Chaque matin, les écoliers états-uniens récitent un serment d’allégeance au drapeau au cours duquel ils évoquent la consécration de leur pays à Dieu. la Cour suprême a rejeté en juin dernier une requête visant à déclarer cette référence anticonstitutionnelle. Cédric Housez, spécialiste de la communication politique, analyse cette polémique qui marque l’aboutissement d’un long processus de christianisation de l’identité nationale, d’abord face au « communisme athée », puis face à l’islam.
« Je jure fidélité au drapeau des États Unis d’Amérique et à la République qu’il incarne : une nation unie « Under God » [1], indivisible, avec la liberté et la justice pour tous » [2].
La Cour suprême l’a décidé, c’est ce texte que les écoliers états-uniens continueront de réciter tous les matins en classe, debout, la main sur le cœur, face au drapeau.
C’était prévisible, Michael Newdow a perdu.
L’affaire Newdow
Le 14 juin dernier, la Cour suprême des États-Unis a rejeté sa requête demandant le retrait de la mention « Under God » du Serment d’allégeance. Elle a refusé de statuer sur le fond du dossier et a rejeté la requête sur la forme. Selon la Cour, il ne s’agirait que d’une affaire familiale portant sur l’éducation de la fille de Michael Newdow et il n’en a pas la garde. Le juge Paul Stevens, au nom de la majorité des magistrats, a déclaré que « Mickael Newdow n’a pas de fondement juridique pour porter sa plainte devant un tribunal fédéral » et qu’ « il y a une grande différence entre les droits de M. Newdow à communiquer avec son enfant et le droit qu’il réclame de protéger sa fille des influences auxquelles elle est exposée à l’école ». La Cour suprême dans son arrêt estime que Mickael Newdow, qui vit séparé de la mère de sa fille, n’avait pas autorité pour engager des poursuites judiciaires contre cette dernière, au nom de sa fille, sur un terrain touchant aux principes religieux et éducatifs. Cette décision, qui occulte le fait que Michael Newdow ne portait pas plainte à propos de l’éducation de sa fille, mais sur un principe général de séparation des Églises et de l’État, a été rendue le jour du Flag Day [3], 50 ans jour pour jour après que la mention « under God », dénoncée par Newdow, ait été rajoutée au Serment d’allégeance par le Congrès. Difficile de voir cette coïncidence de date comme un hasard.
Cette dérobade ne satisfait pas Newdow qui dans une tribune publiée par le New York Times [4] affirma que la Cour n’a fait que trouver un artifice juridique pour ne pas faire appliquer le droit et ne pas faire respecter le premier amendement de la constitution [5]. Cette opinion est partagée par de nombreux commentateurs qui se demandaient depuis le début du procès quel artifice la Cour suprême allait trouver pour rejeter la requête dans un procès couru d’avance [6].
La Cour suprême offre une victoire aux mouvements chrétiens qui avaient combattu pour le maintien de la mention « Under God » et avaient fait jouer leur réseaux au plus haut niveau pour la conserver, après qu’elle ait été déclarée inconstitutionnelle par la neuvième Cour d’appel de Californie. Ces groupes bénéficiaient par ailleurs du soutien d’une large part de la population puisque, selon un sondage Ipsos-Public Affairs publié le 24 mars 2004, 87% des États-Uniens estiment qu’elle devait rester dans le serment. Un chiffre qui peut aussi s’expliquer par le fait que depuis 50 ans, tous les écoliers récitent ce serment tous les jours.
Tout avait commencé, le 26 juin 2002, quand la neuvième Cour d’appel de Californie avait déclaré, par la voix du juge Goodwin, que « Le serment, sous sa forme actuelle, est une caution inacceptable du gouvernement à la religion, car il envoie aux non-croyants le message qu’ils ne sont pas intégrés, pas membres à part entière de la communauté politique ». Pour Michael Newdow, un médecin urgentiste, militant libre-penseur et diplômé de droit défendant lui-même son cas devant la justice, c’est l’aboutissement d’un combat amorcé en Floride en 1998 contre les références à Dieu dans les textes officiels états-uniens.
