Barack Obama : Bonjour à tous. Veuillez vous asseoir.

C’est un grand honneur de revenir à la National Defense University. Ici, à Fort McNair, des Américains en uniforme servent leur pays depuis 1791 – depuis les premiers jours de la République où ils montaient la garde, comme au XXIe siècle où ils étudient l’avenir de conduite de la guerre.

Depuis plus de deux siècles, les textes fondateurs qui ont défini notre identité d’Américains et nous ont guidés à travers toutes sortes de changements sont le ciment qui nous unit. Il en va de même des questions de guerre et de paix. Les Américains sont profondément ambivalents quant à la guerre, mais parce que nous nous sommes battus pour notre indépendance, nous savons qu’il y a un prix à payer pour la liberté. De la guerre de Sécession à notre combat contre le fascisme, en passant par le long combat crépusculaire de la guerre froide, les champs de bataille ont changé et la technologie a évolué. Toutefois, notre attachement aux principes constitutionnels a survécu à toutes les guerres, et toutes les guerres ont pris fin.

Avec l’effondrement du mur de Berlin, l’aube d’une nouvelle démocratie s’est levée à l’étranger, et notre pays a connu une décennie de paix et de prospérité. Pendant un instant, le XXIe siècle semblait s’annoncer bien calme. Et puis les événements du 11 septembre 2001 ont mis abruptement fin à cette période de complaisance. Des milliers de personnes nous ont été arrachées, en ce matin ensoleillé terni par des nuages de feu, de métal et de cendres. C’était une guerre d’un autre genre. Aucune armée n’a pris d’assaut nos côtes, et notre force militaire n’était pas la cible principale. À la place, un groupe de terroristes était venu tuer le plus grand nombre de civils possible.

Alors, notre pays est parti en guerre. Cela fait maintenant plus de dix ans que nous sommes en guerre. Je ne résumerai pas l’historique complet. Ce qui est clair, c’est que nous avons rapidement chassé Al-Qaïda d’Afghanistan, mais qu’ensuite nous avons changé d’optique et lancé une nouvelle guerre en Irak. Cette décision s’est révélée lourde de conséquences sur notre combat contre Al-Qaïda, notre réputation dans le monde − et à ce jour − nos intérêts dans une région cruciale.

Pendant ce temps, nous avons fortifié nos défenses – en nous employant à renforcer les cibles, à rehausser la sécurité en matière de transport et à donner aux forces de l’ordre de nouveaux moyens pour prévenir le terrorisme. La plupart de ces changements étaient judicieux. Certains ont été une source de désagréments. Mais d’autres, comme l’élargissement de la surveillance, ont soulevé des questions difficiles à propos de l’équilibre entre nos intérêts en matière de sécurité et nos valeurs qui concernent la vie privée. Et dans certains cas, je crois que nous avons compromis nos valeurs fondamentales – en ayant recours à la torture lors d’interrogatoires de nos ennemis ou aux détentions contraires à l’État de droit.

Après mon entrée en fonction, nous avons intensifié la guerre contre Al-Qaïda, mais nous avons aussi cherché à en changer la trajectoire. Nous avons ciblé le leadership d’Al-Qaïda de façon implacable, mis un terme à la guerre en Irak et rapatrié près de 150.000 soldats. Nous avons mis en place une nouvelle stratégie en Afghanistan et intensifié la formation des forces afghanes. Nous avons banni sans équivoque le recours à la torture, affirmé notre attachement aux tribunaux civils, œuvré afin d’aligner nos politiques sur la primauté du droit et élargi nos consultations avec le Congrès.

Aujourd’hui, Oussama Ben Laden est mort, tout comme la plupart de ses lieutenants. Aucune attaque à grande échelle n’a eu lieu aux États-Unis, et notre patrie est plus sûre. Nos soldats sont moins nombreux à être exposés au danger, et ils rentreront progressivement au pays au cours des 19 prochains mois. Nos alliances sont fortes, de même que notre position dans le monde. Bref, nous sommes plus en sécurité en raison des mesures que nous avons prises.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : notre nation reste menacée par les terroristes. De Benghazi à Boston, cette vérité s’est imposée à nous de manière tragique. Pour autant, nous devons reconnaître que cette menace a évolué depuis le 11 septembre 2001. Forts d’une expérience longue de dix ans dont nous pouvons tirer des enseignements, nous devons maintenant nous poser des questions difficiles – sur la nature des menaces aujourd’hui, et la façon de les affronter.

En effet, ces questions importent à tous les Américains.

Depuis plus d’une décennie, notre pays a dépensé plus de mille milliards de dollars à faire la guerre, ce qui a contribué à creuser considérablement les déficits et limité notre capacité de bâtir notre propre pays. Nos militaires et leurs familles ont consenti encore davantage de sacrifices pour nous. Près de 7.000 Américains sont allés jusqu’au sacrifice ultime. Beaucoup d’autres eux ont laissé une partie d’eux-mêmes sur le champ de bataille, ou ramené à la maison les spectres de la guerre. De l’utilisation de drones à la détention de terroristes présumés, les décisions que nous prenons aujourd’hui détermineront le type de nation – et de monde – dont hériteront nos enfants.

L’Amérique se trouve donc à la croisée des chemins. Il nous faut définir la nature et l’étendue de cette lutte, ou alors c’est elle qui nous définira. Rappelons-nous l’avertissement que lança James Madison : « Aucune nation ne peut préserver sa liberté en étant perpétuellement en guerre. » Ni moi ni aucun président ne pouvons promettre une victoire totale sur le terrorisme. Nous ne pourrons jamais extirper le mal qui est présent dans le cœur de certains êtres humains ni éradiquer le moindre danger qui plane sur notre société ouverte. Par contre, ce que nous pouvons – et devons faire – c’est démanteler les réseaux qui représentent un danger direct pour nous et réduire la probabilité de l’implantation de nouveaux groupes, tout en assurant le maintien des libertés et des idéaux que nous défendons. Pour définir cette stratégie, nous devons prendre des décisions qui soient fondées non sur la peur, mais sur une sagesse acquise à grand prix. Et pour commencer, il faut comprendre la menace à laquelle nous faisons face actuellement.

Aujourd’hui, le noyau central d’Al-Qaïda en Afghanistan et au Pakistan est sur la voie de la défaite. Les agents qui lui restent passent plus de temps à penser à leur propre sécurité qu’à comploter contre nous. Ce n’est pas eux qui ont planifié les attaques à Benghazi ou à Boston. Ils n’ont réussi aucune attaque sur notre sol depuis le 11 septembre 2001.

