Après avoir intégré dans son modèle de prévision les dernières données concernant l’absence de mise en production de gisements de pétrole « géants » (dont on peut à terme extraire plus de 500 000 barils par jour) à l’horizon 2007, l’ASPO (Association pour l’étude du pic de la production mondiale de pétrole) vient de réviser ses prévisions et d’évaluer la date du pic à 2008, avec une baisse globale de la production intervenant dès 2010. Dans ce contexte, une partie de l’industrie automobile donne quelques signes de volonté d’adaptation, qui ne suffiront certes pas à lui épargner de nécessaires sacrifices, mais affichent au moins un début de conscience du phénomène : en pleine guerre d’Irak, le dernier salon de l’automobile de Paris était consacré aux modèles hybrides, qui sont pourtant boudés par les consommateurs au profit des gloutons à quatre roues motrices. C’est que la croissance aime la démesure, et la démesure est gourmande en énergie.

De l’armée au civil, par le canal hertzien

Arnold Schwartzenegger, vendeur de Hummers,
puis gouverneur de Californie

Dans cette dernière catégorie de véhicules, le maître incontesté par la puissance et la taille bénéficie d’un statut tout particulier qui lui assure un succès croissant à mesure que les États-Unis, seul pays où il est pour l’instant largement commercialisé, déploient leur armée dans l’ensemble des zones stratégiques aux quatres coins du monde. Ironiquement, les guerres du pétrole offrent en effet au Hummer [1] une promotion gratuite via les journaux télévisés et reportages sur l’occupation et les combats en Irak. Dans un pays qui, rappelons-le, consomme aujourd’hui 25 % de la production de pétrole et importe 65 % de sa consommation domestique, piloter ces 4 tonnes d’acier qui dépassent généralement les 25 litres aux cent kilomètres est une manière d’affirmer, depuis la Guerre du Golfe en 1991 et sa première apparition sur les écrans, ce « mode de vie » qui n’est décidemment, vraiment pas « négociable ».

Digne successeur d’une jeep qui restera associée à la Seconde Guerre mondiale et connut elle aussi un certain succès dans sa version civile, le Humvee est devenu emblématique de la guerre d’Irak. Mobilité et rapidité lui confèrent une place primordiale dans une guerre d’occupation, à l’inverse d’un tank Abrahms qui se taillerait probablement la part du lion, en termes de visibilité, dans un conflit plus conventionnel.

En 1983, le département AM General de la société LTV Aerospace (aujourd’hui AM General Corporation) se voyait attribuer un contrat pour livrer une première fournée de 55 000 exemplaires du Humvee à l’armée des États-Unis sur une période de 5 ans, avec la possibilité d’étendre le contrat de 100 % chaque année. En 1985, il remplace officiellement la Jeep comme véhicule utilitaire standard de l’Army. Elle en compte aujourd’hui environ 140 000, dont plus de 19 000 en Irak.
Outre sa généralisation dans l’armée, le Humvee a trouvé sa place dans la « défense de la patrie » : équipé du système de missiles anti-aériens ultra-sophistiqué Avenger, il est utilisé pour garder la Maison-Blanche, le Pentagone (sic) et d’autres bâtiments officiels à Washington [2]. Après la guerre du Golfe, une version révisée et mieux adaptée aux conditions désertiques est mise en service.
Le Humvee se fait d’abord connaître auprès du public grâce à la sur-médiatisation de la guerre du Golfe, principalement par CNN, en 1991 [3] : hypnotisés par les images du bolide fonçant à travers les dunes du Koweït, des centaines de personnes prennent d’assaut le standard d’AM General pour demander que soit commercialisée une version civile. En 1992, la compagnie se fait un plaisir de leur en proposer un premier modèle, le Hummer H1, qui est une fidèle version « démilitarisée » du Humvee, car présentant les mêmes caractéristiques de base (moteur 6,5 litres diesel V8, pneus de 37 pouces, 2 tonnes de charge).