Mais cette décision va immédiatement déclencher les foudres des groupes chrétiens et des élus, démocrates comme républicains, et la création de sites internet de protestation. Dès le lendemain, le très pieux secrétaire à la Justice John Ashcroft [7] déclare « le département de la Justice défendra le droit des enfants de notre nation à prêter allégeance au drapeau américain » [8] et le Sénat vote un texte à l’unanimité moins une voix en faveur de la mention « Under God » [9]. De leur côté, les groupes chrétiens se font entendre par la voix du chanteur Lee Greenwood [10], lié à Billy Graham et figure de proue d’un mouvement rassemblant également des associations tels que la Christian Legal Society, l’American Jewish Congress ou la Catholic League for Civil and Religious Right. Ces groupes retournent l’argumentation de Newdow et affirment que les mouvements libres-penseurs veulent imposer leur athéisme à la nation [11].
La mère de la fille de Michael Newdow sera défendue par le procureur de l’affaire Clinton-Lewinski, le très puritain Kenneth Starr. Newdow recevra des menaces de mort pour son action. Il sera soutenu par les associations de libres-penseurs aux États-Unis, mais aussi par l’Anti-Defamation League [12] ou des groupes bouddhistes qui s’inquiètent de l’interprétation trop chrétienne de la mention « Under God », dans le serment d’allégeance.
La guerre des symboles
Pour chacun des groupes qui s’opposent, ce qui est en jeu, c’est la définition de l’identité états-unienne.
La question du serment d’allégeance peut paraître triviale. Souvent les hymnes et drapeaux d’une nation ou d’un groupe sont considérés comme quantité négligeable. Pourtant, ils participent à sa définition et, pour reprendre l’expression de Gurvitch, les symboles nationaux « incluent et excluent ».
Les symboles ou les hymnes ont deux fonctions : une fonction sociale, permettant aux différents membres d’un groupe de s’identifier entre eux comme appartenant à la même communauté, et une fonction psychosociale, ils sont des balises rappelant au spectateur des idées et des idéologies qui leur sont rattachés. Cette fonction psychosociale est individuelle, mais résulte de la vie sociale et de l’appartenance à un groupe qui dispose d’idées propres et qui a une certaine perception de son histoire. Transformer le discours autour des symboles d’une communauté, c’est influencer l’idéologie de ceux qui se reconnaissent dans ces symboles et transformer les symboles, ou les hymnes, offre donc la possibilité, à travers eux, de définir qui fait partie ou non de la communauté.
Dans le cas des États-Unis, définir ce qui est ou non « Américain » est une question capitale vu l’importance de la notion du « non-Américain » (unamerican) dans les différentes chasses aux sorcières qu’ont connu le pays au cours du XXième siècle [13]. La plainte de Michael Newdow visait à faire respecter le premier amendement de la constitution, mais aussi à faire accepter que les athées ou libres penseurs sont des membres à part entière de la communauté nationale, contrairement à ce que laisse penser la présence d’une référence à Dieu dans le serment d’allégeance. Leurs opposants ont, pour la plupart nié la pertinence de cet argument en utilisant des sophismes affirmant qu’il n’y avait pas de problèmes puisque les athées n’étaient pas obligés de réciter le serment d’allégeance. Le professeur Samuel Huntington, théoricien de la guerre des civilisations, fut l’un des rares à réfuter frontalement les arguments de Michael Newdow dans un texte publié par le Wall Street Journal [14]. Pour lui, la mention « Under God » a sa place dans le serment d’allégeance car les États-Unis sont une nation croyante et même, avant tout, une nation chrétienne. Selon lui, Newdow a raison : les athées n’appartiennent effectivement pas à la communauté nationale états-unienne. S’appuyant sur les sondages récents il conclue même que la religiosité est une spécificité des États-Unis dans le monde « développé » et qu’historiquement les États-Unis ont toujours été ainsi. Comme ils sont une nation religieuse, ceux qui n’adhèrent pas à cette spécificité ne sont, au mieux, que des citoyens de second ordre.
Toutefois, s’il est indiscutable que les États-Unis sont effectivement un État où, contrairement aux pays ayant un niveau vie comparable, la religiosité est forte, il est faux d’affirmer qu’il s’agit d’une constante historique immuable. Ainsi, en 1910 et 1920, 43% des États-Uniens se déclaraient membre d’une Église, en 2002, ils étaient 65 %. Au cour du XXème siècle, on a donc assisté à une reprise en main religieuse de la démocratie états-unienne, illustrée par les différentes versions du serment d’allégeance.
Des origines « socialistes »...