Par contre, nous constatons l’émergence de divers groupes affiliés à Al-Qaïda. Du Yémen à l’Irak, de la Somalie à l’Afrique du Nord, la menace aujourd’hui est plus diffuse, le groupe appelé Al-Qaïda dans péninsule arabique, l’AQPA, étant celui qui complote le plus activement contre notre patrie. Même si aucune de ses manœuvres n’a l’ampleur des attaques du 11 septembre, le fait qu’il continue à fomenter des actes terroristes, comme la tentative de faire exploser un avion le jour de Noël 2009.

Par ailleurs, les troubles qui secouent le monde arabe ont permis aux extrémistes de prendre pied dans certains pays, dont la Lybie et la Syrie. Là aussi, il y a des différences par rapport aux événements du 11 septembre 2001. Dans certains cas, nous continuons à affronter des réseaux appuyés par un État, comme le Hezbollah, qui commettent des actes terroristes pour atteindre des objectifs politiques. D’autres sont formés de milices locales ou d’extrémistes avides de mettre la main sur des territoires. Certes, nous demeurons vigilants face aux signes qui indiqueraient que ces groupes posent une menace transnationale, mais la plupart d’entre eux concentrent leurs opérations dans les régions et les pays où ils sont implantés. Cela signifie que nous assisterons à davantage de menaces localisées, comme à Benghazi ou dans le cas de l’usine de BP en Algérie, où des individus à l’échelle locale – peut-être plus ou moins liés à des réseaux régionaux – lancent des attaques périodiques contre des diplomates occidentaux, des entreprises et d’autres cibles faciles, ou ont recours à des enlèvements et à d’autres actes criminels pour financer leurs opérations.

Finalement, nous faisons face à une menace réelle, ici même aux États-Unis, de la part d’individus qui ont été radicalisés. Qu’il s’agisse d’un tireur dans un temple sikh au Wisconsin, d’un avion qui percute délibérément un édifice au Texas, ou des extrémistes qui ont tué 168 personnes dans un édifice fédéral à Oklahoma City, l’Amérique s’est trouvée confrontée à de nombreuses formes d’extrémisme violent dans son histoire. Des individus déséquilibrés ou des marginaux − souvent des citoyens américains ou des personnes ayant le statut de résident légal – peuvent causer des dommages énormes, surtout quand ils sont motivés par la logique du djihad violent. Cet attrait qu’exerce l’extrémisme semble être à l’origine de la fusillade de Fort Hood et de l’attentat du marathon de Boston.

Voilà donc la menace actuelle – des éléments meurtriers affiliés à Al-Qaïda, mais moins capables ; des menaces contre des installations diplomatiques et des entreprises à l’étranger ; des extrémistes de chez nous. C’est l’avenir du terrorisme. Il nous faut prendre ces menaces au sérieux et mettre tout en œuvre pour les contrer. Toutefois, avant de décider comment nous réagirons, il nous faut reconnaître que cette menace, par son ampleur, ressemble beaucoup aux types d’attaques qui nous ont touchés avant le 11 septembre 2001.

Au cours des années 1980, des Américains ont succombé au terrorisme dans notre ambassade à Beyrouth ; dans les casernes de nos Marines au Liban ; sur un bateau de croisière ; dans une discothèque à Berlin ; au cours d’un vol de la Pan Am – le vol 103 – au-dessus de Lockerbie. Dans les années 1990, des Américains ont trouvé la mort dans l’attentat contre le World Trade Center ; dans nos installations militaires en Arabie Saoudite ; et dans notre ambassade au Kenya. Toutes ces attaques étaient brutales ; elles étaient toutes mortelles ; et nous avons appris que ces menaces, faute d’être maîtrisées, peuvent s’amplifier. Par contre, si nous y faisons face de façon intelligente et en gardant le sens des proportions, elles n’atteindront pas le niveau que l’on connu la veille du 11 septembre 2001.

De plus, nous devons reconnaître que ces menaces ne sortent pas du néant. En majorité, le terrorisme auquel nous sommes confrontés provient d’une idéologie commune – la croyance chez certains extrémistes que l’Islam est en conflit avec les États-Unis et l’Occident, et que la violence à l’encontre de cibles occidentales, y compris des civils, est justifiée par la poursuite d’une cause plus grande. Évidemment, cette idéologie se base sur un mensonge, car les États-Unis ne mènent pas une guerre contre l’Islam. Cette idéologie est rejetée par la vaste majorité de musulmans, qui sont d’ailleurs les premières victimes d’actes de terrorisme.

Néanmoins, cette idéologie persiste, et à une époque où les idées et les images peuvent faire le tour du monde en un instant, on ne peut pas compter exclusivement sur les interventions militaires et l’application de la loi pour répondre au terrorisme. Nous avons besoin de tous les éléments du pouvoir national pour sortir vainqueurs d’un combat où les volontés s’affrontent, pour gagner la bataille des idées. Ce sont les composantes d’une stratégie globale de lutte contre le terrorisme dont je veux parler aujourd’hui.

En premier lieu, nous devons en finir une fois pour toutes avec Al-Qaïda et les mouvances qui y sont associées.

En Afghanistan, nous finirons de transmettre aux Afghans la responsabilité d’assurer la sécurité de leur pays. Nos soldats vont revenir aux États-Unis. Notre mission de combat touche à sa fin. De concert avec le gouvernement afghan, nous formerons les forces de sécurité et soutiendrons une unité anti-terrorisme, ce qui garantira qu’Al-Qaïda ne pourra plus jamais y établir un lieu de refuge d’où il pourrait lancer des attaques contre nous ou nos alliés.

Au-delà de l’Afghanistan, nous devons définir nos efforts non comme une « guerre mondiale sans limites contre la terreur », mais plutôt comme une série d’efforts persistants et ciblés, destinés à démanteler des réseaux spécifiques d’extrémistes violents qui menacent l’Amérique. Dans bien des cas, cela inclura des partenariats avec d’autres pays. Déjà, la lutte contre des extrémistes a coûté la vie à des milliers de soldats pakistanais. Au Yémen, nous soutenons les forces de sécurité qui ont repris des territoires sous le contrôle de l’AQPA. En Somalie, nous avons aidé une coalition de pays africains à expulser les rebelles shebab de leurs retranchements. Au Mali, nous fournissons une aide militaire dans une intervention menée par la France pour repousser Al-Qaïda hors du Maghreb et aider le peuple du Mali à redevenir l’artisan de son avenir.

