Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Je vous souhaite la bienvenue. Je vous adresse, à mon tour, mes voeux les plus sincères
pour vous-même et pour tous les vôtres et je vous demande de transmettre à vos chefs d’Etat
les souhaits que je forme à leur intention et pour vos pays, que vous représentez, par ailleurs,
si bien en France.

Monsieur le Nonce,
Je vous remercie de vos paroles. Je vous prie de transmettre à sa Sainteté le Pape
Benoît XVI, nos souhaits très respectueux et de lui dire le souvenir particulièrement fort que
les Français conservent de sa visite si réussie en France.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Nous le savons : l’année 2009 sera une année de très grandes difficultés, sans doute l’une
des plus difficiles depuis des décennies. Sur le plan économique et donc sur le plan social. Sur
le front de la guerre et de la paix, dans ce vaste arc de crise qui va du Proche-Orient au
Pakistan. Sur le plan diplomatique, difficultés aussi : la réussite indispensable du Sommet du
G20 de Londres en avril et la conclusion, elle aussi indispensable, de la négociation sur le
climat, à Copenhague en décembre.
Mais l’année 2009 peut aussi être une année fondatrice. 2009 peut être l’année de
naissance d’un nouveau capitalisme, d’un nouvel ordre mondial ; une année de progrès
décisifs vers la paix. Cela ne dépend que de notre volonté : voulons-nous subir la crise ou
voulons-nous rebondir grâce à la crise ?
2009 pourrait enfin être marqué par une certaine évolution de la hiérarchie des
puissances, selon qu’elles sauront ou non, par des choix judicieux et courageux, faire face à la
crise en préparant l’avenir, en s’attaquant à leurs points faibles, en renforçant leurs atouts dans
la compétition mondiale, en protégeant mieux les plus vulnérables pour préserver la cohésion
sociale. C’est précisément ce qu’avec le Premier ministre et le gouvernement nous nous
efforçons de faire pour la France et que nous nous sommes efforcés de faire pour l’Europe.
Cette année 2009, je l’aborde avec la volonté, la détermination de tout faire, de tout
mettre en oeuvre pour que notre monde en sorte en ayant retrouvé le chemin de la croissance
économique ; en ayant adopté des règles claires et universelles pour réguler la sphère financière ; en ayant approuvé des objectifs ambitieux et indispensables pour limiter les
conséquences du réchauffement climatique ; en ayant progressé de façon décisive vers des
institutions internationales enfin adaptées au XXIème siècle ; en ayant conclu un accord de
paix au Proche-Orient ; en ayant défini les termes d’un règlement durable des crises du
Soudan et de la région des Grands Lacs en Afrique.
Vous me trouvez sans doute trop ambitieux. Permettez-moi de vous donner la raison du
volontarisme qui m’anime et que je revendique : je suis convaincu, à l’inverse de tous les
raisonnements diplomatiques habituels, que le temps joue contre nous, contre la paix et contre
la justice. Croire que l’on a le temps, c’est une erreur stratégique majeure. S’agissant de toutes
ces crises, tout le monde sait bien les conditions qui feront que l’on aura un accord. Le temps
n’amène rien à l’affaire. Ce qu’il faut faire, nous le savons. Alors, faisons-le. Les idées sont sur
la table. Les compromis, nous savons parfaitement où il faut les faire et qui doit les faire. Tout
le monde. Alors, qu’attendons-nous ? Il n’y a pas assez de morts ? Pas assez de misère ? Il n’y
a pas assez de souffrance ? Pas assez d’incompréhension ? Je vais même plus loin : ce que l’on
ne fera pas en 2009, sera encore plus difficile à faire en 2010. Jusqu’au jour où il y aura eu
tant d’épreuves, tant de souffrance, tant de malheur, qu’il n’y aura plus, sur la table, les marges
de manoeuvre.
