Monsieur le Président de la Côte d’Ivoire, Cher Alassane Ouattara,
Monsieur le Président du Sénégal, Cher Macky Sall
Monsieur le Président de Tanzanie, Cher Jakaya,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général de l’OCDE,
Monsieur le Président de la Banque africaine de Développement,

Pour passer de l’Élysée à Bercy, il fallait un événement exceptionnel, une justification hors norme. C’est le colloque que vous avez organisé aujourd’hui et c’est l’Afrique.

J’ai voulu en effet que se tienne, à Paris, un Sommet des chefs d’État africains avec la France, mais aussi avec l’Europe, avec la présence du secrétaire général des Nations unies, avec les plus grandes institutions internationales, pour que nous puissions évoquer la sécurité et la paix, parce que c’est la condition de tout : la condition d’une vie digne et décente, la condition du développement, la condition du progrès.

Mais j’ai souhaité, qu’autour de cet événement, il puisse y avoir un certain nombre de rencontres et notamment celle-là pour l’économie, pour le développement, pour l’investissement. Cette rencontre marque, sans doute, un changement d’approche vis-à-vis de l’Afrique, y compris ici en France.

Trop souvent, nous avons le regard tourné vers le passé et parfois la compassion. Nous regardons l’Afrique comme si elle était le continent souffrant. Nous ne voyons pas encore que l’Afrique est le continent de demain, le continent d’avenir et qu’il y a là une opportunité : d’abord pour les Africains de marquer encore davantage leur affirmation, leur volonté, leurs capacités ; mais une opportunité aussi pour les grands pays industrialisés de venir investir en Afrique. Les pays émergents ont eu parfois plus de célérité à le faire et ont compris plus tôt que les autres quel était le parti à gagner à nouer des relations avec l’Afrique.

Pourtant, les chiffres sont implacables, incontestables. Ils ont été rappelés.

La croissance en Afrique dépasse 5 % par an, quand en Europe, nous sommes contents quand nous faisons 0,5 %. Plutôt, nous ne sommes pas contents quand on fait 0,5 % ! Mais nous regardons un continent qui, bien sûr, est en rattrapage, qui, bien sûr, est en expansion, mais qui a réussi durablement à porter une croissance à un niveau élevé.

Ensuite, les échanges avec le reste du monde se sont multipliés. Autrement dit, l’Afrique n’est pas un continent fermé sur lui-même, dont la croissance serait endogène. Elle est véritablement un continent qui s’est ouvert pour exporter et pour importer.

Les activités s’y diversifient. Ce n’est plus simplement l’utilisation des ressources naturelles. C’est leurs transformations. Les investissements qui s’y multiplient confirment bien qu’il y a un intérêt de toutes les entreprises du monde à venir commercer, travailler, réaliser des projets en Afrique.

C’est pourquoi j’ai une conviction et, en même temps, une volonté.

Ma conviction, c’est que le temps de l’Afrique est venu et ma volonté, c’est que la France considère que c’est une chance, une chance pour ce continent qu’elle aime, une chance pour elle-même, parce que la France est l’un des grands partenaires du continent africain et depuis longtemps.

Aujourd’hui, notre commerce extérieur est équilibré avec l’Afrique : 30 milliards d’exportations, 30 milliards d’importations. Nous avons en plus un atout que d’autres n’ont pas : des communautés françaises qui sont installées en Afrique. Il y a de plus en plus de Français qui vont en Afrique travailler et faire connaître leurs talents. Nous avons aussi un atout, c’est qu’il y a des communautés africaines en France. Cela permet d’avoir une compréhension mutuelle et aussi des entrepreneurs que nous pouvons former, ici, pour qu’ils aillent ensuite en Afrique ou qu’ils puissent attirer des capitaux, ici, en France, avec la volonté de pouvoir travailler pour l’Afrique.