À l’origine, le serment d’allégeance est un texte qui a été écris par le pasteur baptiste Francis Bellamy, un homme se définissant lui-même comme un « socialiste chrétien ». Dans son serment, il a voulu exprimer les idées de son cousin Edward Bellamy, auteur de romans socialistes utopiques à succès, tels que Looking Backward (1888) ou Equality (1897). Dans les sermons de Francis ou les romans d’Edward, on retrouve les mêmes idées : la construction d’une société fondée par la classe moyenne reposant sur une économie planifiée et sur l’égalité politique, économique et sociale pour tous.
Le serment fut publié à l’occasion du numéro de septembre 1892 de The Youth’s Companion, une publication de Boston détenue par Daniel Ford, dont Francis Bellamy était devenu l’assistant personnel après avoir été obligé de quitter sa paroisse à cause du contenu de ses sermons. Chargé également de participer à la préparation des commémorations du quadricentenaire de l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent américain, il en profita pour organiser des manifestations en l’honneur du drapeau avec la récitation de son serment d’allégeance.
Le serment original était « Je jure fidélité à mon drapeau et à la République qu’il incarne : une nation unie, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous » [15]. Certains auteurs ont estimé que Bellamy voulait également parler d’égalité dans son texte en addition de la liberté et de la justice pour tous, mais il en aurait été empêché par les autres membres du comité chargé de la rédaction du texte, opposés à l’égalité entre hommes et femmes et entre blancs et noirs. Reflétant les angoisses états-uniennes de son époque, le serment mettait alors surtout l’accent sur l’unité de la nation, les souvenirs de la Guerre civile restant vivaces.
La notoriété du serment se développa à nouveau dans les années 20. Confronté à une vague d’immigration importante, les États-Unis virent croître les mouvements réclamants une « américanisation » des populations arrivant sur le territoire, dont le très influent Ku Klux Klan. On obligea les écoliers dans certains États à réciter le serment d’allégeance au drapeau, mais des modifications furent apportées, les 14 juin 1923 et 1924, deux Flag Days. On transforma d’abord l’expression « mon drapeau » en « le drapeau des États-Unis », puis « le drapeau des États-Unis d’Amérique » [16]. Ces modifications avaient pour but d’empêcher les enfants d’immigrants de penser en le récitant au drapeau de leur pays d’origine ou, pire encore en cette première période de « chasse aux rouges », au drapeau rouge du communisme ou au drapeau noir de l’anarchie. Bellamy exprima son désaccord, mais le serment devint de plus en plus populaire et finit par devenir un hymne officiel, le 22 juin 1942. On changea cependant le salut au drapeau, bras droit et main tendus, ressemblant trop au salut nazi, pour lui substituer la main sur le cœur inspirée du rituel franc-maconnique régulier.
À cette époque, le serment d’allégeance ne contient encore aucune référence religieuse, mais parallèlement à la première vague d’anticommunisme et à la rhétorique de Woodrow Wilson, un discours christianisant va se développer aux États-Unis. En 1931, lors de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire United States vs. Macintosh, la cour déclarera « Nous sommes un peuple chrétien ». Toutefois, les esprits ne seront vraiment prêts à accepter l’adaptation du texte en référence religieuse que durant la Guerre froide.
... à un texte contre le « Communisme athée »
Les années 50 aux États-Unis sont considérés aujourd’hui dans ce pays comme les « Happy days » de l’histoire états-unienne, la parenthèse entre la Seconde Guerre mondiale et la Guerre du Vietnam. Pourtant, c’est l’époque de la Guerre de Corée, du Maccarthysme et du développement du complexe militaro-industriel qui finira par inquiéter Eisenhower lui-même. C’est également une période durant laquelle on va assister à une christianisation du discours politique.
Eisenhower, élu président en 1952, aura une influence déterminante dans cette christianisation du discours. Il se plait à affirmer que « notre forme de gouvernement n’a pas de sens à moins qu’elle soit fondée sur une foi religieuse profonde, peu importe laquelle ». Évacuant le vieux débat sur les intentions des « pères fondateurs » de la constitution états-unienne concernant la religion il affirme « Même si le gouvernement libre n’était pas fondé à l’origine sur une forme de foi religieuse profonde, les hommes devraient alors tenter de fonder une religion qui met en avant l’altruisme, la coopération, et l’égalité des hommes ». [17]. Eisenhower place sa présidence comme une grande croisade en faveur de la religion et de l’altruisme. Ce discours religieux s’accompagne d’un rappel constant de la menace communiste, aussi bien extérieure qu’intérieure. Or, pour lui, la grande différence entre l’URSS et les États-Unis est la croyance en Dieu. Par ses discours, Eisenhower parvint à convaincre une population terrorisée par la menace nucléaire soviétique, menace qu’il se plaît lui-même à rappeler à longueur de discours, que Dieu est du côté des États-Unis en utilisant des formes rhétoriques issues du discours apocalyptique chrétien.