Voilà la réalité des choses. Elle est la première rupture que je souhaite. Que l’on
comprenne enfin que nous n’avons plus le temps, ni sur le climat, ni sur la paix, ni sur la
compréhension et le dialogue entre les différentes régions du monde que nous représentons.
C’est la vérité. C’est la priorité de 2009 que les hommes et les femmes qui sont aux
responsabilités utilisent ces responsabilités pour agir et non pas pour commenter. Pour agir et
non pas pour attendre. Parce que finalement, l’attente sans ne rien faire, ce n’est rien d’autre
que de la complicité. Voilà la réalité des choses.
Ceux qui ne feront rien contre le réchauffement climatique seront complices du
désastre.
Ceux qui ne feront rien pour le règlement des conflits seront complices de la guerre.
Ceux qui ne feront rien pour le règlement de la crise financière seront complices des
injustices et du chômage.
Voilà, je pourrais presque en terminer là. Au fond, il n’y a rien d’autre d’important à dire.
Tout le reste ne vient simplement qu’illustrer ce que je pense.

La crise économique et financière, je le dis comme je le pense, ce n’est pas une fatalité.
Elle est le résultat des excès d’une sphère financière échappant à tout contrôle. Cela devait
finir par arriver. A force que l’on explique que l’on gagne de l’argent avec des dettes, il y a un
moment donné où cela doit s’arrêter. Elle est le résultat de déséquilibres globaux
insoutenables dans la durée. Certains pays ne peuvent pas s’exonérer totalement de règles
d’équilibre qui doivent s’imposer à tout le monde. Cela devait arriver.
Elle est le résultat de l’éclatement d’une gigantesque bulle de dettes que l’on poussait
devant nous depuis des années et elle nous explose à la figure. Je ne le dis pas en termes
diplomatiques, mais je décris très exactement ce que des dizaines, des centaines de millions
de gens à travers le monde ont parfaitement compris.
Monsieur le Nonce cela fait bien longtemps que je suis d’accord avec vous. Parfois
même, on a dit que j’étais trop d’accord. Pourtant, oserais-je un petit désaccord ? Quand avec
la courtoisie qui est la vôtre, vous dites que l’on a du mal à désigner les responsables, non
Monsieur le Nonce, nous avons tous une part de responsabilité. Mais il y en a certains qui ont
encore plus de responsabilités que les autres et qui doivent aujourd’hui les assumer. Parce
qu’un monde où personne n’a de responsabilité, c’est un monde qui deviendra ingouvernable.
Les pays les plus pauvres qui sont face au réchauffement climatique et à la montée des
eaux, ne sont pas responsables du drame qu’ils vont vivre. Nous, les pays développés, nous
portons une responsabilité. C’est pour cela que l’Europe a fait le paquet énergie/climat. C’est
pour cela que l’Europe est crédible pour dire maintenant aux pays en voie de développement :
"il faut que vous rejoigniez ce combat-là, parce qu’il est de votre intérêt". C’est pourquoi
l’Europe maintenant est crédible pour dire aux Etats-Unis d’Amérique : "on a besoin de
l’exemple des Etats-Unis d’Amérique". La première puissance du monde ne peut pas
s’exonérer de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce n’est pas possible. De ce point de
vue, j’étais très heureux d’entendre les premières déclarations du président Obama.
La crise mondiale, il faut que nous lui apportions une réponse mondiale. J’en appelle à
tous les gouvernements. Aucun d’entre nous n’en sortira en faisant sa propre politique dans
son coin, isolé de ce que font les autres. Aucun. Nous avons besoin du dynamisme de chacun
pour deux choses.