La meilleure coopération en matière de lutte contre le terrorisme débouche souvent sur la collecte et le partage de renseignements ainsi que l’arrestation et le procès de terroristes. C’est ainsi qu’un terroriste somalien appréhendé au large des côtes du Yémen croupit maintenant en prison à New-York. C’est ainsi que nous avons procédé avec des alliés européens afin d’éventer des complots du Danemark à l’Allemagne et au Royaume-Uni. C’est ainsi que des renseignements recueillis en liaison avec l’Arabie Saoudite nous ont permis d’empêcher l’explosion d’un avion-cargo au-dessus de l’Atlantique. Ces partenariats fonctionnent.

Bien ce que soit notre option préférée, et de loin, il n’est parfois pas possible de mettre les terroristes en détention et de les poursuivre en justice. Al-Qaïda et ses éléments affiliés tentent de s’établir dans certains des endroits les plus distants et inhospitaliers du monde. Ils trouvent refuge dans des régions reculées. Ils se cachent dans des cavernes et des retranchements. Ils s’entraînent dans des zones désertiques et des montagnes escarpées.

Dans certains de ces endroits – comme des régions de la Somalie et du Yémen – l’État n’a pas vraiment accès à ces territoires. Dans d’autres cas, l’État n’a pas la capacité ou la volonté d’agir. Il n’est pas possible non plus à l’Amérique de déployer une équipe de forces spéciales pour capturer chaque terroriste. Même quand une telle approche semble possible, elle pourrait faire courir de graves risques à nos soldats et à la population locale – lorsqu’un camp terroriste ne peut être investi sans déclencher de fusillade avec les communautés tribales environnantes, par exemple, qui ne présentent aucune menace pour nous, ou lorsque le déploiement de soldats américains en sol étranger risque de provoquer une crise internationale majeure.

En d’autres termes, notre opération au Pakistan contre Oussama Ben Laden ne saurait être la norme. Les risques encourus étaient immenses. Nous aurions préféré le capturer, mais les chances que cela se produise étaient faibles en raison de la certitude que nos hommes se heurteraient à une résistance. L’absence de morts parmi les civils, ou d’une fusillade prolongée avec l’ennemi, témoigne de la planification méticuleuse et du professionnalisme de nos forces spéciales. Toutefois, nous avons aussi joué de chance, et bénéficié d’infrastructures de taille en Afghanistan.

Et même là, le coût infligé à notre relation avec le Pakistan – et les répercussions chez les Pakistanais à cause de l’empiètement sur leur territoire – ont été si sérieux que nous commençons seulement maintenant à reconstruire cet important partenariat.

C’est dans ce contexte que les États-Unis ont pris des actions létales et ciblées et contre Al-Qaïda et ses éléments affiliés, y compris au moyen d’engins pilotés à distance communément appelés des drones.

Comme ce fut le cas dans les conflits armés précédents, cette nouvelle technologie soulève des questions profondes : sur les personnes ciblées et pourquoi elles le sont ; sur les morts et les blessés dans la population civile, et le risque de se créer de nouveaux ennemis ; sur la légalité de telles frappes en vertu des lois américaines et du droit international ; sur la reddition de comptes et la moralité. Je vais discuter de ces questions.

D’abord, nos actions sont efficaces, mais ne me croyez pas sur parole. Parmi les renseignements recueillis au retranchement de Ben Laden, nous avons trouvé ces mots rédigés par lui : « Nous pourrions perdre les réserves suite aux frappes aériennes de l’ennemi. Nous ne pouvons contrer les frappes aériennes à l’aide d’explosifs ». D’autres communications provenant d’exécutants d’Al-Qaïda le confirment. Des douzaines de commandants d’Al-Qaïda très expérimentés, des formateurs, des fabricants d’explosifs et des exécutants ont été éliminés du champ de bataille. Nous avons également déjoué des complots qui ciblaient l’aviation internationale, les systèmes de transports aux États-Unis, des villes européennes ainsi que nos soldats en Afghanistan. Bref, ces frappes ont sauvé des vies.

De plus, les actions de l’Amérique sont légales. Nous avons été attaqués le 11 septembre 2001. En une semaine, le Congrès a massivement autorisé le recours à la force. En vertu des lois américaines et du droit international, les États-Unis sont en guerre contre Al-Qaïda, les talibans et les forces qui y sont associées. Nous sommes en guerre contre une organisation qui tuerait à l’instant même le plus grand nombre possible d’Américains si nous la laissions faire. Il s’agit donc d’une guerre juste – une guerre proportionnée, de dernier recours et menée à titre de légitime défense.

Pour autant, maintenant que notre combat entre dans une nouvelle phase, notre droit légitime à l’autodéfense ne saurait marquer la fin de la discussion. Dire qu’une tactique militaire est légale, ou même efficace, ne signifie pas qu’elle soit sage ou morale dans tous les cas. Car le même progrès humain qui nous donne une technologie capable de frapper à l’autre bout du monde exige aussi que l’on ait la discipline de contenir cette puissance – faute de quoi on risque d’en abuser. C’est pourquoi, au cours des quatre dernières années, mon administration a travaillé d’arrache-pied à établir un cadre qui régit l’utilisation de notre force à l’encontre des terroristes – en insistant sur des directives claires, le contrôle et la reddition de comptes qui sont maintenant codifiés dans l’Orientation de politique présidentielle que j’ai signée hier.

En ce qui concerne le théâtre de la guerre en Afghanistan, nous devons soutenir nos soldats, et nous continuerons de le faire, jusqu’à ce que la transition soit terminée à la fin de 2014. Cela veut dire que nous poursuivrons les frappes contre des cibles de haute valeur d’Al-Qaïda, mais également contre les forces qui se massent contre les effectifs de la coalition. Mais à la fin de 2014, la nécessité de protéger nos forces militaires ne sera plus la même, et les succès que nous avons remportés face au noyau central d’Al-Qaïda rendront moins nécessaires les frappes à l’aide d’engins sans pilote.

Au-delà du théâtre afghan, nous ciblons uniquement Al-Qaïda et ses éléments affiliés. Dans ce cas même, l’utilisation de drones est assujettie à de lourdes contraintes. L’Amérique ne lance pas de frappes lorsque nous pouvons capturer des terroristes ; nous préférons de loin détenir, interroger et engager des poursuites. Nous ne pouvons effectuer de frappes où bon nous semble ; nos actions sont soumises à des consultations avec des partenaires et respectent la souveraineté nationale.