Nous avons aussi ce privilège, c’en est un, d’accueillir de nombreux étudiants africains qui vont pouvoir être, demain, ceux qui vont être à la tête des entreprises africaines. Je n’ai pas dit des États pour n’effrayer personne mais des entreprises ! Vous voyez, je n’effraie personne. Ils sont plutôt contents de savoir que le renouvellement est là. C’est vrai en France aussi.

Mais le fait même que nous puissions être une terre d’accueil pour ces étudiants, pour ces élites africaines, nous permet de pouvoir envisager l’avenir avec confiance.

Un rapport a été commandé à Hubert Védrine. Ses conclusions sont claires. Si nous ne regardons que l’intérêt de la France, nous pouvons évaluer à 200.000 en France les emplois qui pourraient être créés en cinq ans, si nous doublions nos exportations vers le continent africain. Alors, je retiens cet objectif. La France doit doubler ses échanges avec l’Afrique. Échanges dans les deux sens - exportation et importation - puisque nous voulons aussi équilibrer notre commerce extérieur.

Trois principes doivent fonder ce partenariat si nous voulons atteindre cet objectif. Premier principe : colocalisation. Faire en sorte que l’investissement qui va se porter en Afrique - dans toute l’Afrique francophone, anglophone, lusophone, arabophone - puisse avoir un effet en France et qu’il puisse y avoir une forme de réciprocité.

Le deuxième principe, c’est la transparence dans les mécanismes d’aides au développement. C’est notre responsabilité. La transparence dans l’utilisation de ces ressources et, en même temps, la transparence dans les appels d’offres.

Je reviens là-dessus parce que, plusieurs fois, les présidents m’en ont parlé. Être une entreprise française ne donne pas tous les droits. Je suis au regret de l’annoncer aujourd’hui : ce n’est pas parce qu’une entreprise est française qu’elle peut prétendre accéder au marché. Elle doit faire ses preuves et il y a des procédures. Je souhaite donc que les entreprises françaises soient exemplaires dans leurs projets, dans leur capacité à convaincre pour qu’elles soient retenues par les pays africains.

Le troisième principe, c’est l’engagement dans la durée. Rien ne peut se faire sans avoir une vision qui est forcément longue. Il ne faut pas rechercher tout de suite le retour de ce qui a été investi. Il faut penser que les infrastructures qui vont être créées, que les technologies qui vont être partagées, que les formations qui vont être dispensées vont produire leurs effets.

Nous avons plusieurs exemples qui nous permettent d’être confiants. Les entreprises - et il y en a beaucoup qui sont représentées ici - qui ont fait l’effort durable d’être en Afrique, en ont reçu les dividendes et ont été capables de nouer des relations de grande confiance avec les pays et avec les dirigeants. Je suis donc venu, une fois encore, dire aux entreprises françaises d’accentuer, d’amplifier leurs investissements, et de le faire dans le cadre de la réciprocité.

Je me félicite, à mon tour, que le MEDEF se soit pleinement engagé dans cette démarche, que toutes les entreprises que nous avons pu rencontrer dans nos déplacements, en Afrique ou dans d’autres régions du monde, soient maintenant conscientes de l’enjeu que peut représenter le développement du continent africain.

Si je veux situer les domaines sur lesquels, plus que d’autres, nous pouvons intervenir, il y a l’énergie, incontestablement, où nous avons des entreprises qui ont des capacités considérables ; les nouvelles technologies parce que nous voulons innover, pas simplement dans notre propre pays mais pour faire partager les progrès au continent africain ; et tout ce qui est la ville, la ville durable. Il se trouve que les pays africains vont avoir une augmentation considérable de leur population et aussi de celle qui vit en ville. Nous devons bâtir, avec les pays, les villes de demain, avec notre expérience, avec ce que nous avons déjà réalisé dans de nombreux pays.