La première : trouver un nouveau système de régulation. Ce sera l’enjeu du Sommet de
Londres. Je puis vous dire une chose : l’Europe aura une position commune et forte. Je puis
vous dire une deuxième chose : nous n’accepterons pas un Sommet qui ne décidera pas. Je
puis vous dire une troisième chose : on ira ensemble vers ce nouvel ordre mondial et
personne, je dis bien personne, ne pourra s’y opposer. Car, à travers le monde, les forces au
service du changement sont considérablement plus fortes que les conservatismes et les
immobilismes. Nous voulons de la transparence. Nous ne voulons plus de paradis fiscaux.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Que tel ou tel Etat dans le monde veuille baisser ses impôts,
voire les réduire à zéro, c’est son choix et c’est son droit. Personne ne peut s’y opposer. Mais
alors, il doit y avoir de la transparence sur l’origine des fonds qui arrivent et sur l’origine des
fonds qui repartent. La concurrence fiscale, oui, le paradis fiscal, non. Les hedge funds qui se
sont endettés et ont endetté le monde, sans compter, sans mesure et sans limite. Plus aucune
institution ou agent financier sans une régulation. Les systèmes de rémunération qui ont
poussé à la folie - il n’y a pas d’autre mot - dans les salles de marchés, des jeunes opérateurs à
qui on expliquait que, plus ils prenaient de risques plus ils avaient de génie, eh bien, ces
systèmes de rémunération pervers, nous devons les revoir.
L’ordre mondial, le rôle du FMI qui est progressivement devenu une instance chargée de
vérifier le bilan des plus pauvres pour donner l’autorisation à des plans de soutien. Mais le
FMI a un autre rôle, un rôle de régulation à travers le monde qu’il doit porter. Ses moyens
doivent être renforcés.
La Banque mondiale. Mettre de l’ordre dans l’ensemble des organisations
internationales. Quand vous pensez qu’à l’OMC on dit par exemple le contraire qu’à la FAO.
D’un côté on explique qu’il n’y a pas assez de production agricole, qu’il faut renforcer. De
l’autre, qu’il y en a trop. Ce sont les mêmes qui y participent. N’est-il pas venu le temps d’y
mettre de l’ordre ?
Refonder le capitalisme, le moraliser. Cela ne veut pas dire tourner le dos au
capitalisme, au contraire, mais faire qu’il fonctionne au service d’un projet d’entrepreneurs et
non pas de spéculateurs. La France portera ce message aux côtés de ses partenaires européens.
J’ai été très conforté par les récentes rencontres avec la chancelière Merkel et avec le Premier
ministre Gordon Brown.
Nous n’avons pas le choix : le Sommet de Londres doit être un succès. Cela sera un
succès s’il porte les changements. Puis, il faudra que l’on se mette d’accord sur qui vérifie,
quand et comment ce que l’on a décidé sera mis en oeuvre.
Puis, il y a une deuxième chose, c’est que nous avons besoin de tout le monde pour faire
face à la crise économique mondiale. Nous avons besoin des réserves de cette grande
puissance qu’est la Chine, qui, elle-même, a besoin des commandes des Etats-Unis
d’Amérique, de l’Europe et du reste du monde. Nous avons besoin des réserves importantes
d’un certain nombre de pays du Golfe, pour lutter en faveur de la croissance mondiale.
Saisissons ce moment pour tendre la main aux pays producteurs de pétrole, alors que le
pétrole est à 45 dollars le baril de Brent, pour leur dire que nous, les pays développés, nous
sommes d’accord pour voir avec les pays producteurs comment leur garantir un niveau
moyen, acceptable pour eux, du cours de pétrole. Nous aurons plus de chance, Mesdames et
Messieurs, d’être entendus si nous faisons cette démarche alors que les cours sont bas, plutôt
que de la faire uniquement quand les cours sont hauts.
Evidemment, quand le baril était à 150 dollars les producteurs, et c’est bien normal,
nous ont regardés en disant : cela ne vous gênait pas quand, pendant des années, vous avez
exploité notre pétrole à des taux indigents. Eh bien, maintenant que les taux sont bas,
profitons-en pour prendre une initiative. C’est de l’intérêt de tout le monde de réguler le prix
des matières premières, pas simplement du pétrole, pas simplement du gaz, mais de toutes les
matières premières. La réponse est mondiale.
