Question : Monsieur Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, bienvenu en Egypte, au Caire et sur notre chaîne. L’itinéraire de votre tournée au Proche-orient, montre que le processus de paix israélo-palestinien est une priorité pour la politique étrangère française. Aujourd’hui, qu’est ce que la France apporte de nouveau pour ce dossier ?

Michel Barnier : Bonjour et merci de m’accueillir sur votre chaîne. Permettez-moi de saluer les Egyptiens et Egyptiennes qui nous regardent et qui veulent mieux connaître et comprendre, non seulement le ministre des Affaires étrangères de la France, mais aussi la politique que nous voulons conduire aux côtés de l’Egypte et avec elle, puisque sur ce conflit comme sur d’autres points, nous avons des positions très, très proches les uns des autres. Ce conflit entre Israël et les Palestiniens est pour nous et pour vous au cœur de tous les risques. Il est la source de beaucoup de frustrations, d’humiliations et d’instabilités. Pour cette région, dont vous êtes partie prenante, mais également pour le monde entier, nous voulons encourager le dialogue entre Israéliens et Palestiniens et relancer le processus de paix. La France souhaite que l’on reprenne la voie qui a été fixée par cette fameuse "Feuille de route". Le retrait israélien de la bande de Gaza n’est qu’une étape sur le chemin du processus de paix qui doit aboutir à l’objectif sur lequel nous sommes d’accord : celui de deux Etats, celui d’un Etat israélien et d’un Etat palestinien qui marchent côte à côte dans la paix et la sécurité.

Mais est-ce que la Feuille de route a encore une valeur actuellement ?

Michel Barnier : Si on abandonne cette Feuille de route, si on renonce au travail que nous avons fait, nous Européens avec les Américains, avec les Nations unies et les Russes dans le Quartet, qu’est ce qu’il reste ? Le chaos. Cette spirale de violence, de sang et de terreur. Il ne reste alors plus aucune perspective de futur pour les jeunes Israéliens et Palestiniens. Nous n’avons pas le choix, il faut reprendre cette route, toutes les initiatives qui peuvent remettre en marche ce processus doivent être prises. J’ai eu une conversation très utile avec M. Maher, le ministre des Affaires étrangères égyptien et avec d’autres dirigeants de ce pays pour soutenir et reprendre ces initiatives et notamment l’engagement à reprendre le dialogue et réussir cette première étape qui est le retrait de Gaza.

Comment voyez-vous le rôle des Egyptiens dans la perspective du retrait israélien de Gaza ?

Michel Barnier : Comme je vous l’ai dit, pour ma première visite au Proche-Orient, j’ai voulu commencer aujourd’hui par Le Caire, demain la Jordanie et j’irai la semaine prochaine rencontrer le président Arafat à Ramallah. Je ferai, par ailleurs, une visite dans quelques semaines à Tel Aviv. Votre pays, qui a fait la paix avec Israël, est un point névralgique. Il est un des pays qui possède ce dialogue avec les deux parties et a pris des initiatives notamment pour réussir cette première étape qu’est le retrait de Gaza et aider l’Autorité palestinienne à assurer sa sécurité. Donc nous sommes solidaires, nous Européens, - je ne parle pas ici seulement comme Français- à accompagner cette initiative et par différents moyens à assurer la réussite du processus de retrait de Gaza.

Ce mois-ci, vous allez rencontrer le président Arafat dans les Territoires palestiniens, nous avons entendu parler de pressions israéliennes pour empêcher cette rencontre ?

Michel Barnier : Non, il n’y a pas eu de pressions. J’irai la semaine prochaine à Ramallah pour y rencontrer le président Arafat, qui est le chef de l’Autorité palestinienne, qui a une vraie autorité et qui doit être respecté et écouté. Il n’y a pas de fin à ce conflit contre ou sans Arafat avec lequel il faut travailler. Je vais donc lui parler franchement.

Sur un autre point, il vient d’y avoir une campagne en France, pour relancer l’émigration juive vers Israël, peut-on dire que la politique étrangère française va changer ?

Michel Barnier : Le choix de venir vivre en Israël pour un juif français est un choix strictement personnel et qui est par ailleurs un choix tout à fait respectable. Le gouvernement français et le président de la République française sont intransigeants pour tout ce qui touche au respect des hommes et des femmes quelle que soit leur religion. Nous sommes intransigeants sur toutes les formes d’antisémitisme, de racisme et de xénophobie. Le gouvernement français a une politique extrêmement rigoureuse contre toutes ces tentatives, toutes ces menaces et je pense qu’en Israël, comme dans les autres pays on sait cela.