L’Amérique ne lance pas de frappes dans le but de punir des individus ; nous agissons contre des terroristes qui posent une menace continue et imminente au peuple américain, et lorsqu’aucun autre gouvernement n’est en mesure de répondre de façon efficace à cette menace. Avant d’entreprendre toute frappe, nous devons nous assurer avec une quasi-certitude qu’aucun civil ne sera tué ou blessé – la norme la plus haute que nous puissions établir.

Ce dernier point est essentiel, car la plupart des critiques à l’égard des frappes de drones – chez nous et à l’étranger – ont trait, ce qui se comprend, au signalement de victimes parmi la population civile. Il existe un grand écart entre les évaluations officielles du gouvernement américain et les rapports non gouvernementaux à ce sujet. Néanmoins, c’est un fait certain que des frappes américaines ont causé des pertes civiles, un risque qui existe dans toutes les guerres. Pour les familles de ces civils, aucune parole ou notion juridique ne peuvent justifier ces pertes. Pour moi et ceux sous ma chaîne de commandement, ces morts nous hanteront jusqu’à la fin de nos jours, tout comme nous sommes hantés par les pertes civiles survenues lors de combats classiques en Afghanistan et en Irak.

Mais en ma qualité de commandant en chef, je dois mettre dans la balance ces tragédies qui nous brisent le cœur et les autres options. Ne rien faire face aux réseaux terroristes, c’est accepter des pertes encore beaucoup plus lourdes parmi les civils – pas seulement dans nos villes aux États-Unis et nos installations à l’étranger, mais aussi là où les terroristes cherchent à s’implanter, comme à Sanaa, à Kaboul et à Mogadiscio. N’oubliez pas que les terroristes dans notre ligne de mire s’en prennent aux civils, et que les décès imputables à leurs attentats contre des musulmans sont nettement plus nombreux que les pertes estimées parmi les civils du fait des frappes de drones. Ne rien faire n’est donc pas une solution.

Quand des gouvernements étrangers ne peuvent pas ou ne veulent pas arrêter pour de bon le terrorisme sur leur territoire, la première solution à la place d’une action létale ciblée consiste à recourir aux options militaires classiques. Comme je l’ai déjà dit, même les opérations spéciales de petite envergure comportent des risques énormes. La force aérienne classique et les missiles sont nettement moins précis que les drones et plus susceptibles aussi de provoquer davantage de pertes dans la population et davantage d’indignation sur place. Envahir ces territoires, c’est passer pour une armée d’occupation, mettre en branle tout un cortège de conséquences imprévues, avoir du mal à contenir la situation, faire un grand nombre de morts et de blessés dans la population civile et, en fin de compte, rendre plus forts ceux qui trouvent leur plaisir dans les conflits violents.

Il est donc erroné d’affirmer que le déploiement d’effectifs militaires sur le terrain est moins susceptible de faire des morts parmi la population civile ou moins susceptible de créer des ennemis dans le monde musulman. On verrait au contraire davantage de morts d’Américains, davantage de Black Hawks abattus, davantage d’affrontements avec les populations locales, et la mission finirait inévitablement par appuyer des raids qui pourraient facilement dégénérer en nouvelles guerres.

Oui, le conflit avec Al-Qaïda, comme tous les conflits armés, est la porte ouverte à la tragédie. Mais en ciblant notre action de manière précise contre ceux qui veulent nous tuer et non pas contre les gens parmi lesquels ils se cachent, nous choisissons la méthode la moins susceptible d’entraîner des pertes de vies humaines innocentes.

Nos efforts doivent être évalués à l’aune de ce que nous savons du déploiement de soldats américains dans des contrées lointaines, parmi des populations hostiles. Au Vietnam, des centaines de milliers de civils ont péri dans une guerre dont les contours étaient flous. En Irak et en Afghanistan, en dépit du courage et de la discipline extraordinaires de nos soldats, des milliers de civils ont été tués. Ainsi donc, ni l’action militaire classique ni la passivité face aux attaques dont nous savons qu’elles se reproduiront n’offrent de sphère de sécurité au plan moral, et on peut en dire autant du recours exclusif aux services répressifs dans les territoires dépourvus de services fonctionnels de police ou de sécurité – voire de lois capables de fonctionner.

Je ne veux pas dire pour autant que les risques ne sont pas réels. Toute action militaire américaine sur un sol étranger risque de faire plus d’ennemis et elle a des répercussions dans l’opinion publique en dehors des États-Unis. De surcroît, nos lois limitent le pouvoir du président même en temps de guerre, et j’ai fait le serment de défendre la constitution des États-Unis. Le fait que les frappes de drones sont si précises et qu’elles doivent souvent être menées dans le plus grand secret peut avoir pour effet de protéger notre gouvernement contre l’examen minutieux du public, contrairement au déploiement de soldats. Ce fait peut aussi amener un président et son équipe à voir dans les frappes de drones une panacée face au terrorisme.

C’est pour cette raison que j’ai tenu à exercer une surveillance rigoureuse dans tous les cas d’action létale. Après mon entrée en fonction, mon gouvernement a commencé à informer les commissions pertinentes du Congrès de toutes les frappes effectuées ailleurs qu’en Irak et qu’en Afghanistan. Je répète : non seulement le Congrès a autorisé le recours à la force, mais il est aussi informé sur toutes les frappes que mènent les États-Unis. Toutes les frappes. Y compris la seule fois où nous avons ciblé un citoyen américain, Anwar Awlaki, le chef des opérations externes d’AQAP [Al-Qaïda dans la péninsule arabique].

Cette semaine, j’ai autorisé le déclassement de cette action, ainsi que la révélation du décès de trois autres Américains dus à des frappes de drones, afin de faciliter la transparence et le débat sur cette question et de rejeter certaines des allégations les plus fantaisistes qui ont été avancées. Pour mémoire, je ne suis pas de l’avis que le gouvernement agirait dans le respect de la constitution s’il ciblait et tuait quelque citoyen américain que ce soit – à l’aide d’un drone ou fusil de chasse – en l’absence d’une procédure régulière, et je ne suis pas de l’avis non plus qu’un président devrait déployer des drones armés au-dessus du territoire des États-Unis.

Mais quand un citoyen américain va à l’étranger pour livrer la guerre à l’Amérique et qu’il complote avec ardeur de tuer des citoyens américains, et que ni les États-Unis ni leurs partenaires ne sont en mesure de le capturer avant qu’il ne mette son complot à exécution, sa citoyenneté ne devrait pas lui servir de bouclier, pas plus qu’un franc-tireur ouvrant le feu sur une foule d’innocents ne mérite d’être protégé contre une équipe d’un groupe d’intervention tactique des forces de l’ordre.