L’autre grande négociation portera sur le climat. La France le dit : il est impératif de
conclure le processus de Bali lors du sommet de Copenhague en décembre. Que les choses
soient claires : en employant, là-aussi, un langage bien peu diplomatique, je n’accepte pas
l’argument de ceux qui disent que la crise économique est si grave que nous devrions renoncer
à imposer des contraintes supplémentaires à nos industries pour limiter le réchauffement
climatique. Je ne l’accepte pas parce que c’est une double erreur dans le changement de nos
modes de production. Il y a un réservoir considérable de créations d’emplois et donc de
croissance, croissance de développement durable. Ensuite, parce que si nous n’agissons pas
aujourd’hui, le prix à payer demain sera si lourd, car si nous agissons trop tard, nous ne
pourrons plus rien faire. Le rendez-vous, c’est celui de 2009, c’est celui de Copenhague et
chaque grande nation sera face à ses responsabilités.
L’Europe, et je puis vous dire que cela n’a pas été si simple, a été au rendez-vous. Les
Etats-Unis d’Amérique doivent être au rendez-vous mais la Chine, l’Inde, le Brésil, le
Mexique, l’Afrique du Sud et tous les grands pays émergents, doivent être au rendez-vous.
C’est notre bien commun, c’est notre planète. Parce que si les eaux montent, il n’y a pas une
région du monde qui pourra en faire l’économie. Et parce que quand nous aurons à faire face
aux émeutes de la faim et de l’eau, nous serons tous concernés. Ce n’est pas en 2010 ou en
2011 qu’il faut décider, c’est en 2009. Et il faudra le faire en se mettant dos au mur et il y aura
ceux qui font face parmi nous à leurs responsabilités et il y aura les autres.
J’ajoute, pour être sûr de bien me faire comprendre, que la seule façon que nous avons
de réussir, la seule, c’est de nous fixer des objectifs ambitieux car les petits objectifs ne nous
permettront pas de surmonter les intérêts industriels, égoïstes des uns et des autres. Ce sont
des grands objectifs qu’il faut, pas des petits. C’est au prix d’une grande ambition que chacun
d’entre nous pourra convaincre ses compatriotes de laisser de côté une préoccupation
exclusivement nationale. J’attends que les Etats-Unis nous disent, dès que possible, s’ils sont
concrètement prêts à des efforts comparables aux 3 fois 20 que l’Europe s’est engagée à mettre
en oeuvre.
Car alors, si tel était le cas et que les Etats-Unis se mettaient aux côtés de l’Europe dans
cette lutte pour la préservation des équilibres de la planète, alors, le Japon, alors l’Australie,
alors le Canada, alors l’ensemble du monde industrialisé pourrait se tourner vers les pays
émergents pour qu’ils s’engagent à leur tour et nous sortirions du cercle vicieux où les uns
nous disent aujourd’hui qu’ils veulent faire ce que les autres ont fait si mal hier. Cela, c’est la
catastrophe. La seule solution, c’est que, tous ensemble, nous allions vers cet objectif.

Ces deux grandes négociations - la finance et l’économie et le climat - posent de façon
urgente la question de la réforme des institutions internationales. Je me suis déjà exprimé sur
le sujet. Je ne veux pas donner l’impression d’avoir une obsession mais enfin, quand même,
nous sommes en 2009, au XXIème siècle. Nous vivons avec les institutions du siècle
précédent. Neuf années pour comprendre qu’on a changé de siècle devaient être, me semble-til,
suffisantes pour se doter d’objectifs ambitieux.
La réforme du Conseil de sécurité va à nouveau être abordée par l’Assemblée générale
des Nations unies le mois prochain. Avec le Royaume-Uni, la France plaidera pour une
réforme intérimaire qui, à mon avis, est la seule à même de désembourber ce dossier qui, non
seulement, n’avance pas mais recule. Cette réforme intérimaire, dans mon esprit c’est très
clair, doit faire la place à des acteurs majeurs. Il est invraisemblable que l’Afrique - près d’un
milliard d’habitants - ne puisse pas compter sur un membre permanent du Conseil de sécurité,
invraisemblable et imprudent.
