Au cours des mois passés, nous avons trop entendu parler des États et pas assez des citoyens. Or la Constitution européenne est faite pour répondre davantage aux attentes des citoyens qu’aux demandes des États. Le projet de Constitution vient d’être adopté à l’unanimité par le Conseil européen. Finalement, c’est le projet de la Convention européenne qui a été adopté, avec quelques retouches mais 95 % du texte reste inchangé. La plupart de ces retouches se situant en retrait de notre texte, on ne peut pas nous accuser de manque d’audace.
Je regrette qu’on impose une présidence tournante au Conseil des ministre de l’Union européenne : cela affaiblit ses travaux alors que j’aurais souhaité lui donner un caractère législatif. De même, je regrette que le nombre des commissaires européens soit indexé sur le nombre des États membres, et non sur celui des tâches à accomplir. Par contre, le dispositif concernant la gouvernance économique de la zone Europe est amélioré par rapport à notre projet. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les malheureux Thucydide et Périclès ont été exclus de notre patrimoine historique. Il y a une fierté pour l’Europe d’affirmer que la première expérience de démocratie a eu lieu sur son territoire et que la quasi-totalité du vocabulaire démocratique mondial est tirée d’une langue européenne. Personnellement, je leur serai toujours reconnaissant et les footballeurs grecs se sont chargés de réhabiliter la mémoire de Thucydide !
Mais ne nous focalisons pas sur les ratures, soulignons plutôt les avancées essentielles : la présidence stable du Conseil européen, la présidence stable du conseil des ministres des affaires étrangères et du conseil des ministres de l’économie de l’Eurogroupe, la création du poste de ministre des affaires étrangères de l’Union, la reconnaissance du rôle législatif de plein droit du Parlement européen, le contrôle politique de la subsidiarité par les Parlements nationaux, la définition précise et stable des compétences de l’Union , la simplification des procédures et du vocabulaire par l’instauration des lois européennes et des lois-cadres européennes, l’adoption de la règle de la double majorité pour le vote à la majorité qualifiée au Conseil, la création de l’Agence européenne de l’armement et, enfin, la fusion des traités aboutissant à un texte unique. Il y a trois ans encore, on définissait ces tâches comme impossibles.
Il faut maintenant faire ratifier ce texte dans les 18 mois, selon les règles en vigueur dans chacun des États membres, afin de proposer la date du 1er juillet 2006 pour l’entrée en vigueur du Traité constitutionnel. On pourrait souhaiter que cette ratification se déroule de manière coordonnée, puisqu’il s’agit d’un acte commun, même si le choix entre ratification parlementaire et référendum reste un choix national. Dans les États où ce choix est ouvert, on peut marquer la préférence pour le recours au référendum afin de souligner que la construction de l’Europe est l’affaire des peuples. Il faudra que les acteurs de la vie politique prennent alors leur responsabilité et ne détournent pas l’enjeu du débat. Suite à cette ratification, il faudra mettre en place cette constitution et cela ne sera pas facile, car pendant deux ans nous vivrons avec les institutions du traité de Nice. Quoi qu’il en soit, il faut nous préparer à la mise en pace du nouveau texte et je souhaite que la présidence néerlandaise entame cette réflexion. Toutefois, le « nouveau Parlement » ne sera élu qu’en 2009 et la mise en place du collège restreint de la Commission en 2014. On peut prévoir l’impatience de l’opinion devant le long délai de mise en œuvre d’une Constitution qu’elle aura approuvée ; il faut donc prévoir une accélération du processus. Que faudra-t-il faire si un ou plusieurs États membres refusent de ratifier la Constitution ? Dans ces conditions, si ce texte est ratifié par une large majorité d’États et de citoyens, le problème se posera pour ceux qui n’acceptent pas ce texte, pas pour la constitution. Pour cela, il faut mettre fin aux faux débats qui ont récemment compliqué la démarche :
Ce texte va donner naissance à une nouvelle Union européenne où les débats entre grands et petits États, anciens et nouveaux membres n’auront plus lieu d’être.

Source
Le Monde (France)

« Vite, la Constitution de l’Europe ! », par Valéry Giscard d’Estaing, Le Monde, 12 juillet 2004. Ce texte est extrait d’une intervention, lors des journées d’études du groupe PPE-DE du Parlement européen, prononcée le 5 juillet à Budapest.