En fait, avec ses discours, il ne fait que reprendre une tendance qui se développe depuis l’annonce de la fin du monopole nucléaire états-unien par Harry Truman, tendance dont le principal porte-parole est le jeune prêcheur Billy Graham. Ce prédicateur charismatique qui sera plus tard le directeur de conscience de Ronald Reagan et George W. Bush, commençait alors à se rendre célèbre grâce à ses liens avec Randolph Hearst et Cecil B. De Mille [18] qui assurèrent sa notoriété. Il développait déjà des discours enflammés et apocalyptiques concernant la lutte à mort entre l’Amérique chrétienne et le communisme athée [19], on retrouva cette référence dans le discours qui rendit célèbre Joseph McCarthy.
Dans le même temps l’Église catholique développe une condamnation du communisme en des thermes proches. En fait, cette idéologie est condamnée par le Vatican depuis 1849 et l’encyclique Nostis et Nobiscum rédigé l’année qui a suivit la rédaction du Manifeste du parti communiste de Marx. En 1949, Pie XII, qui n’a jamais excommunié un nazi, même après la découverte des camps d’extermination, excommunie tout catholique qui ferait l’apologie des principes communistes. Aux États-Unis, au début des années 50, le cardinal Francis Spellman soutient les mesures McCarthy sur les émissions de radio des Chevaliers de Colomb.
Les Chevaliers de Colomb regroupent la bourgeoisie catholique de différents pays d’Amérique du Nord.
Fondée le 2 octobre 1881 par le père Michael J. McGivney autour de quelques fidèles du Connecticut, cette organisation est aujourd’hui composée de 12 000 conseils rassemblant 1,6 millions de membres à travers le monde. Il faut toutefois relativiser ces chiffres, cette organisation a été conçue comme une caisse d’assurance vieillesse et maladie pour les membres du clergé catholique, puis comme un assureur-vie pour les catholiques qui y cotisaient. Elle a conservé son action mutualiste, aussi les 1,6 millions de membres revendiqués sont en fait des assurés n’ayant pas réellement de poids dans l’organisation où n’adhérant pas nécessairement à son idéologie. Par contre, devenir chevalier de Colomb et accéder à la hiérarchie exige d’appartenir à la haute bourgeoisie catholique. Ses dignitaires ont toujours préconisé une lecture réactionnaire du dogme. Aujourd’hui, les Chevaliers de Colomb utilisent leurs fonds pour soutenir les programmes anti-avortement et les actions diplomatiques du Saint-Siège, notamment sa représentation à l’ONU. Dans les années 50, cette organisation va jouer un rôle décisif dans l’adoption de la mention « Under God » par le Congrès.
Le 22 avril 1951, le conseil d’administration des Chevaliers de Colomb adopte une résolution pour amender le serment d’allégeance et rajoute « Under God » dans le serment qui est récité à l’ouverture de ses réunions. Entre avril et mai 1952, les groupes des Chevaliers de Colomb de Floride, du Dakota du Sud, de New York et du Michigan adoptent des résolutions recommandant que le serment d’allégeance soit également amendé officiellement par le Congrès et lancent des pétitions. Le 22 août, c’est le Conseil suprême de l’organisation qui adopte cette position et en envoie des copies au président (qui est encore Harry Truman), au vice-président en sa qualité de président du Sénat et au président de la Chambre des représentants. L’opération sera rééditée en août 1953, mais cette fois, c’est l’ensemble des membres du Congrès qui recevront des textes demandant l’introduction de la mention « Under God ». Cette campagne commence à recevoir des soutiens parmi les parlementaires.
Le 7 février 1954, Eisenhower et sa femme se trouvent dans un temple presbytérien de Washington, église qui lui a été conseillée par Billy Graham [20], quand le révérend George M. Docherty fait un sermon sur le serment d’allégeance où il déclare : « Ce qui manque, c’est la caractéristique et le facteur définitif de du mode de vie américain. À l’exception de la mention "les États-Unis d’Amérique", cela pourrait être le serment de n’importe quelle république.