Il est invraisemblable et imprudent que l’Amérique latine, plusieurs centaines de
millions d’habitants ne puisse pas compter sur un membre permanent du Conseil de sécurité,
invraisemblable et très imprudent. Par ailleurs, que dire de l’absence de l’Inde, bientôt
première puissance démographique du monde ? Je pourrais d’ailleurs décliner d’autres
intervenants : le Japon, comme l’Allemagne. Nous ne pouvons plus accepter une organisation
immobile. Oserais-je d’ailleurs dire qu’il ne me semble pas non plus très raisonnable qu’il n’y
ait pas un seul pays arabe membre permanent de ces instances ? Pas raisonnable et pas
prudent. La France sera donc l’avocate, l’interprète, le porte-voix de cette revendication d’une
organisation internationale plus juste et plus représentative. Je n’ignore nullement qu’ici ou là,
il y a des rivalités régionales. Pourrais-je me tourner vers les pays en rivalité ? Ce n’est pas
parce que le rival sera membre permanent ou pas qu’il disparaîtra de la région. Je sais bien
qu’il y a un certain nombre de pays qui ont acquis une place plus en raison de ce qui s’est
passé en 1945. Cette réforme que nous voulons, elle n’est pas faite pour diminuer, pour retirer,
mais pour ajouter. On doit pouvoir trouver des accords.
Alors, après, comment déterminer les représentants de chaque continent ? C’est là où le
caractère intérimaire de la réforme va permettre de tester des solutions. Que personne ne se
sente condamné mais il faut aller vers une meilleure représentation du monde.
J’ajoute que, dans ces réformes, la réunion d’un G8 stricto sensu, me semble de plus en
plus étrange. Le G8 cette année sera présidé par l’Italie et c’est une bonne nouvelle. J’approuve
pleinement les initiatives prises par l’Italie de faire que la moitié du temps le Sommet du G8
sera un G14, puisque nos amis égyptiens nous rejoindront. Autant le G8 est sans doute
parfaitement légitime pour une première réunion de travail, une première journée de débats
pour s’assurer qu’il y ait une volonté de cohérence entre nous, autant le G8 peut être un
commencement, autant il ne peut pas être une fin. C’est même choquant, pour ceux qu’on
invite à un vague déjeuner après deux jours et demi de travaux, à qui on fait traverser le
monde entier.
J’appelle également, pour ne pas le dire, à ce que nous réfléchissions sur l’OMC. Cette
organisation, à travers son organisme de règlement des différends, a des atouts remarquables.
Mais nous devons repenser les modalités des grandes négociations commerciales. Enfin, près
de dix ans pour aboutir à un désaccord, peut-être que ce n’était pas la bonne formule ?
Combien d’années d’échecs faudra-t-il pour qu’on se dise : "dans le fond, il y a peut-être
d’autres façons de travailler". J’approuve pleinement les initiatives utiles du président Lula qui
demande que les chefs d’Etat et de gouvernement s’impliquent davantage à un moment de la
négociation commerciale.
J’ajoute qu’après la Banque mondiale et le FMI, il faut que nous réfléchissions à
l’ensemble de notre architecture internationale. Tant d’organisations qu’on finit par ne plus y
comprendre grand-chose ! J’admets que, s’agissant de trouver des places pour tout le monde,
cela peut-être utile mais est-ce bien raisonnable de n’avoir que cette seule ambition alors
même qu’on se trouve au coeur des grandes crises du monde ? Ne faut-il pas spécialiser des
organisations ? L’une pour l’économie, peut-être une pour le social, sans doute une pour
l’environnement, une pour la culture et redéfinir cette architecture ? Et c’est parce que nous
nous attellerons à l’ensemble de l’architecture du monde que nous trouverons les marges de
manoeuvre qui nous permettront de trouver les équilibres, les compromis et les accords. Si
nous ne nous attaquons qu’à un seul dossier en même temps, nous ne trouverons pas les
marges de manoeuvre et les équilibres

Mesdames et Messieurs,
J’ai utilisé dans mon introduction l’expression "arc de crise du Proche-Orient au
Pakistan". A cela une raison : dans cette vaste région qui est aussi le coeur mondial des
énergies fossiles, tous les conflits sont liés et interagissent entre eux, certains Etats ou
mouvements cherchant à exploiter systématiquement cette interrelation.
