Le 2 novembre, dans une douzaine d’États américains particulièrement disputés, quelques centaines de milliers d’électeurs hésitants vont décider du choix du prochain président des États-Unis. Si le monde entier votait, John Kerry serait élu, mais dans une Amérique maintenue méthodiquement sous le choc du 11 septembre, George W. Bush conserve toutes ses chances. En outre, si Kerry est élu, il ne fera pas le contraire de son prédécesseur car il y a aux États-Unis une tendance de fond souverainiste, sécuritaire et unilatéraliste. D’autant que le Sénat restera républicain.
La période 2001-2004 aurait dû démontrer aux moins clairvoyants sur les États-Unis que depuis qu’ils caracolent seuls au sommet du podium planétaire, ils ont connu une métamorphose qui est aussi un retour aux sources de l’esprit de puissance, de sécurité et de mission, une métamorphose qui sera durable. Il est illusoire de rêver à un retour au « multilatéralisme ». Cela ne doit pas nous empêcher de chercher à stabiliser et à rationaliser nos rapports avec les États-Unis, mais il nous faut les concevoir sur la base d’intérêts partagés et de certaines convergences stratégiques plutôt que sur les sentiments ou la reconnaissance. En attendant le résultat des élections américaines, nous devons réfléchir aux relations que nous espérons avec les Américains et cette réflexion doit se faire entre Européens.
Si George W. Bush est réélu, il y a peu de chance qu’il change sa politique arabe. Dans ce cas, il y a peu à espérer même s’il ne faut pas totalement écarter l’hypothèse qu’il renouvelle son équipe en donnant plus de poids au département d’État. Il faudrait alors accepter de renouer le dialogue avec la nouvelle administration Bush, dans l’espoir d’arriver à une approche différente, euro-américaine, des conflits du Proche et du Moyen-Orient. Si John Kerry est élu, le soulagement sera quasi général. En Europe, de la part de tous ceux qui aspirent au fond à suivre le leadership américain à la seule condition d’être traités poliment, il se traduira aussitôt par un empressement à se réconcilier avec Washington. Lancée par la Commission européenne sortante, l’idée d’un grand marché commune transatlantique sera reprise par la nouvelle. Il faudra alors, plus encore qu’en cas de réélection de Bush, organiser la concertation entre Européens. Il faut espérer que Tony Blair accepterait de discuter avec Jacques Chirac et Gerhard Schröder pour disposer d’un vrai poids face aux États-Unis.
À la veille de cette élection décisive, il ne s’agit pas d’être obnubilés par les États-Unis. Mais de ne pas être pris au dépourvu, de ne pas laisser passer une occasion.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Que faire avec les Etats-Unis ? », par Hubert Védrine, Le Figaro, 17 octobre 2004.