Je suis actuellement dans la clandestinité, je change d’appartement tous les deux jours. Les gens au pouvoir sont capables de tout depuis que j’ai écrit cet article : " se taire, c’est trahir ". J’ai réussi à monter mon affaire contre l’avis du pouvoir, mais c’est l’exception qui confirme la règle dans notre pays. Le tribalisme est à la base de la politique, on ne peut grimper les échelons sans l’aval de son clan. Cela fait 16 ans que j’avance seul, le gouvernement ne m’a pas donné la moindre aspirine. J’ai encore de grands projets mais avec un tel gouvernement c’est impossible. Le peuple se meurt avec de tels dirigeants, une telle idéologie. Je suis rentré dans le champ politique et je vais observer les réactions. Ils ont commencé à embêter ma mère. Le chef adjoint de l’administration présidentielle lui a téléphoné et lui a demandé : " où est votre fils, pourquoi a-t-il écrit ça ? ". Ils se sont adressés à ma sœur et pour finir, le Premier ministre a proposé un poste de ministre à mon beau-frère, et ils ont essayé de trouver un compromis avec moi. L’idéologue en chef d’Akaïev, le secrétaire d’État Ibrahimov, a essayé de me contacter mais ils ont vu qu’il n’y avait rien à faire. Je pense qu’ils ont décidé de s’occuper de moi après les élections. Ils ne me toucheront pas avant, ils ont peur des réactions à l’étranger.
J’ai décidé de m’exprimer juste avant les législatives parce que les gens d’Akaïev sont au Parlement et que s’ils décident de lui donner la possibilité de rester plus longtemps, cela ira très mal pour nous. Tout a changé dans les quatre dernières années, avant Akaïev était la marionnette de politiciens internationaux et de son entourage, il est désormais la marionnette de ses enfants. Je le comprends bien en tant que psychiatre, c’est dur de se défaire de ces tentacules. Aujourd’hui tout ce qui brille leur appartient. Les hommes d’affaires n’ont pas le choix, toute entreprise qui valait plus de 1500 dollars a été confisquée.
L’opposition doit enfin s’unir et dire fermement non au pouvoir actuel. Le corporatisme est peu ancré historiquement en Kirghizie, les liens sont encore tribaux. Nous n’avons pas appris l’art de vivre ensemble, le pays n’est pas formé en tant que nation. Les paysans kirghizes ont une peur inconsciente et irrationnelle du pouvoir. Néanmoins, 5% des gens ont changé et ont été impliqués dans la civilisation grâce aux études et aux technologies occidentales.
La Russie doit soutenir des représentants normaux, intelligents et responsables pour le poste de président. La faible puissance géopolitique de la Kirghizie l’oblige à établir une alliance stratégique en abandonnant une partie de sa souveraineté au profit d’une stratégie globale et d’une protection géopolitique. Les tendances pro-russes sont une tradition renforcée par la langue, la Russie a une carte à jouer. Le pouvoir actuel a vieilli, il faut du sang neuf. Paradoxalement j’ai peur que si un leader fort émerge de l’opposition nous allions vers la guerre civile. Par contre si nous arrivons à former une coalition multipartite alors nous pourrions conserver l’équilibre dans la société tout en changeant le pouvoir. Le président doit quitter le pouvoir volontairement, ce n’est qu’une marionnette, il est malade, son potentiel énergétique est affaibli. Il y a peu on m’a fait des histoires au sujet d’une campagne contre l’alcoolisme intitulée " mon petit papa ne boit pas " sous prétexte que ses enfants appellent le président ainsi ! Ce ne sont pas des politiques autour de lui, mais de tout petits ronds de cuir.

Source
Vremya Novostyey (Fédération de Russie)

« Киргизы как нация еще не сформированы », par Jenichbek Nazariliev, Vremya Novostyey, 15 mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.