La seule réponse raisonnable de la part de tous ceux qui veulent la paix c’est l’entente
entre les peuples.
La crise de Gaza, c’est une tragédie. C’est une tragédie humanitaire, c’est une tragédie
inutile et sanglante. Cette tragédie doit s’arrêter. La France a condamné l’entrée des soldats
israéliens dans Gaza. Ce ne fut pas une décision facile à prendre et chacun ici sait
l’attachement qui est celui de la France, et le mien en particulier, à la sécurité non négociable
d’Israël. Je dis les choses comme je les pense : cette intervention ne renforce pas la sécurité
d’Israël. C’est le devoir d’un ami sincère que de dire sincèrement ce qu’il pense. Dans le même
esprit, la France a condamné la stratégie - si stratégie il y a - du Hamas d’envoyer des
roquettes qui tombaient régulièrement sur des populations civiles d’Israéliens qui n’y étaient
pour rien. A l’arrivée, où en est-on ? Des Palestiniens qui ont besoin de leur unité, divisés
comme jamais, le président Abou Mazen qui a voulu la paix, fragilisé, un gouvernement
israélien accusé partout dans le monde alors qu’Israël, plus que d’autres Etats, a besoin de la
solidarité du monde, un monde arabe divisé et des dirigeants modérés dont nous avons besoin
attaqués et fragilisés. Voilà le bilan.
Si on veut me démontrer que ce n’est pas un drame, que finalement ce sont les plus
extrémistes de tous les camps qui en profitent, alors c’est qu’on n’a pas la même vision de cette
crise. La France fera tout pour aider à la paix dans cette région du monde parce que le conflit
à Gaza n’est pas un conflit régional. Il nous concerne tous. Parce que, tous, nous luttons contre
le terrorisme et parce que, tous, nous avons intérêt à la paix dans cette région du monde. Or,
les conditions de la paix, nous les connaissons : que chacun reconnaisse Israël comme un Etat
démocratique qui a droit à sa sécurité et qu’on donne aux Palestiniens les moyens d’un Etat
indépendant moderne, démocratique, viable. C’est comme cela qu’on responsabilisera un
certain nombre d’organisations aujourd’hui ayant une attitude irresponsable. Voilà le message
de la France. Croyez-bien que la France est sincère dans son amitié avec Israël mais que la
France est sincère dans son soutien à la cause palestinienne de revendication d’un Etat. Je
vous demande de me croire.
De la même façon, la France veut parler à l’Egypte, acteur incontournable de la solution
de la crise. Je veux rendre une nouvelle fois hommage au courage du président égyptien, qui a
eu le courage de faire la paix avec Israël et qui a le courage de se mettre au service de la paix.
Mais la France parle aussi à la Syrie et je ne regrette pas le choix que nous avons fait du
dialogue avec les Syriens. Car nous avons besoin de tout le monde, des Turcs, des Qataris,
bien sûr de l’Arabie saoudite et de l’ensemble des acteurs de la région. Mais que personne ne
pense qu’il gagnera du temps en perdant. Fort heureusement, le plan est sur la table, le plan
franco-égyptien. Chacun a voulu le considérer avec sérieux. Les Israéliens comme les
Palestiniens. Dans la période difficile que nous traversons, il faut soutenir tous ceux qui sont
prêts à prendre des risques au service de la paix. Que le Premier ministre Olmert prenne ses
risques pour la paix, c’est ce nous attendons de lui et que les Palestiniens prennent le risque de
se réconcilier. Parce qu’il n’y aura pas d’avenir pour les Palestiniens sur leur division. Là aussi,
que chacun ait la sagesse de considérer que Palestiniens et Israéliens sont condamnés à habiter
à côté les uns des autres, à se respecter et, pourquoi pas, à s’aimer. C’est le voeu que la France
forme et tout ce que nous pourrons faire, nous le ferons.