Version "tuning" du modèle civil

En 1999, AM General en vend les droits pour la version civile et militaire à General Motors. Cette dernière, pour profiter du coup de pub de l’invasion de l’Irak au printemps 2003, en lance une nouvelle version civile plus légère l’été suivant, le Hummer H2. Ce dernier, qui est basé sur un châssis de Chevy Tahoe, n’a de similitude avec la version militaire que dans l’aspect extérieur, avec son museau aplati et ses angles droits.
À ce jour, 11 000 Hummer H1 ont été vendus, principalement à des stars du cinéma, des sportifs professionnels et des riches propriétaires de ranchs, car son prix s’avère assez prohibitif : il faut compter 90 000 dollars (environ 60 000 €), quand la nouvelle version vaut 50 000 $, avec déjà plus de 50 000 unités vendues.

Quelques méthodes employées pour éradiquer l’invasion de bourdons en Irak

Sur le rôle central que joue ce véhicule dans l’armée de terre, John Gresham, analyste militaire et co-auteur avec Tom Clancy du livre Special Forces, est catégorique : « Enlevez le Humvee et vous réduisez globalement d’au moins la moitié la mobilité, l’utilité et la capacité de déploiement de l’Army. ». C’est également de cette manière que la résistance irakienne semble l’avoir compris. Elle a donc concentré une partie significative de ses actions sur la destruction de ce bourdon désormais rencontré communément dans les villes du pays, d’autant que seule une partie des véhicules sont équipés d’un blindage qui peut, en théorie et comme s’en vante l’armée, encaisser une mine de six kilos explosant sous l’avant ou une mine de deux kilos sous la partie arrière.
Les résistants ne s’embarrassent pas de tels détails et ont généralement recours à des obus de 155 mm ou plus, enterrés sur le rebord de la chaussée ou directement sous la route. Ces bombes sont très souvent des ogives de provenance états-unienne, non explosées lors des bombardements et récupérées par les résistants. Ils en démontent le détonateur, le remplacent avec de l’explosif militaire C4, par exemple gentiment laissé à leur disposition dans les stocks d’armes non surveillés, avant d’y apposer un détonateur électronique (simple gadget de nos jours) relié à un fil ou une télécommande. Le résultat, comme illustré dans la vidéo que vous pouvez télécharger ici (voir plus bas), est dévastateur avec un minimum de frais et d’exposition pour les assaillants. Tout n’est ensuite qu’une question de synchronisation : sur ce point, l’expérience et le savoir-faire acquis par les résistants en raison de leur faible exposition constitue un avantage tactique conséquent.

Le RPG (pour « Rocket Propelled Grenade », grenade propulsée par fusée) est un autre symbole de cette guerre d’embuscades, cette fois moins médiatisé, bien que plus mortel que le Humvee en soi. Cette arme de fabrication russe, versatile, rustique et fiable, est d’après certains plus répandue en Irak que le fusil d’assaut Kalashnikov AK-47, qui s’est pourtant généralisé depuis la guerre Iran-Irak. Il peut être pourvu d’une charge creuse afin de percer les blindages, d’une ogive à fragmentation pour une utilisation anti-personnelle, etc. Sa grande maniabilité, comme illustré dans cette vidéo d’attaque surprise en milieu urbain où le tireur est vraisemblablement positionné derrière une fenêtre (voir plus bas), laisse peu de chances aux défenseurs. On notera que le GI posté sur la tourelle du Humvee est très exposé, avec ou sans plaques de blindage latérales pour une meilleure protection.

Il n’est pas difficile de constater, à la lumière de ces exemples, à quel point la puissance de feu de l’occupant est illusoire dans ce genre de conflit [4]. Ainsi, avec un réseau logistique et de commandement un tant soit peu structuré, la résistance peut multiplier ces actions qui dorénavant dépassent régulièrement le nombre de 100 par jour dans l’ensemble du pays. En représailles, l’armée U.S. doit souvent se résoudre à des bombardements massifs sur des zones résidentielles, ce qui favorise le recrutement de nouveaux résistants et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’une pénurie de munitions contraigne la résistance à limiter ses actions. Néanmoins, il semblerait que le pays soit armé pour environ 10 ans de résistance soutenue ; c’est là un héritage de la guerre Iran-Irak et de l’idéologie militariste du parti Ba’as qui a armé le pays jusqu’aux dents.

