Je ne pense pas que les Américains aient beaucoup à se réjouir de leur démocratisation forcée au Proche-Orient. En fait, ils ne sont jamais venus en aide aux Arabes. Je pense que les Libanais n’ont pas besoin des États-Unis pour arriver à leurs fins. Le rôle des États-Unis est négatif dans la région, regardez l’Irak ! C’est une hérésie de croire que la démocratie est une panacée pour tous les problèmes du monde, surtout la démocratie au sens ou l’entendent les Américains. Dans la plupart des pays du tiers-monde, la loyauté va d’abord à la famille, puis à la tribu ou au groupe, au pouvoir local et en dernier lieu au gouvernement. On peut essayer d’y apporter la démocratie, cela n’apportera pas la paix. Pas plus que la chrétienté ne nous a apporté la salut au Moyen âge, seulement les croisades.
Ce que l’on appelle la " révolution du cèdre " est en fait une révolte contre une occupation étrangère. Les Américains ne parlent toutefois que de l’occupation par les Syriens et jamais de l’occupation israélienne. On ne parle pas des fermes de Sheba au Sud-Liban. les Israéliens ont quitté le Sud-Liban en fanfare il y a cinq ans, mais ils continuent d’occuper de larges territoires. La résolution 1559 de l’ONU ordonne le retrait de toutes les troupes étrangères. Au Liban on a toujours eu conscience de pouvoir disparaître du jour au lendemain, mais en Amérique démocratique non-plus on ne peut pas tout dire. C’est la première fois depuis longtemps qu’autant de Libanais qui se sont combattus, ou au moins observés sceptiquement, sont unis contre le gouvernement et contre la force d’occupation syrienne, c’est ce qui fonde la légitimité du mouvement. Les groupes chiites du Hezbollah et du Amal ont toujours été amis des Syriens et sont encore hésitants, mais de nombreux Chiites participent aux manifestations.
Après la mort de Hariri, les cloches des églises et les versets du Coran étaient à l’unisson. Bachar al Assad ne pouvait pas ordonner un départ immédiat des troupes car il devait sauver la face, je pense cependant que ses troupes vont quitter le Liban cette année. Notre pays connaît le destin des petits pays qui à cause de leurs puissants voisins en sont réduits à ne jouer que des rôles de figurants.

Source
Der Spiegel (Allemagne)
Diffusion (exemplaires) : 1 100 000 Un grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, à l’origine de plusieurs scandales politiques. Connu pour avoir développé son propre jargon journalistique, il publie aussi quatre hors-séries par an. Le site du Spiegel est le magazine en ligne qui a le plus de succès en Allemagne.

« Demokratie ist kein Allheilmittel für alle Probleme », par Rabih Abou-Khalil, Der Spiegel, 6 Mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.