Je pense bien sûr également au Liban. 2008 n’a pas réservé que des mauvaises nouvelles
puisque le Liban a construit, petit à petit, le chemin de la réconciliation et le chemin de la
paix.
Je pense également à l’Irak, dont 2009 doit être l’année d’une pleine réintégration dans
sa famille. Ce pays meurtri sort lentement d’une terrible tragédie.
L’année 2009 sera décisive pour l’Iran. L’Iran, c’est un grand pays, une grande
civilisation et un grand peuple. Mais le temps est désormais compté. L’AIEA souligne les
progrès rapides et préoccupants du programme d’enrichissement iranien, dont chacun sait qu’il
n’a aucune finalité civile. Le moment approche où un choix devra être fait par les dirigeants
iraniens : soit ils provoquent une grave confrontation avec la communauté internationale ;
soit, ce que la France souhaite, on arrive, enfin, à une solution par la négociation engagée,
tenez-vous bien, depuis cinq ans. Les six pays qui la conduisent sont prêts, y compris, j’en suis
convaincu, les Etats-Unis, à poursuivre par un dialogue direct et ouvert la recherche d’un
accord. C’est possible et ce sont les dirigeants iraniens qui doivent maintenant choisir.
Dernier chaînon de cet arc de crise : l’Afghanistan et le Pakistan. Le destin de ces deux
pays est plus que jamais lié. Si le Pakistan n’aide pas sans réserve l’Afghanistan à combattre
les Taliban et Al Qaïda, il continuera à en subir sur son sol les conséquences absolument
désastreuses. Depuis l’élection du président Zardari, le Pakistan affirme qu’il a cette volonté.
Nous sommes déterminés à l’aider, mais il faut que cette volonté soit clairement celle de tous
les appareils d’Etat à l’intérieur du Pakistan. Et il faut aussi que le Pakistan coopère
pleinement avec l’Inde, la plus grande démocratie du monde, pour que soient arrêtés et punis
les terroristes responsables de la tuerie de Bombay. La France veut parler avec le Pakistan et
la France veut être amie avec l’Inde.
La France restera engagée en Afghanistan parce que l’avenir de ce pays est un enjeu
décisif pour la sécurité du monde. L’année qui s’ouvre portera un grand rendez-vous
démocratique : l’élection présidentielle. La clé du succès réside dans le soutien du peuple
afghan et dans l’afghanisation. Ce sera tout le centre de notre politique.
Enfin, la crise du Darfour d’abord. En écrivant ce discours, je me rendais compte qu’elle
entre dans sa septième année. Cela fait sept ans qu’on tue en toute impunité au Darfour. Il est
plus que temps de mettre un terme à ce scandale et l’initiative de paix conduite conjointement
par le Qatar et le négociateur des Nations unies ainsi que l’Union africaine offre cette chance.
La France appuie totalement cette initiative. Il faudra également permettre au Soudan
d’aborder les échéances électorales attendues cette année dans le cadre d’une unité retrouvée.
Nous n’avons pas intérêt à la division du Soudan mais le Soudan et ses dirigeants doivent faire
les efforts nécessaires pour que le monde puisse les croire. C’est à eux d’apporter cette preuve,
pas à nous.
Quant à la région des Grands Lacs, la violence s’est une nouvelle fois déchaînée.
L’option militaire n’apportera aucune solution aux problèmes de fond qui se posent de façon
récurrente depuis bien avantage que dix ans.