En fait, je pourrai entendre les petits Moscovites réciter un serment similaire avec la même ferveur. La Russie est aussi une république qui prétend avoir renversé la tyrannie de la monarchie. La Russie aussi affirme être indivisible ». Il conclut en estimant que certains athées états-uniens « honnêtes » se sentiront peut être blessé mais « un athée Américain est une contradiction dans les termes » [21].
Docherty est également le pasteur de nombreux parlementaires et, très vite, 17 propositions sont déposées au Congrès, mais c’est le représentant démocrate du Michigan, Louis C. Rabaut, un catholique, qui restera comme l’auteur de la première d’entre elles. L’inscription de cette mention sera acceptée à l’unanimité des deux chambres. Le Sous-comité du Sénat sur les amendements constitutionnels rejettera quand même la proposition du sénateur républicain du Vermont Ralph Flanders demandant une reconnaissance explicite de l’autorité de Jésus-Christ sur la loi et la constitution états-uniennes. Eisenhower signera le décret changeant la formulation du serment d’allégeance, le 14 juin 1954, le jour du drapeau, 30 ans jour pour jour après la dernière modification du texte voulue par l’extrême droite états-unienne. Le 17 août 1954, dans un message adressé au chevalier suprême de l’ordre des Chevaliers de Colomb, Luke E. Hart, à l’occasion du Conseil suprême de l’organisation qui se tenait à Louisville, Eisenhower reconnut à cet ordre la paternité de cette réforme.
En 1956, « Nous avons confiance en Dieu » (« In God We Trust »), formule qui se trouvait déjà sur les dollars états-uniens, devint la devise officielle des États-Unis. Les Églises catholique et protestantes états-uniennes ont achevé leur captation des symboles nationaux du pays et renforcé le lien entre nationalité états-unienne et croyance religieuse.
Un texte utile dans la « guerre des civilisations »
Aujourd’hui, cette captation est remise en cause par les mouvements libres-penseurs au moment où précisément l’administration Bush utilise les même éléments rhétoriques que l’administration Eisenhower. Bush, comme Eisenhower développe l’image d’une nation en danger et devant se référer à Dieu à l’approche de l’apocalypse. Le 17 février 1955, le théologien juif Will Herberg avait affirmé qu’Eisenhower se présentait comme « non seulement le dirigeant politique mais aussi le dirigeant spirituel de notre temps » [22], une remarque qui pourrait s’appliquer à George W. Bush qui ne rate pas une occasion d’utiliser un discours visant à exagérer la menace contre les États-Unis, avant d’en appeler à la piété et à rappeler le statut particulier des États-Unis parmi les nations.
À la fin de sa vie, dans son autobiographie, le révérend George M. Docherty lui même avait mis en garde contre les excès auxquels pouvait conduire l’association des États-Unis avec Dieu. À propos de l’ajout de la mention « Under God » dans le serment d’allégeance, il écrivait : « Je considère toujours mon raisonnement comme valide, mais le temps pourrait avoir rendu mes arguments philosophiques non-pertinents compte tenu des grandes questions en jeu. Un faux patriotisme est né de la menace fantaisiste de l’expansion communiste. Le MacCarthysme a assombri les ondes radios, les superpatriotes ne se demandaient plus s’ils étaient bien du côté de Dieu mais affirmaient que Dieu était bien de leur côté. Tel qu’il est, le nouveau serment d’allégeance a servi de support à la religion civile qui a caractérisé le christianisme institutionnel des années 50 ». [23].
Aujourd’hui, non seulement, l’administration Bush affirme mener sa politique étrangère en suivant les préceptes divins et les plans de Dieu pour le monde [24], mais c’est la démocratie états-unienne elle-même qui est remise en cause par ceux qui affirment parler au nom de Dieu. Le 2 janvier 2004, le révérend Pat Robertson, déclarait que Dieu ferait gagner George W. Bush à l’élection présidentielle de 2004 car « Dieu l’a béni. Je veux dire qu’il peut commettre de terribles erreurs et s’en sortir. Peu importe ce qu’il fait, bien ou mal, Dieu le soutient car c’est un homme pieux et Dieu le bénit. » [25].