Anwar Awlaki était ce genre de personne : il cherchait constamment à tuer. En 2010, il a participé à la supervision de la tentative visant à faire détonner des engins explosifs sur deux avions de fret à destination des États-Unis. Il a trempé dans la tentative d’attentat contre un avion de ligne en 2009. Quand Farouk Abdulmutallab – le « Christmas Day bomber » — s’est rendu au Yémen en 2009, Awlaki l’a hébergé, a approuvé son opération suicide, l’a aidé à enregistrer une vidéo destinée à être diffusée après l’attentat et dans laquelle il proclamait son martyre, et les dernières instructions qu’il lui a données étaient de faire exploser l’avion au-dessus du territoire des États-Unis. J’aurais détenu Awlaki et je l’aurais poursuivi en justice si nous l’avions capturé avant qu’il ne mette un complot à exécution, mais cela ne nous a pas été possible. Étant président, j’aurais failli à mon devoir si je n’avais pas autorisé la frappe qui l’a éliminé.

Certes, s’en prendre à quelque Américain que ce soit soulève des questions constitutionnelles qui ne se posent pas dans les autres cas – et c’est pourquoi mon gouvernement a remis des informations sur Awlaki au département de la justice des mois avant qu’il ne soit abattu et a préalablement informé le Congrès de cette frappe. Mais la barre très haute que nous avons fixée pour les actions létales s’appliquent à toutes les cibles terroristes potentielles, qu’il s’agisse de citoyens américains ou non. Ce critère respecte la dignité inhérente à toute vie humaine. Avec la décision d’envoyer dans une zone dangereuse nos hommes et nos femmes qui portent l’uniforme, celle de recourir à la force contre des individus et des groupes – même contre un ennemi juré des États-Unis – est la tâche la plus difficile qui m’incombe dans le cadre de mes fonctions de président. Mais ce sont des décisions qui doivent être prises, étant donné la responsabilité que j’ai de protéger le peuple américain.

Dorénavant, j’ai demandé à mon gouvernement d’examiner des propositions visant à étendre la fonction de surveillance des actions létales exécutées en dehors des zones de guerre, propositions qui dépassent le cadre des comptes que nous rendons au Congrès. Chaque option présente des vertus en théorie, mais pose des difficultés dans la pratique. Par exemple, l’établissement d’un tribunal spécial qui serait chargé d’évaluer et d’autoriser une action létale présente l’avantage de faire intervenir un troisième pouvoir de l’État, mais soulève de sérieuses questions constitutionnelles quant à l’autorité de la présidence et à celle du judiciaire. Une autre idée avancée – l’établissement d’un conseil indépendant de surveillance à l’intérieur de l’exécutif – évite ces écueils, mais risque d’introduire une couche bureaucratique supplémentaire dans la prise de décisions relevant de la sécurité nationale, sans pour autant inspirer davantage la confiance du public. Mais malgré ces défis, j’attends avec intérêt de dialoguer activement avec le Congrès pour examiner ces options et d’autres encore visant à renforcer la surveillance.

Ceci dit, j’estime que la question du recours à la force soit s’inscrire dans le cadre d’une discussion plus générale qui s’impose sur le thème d’une stratégie globale de lutte contre le terrorisme – parce que nous aurons bon concentrer notre attention sur le recours à la force, la force à elle seule ne saurait assurer notre sécurité. Nous ne pouvons pas recourir à la force partout où une idéologie radicale prend racine ; et en l’absence d’une stratégie capable de réduire la source de l’extrémisme, une guerre perpétuelle – livrée à coups de drones ou de forces spéciales ou de déploiements d’effectifs – sera vouée à l’échec et entraînera des changements troublants dans notre pays.

Le volet suivant de notre stratégie consiste donc à tenter de résoudre les doléances et les conflits qui nourrissent l’extrémisme, de l’Afrique du Nord à l’Asie du Sud. Comme nous l’avons appris au cours de la décennie passée, il s’agit là d’une entreprise vaste et complexe. Nous devons faire preuve d’humilité et ne pas nous attendre à régler rapidement des problèmes aux racines profondes tels que la pauvreté et la haine sectaire. En outre, il n’y a pas un pays qui soit identique à un autre, et certains subiront des changements chaotiques avant que la situation ne s’améliore. Mais notre sécurité et nos valeurs exigent que nous en fassions l’effort.

Cela signifie qu’il nous faut appuyer patiemment les transitions vers la démocratie, comme en Égypte, en Tunisie et en Libye, parce que la réalisation pacifique des aspirations individuelles infligera un camouflet aux extrémistes violents. Nous devons renforcer l’opposition en Syrie tout en isolant les éléments extrémistes – parce que la fin d’un tyran ne doit pas laisser la place à la tyrannie du terrorisme. Nous nous employons énergiquement à promouvoir la paix entre Israéliens et Palestiniens – parce qu’il s’agit d’un impératif moral et que la paix pourrait contribuer à refaçonner les attitudes dans la région. Et nous devons aider les pays à moderniser leur économie, à améliorer l’enseignement et à encourager l’entrepreneuriat – parce que le leadership américain est toujours sorti grandi de notre capacité à ressentir les espoirs des individus, et pas seulement leurs craintes.

Pour réussir sur tous ces fronts, il nous faut non seulement un engagement soutenu, mais aussi des ressources. Je sais que l’aide à l’étranger est l’une des catégories de dépenses les moins populaires qui soient. C’est vrai des démocrates comme des républicains – j’ai vu les sondages – même si cette rubrique représente moins de 1 % du budget fédéral. En fait, si on interroge les gens dans la rue, on entend souvent dire qu’elle en représente 25 %. Moins de 1 % — mais quand même très impopulaire. Mais il ne faut pas assimiler l’aide à l’étranger à une œuvre de bienfaisance. Elle est indispensable à notre sécurité nationale. Et elle est indispensable à toute stratégie raisonnée à long terme de lutte contre l’extrémisme.

Qui plus est, l’aide à l’étranger ne constitue qu’une fraction minuscule des sommes que nous dépensons à livrer des guerres que notre assistance pourrait en fin de compte prévenir. La somme que nous dépensions en un mois en Irak quand la guerre battait son plein aurait pu servir à entraîner des forces de sécurité en Libye, à faire respecter les accords de paix entre Israël et ses voisins, à nourrir les affamés au Yémen, à construire des écoles au Pakistan et à créer des réservoirs de bonne volonté qui marginalisent les extrémistes. Voilà qui doit faire partie de notre stratégie.