Si je veux ajouter un autre domaine, c’est celui des industries agro-alimentaires. Parce que le continent africain va être un continent qui n’aura pas simplement besoin d’être importateur de biens alimentaires ; il va être exportateur de biens alimentaires et de biens transformés. Là aussi, nous pouvons appuyer ces développements.

J’ai de multiples exemples en tête de ce dont est capable le continent africain dans une bonne coopération avec la France. En Ouganda, par exemple, on a été capable d’inventer un combustible nouveau qui bientôt se substituera au charbon. En Tunisie, il a été mis au point un produit vétérinaire qui sera absolument indispensable, à terme, à l’élevage avicole. Au Sénégal, 12.000 éleveurs se sont unis dans une laiterie coopérative qui va être une référence pour le monde entier. En Éthiopie, la diversification énergétique vers l’hydro-électricité et l’éolien, même si cela peut inquiéter un certain nombre de pays, est en marche et va avoir, là aussi, un développement considérable.

Qu’est-ce que prouvent ces exemples ? D’abord, le haut niveau technologique des pays africains. Ensuite, que les agences d’aide au développement sont parties prenantes de ces projets, que ce soient la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et, bien sûr, l’Agence française de développement.

Alors la France doit prendre ses responsabilités. J’ai dit que nous voulons doubler nos échanges. C’est notre objectif dans cinq ans. Nous devons aussi doubler nos aides, nos concours, sous toutes les formes, de prêts ou de dons, pour que nous puissions les diriger vers l’Afrique, à travers l’AFD. Vingt milliards d’euros pourraient être ainsi mis à la disposition de projets. Il s’agit là de projets de développement sur les cinq prochaines années contre dix milliards entre 2008 et 2013.

Ces financements, je l’ai dit, se feront en toute transparence. Au Mali, nous avons pris la décision - je ne parle pas de l’intervention militaire, je parle de ce que nous avons à faire maintenant - nous avons pris la décision de mettre l’aide qui a été collectée au plan européen et que la France a complétée, sous contrôle. C’est-à-dire, en pleine intelligence avec le Mali, que chacun soit capable de savoir ce que devient l’aide, comment elle est utilisée et ce qu’elle a produit.

Nous devons même avoir cette exigence pour les ressources naturelles et leur utilisation. Parce que je pense que c’est un signal que nous envoyons aux opinions publiques africaines et également aux opinions publiques européennes.

J’ai également souhaité que les outils de soutien à l’exportation contribuent au financement des projets en Afrique. Au total, jusqu’à quinze milliards de garantie Coface, dont huit milliards pour l’Afrique subsaharienne, pourraient être mobilisés.

Il y a beaucoup d’entreprises françaises - je les comprends et ce n’est pas vrai simplement que pour l’Afrique - qui à un moment peuvent être réticentes à s’engager, si elles ne sont pas couvertes par des procédures de garanties ou si elles n’accèdent pas au financement. Ce matin même, avec les ministres concernés, j’ai renforcé toutes les mesures qui avaient déjà pu être prises pour améliorer le financement des entreprises à l’exportation et la garantie qui pouvait leur être apportée.

Car il ne peut pas être accepté qu’entre deux offres, une offre française et une offre étrangère, ce soit la condition de financement qui fasse la différence. Parce que cela signifie, à ce moment-là, que même si les entreprises peuvent faire tous les efforts de compétitivité, elles ne pourront pas remporter le marché faute d’avoir le soutien financier ! Nous veillerons à ce que cet obstacle disparaisse.

La relation avec l’Afrique ne peut pas être à sens unique. Nous avons besoin aussi de groupes africains qui investissent en France et en Europe. Il y en a. Pour cela nous devons favoriser l’installation d’entrepreneurs, ou d’entreprises, africaines en France. Depuis dix-huit mois, j’ai veillé à ce que les visas de circulation pour les entrepreneurs africains, pour les chercheurs africains, pour les étudiants africains, et j’ajoute même pour les artistes africains, puissent être facilités. Je l’avais annoncé à Dakar et cela s’est traduit dans les actes, puisque ces visas ont augmenté de 13 %.