[1] NDLR : Cette expression signifiant à la fois « sous l’attention de Dieu » ou « sous le commandement de Dieu » étant difficilement traduisible, nous avons décidé de la laisser telle quelle. La traduction la plus proche du sens originel que nous ayons rencontré dans des textes français est « sous l’aile de Dieu »
[2] I pledge allegiance to the Flag of the United States of America, and to the Republic for which it stands : one Nation under God, indivisible, with Liberty and Justice for all.
[3] Le 14 juin est l’anniversaire de l’adoption officielle du drapeau états-unien. Célébré localement dans divers États et communautés depuis la fin du XIXième siècle, le « Jour du drapeau », (Flag Day) devint une célébration nationale en 1949
[4] « Pledging Allegiance to My Daughter », par Michael Newdow, New York Times, 21 juin 2004. Traitée dans Tribunes Libres Internationales n° 373 du 22 juin 2004.
[5] Cet amendement stipule « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au Gouvernement »
[6] « Atheist Presents Case for Taking God From Pledge », par Linda Greehouse, New York Times, 24 mars 2004
[7] « John Ashcroft dans le secret des Dieux », Voltaire, 2 février 2004.
[8] Cité par CNN, « Gov’t to ask rehearing of Pledge ruling », 27 juin 2002
[9] La seule voix manquante était celle du très réactionnaire Jessie Helms, alors convalescent suite à une opération cardiaque et n’ayant pas pris part au vote
[10] Chanteur de country états-unien dont la chanson « God Bless the USA » est un classique des cérémonies aux États-Unis
[11] Lee Greenwood a déclaré dans une interview sur le site de Billy Graham : « La phrase « Under God » dans le serment d’allégeance ne signifie pas que tout le monde est chrétien, il ne signifie pas non plus que tout le monde croît en Dieu. Cela signifie que cette nation est protégée par Dieu ».
[12] Qui s’était déjà opposé aux groupes chrétiens fondamentalistes états-uniens dans la polémique autour du film de Mel Gibson « La Passion du Christ ». « L’implosion de l’alliance judéo-chrétienne », Voltaire, 23 février 2004.
[13] « Chasses aux sorcières, des communistes aux musulmans », par Paul Labarique, Voltaire, 24 juin 2004.
[14] « Under God », par Samuel Huntington,Wall Street Journal, 16 juin 2004. Traité dans Tribunes Libres Internationales n°371, Voltaire, 18 juin 2004.
[15] ’I pledge allegiance to my Flag and to the Republic for which it stands, one nation, indivisible, with liberty and justice for all
[16] « Two Little Words, par Hendrik Hertzberg, The New-Yorker, 8 juillet 2002.
[17] Cité par Pr. Ira Chernus « Eisenhower : Faith and Fear in the Fifties »
[18] Stephen Whitfield, « Praying : God Bless America », in Cold War Culture, p. 77
[19] En 1953, il déclara « Presque tous les propagateurs des Évangiles et les étudiants de la Bible s’accordent à penser que le [communisme] est dirigé par Satan lui-même », in Stephen Whitfield, op. cité, p. 81
[20] Dwight Eisenhower, en dépit de ses discours, n’a été baptisé qu’après avoir été élu président et n’aurait, dit-on, pas pénétré dans un temple en étant adulte avant cela. Se présentant comme un homme religieux, mais n’adhérant à aucune secte pendant sa campagne, il fut convaincu qu’on ne pouvait pas rester président sans être membre d’une Église. C’est Billy Graham qui lui a conseillé les temples dans lesquels se rendre
[21] Cité in Martin Marty, « Civic Religion », in Modern American Religion, vol. 3, p. 300
[22] Cité in Martin Marty, op. cité, p. 295
[23] « I still consider my reasoning to be valid, but the times should have overruled my philosophical arguments as irrelevant in light of the greater issues at hand. A false patriotism was being aroused by the bogus threat of Communist encroachment ; McCarthyism darkened the airwaves ; superpatriots were prone to ask not whether they were on God’s side, but whether God was on theirs. As such, the new Pledge unfortunately served as one more prop supporting the civil religion that characterized the institutional Christianity of the fifties », in I’ve Seen the Day, George M. Docherty, p. 160
[24] « The driving force behind America’s foreign policy », par George W. Bush, The Independent, 26 février 2004. Traité dans Tribunes Libres Internationales n°294, Voltaire, 26 février 2004.
[25] Selon Dieu, Bush gagnera l’élection en 2004, Voltaire, 7 janvier 2004.
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