Vous souhaitez relancer le dialogue avec les Etats-Unis. Y sont-ils prêts aussi ?

Un mois après son investiture, le président Bush vient rencontrer les Européens. Condoleezza Rice fait une tournée en Europe. Ce sont des signes. Sur le conflit israélo-palestinien, il y a dans le discours du président Bush une nouvelle détermination. Les Américains et nous-mêmes sommes devant « le défi d’une double confiance ». D’une part, il faut que les Américains aient confiance dans les Européens et acceptent que l’Europe tienne toute sa place sur la scène internationale. Alliance ne signifie pas allégeance. Une Alliance atlantique rénovée doit s’appuyer sur deux piliers (européen et américain). D’autre part, il faut que les Européens aient confiance en eux pour être davantage qu’un supermarché et une puissance seulement régionale. Voulons-nous être un acteur global dans le monde ? Une nouvelle période débute. C’est clair lorsque l’on regarde l’Irak, où des élections viennent de se dérouler, première étape d’une sortie du chaos par la démocratie. On voit la même tendance positive dans le conflit israélo-palestinien. Il est normal qu’il y ait de part et d’autre un nouvel état d’esprit. La question n’est pas de savoir ce que nous pouvons apporter aux Etats-Unis ou ce qu’ils peuvent nous apporter. La question est : que peut-on faire ensemble pour régler les problèmes ? Je pense aussi à Haïti, à l’Afrique, aux Balkans, à l’Afghanistan, ainsi qu’aux grands défis comme le terrorisme, la faim, la pauvreté, etc.

Sur l’Irak, la France a-t-elle des propositions concrètes ?

D’abord, dès l’instant où les Américains sont revenus, au printemps, dans le cadre des Nations unies, nous avons travaillé avec eux à l’élaboration de la résolution 1 546, qui est aujourd’hui la feuille de route pour la sortie politique de cette tragédie. Dans le cadre du Club de Paris, nous avons aussi accepté d’alléger la dette de l’Irak. Que peut-on faire de concret ? Encourager les responsables irakiens à parler entre eux et à élargir leur dialogue à tous ceux qui rejettent la violence. Nous proposons aussi de former des gendarmes et des membres de la sécurité civile. A travers l’Union européenne, nous sommes prêts à travailler à la reconstruction et à l’instauration de l’Etat de droit. A cet égard, la seconde étape du processus ­ la préparation d’une Constitution ­ sera très importante, parce qu’elle pourrait consacrer une forme d’organisation fédérale, ainsi que la représentation équitable, nous l’espérons, de toutes les communautés et forces politiques. Tout cela doit créer chez le peuple irakien le sentiment qu’il retrouve progressivement la maîtrise de son destin.

La France n’est-elle pas réduite à un rôle mineur ?

Nos arguments ont été écoutés. Nous voulons dire des choses utiles. Personne ne gagne la paix tout seul. Quels qu’aient été nos désaccords, nous demandons à nos partenaires américains et européens ainsi qu’aux pays de la région : que peut-on faire ensemble pour surmonter la tragédie irakienne, ou pour qu’Israéliens et Palestiniens relancent un processus de paix ?

Les élections en Irak sont-elles une victoire de Bush ?

Elles marquent surtout une étape encourageante vers le retour à la stabilité. Mais quand on voit la souffrance du peuple irakien et le nombre de victimes, je ne crois pas que le président Bush soit dans l’état d’esprit de dire : ceci est une victoire, cela une défaite. Le souci de toute la communauté internationale doit être la réussite du processus politique.

Bush est-il prêt à faire de la place à l’UE ?

Je crois que c’est son intérêt.

Est-ce sa conviction ?

C’est une conviction qui peut se bâtir. Il est de l’intérêt des Etats-Unis de comprendre que ni les Européens, ni eux ne peuvent faire face seuls aux défis du monde. Le chacun pour soi, je n’y crois pas. Nous devons convaincre. D’abord en se parlant : il faut créer une habitude de se parler avec les Américains, y compris pour dire qu’on n’est pas d’accord. On ne l’a pas suffisamment fait.

Sur le nucléaire iranien, les Américains n’ont pas l’air très convaincus par la médiation européenne.

Nous avons là l’exemple d’une diplomatie européenne en action. Ni la France, ni l’Allemagne, ni le Royaume-Uni n’auraient pu faire seuls cette démarche. J’ai toujours pensé que l’UE était un démultiplicateur d’influence. Nous sommes crédibles parce que nous sommes trois et que nous travaillons en bonne intelligence avec les 22 autres pays européens, comme avec la Russie et la Chine, et avec le souci d’informer pleinement les Etats-Unis. Ceux-ci ne cachent pas leur scepticisme. Nous-mêmes sommes lucides et avançons les yeux ouverts avec les Iraniens. Mais pour réussir, nous avons besoin du soutien américain. J’ai eu le sentiment en écoutant le président Bush, qui a aussi durement critiqué Téhéran, qu’il souhaitait faire confiance aux Européens.

Au Proche-Orient, les Européens peuvent-ils encore peser ?

L’engagement des Etats-Unis est nécessaire, mais il n’est pas suffisant. Il nous faut ensemble accompagner le processus. Il est possible avec du temps, avec de la détermination et la volonté sérieuse de se réconcilier, de construire pas à pas la paix. Il règne aujourd’hui au Proche-Orient une ambiance nouvelle. Yasser Arafat n’est plus là, un nouveau dirigeant, Abou Mazen, a été élu : il a une vraie légitimité et tient un discours clair. Le Premier ministre israélien fait preuve de courage en décidant de se retirer de Gaza. Il y a une occasion de faire redémarrer la paix si ce retrait constitue bien la première étape d’un processus plus général. Mais il faudra que les Américains comprennent que ce conflit est central et que, sans la paix au Proche-Orient, il n’y aura pas de mouvement pour la démocratie dans le Grand Moyen-Orient.

Assiste-t-on à une grande réconciliation franco-américaine ?

Il ne s’agit pas d’oublier nos désaccords, ni nos accords. Il y a eu un désaccord clair sur la manière de faire partir Saddam Hussein, mais, en même temps, nous avons combattu ensemble en Afghanistan contre le terrorisme. Nous avons aussi été ensemble à Haïti, nous le sommes au Kosovo et souvent en Afrique. Le moment est venu d’un nouveau départ dans nos relations. Ceci suppose de se respecter mutuellement en se rappelant qu’être alliés ne doit pas nous empêcher de défendre nos convictions.

Source : Ministère français des Affaires étrangères