Ajoutez à cela que l’Amérique ne peut pas mener à bien ces tâches si nous n’avons pas de diplomates dans des lieux qui peuvent être très dangereux. Au cours des dix dernières années, nous avons renforcé la sécurité dans nos ambassades, et je mets en œuvre chacune des recommandations du conseil qui a examiné la situation à Benghazi et a conclu à des défaillances inacceptables. J’ai demandé au Congrès de financer intégralement ces efforts visant à renforcer la sécurité et à consolider les installations, à améliorer le renseignement et à raccourcir le temps de réaction de notre armée en cas de crise.

Mais même ces mesures une fois en place, nos diplomates resteront exposés à des risques irréductibles. C’est le prix à payer quand on est le pays le plus fort au monde, en particulier au moment où une vague de changements balaie le monde arabe. Et en faisant des compromis pour trouver l’équilibre entre la sécurité et la diplomatie active, j’ai la conviction profonde que tout retrait des régions difficiles ne fera qu’accroître les dangers auxquels nous sommes exposés à long terme. Voilà pourquoi les diplomates qui sont prêts à servir notre pays méritent notre reconnaissance.

Les actions ciblées contre les terroristes, l’existence de partenariats efficaces, l’engagement diplomatique et l’assistance : c’est au prix d’une telle stratégie globale que nous pouvons considérablement réduire le risque d’attentats de grande envergure sur notre territoire et atténuer les menaces pesant sur les Américains à l’étranger. Mais les mesures que nous prenons pour nous protéger contre les dangers venus de l’extérieur ne doivent pas nous faire oublier le défi de taille que pose le terrorisme à l’intérieur de nos frontières.

Comme je le disais précédemment, cette menace n’est pas nouvelle. Mais la technologie et l’internet la rendent plus fréquente, et dans certains cas plus meurtrière. Aujourd’hui, on peut s’abreuver de propagande haineuse, se vouer à un programme d’action violent et apprendre à tuer sans avoir à sortir de chez soi. Il y a deux ans, pour lutter contre cette menace, mon gouvernement a procédé à un examen de fond en comble et a travaillé avec les services de l’application de la loi.

La meilleure façon de prévenir l’extrémisme violent alimenté par les djihadistes violents consiste à œuvrer avec la communauté musulmane américaine – qui rejette systématiquement le terrorisme – afin de repérer les signes de radicalisation et à travailler en partenaires avec les services répressifs quand un individu dérive vers la violence. Ces partenariats ne peuvent porter leurs fruits que si nous reconnaissons que les musulmans forment une composante fondamentale de la famille américaine. En fait, la réussite des musulmans américains et notre détermination à veiller à empêcher le moindre empiètement sur leurs libertés civiles constituent le meilleur moyen de remettre en place ceux qui disent que nous sommes en guerre contre l’islam.

Déjouer les tentatives d’attentat d’origine intérieure présente des défis particuliers en partie en raison de notre fier attachement aux libertés civiles pour quiconque plante ses pénates en Amérique. C’est pourquoi, dans les années à venir, nous devrons continuer à travailler d’arrache-pied pour trouver le juste équilibre entre notre besoin de sécurité et la préservation des libertés indissociables de notre identité. Cela signifie réexaminer les pouvoirs des services répressifs afin que nous puissions intercepter de nouveaux types de communication, mais aussi mettre en place des mécanismes de protection de la vie privée pour empêcher les dérives.

Cela signifie – même après Boston – qu’on ne procède pas à des déportations ni à des incarcérations en l’absence de preuves. Cela signifie que l’on assortit de contraintes soigneuses les outils dont se sert le gouvernement pour protéger les informations sensibles, telle la doctrine des secrets d’État. Et cela signifie, enfin, que l’on dispose d’un solide conseil de la vie privée et des libertés civiles chargé d’examiner ces questions en cas de tiraillements entre nos efforts en matière de lutte anti-terroriste et nos valeurs.

L’enquête du département de la justice sur les fuites affectant la sécurité nationale offre un récent exemple des difficultés qui se posent lorsqu’il s’agit de trouver le juste milieu entre notre sécurité et notre attachement à une société ouverte. En tant que commandant en chef, j’estime que nous devons maintenir le secret des informations qui protègent nos opérations et notre personnel sur le terrain. À cette fin, nous devons appliquer les conséquences qui sont le lot de ceux qui enfreignent la loi et rompent leur engagement à protéger les informations classifiées. Mais une presse libre est également essentielle à notre démocratie. Cela fait partie de notre identité. Et je suis perturbé par la possibilité que les enquêtes sur les fuites puissent jeter un froid sur le journalisme d’investigation qui oblige le gouvernement à rendre des comptes.

Les journalistes ne devraient pas encourir de risques juridiques dans l’exercice de leur profession. Nous devons avoir en ligne de mire ceux qui enfreignent la loi. Et c’est la raison pour laquelle j’ai demandé au Congrès d’adopter une loi qui protège les médias contre les excès du gouvernement. J’ai soulevé ces questions avec le ministre de la justice qui partage mes préoccupations. Il a donc accepté de passer en revue les directives en place du département de la justice ayant trait aux enquêtes dans lesquelles des journalistes sont impliqués, et dans le cadre de cet examen il convoquera un groupe de représentants des médias afin de d’écouter leurs préoccupations. Je lui ai également demandé de me remettre un rapport à ce sujet d’ici le 12 juillet.

Toutes ces questions nous rappellent que les choix que nous faisons quand il est question d’une guerre peuvent avoir des conséquences — et dans certains cas, des conséquences imprévues — sur l’ouverture et la liberté desquelles dépend notre mode de vie. Et c’est pourquoi j’ai l’intention d’engager avec le Congrès une conversation sur l’Autorisation du recours à la force militaire, l’AUMF (Authorization to Use Military Force), afin de déterminer comment nous pouvons continuer à lutter contre le terrorisme sans que l’Amérique demeure perpétuellement sur le pied de guerre.

L’AUMF est entrée en vigueur il y a près de douze ans. La guerre afghane touche à sa fin. L’élément central d’Al-Qaïda n’est plus que l’ombre de lui-même. Il faut agir contre des groupes tels que l’AQPA, mais dans les années à venir, les ramassis de voyous qui se réclameront d’Al-Qaïda ne constitueront pas tous une menace crédible pour les États-Unis. Faute de discipline dans notre manière de penser, de définir, d’agir, nous pourrions nous retrouver entraînés dans des guerres que nous n’avons pas besoin de livrer, ou continuer à conférer aux présidents des pouvoirs illimités qui conviennent mieux aux conflits armés classiques entre des États-nations.