Le nombre de victimes de ces embuscades parmi les troupes états-uniennes augmentant rapidement, le moral des troupes s’est rapidement dégradé. Contrairement à une situation de combat classique où le soldat peut s’en remettre à son agilité et à ses aptitudes de combat, lorsqu’il est emprisonné dans son véhicule sur une route, sa marge de contre-attaque est faible.
Au début de l’invasion, seul un quart des quelques 19 000 Humvees stationnés en Irak était équipé d’un blindage renforcé, car ils étaient sortis des chaînes de montage après 1996 et la mise en service du nouveau modèle M1114, équipé d’une tonne de plaques d’acier supplémentaires. Le manque de protection des autres véhicules devenant rapidement un sujet de mécontentement des troupes, des kits de mise-à-jour du blindage furent envoyés d’urgence.
Il ne s’agissait que d’un remède d’appoint car le Humvee n’a jamais été conçu comme un véritable véhicule blindé, mais simplement un utilitaire comme la Jeep. Il est maintenant interdit aux Humvees non blindés de quitter les bases d’Irak, sauf sur la remorque d’un camion [5]. Mais aux dernières nouvelles, beaucoup de GI’s doivent renforcer leurs véhicules à l’aide de plaques d’acier récupérées sur le champ de bataille, comme enseigné dans leur nouveau manuel de contre-insurrection [6], ce pour quoi ils n’ont pas manqué de se plaindre auprès de Donald Rumsfeld.

Petit calcul rapide : admettons qu’environ un quart des morts officielles de GI’s au combat (soit 250 soldats tués) ait pu être évité si tous les Humvees avaient été correctement blindés dès le départ, pour un coût supplémentaire de 450 000 000 de dollars (9000 Humvees non blindés x 50 000 dollars supplémentaires pour la version blindée). Le Pentagone n’a donc pas jugé nécessaire de dépenser 1 800 000 dollars pour chaque vie de GI épargné dans un premier temps. Il faut manifestement mettre cette décision sur le compte des faibles retours sur investissements générés par la guerre (difficultés d’exploitation du pétrole, etc.).

Compte tenu des tactiques de la résistance et de la grande utilisation faite des Humvees en Irak, la production a dû être augmentée pour atteindre actuellement 450 véhicules par mois (pour 20 au début de la guerre). Le Humvee, à l’origine destiné à remplacer la Jeep comme véhicule tous usages hors combat, se voit de plus en plus attribuer la fonction de transport de troupes, sans toutefois assurer la protection nécessaire. Mais il permet d’occuper le territoire avec souplesse, ce qui constitue une priorité pour le Pentagone. Rien d’étonnant alors d’entendre la chaîne CBS, dans son émission 60 Minutes, parler de 5 500 déserteurs parmi les soldats de métier états-uniens depuis l’invasion de mars 2003.

titre documents joints


Irak, 2004 : Ambuscade de Humvee à l’aide d’un explosif enterré

Format Windows Media Video


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Irak, 2004 : Attaque à la roquette sur un Humvee

Format Windows Media Video


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Irak, 2004 : préparation d’une bombe enterrée par la résistance

Format Windows Media Video


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Les documents vidéos associés à cet article ont été fournis par des groupes distincts de la résistance irakienne. Ils sont présenté ici sortis de leur contexte, à la seule fin d’illustrer notre propos sur la vulnérabilité des Humvees.

[1Littéralement « bourdon » pour son grondement, caractéristique des diesels de grosse cylindrée. Dans sa version militaire, il est connu sous le nom de « Humvee », prononciation de HMMWV pour High Mobility Multipurpose Wheeled Vehicule, véhicule sur roues à haute mobilité et usages multiples.

[2« Persian Gulf star Humvee back in spotlight », par David Kiley, USA Today, 23 mars 2003.

[3Voir « L’effet CNN », par Thierry Meyssan, Voltaire, 19 mai 2003.

[4Pour une analyse plus détaillée de ces aspects, voir l’article « Opération Phénix », par Arthur Lepic, Voltaire, 16 novembre 2004.

[5Facts on Humvee Armor Big Media Ignores, Free Republic, 12 octobre 2004.

[6Voir « L’économie de la guerre en Irak », par Arthur Lepic, Voltaire, 24 novembre 2004.