Parallèlement au débat sur la Constitution de l’Union européenne, il est important de réfléchir au sens de l’Union européenne, à ses valeurs. L’Union européenne, fruit de plusieurs grandes traditions religieuses et philosophiques, est une communauté de valeurs forgée par l’histoire et les apports culturels successifs, tout comme les drames communs. De fait, l’expérience amère de la Seconde Guerre mondiale a enseigné aux Européens l’importance fondamentale de valeurs communes et les architectes de l’intégration avaient compris que ces idéaux ne pourraient être concrétisés qu’en associant les intérêts pratiques des pays européens. Ils ont bâti leur fragile édifice de paix sur des fondations de charbon et d’acier. La génération suivante des fondateurs a approfondi la coopération européenne et permis à l’Europe d’avancer à grands pas vers ses idéaux d’après-guerre : la paix, la stabilité et la prospérité.
Nous sommes aujourd’hui au seuil d’une nouvelle étape de la coopération européenne et une nouvelle génération de politiciens est prête à reprendre le flambeau. Toutefois, sa lumière n’est plus aussi vive et l’enthousiasme pour l’Union européenne a diminué dans les populations car les grandes réalisations de l’Union européenne (la liberté, la paix et la prospérité) sont tenues pour acquises. Les motivations politiques de l’intégration ont été éclipsées par le projet économique, et l’Europe est donc perçue comme un marché, sans fondement moral. Tant que les Européens ne sauront pas exactement ce que signifie l’Europe, ce qui nous inspire et ce qui nous motive, l’Union ne sera pas en mesure de prendre des actions conjointes sur la scène internationale.
La Constitution de l’UE rendra l’Europe plus démocratique et plus transparente. Elle garantit que les décisions seront prises au plus près des citoyens, et reconnaît l’importance des valeurs sur lesquelles l’Union repose : le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité et l’Etat de droit. La peur, l’insécurité et le nationalisme refont leur apparition. Il est important pour les Européens d’y réfléchir, au moment où ils se préparent à d’autres phases d’élargissement et envisagent d’entamer des négociations d’adhésion avec la Turquie. On peut résumer ces valeurs en trois concepts : liberté, solidarité et respect mutuel. Ensemble, ils permettent à l’Europe d’ouvrir ses portes à des peuples très divers, tout en continuant de s’exprimer en tant que communauté de peuples prêts à assumer des responsabilités mutuelles. Ce n’est qu’en adhérant à leurs valeurs communes que les Européens pourront éviter que l’Union ne devienne une machine sans âme.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« L’Union à 25, une machine sans âme ? », par Jan Peter Balkenende, Le Figaro, 9 septembre 2004.