J’attends donc avec intérêt de participer avec le Congrès et le peuple américain à une démarche visant à affiner, et à terme abroger, le mandat de l’AUMF. Et je ne signerai pas de lois destinées à en élargir davantage la portée. Nous devons continuer systématiquement à démanteler les organisations terroristes. Mais cette guerre, comme toutes les guerres, doit prendre fin. C’est ce que l’histoire nous conseille. C’est ce que notre démocratie exige.

Et cela m’amène à mon dernier thème : la détention des terroristes présumés. Je vais le répéter une fois de plus : La politique des États-Unis donne la préférence à la capture des terroristes présumés. Lorsque nous détenons un suspect, nous l’interrogeons. Et si le suspect peut être traduit devant la justice, nous décidons s’il doit être jugé par un tribunal civil ou une commission militaire.

Au cours de la dernière décennie, la vaste majorité des individus détenus par nos forces armées ont été capturés sur le champ de bataille. En Irak, nous avons cédé le contrôle de milliers de prisonniers au moment où nous avons mis fin à la guerre. En Afghanistan, nous avons transféré aux Afghans la responsabilité des centres de détention dans le cadre du processus de rétablissement de la souveraineté afghane. Ainsi, nous mettons un terme à la détention conforme au droit de la guerre, et nous sommes déterminés à poursuivre en justice les terroristes partout où nous le pouvons.

L’exception flagrante à cette démarche qui a résisté à l’épreuve du temps est le cas du centre de détention de Guantanamo. Le principe qui sous-tendait au départ l’ouverture de Guantanamo — à savoir que les détenus ne seraient pas en mesure de contester leur détention — a été déclaré inconstitutionnel il y a cinq ans. Entretemps, Guantanamo est devenu l’emblème de par le monde d’une Amérique qui fait fi de l’État de droit. Nos alliés ne coopéreront pas avec nous s’ils pensent qu’un terroriste finira à Guantanamo.

En période de compressions budgétaires, nous dépensons 150 millions de dollars par an pour incarcérer 166 personnes — près d’un million de dollars par prisonnier. Et selon les estimations du département de la Défense, il faut 200 millions de dollars supplémentaires pour que Guantanamo reste ouvert, alors que que nous réduisons nos investissements dans l’éducation et la recherche ici, chez nous, et que le Pentagone fait face au mécanisme du « séquestre » [coupes budgétaires automatiques] et à des réductions budgétaires.

En ma qualité de président, j’ai tenté de fermer Guantanamo. J’ai transféré 67 détenus dans d’autres pays avant que le Congrès n’impose des restrictions qui ont pour effet de nous empêcher de transférer des détenus à l’étranger ou de les garder en prison ici aux États-Unis.

Ces restrictions n’ont aucun sens. Après tout, sous le président Bush, plus de 530 personnes détenues à Guantanamo ont été transférés avec l’accord du Congrès. Au moment où je briguais la présidence pour la première fois, John McCain était en faveur de la fermeture de Guantanamo – cette question bénéficiait du soutien des deux partis. Personne ne s’est jamais évadé d’une de nos Supermax [prisons de sécurité maximale] ou de nos prisons militaires ici aux États-Unis — jamais. Nos tribunaux ont reconnu des centaines d’individus coupables d’actes de terrorisme ou liés au terrorisme, y compris certains individus qui sont encore plus dangereux que la plupart des détenus de Guantanamo. Ces individus-là sont incarcérés chez nous.

Et quand on voit que mon gouvernement poursuit sans relâche les dirigeants d’Al-Qaïda, rien ne justifie, sinon la politique politicienne, que le Congrès nous empêche de fermer une installation qui n’aurait jamais dû être ouverte. (Applaudissements.)

Membre de l’auditoire : Excusez-moi, Monsieur le président Obama

Barack Obama : Donc – laissez-moi terminer, Madame. Donc, aujourd’hui, une fois de plus —

Membre de l’auditoire : Il y a 102 personnes qui font une grève de la faim. Ce sont des gens désespérés.

Barack Obama : J’allais en parler, Madame, mais vous devez me permettre de continuer. Je suis sur le point d’aborder ce sujet.

Membre de l’auditoire : Vous êtes le commandant en chef —

Barack Obama : Laissez-moi m’exprimer.

Membre de l’auditoire : — vous pouvez fermer Guantanamo.

Barack Obama : Pourquoi ne me laissez-vous pas aborder le sujet, Madame.

Membre de l’auditoire : Il y a encore des prisonniers —

Barack Obama : Asseyez-vous donc et je vous dirai exactement ce que je vais faire.

Membre de l’auditoire : Dont 57 Yéménites.

Barack Obama : Merci, Madame. Merci. (Applaudissements.) Madame, merci. Il faut que vous me laissiez finir ma phrase.

Aujourd’hui, je demande une fois de plus au Congrès de lever les restrictions sur le transfert des détenus de Guantanamo. (Applaudissements.)

J’ai demandé au département de la défense de désigner un endroit aux États-Unis où nous pourrons tenir des commissions militaires. J’ai nommé un nouvel envoyé de haut niveau au département d’État et au département de la défense dont la seule responsabilité sera de mener à bien le transfert des détenus dans des pays tiers.

Je lève le moratoire sur le transfert de détenus vers le Yémen afin que nous puissions examiner leur situation au cas par cas. Dans toute la mesure du possible, nous enverrons dans d’autres pays des détenus qui remplissent les conditions voulues.

Membre de l’auditoire : — des prisonniers déjà. Libérez -les aujourd’hui.

Barack Obama : Lorsqu’il y a lieu, nous traduirons les terroristes en justice devant nos tribunaux et notre système judiciaire militaire. Et nous insisterons sur le fait que tout détenu doit pouvoir bénéficier d’un contrôle juridictionnel.

Membre de l’auditoire : Il faut que —

Barack Obama : Madame, laissez-moi finir. Laissez-moi finir, Madame. Un aspect de la liberté d’expression, c’est que vous pouvez parler, mais que vous devez aussi écouter et que moi j’ai le droit de m’exprimer. (Applaudissements.)