Sur le dossier irakien, le 30 juin doit être, espérons-le, une date charnière dans ce dossier, comment voyez-vous le rôle des Français dans la période à venir ?

Michel Barnier : D’abord il faut regarder devant nous, et ne pas donner de leçons sur le passé. Chacun connaît l’analyse que nous avons faite de cette crise et nous sommes maintenant au début d’un nouveau processus dans le cadre des Nations unies, comme nous l’avons demandé depuis longtemps. Voilà pourquoi nous avons travaillé d’une manière constructive à cette résolution des Nations Unies qui a été adoptée à l’unanimité. Cette résolution encadre le processus politique, avec un nouveau gouvernement dirigé par M. Allaoui, et la préparation au mois de janvier 2005 d’élections. Nous sommes attachés à dire que le destin de l’Irak est l’affaire des Irakiens, que le gouvernement irakien doit être responsable, souverain, maître de son destin. Il doit avoir toutes les compétences qui sont celles d’un gouvernement souverain et être accepté par les forces politiques et les différentes communautés. Il me semble que cela est à peu près garanti aujourd’hui. Désormais une chance existe, même s’il faut être vigilant, même si elle est fragile, que s’enclenche un processus de sortie de la crise, non pas par les armes, ni par la violence, mais par le processus politique et finalement démocratique. Si les choses se déroulent comme nous l’espérons, nous sommes prêts, à la demande du gouvernement irakien, à participer non pas seulement en tant que Français mais en tant qu’Européens à la reconstruction économique et politique de l’Irak.

Qui doit donc assurer la sécurité en Irak pendant la période de la reconstruction ?

Michel Barnier : Cela dépend de la durée de la reconstruction, qui va être longue dans les premiers mois, entre juin et janvier et probablement jusqu’à la fin de l’année 2005. C’est le gouvernement irakien qui dira ce qu’il souhaite et il y aura une force multinationale issue de la coalition actuelle. Ce ne sera plus l’occupation. Ce sera une force de stabilisation mais pour laquelle, nous avons tenu à cela, le gouvernement irakien aura son mot à dire. Il dirigera lui-même les forces militaires irakiennes, sera consulté sur les opérations de sécurité et pourra dire, au plus tard en décembre 2005, s’il souhaite ou pas que cette force multinationale reste en Irak. Il me semble que le pouvoir, la responsabilité du gouvernement irakien, est très important et nous sommes très heureux de cela.

Monsieur le Ministre, ne croyez-vous pas que la décision américaine de déclencher la guerre en Irak a affaibli le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale ?

Michel Barnier : Encore une fois, regarder en arrière ne nous aidera pas à sortir de ce problème, ce n’est pas le moment de faire cela, chacun sait dans quelles conditions cette guerre a été déclenchée, ce que pensaient les uns ou les autres. Les Européens n’étaient pas unis sur cette question, il y avait des divisions.

Pour ne pas regarder en arrière, mais regarder en avant, qu’est ce que vous pouvez faire pour équilibrer l’Europe ?

Michel Barnier : Votre question est large. L’Union européenne a été unanime pour travailler avec la Russie, les autres membres du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, à cette nouvelle résolution. C’est pour cela qu’elle a été adoptée à l’unanimité. C’est très important que les Européens aient été unis sur cette question, de même que nous sommes unis sur l’analyse que nous faisons du conflit israélo-palestinien, de la manière, la seule manière d’en sortir, par la négociation politique, la concertation et le dialogue entre les parties. Vous voyez donc que l’Union européenne est en train de retrouver une certaine unité politique. D’ailleurs, il y a quelques jours à Bruxelles, les vingt-cinq chefs d’Etat et de gouvernement, ont approuvé le projet de Constitution européenne qui apporte les premiers outils d’une vraie capacité politique européenne. Nous allons avoir bientôt un ministre des Affaires étrangères européen, non pas pour remplacer les ministres nationaux, mais pour conforter, augmenter leur capacité d’action ; nous allons avoir une politique de défense européenne. Donc, s’agissant de ce monde très instable avec une insécurité globale, et notamment dans cette région, mais qui nous concerne tout autant que le reste du monde, l’Europe veut jouer un rôle. Nous voulons construire un monde plus équilibré où il n’y aurait pas seulement une seule super puissance. Les pays arabes vont se développer et nous les y aiderons en les respectant. L’Europe s’est organisée, elle s’élargit avec l’adhésion des pays d’Europe centrale. L’Asie va s’organiser, l’Amérique du Sud, l’Afrique… Nous voulons ce monde entre plusieurs pôles qui dialoguent entre eux et qui s’organisent. L’Europe va jouer ce rôle et se donner la capacité politique d’être dans ces discussions pour réaliser un monde plus solidaire, plus pacifique et plus stable.

