Je tiens à rendre hommage au président de la République pour avoir choisi la voie du référendum sur le traité constitutionnel européen car ainsi la voix du peuple souverain s’imposera à tous. Nul ne pense d’ailleurs qu’un rejet par la France de la Constitution européenne signifierait la fin de l’entreprise européenne. Il signifierait simplement le désaveu de l’Europe telle qu’elle est et telle que le projet de Constitution entend la conserver ad aeternam.
Le projet de Maastricht avait été accompagné de promesses mirobolantes qui n’ont pas été tenues. Aujourd’hui, la zone euro est atteinte de langueur, le chômage perdure et les délocalisations s’accélèrent. L’économie européenne est bien la laissée-pour-compte du vaste courant d’échanges économiques, commerciaux, financiers, qui tire la croissance mondiale au profit mutuel et exclusif de l’Amérique et de l’Asie. La Banque centrale européenne suit une politique malthusienne qui bride la croissance. Au sein des quinze, seuls tirent leur épingle du jeu les trois pays qui ont gardé leur souveraineté monétaire : Danemark, Suède, Grande-Bretagne ! L’euro n’a jamais acquis de légitimité commerciale sur les marchés internationaux des matières premières, des biens ou des services et nous sommes donc plus dépendants du dollar que jamais. Cette politique a échoué et pourtant, c’est elle que la Constitution européenne va graver dans l’airain. Bien loin de nous en protéger, l’Union européenne est devenue le chausse-pied d’une mondialisation sans conscience.
En 1992, le doute était permis, il ne l’est plus : l’Europe est une menace. Cela est si évident qu’un Européen aussi indiscutable que Jacques Delors a pu dire que si l’Europe se mêlait de politique sociale, ce ne serait pas un progrès, mais une régression.
Les maigres perspectives politiques ouvertes par la Constitution européenne sont, pour l’essentiel, mort-nées. La politique étrangère commune n’est pour la majorité des 25 qu’une lubie française relayée par l’Allemagne qui espère ainsi accéder au Conseil de sécurité de l’ONU. Comme l’a montré la guerre d’Irak, l’Europe est atlantiste ou n’est pas. Aussi, loin d’offrir un point d’appui à la conception française d’un monde multilatéral, la Constitution européenne aura pour conséquence de nous ligoter un peu plus les mains dans un lacis de responsabilités pompeuses (le président de l’Union, le ministre des Affaires étrangères de l’Union, etc.) au point que l’on peut se demander si, une fois cette Constitution en vigueur, la France pourrait encore agir de sa propre initiative, comme elle le fit à l’ONU, avec le brio que l’on sait, il y a tout juste deux ans. La Constitution européenne est en fait un nouveau règlement de copropriété qui accorde une part prépondérante aux « familles nombreuses » : l’Allemagne, au premier chef, qui, après l’avantage indu qui lui avait été accordé lors du traité de Nice pour sa représentation au Parlement européen voit la même prééminence consacrée au Conseil des ministres ; mais aussi la Turquie, pays qui serait le plus peuplé de l’Union et qui se verra ainsi gratifiée du même privilège exorbitant.
Les Français doivent savoir que la Constitution européenne n’est pas l’aimable jubilé de la paix et de l’amitié entre les peuples européens, c’est l’acte de naissance de la « Nouvelle Europe » chère à Donald Rumsfeld, inféodée aux marchés financiers, coulée dans le moule atlantiste avec lequel l’adhésion de la Turquie va la faire coïncider exactement, intégrée de facto dans le « nouvel ordre mondial ». En rejetant ce texte, ils provoqueront un choc salutaire.

« Le non à la Constitution, un choc salutaire », par Charles Pasqua, Le Figaro, 17 février 2005.