Ce qui se passe en Kirghizie, est-ce un prolongement de la chaîne des révolutions « orange » serbo-géorgeo-ukrainiennes ? Ces « révolutions oranges » sont des actions pacifiques menées par les couches moyennes (l’intelligentsia, les PME, la jeunesse étudiante) qui ont pour objectif global l’occidentalisation du pays. Ils veulent vivre comme en Europe et pour cela ils sont prêts à tout geler pendant des jours ou des semaines. Tout ce qui contredit leur choix européen, le régime corrompu de Chevarnadze, l’autarcie de Milosevic ou les velléités pro-russes de Yanukovych, se trouve de l’autre côté de la barricade. Les révolutions oranges se caractérisent par leur légitimité, les partisans sont respectueux de la loi qu’ils reprochent au pouvoir en place d’avoir enfreinte.
Il n’y a pas de « voix vers l’Europe » pour la Kirghizie, ni géographiquement, ni dans la mentalité de ses habitants, ni dans son niveau de développement économique. Même les Kirghizes les plus occidentalistes sont obligés de l’admettre. L’intelligentsia sympathise avec la Russie car elle gravite autour de l’université slavo-kirghize et il n’y a pas de problème de statut pour la langue russe comme en Ukraine ou en Moldavie. Le monde de l’entreprise aime la stabilité, il ne voit donc pas d’un très bon œil ce qui se passe dans la rue, notamment les pillages de banques qui ont eu lieu à Djalal Abad où règne le chaos. Pour ce qui est de la légalité, on peut faire un parallèle avec la révolution de 1917 en Russie, les nominations de « gouverneurs du peuple » et la libération des détenus parlent d’eux-mêmes. En 1917 aussi l’opposition antigouvernementale avait perdu le contrôle sur la rue. Les dernières élections kirghizes ont été qualifiées de plus transparentes que les précédentes et le facteur juridique est ignoré par l’opposition.
Il s’agit juste d’une imitation de « révolution orange », on rejoue un thème à la mode, la réalité qui est cachée est un combat entre le Nord et le Sud. Les clans méridionaux essayent de prendre leur revanche pour avoir été écartés du pouvoir, ce n’est pas un hasard si l’on retrouve dans l’opposition d’anciens fonctionnaires, des communistes, des occidentalistes et des représentants de groupes plus archaïques. En 1985 déjà, un représentant de l’élite du Nord et apparatchik de la génération de Gorbatchev, Massaliev, avait remplacé le « nordiste » Ousoubaliev, qui dirigeait la République depuis l’époque de Khrouchtchev. On avait alors sous-estimé les rivalités Nord-Sud. En 1990, le Nord s’était vengé en choisissant pour leader l’académicien Akaïev, à l’image de réformateur et de libéral. Ils n’avaient pas encore compris au sud que la vieille rhétorique du communisme orthodoxe était dépassée. Naturellement l’opposition a des sympathisants au Nord et tout le monde ne la soutient pas au Sud. Le conflit réel a lieu entre le pouvoir de Bichkek et les clans du Sud (Osh et Djalal Abad) qui utilisent quelques techniques « oranges » pour acquérir une position respectable aux yeux non-seulement des Kirghizes, mais aussi des observateurs internationaux et des ONG.

Source
EJ (Fédération de Russie)
Le journal EJ pour Ejednevny journal (journal quotidien), est un journal engagé en faveur du Comité Free Choice 2008 de Kasparov. C’est un quotidien diffusé par Internet.

« Киргизия : революция или клановый бунт ? », par Alexeï Makarkine, EJ, 23 Mars 2005.