Ils ont tué Enzo Baldoni, prisonnier du chantage idéologique exercé contre l’Italie et contre son gouvernement. L’Armée islamique en Irak a exécuté sa sentence sans se soucier des dernières paroles prononcées par Baldoni, " Je viens d’Italie, j’ai 56 ans, je suis journaliste et je suis un volontaire de la Croix-Rouge ". C’est le deuxième italien qui meurt en Irak après Fabrizio Quattrocchi. L’Armée islamique l’a précisé : l’Italie est " en tête de liste de ceux que nous devons combattre et tuer ". La brutalité de l’exécution est terrifiante et elle est la marque d’une cruauté idéologique dont les ravisseurs ont déjà fait preuve.
Dans son dernier message, Baldoni semble croire qu’il est protégé par son statut de journaliste free-lance et de volontaire de la Croix rouge, et son pacifisme contraste nettement avec les armes de ces ravisseurs. Il s’était présenté comme un " homme de paix " avec une dignité impressionnante dans son dernier et inutile appel. Ses ravisseurs, eux, ne l’ont vu que comme un outil politique pour obtenir le retrait des troupes d’Irak ; l’homme en lui-même n’avait aucune importance. Le terrorisme, c’est encore et toujours cela : la tentative de nier toute autonomie à la démocratie, toute liberté à ses choix. Nous pensons que le choix italien d’aller en Irak est erroné et qu’il est lui aussi idéologique, mais la politique d’un gouvernement démocratique ne doit pas être dictée par un chantage terroriste.
Nous devons tous réfléchir si nous voulons que la mort " innocente " de Baldoni ne soit pas privée de sens. Le gouvernement doit comprendre que son implication idéologique, plus encore que militaire, expose particulièrement l’Italie et prive notre politique étrangère d’un rôle actif et efficace en Europe et au Moyen-Orient. La gauche doit comprendre pour sa part qu’en Irak nul n’est épargné, aucune identité n’est privilégiée, aucune culture n’est à l’abri. Quant à cette partie de l’opinion qui a raillé les idéaux de Baldoni et tourné ses choix en dérision parce que, cette fois, l’otage venait du monde de la gauche, il n’y a pas grand-chose à ajouter : notre droite est capable d’opérer des distinctions entre un otage et un autre, entre un mort et un autre, parce que les personnes ne comptent pas sur l’autel de l’idéologie féroce et de la mesquine barbarie intellectuelle.

Source
Le Monde (France)

« L’innocent et les bourreaux », par Ezio Mauro, Le Monde, 28 août 2004.