Il faut trouver une nouvelle approche pour apporter aux pays de la région l’assurance
que l’ensemble de ces questions sera réglé de façon globale. Cela met en cause la place, la
question de l’avenir du Rwanda avec lequel la France a repris son dialogue, pays à la
démographie dynamique et à la superficie petite. Cela pose la question de la République
Démocratique du Congo, pays à la superficie immense et à l’organisation étrange des
richesses frontalières. Il faudra bien qu’à un moment ou à un autre, il y ait un dialogue qui ne
soit pas simplement un dialogue conjoncturel mais un dialogue structurel : comment, dans
cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on accepte de
comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent rarement d’adresse et qu’il faut
apprendre à vivre les uns à côtés des autres.

Enfin, terminons brièvement, cette fois-ci, par l’Europe.

J’ai la conviction que le monde a besoin d’une Europe indépendante, unie, imaginative,
forte, qui soit l’amie du monde entier au sens prête à débattre avec le monde entier. Une
Europe qui, je l’espère, se dotera enfin des institutions dont elle a besoin : un président élu
pour deux ans et demi. Cela repose sur nos amis irlandais. Je veux rendre hommage au
courage du Premier ministre Brian Cowen, qui a annoncé ce référendum pour le deuxième
semestre 2009. Nous les soutiendrons. L’Irlande doit comprendre que l’Europe a besoin d’elle
et peut-être qu’elle a besoin de l’Europe, comme l’a montré la crise financière. Ce qui
permettra d’avoir une Europe qui pourra parler d’une seule voix, comme elle se doit de parler
dans la crise du gaz où je voudrais appeler chacun à la raison minimum.
Pour l’Ukraine, la France a fait beaucoup. C’est sous la Présidence française que nous
avons eu un partenariat renforcé. Je connais et je comprends les rivalités politiques. Elles ne
doivent pas prendre en otage un conflit énergétique qui concerne des millions d’Européens qui
attendent mieux. C’est la crédibilité de l’Ukraine qui est en jeu.
Quant à la Russie, je suis de ceux qui pensent que l’Europe doit avoir un accord
structurel, stratégique de long terme avec les Russes, que nous n’avons rien à craindre de la
Russie qui est un grand pays, avec qui, par ailleurs, nous partageons bien des cultures. Mais la
Russie doit aussi faire le clair. Quand on fournit les deux tiers du gaz dont l’Europe a besoin,
on respecte ses clients, comme les clients doivent respecter le fournisseur. C’est un problème
de respectabilité et d’image. Je suis persuadé qu’un dialogue à haut niveau permettra de
trouver un accord. L’Europe doit restée unie dans ses discussions avec les Russes, comme
avec l’Ukraine. Le monde a besoin d’une Europe qui prenne des initiatives et qui n’ait pas peur
de son ombre et qui, à l’arrivée, fait triompher les valeurs qui sont celles de l’équilibre, de la
démocratie et du respect de ses voisins. Nous aurons encore bien d’autres questions, bien
d’autres choses : l’OTAN et son avenir, sujet considérable, les initiatives que prendra le
président élu des Etats-Unis, la Chine, qui doit utiliser toute sa place sur la scène
internationale au service de la paix et du développement.
Vous le voyez donc, au fond, j’ai commencé en disant que cette année serait difficile. En
finissant, je vais vous dire qu’elle sera passionnante. Parce que ce n’est pas toutes les années
où l’on peut se dire : cette année vraiment, il y a des rendez-vous décisifs, absolument
décisifs.

Mesdames et Messieurs, recevez donc les voeux du Premier ministre, du gouvernement
et, bien sûr, les miens. Sachez que c’est un grand honneur pour la capitale de la France de
vous accueillir, en quelque sorte de vous y recevoir et que, durant cette année 2009, ce sera,
pour moi-même et pour mes collaborateurs qui sont ici, un grand plaisir de pouvoir nous
appuyer sur la compétence du réseau des ambassadeurs sur le territoire de la République
française.

Bonne année à chacun.