À l’approche de l’élection présidentielle états-unienne, l’inquiétude est de plus en plus grande pour ceux qui, hors du pays, pensent qu’il y aurait un changement de politique significatif si John Kerry était élu. Dans Le Figaro, le député UMP Axel Poniatowski , président du groupe parlementaire d’amitié franco-états-unienne, décrit le système électoral états-unien et regrette qu’il n’ait pas laissé la place à un suffrage populaire direct. Bien que son ton reste très professoral, il conclut sur sa crainte de voir les élections entachées par des irrégularités. M. Poniatowski, qui avait été le représentant de l’UMP à la Convention démocrate de Boston, avec Alain Juppé qui y était venu en « visite privée », ne prend pas officiellement partie pour l’un ou l’autre des candidats mais l’on comprend qu’il redoute le même type d’élection qu’en 2000.

Aux États-Unis, les démocrates et les républicains se sont mobilisés à l’approche du premier débat électoral opposant Bush à Kerry, celui qui a traditionnellement le plus de téléspectateurs.
Avant le débat, le New York Times a demandé à trois personnalités républicaines et à trois personnalités démocrates de formuler les questions qu’elles aimeraient poser à leur adversaire lors du débat. Plus que des questions ce sont des accusations déguisées que fournissent les six participants.
Chez les républicains, William Kristol, président du Project for a New American Century, s’inquiète d’une trop grande docilité de Kerry face aux injonctions de l’ONU, tente de pointer les incohérences de sa position et lui demande de se prononcer sur une attaque états-unienne au Darfour. La juriste du Pentagone, Ruth Wedgwood attaque pour sa part sur le soi-disant soutien de Kerry à la Cour criminelle international, fustige la mollesse des démocrates dans la guerre au terrorisme et en rajoute sur les incohérences de Kerry concernant l’Irak, réemployant au passage la fable des armes de destruction massive. L’historien et expert du cabinet de relations publiques Benador Associates, Victor Davis Hanson, vante pour sa part les réalisations de l’administration Bush concernant la Libye, le Pakistan, l’Arabie saoudite et la marginalisation de Yasser Arafat et exige de Kerry qu’il se prononce sur sa politique concernant les prochaines cibles que pourraient être la Syrie, le Liban et l’Iran et sur le déploiement des troupes états-uniennes dans le monde.
Chez les démocrates, l’ex-secrétaire d’État, Madeleine K. Albright dénonce la politique
Bush en Irak et en Corée du Nord et regrette que Washington ne soit pas plus agressif contre la Russie de Vladimir Poutine. Richard A. Clarke, qui avait fait bombarder le Soudan au nom de la guerre au terrorisme sous l’administration Clinton avant de faire bombarder l’Afghanistan sous l’administration Bush, à chaque fois pour « chasser Al Qaïda », fustige la politique irakienne, regrette que l’Iran ne soit pas pris pour cible et regrette la mollesse de l’administration Bush dans la défense du territoire. Enfin, l’historien et ancien conseiller de J. F. Kennedy, Arthur M. Schlesinger Jr. dénonce le détournement de la guerre au terrorisme que représente la guerre d’Irak et s’insurge contre l’utilisation de la rhétorique chrétienne.
La veille de la publication de ces tribunes, l’ancien vice-président Al Gore avait publié une série de conseils à John Kerry pour prendre le dessus dans le débat l’opposant à Bush, conseils repris le lendemain dans l’International Herald Tribune et El Mundo. Il recommandait au sénateur du Massachusetts de se montrer agressif sur les questions de défense et sur l’emploi, bien que le premier débat ne traitait pas de ces questions. Il utilisait lui aussi l’accusation de détournement de la guerre au terrorisme.
Ce qu’illustre surtout cette série de textes, c’est que l’élection présidentielle aux États-Unis est l’occasion pour les élites de procéder à des ajustements tactiques, mais surtout pas à une modification profonde de la politique menée. La vision du monde est la même, les ennemis désignés sont les mêmes (tout au plus peut-on discuter leur caractère prioritaire) et seules changent les méthodes à employer. Ce que reprochent les démocrates aux républicains, c’est de s’être montrés ouvertement impérialistes et d’avoir provoqué trop d’opposition, pas leurs objectifs politiques en eux-mêmes. Preuve de cette entente, sur les auteurs des tribunes du New York Times, trois ont signé le texte anti-Poutine que nous traitons aujourd’hui dans notre focus (Kristol, Wedgwood et Albright) et un (Clarke) a travaillé pour l’administration Clinton et pour l’administration Bush avant de revenir vers les démocrates.
Quoi qu’il en soit, les auteurs de ces textes semblent avoir été écoutés puisque les candidats ont effectivement massivement employé les arguments proposés par leurs partisans dans le « débat » de jeudi soir, gagné par le sénateur démocrate d’après la presse états-unienne. En réalité, le terme « débat » est assez impropre pour définir ce à quoi se sont adonnés les deux adversaires puisque les moindres détails (jusqu’à la température de la climatisation) sont réglés par les équipes de campagne auparavant et que les deux candidats ne peuvent pas s’adresser l’un à l’autre, ce qui interdit tout échange d’arguments. Ce qui est appelé débat n’est donc qu’une succession de répétition de slogans des principaux candidats, en accord sur le fond. Un grand spot publicitaire bipartisan dont sont exclus les candidats indépendants qui auraient des propositions alternatives.