J’ai pris connaissance avec intérêt de l’article de l’amiral Lacoste sur ce qu’il appelle « la politisation du renseignement ». La vague de démission à la CIA est interprétée par l’auteur comme une « manifestation d’ingérence » de la Maison-Blanche dans la CIA et cela me paraît excessif. Les références au Staline de 1941 sont bien loin du sujet, comme celles sur les décisions concernant l’expédition de Suez en 1956. Quant au « gonflage délibéré » des évaluations sur les forces de bombardiers soviétiques, il a été le fait du président Eisenhower lui-même : lorsqu’il s’est exprimé sur les « excès du complexe militaro-industriel », il visait non les services secrets, mais l’ensemble des activités d’armement.
Le jugement porté par l’amiral sur la guerre contre le terrorisme relève d’un débat qui me paraît devoir se situer au plus haut niveau d’appréciation de la politique extérieure américaine, et même internationale. L’échec des insurgés à Falloudja après des combats très durs semble définitivement acquis pour les autorités américaines, mais aussi pour les responsables mondiaux réunis à Charm el-Cheikh.
La question des relations entre l’État et ses services secrets constitue une appréciation essentielle, mais difficile. Il me paraît outrageux d’affirmer que les services doivent pouvoir prétendre à la haute main sur les organes de l’État. Les décisions doivent appartenir aux instances de l’État au plus haut niveau. Je comprends l’amertume de l’amiral qui a été dessaisi de son autorité sur la DGSE par une décision en septembre 1985 du chef de l’État français. Il faut toutefois noter que l’échec de la mission à Auckland n’avait été provoqué que par les actions sur place de l’équipe DGSE. J’avais de mon côté choisi une autre attitude en 1982. J’avais tenté, sans résultat, de convaincre le président Mitterrand de la grave erreur que constituait la création de la cellule de l’Elysée ; devant sa persévérance, je lui avais présenté ma démission.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Les illusions de l’amertume », par Pierre Marion, Le Figaro, 26 novembre 2004.