Quels sont les points communs entre la politique de la France et des Etats-Unis en ce qui concerne les questions du Moyen-Orient ?

Michel Barnier : Mais je ne conçois pas notre dialogue avec les Etats Unis sous une forme d’agressivité ou de différence. Nous avons l’idée, quand nous regardons le monde arabe, en écoutant les gouvernements et en les respectant et la société civile qui existe et qui s’organise, elle aussi, de d’abord chercher à faire confiance et avoir un vrai partenariat. Voilà ce que nous avons dit au sujet de l’initiative américaine sur le grand Moyen-Orient. Nous avons ce processus européen de dialogue avec l’autre rive de la Méditerranée dans le cadre de Barcelone, donc nous ne cherchons pas à exprimer des oppositions, encore moins de l’agressivité. Nous avons cette idée que le monde ne peut pas être organisé avec une seule super puissance, il faut davantage d’équilibre, de pôles. Nous voulons être un de ces pôles et encourager les pays arabes à être un jour un autre pôle économique et politique solide.

Si nous parlions de l’Egypte et de la France. Quels sont les autres domaines de coopération bilatérale entre la France et l’Egypte mis à part la coopération dans le domaine politique ?

Michel Barnier : Evidemment sur les grands conflits, les sujets qui touchent cette région, l’Irak, le conflit israélo-palestinien, nous avons des points de vue qui sont les mêmes et nous travaillons ensemble. Mais nous avons aussi une relation d’amitié de plusieurs siècles à laquelle il faut rester fidèle et qu’il faut aussi faire vivre avec son temps, avec les problèmes d’aujourd’hui. Cela justifie par exemple que l’Egypte soit un des tous premiers pays auxquels nous apportions une aide pour son propre développement. Nous travaillons ainsi d’une manière bilatérale avec les entreprises, les moyens de l’Etat français sur le plan de l’économie, la culture, l’archéologie et l’éducation… Dans tous ces réseaux, tous ces domaines de coopération entre l’Egypte et la France nous essayons d’encourager votre pays.

Monsieur Barnier, c’est votre première visite en Egypte et je crois savoir que votre mère à vécu ici jusqu’à ses 18 ans, quelle était votre idée de l’Egypte avant de venir ici ?

Michel Barnier : C’est ma première visite officielle mais comme vous l’avez dit j’ai un attachement personnel puisque mon grand-père était médecin pendant très longtemps, ici au Caire et en Haute Egypte. Ma mère a vécu ici ses 18 premières années. Ils m’ont parlé l’un et l’autre de ce pays qu’ils ont connu et aimé, à une autre époque, entre les deux guerres mondiales. L’Egypte a changé, se modernise, s’est ouverte. J’avais l’image d’un pays avec une des cultures les plus anciennes, prestigieuses et importantes du monde, d’un très grand pays à la population très jeune et l’impression que j’en retire aujourd’hui est celle d’un pays qui a une ambition légitime, qui se trouve au cœur, par sa situation géographique, de beaucoup de problèmes et qui peut aider à les résoudre. Bien sûr, le conflit israélo-palestinien, bien sûr, avec les autres pays de la région, la reconstruction de l’Irak, mais aussi éviter des crises comme le gouvernement égyptien s’y efforce au Sud, et je veux parler du Soudan. Sur tous ces sujets, l’Egypte, par son propre gré, a un très grand rôle à jouer. Je voulais le dire à tous les Egyptiens et Egyptiennes qui nous écoutent comme je l’ai dit aux dirigeants que j’ai rencontrés : la France reste aux côtés de l’Egypte pour relever ces défis.

Monsieur Michel Barnier, merci pour cette interview sur notre chaîne.

Source : ministère français des Affaires étrangères