jours à Bruxelles au moment même où nous avons approuvé la nouvelle Constitution européenne, sont prêts à s’engager et c’est aussi le sens de ma venue aujourd’hui.

Les principes sont les nôtres et ce sont ceux du droit international. Les résolutions du Conseil de sécurité, le principe de la terre contre la paix qui a été posé par la Conférence de Madrid en 1991, ce sont des principes qui ont été enrichis par l’initiative arabe de paix, endossée par le sommet arabe de Beyrouth et réaffirmée récemment à Tunis. Voilà les principes.

L’objectif aussi est clair. C’est celui toujours et encore, jusqu’à ce qu’on réussisse, celui de deux Etats, Israël et la Palestine, qui vivent côte à côte dans la paix et dans la sécurité. La méthode aussi est entre nos mains et nous y sommes attachés parce qu’il n’y a pas d’alternative à celle de ce chemin tracé par la Feuille de route et à ce parrainage si je puis dire avec les pays de la région dont le vôtre à l’intérieur du Quartet dont l’Union européenne fait partie.

Et voilà pourquoi je veux dire ici publiquement que nous soutenons et nous allons soutenir et nous voulons saluer l’implication, l’engagement de l’Egypte dans cette phase qui doit venir au retrait israélien de Gaza, et de permettre aux Palestiniens de reprendre dans de bonnes conditions le contrôle du territoire de Gaza, qui est naturellement pour vous et pour nous une étape de la Feuille de route.

L’initiative du retrait de Gaza est une opportunité pour ce que j’ai appelé de nos vœux qui est la relance du processus de paix et donc il faut saisir cette opportunité et la réussir et je pense que l’engagement de l’Egypte est une des clés pour réussir les premières étapes, si je puis dire, de cette étape-là qui est le retrait de Gaza.

J’ai parlé du Quartet auquel nous attachons beaucoup d’importance, nous l’avons redit à nos partenaires américains et avec les Russes et au sein des Nations unies. C’est dans ce cadre qu’il nous faut préparer, dès que possible, les représentants d’Israël et les autorités palestiniennes à la reprise du dialogue sans lequel il n’y aura pas de relance.

C’est aussi dans le cadre du Quartet qu’on pourrait préparer l’organisation d’une conférence élargie qui réunirait tous ceux qui sont disposés à apporter leur contribution à la paix.

Ma visite aussi aujourd’hui c’était l’occasion de dire devant le ministre égyptien des Affaires étrangères et aux citoyens de ce pays qui sont si proches et qui ont une telle inquiétude qui est la nôtre, que l’Union européenne veut faire preuve de ce volontarisme pour la relance du processus de paix. C’est ce message-là que je porterai la semaine prochaine à Ramallah où j’irai rencontrer le président Arafat et que je porterai un peu plus tard dans ma visite bilatérale en Israël.

L’Egypte a au Sud une relation géographique, historique, affective avec le Soudan. Donc nous avons naturellement évoqué la crise dans ce pays, aussi bien au Sud dont on est en train de sortir que dans le Darfour.

Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères est actuellement même dans cette région au Soudan et il va visiter le Darfour participant au côté de l’Union africaine au processus de stabilisation. Nous avons même dans la mission d’observation un officier français qui participera à la commission du cessez le feu. Nous sommes heureux, le ministre me disait, de la décision de désarmer les milices, de réouvrir les voix de réapprovisionnement humanitaire et donc nous allons travailler dans le Darfour et au Sud, comme le ministre, l’a proposé ensemble, Européens et Egyptiens, Français et Egyptiens.

Je suis très heureux enfin que la cohérence, la concordance de nos analyses politiques, économiques, de notre vision de cette région et du monde soient confirmées également par l’excellence de nos relations bilatérales. Sur le plan économique, avec l’engagement et le partenariat de grands groupes français qui participent à la modernisation et au développement de l’Egypte et puis sur le plan culturel avec un très grand dynamisme ancien, relancé par l’ouverture de l’Université française d’Egypte. Et puis, s’agissant d’histoire, de partenariat culturel, je pense notamment à la place que tiendra l’Egypte en France à l’occasion d’une très grande exposition à l’Institut du Monde arabe sur les pharaons et ce sera l’occasion pour nous d’accueillir avec beaucoup de joie et de plaisir le président Moubarak en octobre prochain à Paris.

Je vous remercie.

Question : Monsieur Barnier, quel est le rôle que doit jouer l’Union européenne après un retrait israélien de Gaza ?

Michel Barnier : Je crois qu’il faut prendre les choses dans l’ordre. Il faut réussir cette étape et nous pensons, je le redis franchement, que l’engagement égyptien dans ce dialogue fragile mais nécessaire entre Israéliens et Palestiniens pour réussir le retrait de Gaza, l’engagement égyptien est absolument stratégique. Voilà pourquoi je voulais dire notre soutien à cet engagement. Réussir le retrait de Gaza, il me semble que c’est ce qui a été promis par le gouvernement israélien. Cela passe concrètement par des conditions dans beaucoup de domaines, qu’il s’agisse des étapes de ce retrait, de la sécurité, - c’est un sujet sur lequel travaille le gouvernement égyptien -, les accès à Gaza pour que Gaza soit viable, la circulation des hommes et des femmes qui y travaillent, les services publics sur deux sujets que je viens de citer, la sécurité le moment voulu, la formation des hommes et des femmes et les services publics dont Gaza, pour être viable, a besoin. Nous savons, nous, Européens, de quoi nous parlons puisque nous avons financé dans le passé, largement, des équipements publics qu’il faut reconstruire maintenant. Donc, sur tous ces sujets, l’Union européenne a marqué sa disponibilité mais encore une fois, il faut prendre les choses une par une et les prendre dans le bon ordre. Mais nous avons marqué notre disponibilité pour participer y compris, le moment venu et le cas échéant, à travers une présence internationale dont il faudra déterminer la configuration pour réussir cette première étape. Dès l’instant où nous allons parler d’un nouvel élan au processus de paix, où le retrait de Gaza est un des éléments et de cette Feuille de route et de ce processus de paix, nous devons réussir avec les Palestiniens, avec les Israéliens et aux côtés des pays de la région, ce retrait comme une première étape.

Monsieur Barnier, que fera l’Europe si le retrait israélien de Gaza s’arrête à Gaza, ce que beaucoup dans le monde arabe pense, que M. Sharon n’ira pas plus loin que Gaza ?

Michel Barnier : On ne réussit pas à relancer ce processus de paix si on commence par des procès d’intention. Ce que j’observe simplement en tant que ministre français, en tant que ministre européen aussi, c’est qu’à Washington et dans les récentes réunions, on a réaffirmé le cadre partenarial du Quartet où Russes, Européens, Américains, Nations unies se retrouvent. Et, j’ai moi-même dit en quoi le Quartet était important, y compris pour réussir le retrait de Gaza. J’observe qu’à l’intérieur du Quartet, nous avons réaffirmé notre attachement à la Feuille de route qui trace le chemin et les étapes pour aboutir à ces deux Etats vivant côte à côte dans la sécurité, dans la paix et dans la viabilité. Cette Feuille de route a été approuvée par les Palestiniens et par les Israéliens. Elle est soutenue par les pays de la région et il n’y a pas d’alternative. Cette Feuille de route forme un tout, même si nous savons qu’elle sera progressivement mise en œuvre et donc c’est vraiment une première étape dont nous parlons et qu’il faut réussir mais une première étape dans un plan d’ensemble auquel nous sommes attachés.

Source : ministère français des Affaires étrangères