La visite de Vladimir Poutine à Kiev pour la commémoration de la libération de l’Ukraine du joug nazi durant la Seconde Guerre mondiale est une tentative pour sauver la campagne du Premier ministre sortant Victor Yanukovych. Depuis des mois, les conseillers en communication du Kremlin ont eu pour stratégie de casser la société multiculturelle ukrainienne en grandes lignes de fracture ethnique, linguistique et religieuse et ils ont distribué leurs instructions aux médias pour qu’ils fassent la promotion de la Russie. Les Russes se sont également efforcés de trouver des Ukrainiens en Russie pour les pousser à voter tout en affirmant que la Russie n’interfère pas dans les élections en Ukraine.
À l’occasion de ces élections ukrainiennes, deux systèmes de valeurs s’affrontent. Il y a d’une part celui fondé sur des valeurs démocratiques qui respectent les libertés individuelles et favorisent les chances et la compétition économiques. L’autre propose de garder en place un clan au pouvoir qui apprécie l’autocratie et le capitalisme sauvage plus que la liberté et la primauté du droit. Les Ukrainiens veulent un changement car ils pensent que leur pays se dirige dans la mauvaise direction.
Malheureusement, le président sortant, Léonid Kuchma, a mobilisé les ressources administratives pour imposer une atmosphère électorale de peur, d’intimidation et d’incertitude. Il s’attaque aux médias indépendants et les manifestations de l’opposition sont prises pour cible. Cette campagne n’est pas juste, selon les critères de l’OSCE. Des milliers de violations des règles électorales, dont le régime en place est responsable, restent impunies. Sous la pression des hauts dirigeants gouvernementaux, les fonctionnaires de tous niveaux sont obligés à ouvertement faire campagne pour le Premier ministre en place. Même le gouverneur de la Banque nationale a mis en péril la stabilité de la monnaie ukrainienne en laissant ses fonctions à des intérimaires pour jouer un rôle clé dans la campagne électorale du Premier ministre. Pour que l’élection ait lieu dans de bonnes conditions, il faut que des observateurs internationaux et ukrainiens soient déployés pour éviter une fraude massive.
Je pense toutefois que les efforts de la présidence seront vains car les Ukrainiens sont attachés aux valeurs démocratiques et à la primauté du droit. Si Viktor Yushchenko est élu, la politique extérieure de l’Ukraine deviendra prévisible car elle sera fondée sur les intérêts nationaux de toute la société, contrairement aux intérêts privés des clans qui détiennent actuellement le pouvoir. Nous développerons nos liens avec l’Union européenne tout en conservant des relations avec la Russie fondées sur le respect mutuel. Les Ukrainiens ressentent le risque grandissant d’une nouvelle Europe bipolaire, avec ses pôles à Bruxelles et à Moscou, reposant sur la compétition des systèmes de valeurs. La perspective d’avoir à sa frontière tout un bloc d’États aux régimes autoritaires et corrompus devrait éveiller l’opinion et l’élite politique de l’Union européenne.
L’élection du 31 octobre apparaît pour nous comme une occasion à saisir afin de donner à tous les Ukrainiens une nouvelle chance pour une vie meilleure. Des millions de mes compatriotes ne laisseront pas le gouvernement nous voler cette chance.

Source
Moscow Times (Fédération de Russie)

« Russia’s Interference in Ukraine Is in Vain », par Borys Tarasyuk, Moscow Times, 27 octobre 2004.