J’aimerais comprendre quelles sont les représentations de la Russie sur lesquelles se fondent la presse dans ses articles. Pourquoi à chaque drame, c’est le président russe et sa politique qu’on fustige ? Depuis quatre ans et demi, Vladimir Poutine s’efforce de sortir son pays du chaos économique et moral dans lequel l’échec du collectivisme, l’effondrement du régime totalitaire et la désagrégation de l’Union soviétique l’avaient plongé. Et il y a réussi, partiellement, même si la route est encore longue.
Poutine s’est attaqué, avec le soutien des Russes, à des oligarques qui s’étaient emparés, dans l’anarchie post-soviétique et par des procédés opaques, des possessions de l’État pour s’y tailler de fabuleuses fortunes qui devaient servir à saisir les leviers politiques. Pourtant, notre presse a dénoncé cette lutte comme une atteinte au libéralisme et aux Droits de l’homme. Notre presse annonce presque quotidiennement que la liberté d’expression des Russes est en danger en appuyant ses déclarations d’extraits de presse russe critiques vis-à-vis du gouvernement. Alors que la Russie fait face à une série d’attentats atroces dont l’abominable tragédie de Beslan, on se contente de rapporter les déclarations de ce monstrueux Chamyl Bassaïev, mais c’est Vladimir Poutine que l’on blâme parce qu’il a décidé que les gouverneurs de provinces seraient désormais désignés par le gouvernement, comme nos préfets en France.
Je crois que le problème c’est que la presse, atteinte d’une forme de rhumatisme mental, ne s’est pas séparée de la crainte de l’Empire soviétique. Dès que se manifeste à Moscou un peu de rigueur, certains croient voir se dresser l’ombre de Staline. C’est ce qu’on entend concernant la Tchétchénie. Pourtant, l’affaire de Tchétchénie ne date pas d’hier et ce n’est pas Poutine qui l’a déclenchée. Elle date de deux cent vingt ans, depuis que la Russie a voulu protéger ses frontières méridionales. Le feu s’est rallumé et il ne faut pas qu’il embrase toute la région. Dans de telles situations, les aides valent mieux que les conseils.
La démocratie n’est pas la même en France qu’en Suisse et elle ne peut pas être la même en Russie, territoire immense où se mêlent des populations diverses. La Russie ne reviendra pas à l’idéologie et aux structures communistes. J’avancerais même qu’elle est désormais moins marxisée que ne le restent nos partis de gauche et nos syndicats de la fonction publique. Mais, par la nature des choses, elle aura l’obligation d’être une démocratie autoritaire. Il faut aider la Russie à être forte. Le continent a beaucoup plus besoin pour sa sécurité et sa prospérité, d’une association entre l’Union européenne et la Russie que de l’intégration d’une Turquie qui retourne à grands pas vers l’islamisme. Sachons voir où sont les vrais dangers, sachons voir aussi où sont les intérêts supérieurs.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Comprendre la Russie », par Maurice Druon, Le Figaro, 22 septembre 2004.