Au cours d’une tournée de propagande au Mexique, la fille de Che Guevara, Aleida Guevara March, a justifié la condamnation, au printemps 2003, de 75 opposants pacifiques cubains en affirmant que ces « mercenaires » (c’est son expression) avaient été jugés conformément au droit cubain. C’est malheureusement exact. Selon la législation socialiste cubaine, toute personne exprimant son opinion librement peut être condamnée pour « trahison de la patrie ». Les 75 opposants cubains emprisonnés au printemps 2003 et les quelque 300 prisonniers de conscience qui croupissent dans les prisons de l’île doivent tous être libérés, ils n’auraient d’ailleurs jamais dû être arrêtés. Il faut tous les libérer, sans distinction, sous peine d’avaliser l’arbitraire du droit totalitaire, néanmoins, il est un cas dont la singularité échappe au désir d’être juste : celui de l’écrivain et poète Raul Rivero Castañeda
Il est en prison depuis deux ans et il se nourrit de son expérience pour écrire l’un des témoignages les plus éloquents et les plus durables sur les entrailles despotiques du socialisme cubain. Rivero est le poète lyrique cubain le plus sensible aux questions politiques. Il a construit une œuvre forte, une poésie d’opposition qui s’est nourrie des grands évènements historiques : perestroïka, "rectification", chute du mur de Berlin, désintégration de l’URSS, transitions démocratiques, "période spéciale"… etc. Raul Rivero n’est pas l’unique poète-citoyen qu’ait donné Cuba en quarante-cinq ans de dictature, mais il est certainement celui qui a porté la poésie civique vers les formes les plus transparentes et les plus ouvertes qu’ait connues la littérature cubaine sous le castrisme. C’est en cela qu’il est dérangeant. La dictature enrage à lire ses poèmes et le fait que le ton des poèmes et des chroniques de Rivero soit plein de douceur et de compassion, qu’il soit serein et ironique, léger et direct, n’en exaspère que davantage cette lecture haineuse.
La fille du Che a raison : les opposants cubains sont en prison parce qu’ils ont violé les lois socialistes qui considèrent comme un délit le droit de tout citoyen de se réunir et de s’exprimer librement. Mais un de ces prisonniers, le poète et journaliste Raul Rivero, l’est pour avoir violé une autre loi : la loi non écrite qui établit qu’un bon écrivain résidant dans l’île ne peut écrire des poèmes et des chroniques d’opposition

Source
Le Monde (France)

« Le "cas" Rivero », par Rafael Rojas, Le Monde, 28 octobre 2004.