L’enjeu pour le continent africain, c’est la formation, la formation des jeunes notamment. Nos entreprises le comprennent de plus en plus. Chaque fois qu’elles sont présentes sur un pays africain, elles veillent à ce qu’il y ait une grande confiance qui soit accordée à l’emploi local, et donc à la formation de la main d’oeuvre. De la même manière, il doit y avoir des accords qui doivent nouer les entreprises françaises et les entreprises africaines. Il faut faire confiance aux entreprises locales.

Cette idée de confiance mutuelle, d’intérêt commun, pourrait se retrouver dans une fondation, franco-africaine pour la croissance. Nous aurions à ce moment-là les intérêts publics - les États -, et privés, français et africains, qui pourraient se retrouver pour promouvoir les talents, les entreprises de nos deux continents. Cette organisation placera la formation professionnelle et le partage des technologies au coeur du partenariat.

Je remercie Lionel Zinsou, d’avoir accepté d’en diriger la préfiguration. Il y apportera toute sa compétence et son énergie. Je veux enfin saluer le fait que le MEDEF International et Business Africa, comme l’Organisation internationale des entreprises, seront associés à ce projet. Cette fondation verra le jour, dès l’année prochaine, c’est-à-dire très bientôt.

Enfin, l’enjeu de l’Afrique, c’est un grand marché. Un jour, et ce jour n’est pas si lointain, il y aura une Union commerciale africaine. Cela peut paraître, là encore, une vue de l’esprit. Mais est-ce que ce n’était pas une vue de l’esprit que d’imaginer un grand marché européen au lendemain de la Seconde guerre mondiale ? Sans doute. Cela fait partie de l’aventure humaine. Cela ne se passera pas comme en Europe, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, parce que les conditions ont changé. Mais il y a déjà des organisations régionales qui travaillent à la libération des énergies, à la régulation du commerce, au rapprochement des cadres juridiques des affaires. Je pense que, à termes, nous pourrons nouer des relations entre l’Union européenne, ces organisations régionales et, demain, une Union africaine qui pourrait être constituée sur les mêmes bases.

L’Europe est le premier bailleur de l’Afrique. L’Europe a cette spécificité que, quand elle fait mal, on le sait, mais quand elle fait bien, elle ne le dit pas. Alors je vais le faire à sa place pour dire qu’elle est le premier bailleur en Afrique. Elle est celle qui apporte souvent les premiers fonds qui sont indispensables. C’est elle qui est capable d’ouvrir son marché, et elle le fait. Je souhaite qu’elle le fasse encore davantage, parce qu’il serait incompréhensible que l’Europe, d’un côté, propose une aide et, de l’autre, érige une barrière douanière.

Demain, mieux vaudra qu’il y ait moins d’aides et moins de barrières douanières. Mais, aujourd’hui, nous avons besoin d’une négociation entre l’Europe et l’Afrique. La France sera aux côtés de l’Afrique, dans l’Europe, pour faire avancer ce partenariat.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j’étais venu vous dire. Demain, après-demain, nous parlerons d’autres sujets qui pourront paraître moins évidents pour la population française parce que l’Afrique peut paraître lointaine, peut parfois paraître atteinte par l’instabilité, le désordre...

La France doit prêter son concours à l’Afrique. Aujourd’hui, nous parlons des emplois qui peuvent intéresser Français et Africains. Mais je pense surtout que le regard vers l’Afrique, sur l’Afrique doit profondément changer.

Si nous pouvons convenir d’ouvrir les yeux de ceux qui n’ont pas encore compris que l’Afrique était une chance, une chance pour elle-même, une chance pour l’Europe et une chance pour la France, ce colloque aura déjà été utile. Parce que quand on ouvre les yeux, on peut aussi ouvrir les bras.

Merci.