Bon, même une fois que ces mesures auront été adoptées, une question restera entière – celle de savoir ce que nous allons faire de ces détenus de Guantanamo dont savons qu’ils ont pris part à des attaques ou à des complots dangereux, mais que nous ne pouvons pas poursuivre en justice, par exemple parce que les preuves à charge ont été compromises ou qu’elles sont inadmissibles devant les tribunaux. Mais une fois que nous nous serons mis pleinement d’accord sur les modalités de la fermeture de Guantanamo, je suis certain que ce problème résiduel pourra être résolu, conformément à notre attachement à l’État de droit.

Je sais que l’aspect politique de la question est difficile. Mais l’histoire portera un jugement sévère sur cet aspect de notre lutte contre le terrorisme et sur ceux d’entre nous qui n’y auront pas mis fin. Imaginez l’avenir — dans 10 ans ou 20 ans — quand les États-Unis d’Amérique détiendront encore sur une parcelle de territoire qui ne fait pas partie de notre pays des individus qui n’ont été accusés d’aucun crime. Regardez la situation actuelle, où nous avons recours à l’alimentation forcée de détenus qui font la grève de la faim. Je suis prêt à être indulgent envers la jeune femme qui m’a interrompu car la question mérite de déchaîner les passions. Est-ce que cela représente ce que nous sommes ? Nos Fondateurs avaient-ils prévu une telle éventualité ? Cette Amérique-là est-elle celle que nous voulons laisser à nos enfants ? Notre sens de la justice est plus fort que cela.

Nous avons traduits quantité de terroristes devant nos tribunaux. CItons , par exemple, Omar Farouk Abdulmutallab, qui a tenté de faire exploser un avion au-dessus de Detroit, et Faisal Shahzad, qui a garé une voiture piégée sur Times Square. C’est devant un tribunal que nous traduirons Dzhokhar Tsarnaev, qui est accusé d’être l’auteur de l’attentat à la bombe au marathon de Boston. Richard Reid, l’homme à la chaussure piégée, est à l’heure même en train de purger une peine de prison à perpétuité dans un centre de détention de sécurité maximale ici, aux États-Unis. En rendant son verdict contre Richard Reid, le juge William Young lui a déclaré : « La manière dont nous vous traitons … est à la mesure de nos propres libertés. »

Membre de l’auditoire : Au sujet d’Abdulmutallab – mettre sous les verrous quelqu’un qui a 16 ans — c’est comme ça qu’on traite un jeune de 16 ans ? (Inaudible) — pouvez-vous retirer à la CIA le contrôle des drones ? Pouvez-vous mettre fin aux frappes qui tuent des gens ciblés uniquement en fonction de comportements suspects ?

Barack Obama : Nous parlons de cela, Madame.

Membre de l’auditoire : — des milliers de musulmans ont été tués — allez-vous dédommager les familles innocentes — qui augmentera notre sécurité ici chez nous. J’aime mon pays. J’aime (inaudible) —

Barack Obama : Je pense que — je m’éloigne du texte préparé, comme vous vous en doutez à ce point. (Rires et applaudissements.) La voix de cette dame mérite de l’attention. (Applaudissements.) Il est évident que je ne suis pas d’accord avec la plupart de ce qu’elle dit, et il est tout aussi évident qu’elle n’a pas écouté pas une grande partie de ce que j’ai dit. Mais ce sont des questions difficiles, et on a tort de laisser entendre que nous pouvons les escamoter.

Lorsqu’il a condamné Richard Reid, l’homme à la chaussure piégée, le juge a montré du doigt le drapeau américain qui flottait dans le tribunal. « Ce drapeau, dit-il, flottera ici bien après que tout ceci aura été oublié. Ce drapeau représente toujours la liberté. »

Ainsi donc, l’Amérique a fait face à des dangers bien plus grands qu’Al-Qaïda. En restant fidèles aux valeurs de nos fondateurs et en prenant la constitution pour compas, nous sommes venus à bout de l’esclavage, de la guerre de Sécession, du fascisme et du communisme. Rien que ces dernières années, sous ma présidence, j’ai vu le peuple américain se remettre d’une récession douloureuse, de fusillades en masse, de catastrophes naturelles telles que les récentes tornades qui ont ravagé Oklahoma. Ces événements étaient déchirants ; ils ont frappé nos collectivités de plein fouet. Mais la résilience du peuple américain est telle que ces événements n’ont jamais eu aucune chance de nous briser.

Je pense à Lauren Manning, la survivante des attaques du 11 septembre couverte de brûlures graves sur 80 % de son corps, qui a dit : « C’est ma réalité. Je mets un sparadrap là-dessus, littéralement, et je continue d’aller de l’avant. »

Je pense aux New-Yorkais qui se sont massés sur Times Square le lendemain de la tentative d’attentat à la voiture piégée, comme si de rien n’était.

Je pense aux fiers parents pakistanais qui, après que leur fille a été invité à la Maison-Blanche, nous ont écrit : « Nous avons élevé une fille musulmane américaine en lui apprenant à faire des rêves ambitieux et à ne jamais les abandonner jamais parce qu’ils portent leurs fruits. »

Je pense à tous les combattants blessés qui reconstruisent leur vie et aident les autres vétérans à trouver du travail.

Je pense au coureur qui prévoit de participer au marathon de Boston de 2014 et qui a dit : « L’année prochaine, vous allez avoir plus de monde que jamais. On ne badine pas avec la détermination. »

Le peuple américain, c’est cela — il est déterminé et il ne faut pas lui chercher des ennuis. Et maintenant, nous avons besoin d’une stratégie et d’une politique qui reflètent cette résilience.

Notre victoire contre le terrorisme ne se mesurera pas à l’aune d’une cérémonie de reddition sur un bâtiment de guerre, ou d’une statue que l’on renverse de son socle. La victoire se mesurera à la vue de parents qui emmènent leurs enfants à l’école, d’émigrés qui arrivent sur nos rives, de supporters d’équipes de sport qui prennent plaisir à assister à un match, d’un ancien combattant qui monte une entreprise, d’une rue animée dans une ville, d’une citoyenne qui interpelle un président.

La détermination tranquille, la force de caractère et les liens de camaraderie, le refus de la peur — voilà à la fois notre épée et notre bouclier. Et bien après que les messagers actuels de la haine auront disparu de la mémoire du monde, et avec eux les despotes brutaux, les détraqués et les démagogues impitoyables qui polluent l’histoire, le drapeau des États-Unis flottera encore sur le cimetière des petites villes et les monuments nationaux et jusqu’au-dessus des avant-postes à l’étranger. Et ce drapeau demeurera un symbole de la liberté.

Merci beaucoup tout le monde. Que Dieu vous bénisse. Que Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique. (Applaudissements.)