Ce second volet de l’entretien accordé par Thierry Meyssan aux éditions Demi-Lune porte sur son ouvrage consacré à la guerre d’Israël contre le Liban de 2006. Un travail de nature universitaire qui, pour le moment, fait autorité aussi bien pour l’établissement des faits que par ses réflexions contextuelles. Or, ce livre contredisant le traitement de cette guerre par la presse occidentale, il est ignoré par la presse qui s’était faite intoxiquer à l’époque.
La première partie de cet entretien a été publiée le 13 janvier 2019, sous le titre « Conspirationnisme et analyse ».
Question . Éditions Demi-Lune : Il était intéressant à différents égards de rééditer votre livre sur la guerre israélo-libanaise de 2006, L’Effroyable Imposture 2. Tout d’abord, parce que vous y développiez un point esquissé dans le premier livre, le sujet fascinant et trop peu connu de la théopolitique, à savoir le rôle et l’importance de la religion (en l’occurrence évangéliste) dans la politique des USA au Moyen-Orient.
Thierry Meyssan : S’il est tout à fait honorable de trouver dans sa foi la force de son action politique, il est toujours destructeur de maquiller ses ambitions politiques derrière un discours religieux. Ce qui est vrai en Iran, l’est aussi aux États-Unis.
Pendant la Guerre froide, le Pentagone a diffusé à tous les GI’s des livrets assurant que l’Otan défendait le judéo-christianisme face au communisme athée. C’est l’argument du Gott-mit-uns (« Dieu est avec nous »). Nous continuons d’ailleurs à parler de judéo-christianisme ce qui n’a aucun sens puisque le christianisme s’est affirmé contre le judaïsme.
La théopolitique au demeurant est le nom d’un courant politique puissant qui tient des congrès à visage découvert en Israël. Il réunit des leaders politiques, évangélistes chrétiens et leurs équivalents juifs, selon qui le règne de la paix universelle ne surviendra que lorsqu’un gouvernement mondial sera instauré à Jérusalem. C’est par exemple le discours que tient en France Jacques Attali.
Question : L’Effroyable Imposture 2 traite également de manière originale de la création d’Israël… Vous aimez dynamiter les mythes !
Thierry Meyssan : Il existe une tradition antisémite en Europe. Ceux qui la propagent confondent les juifs et l’État hébreu. J’ai voulu montrer qu’historiquement le projet de l’État d’Israël n’a été soutenu par des juifs que depuis Theodor Herzl, au XIXe siècle, alors qu’il a été promu par les gouvernements britanniques successifs depuis Lord Cromwell, au XVIIe siècle. La « restauration d’Israël » fut même inscrite par le Premier ministre anglais à l’ordre du jour du Congrès de Berlin, en 1878.
Il est impossible de comprendre le rôle actuel d’Israël dans le monde si on persiste à penser que c’est un État imaginé par des juifs. C’est un projet commun du Royaume-Uni et des États-Unis, rendu possible par la « Déclaration Balfour » et les « 14 points du président Wilson ».
Question : Il parle aussi de l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, immédiatement imputé, sans le moindre commencement de début de l’ombre d’une preuve, au président syrien Bachar el-Assad, ce qui fut comme un avant-goût de la diabolisation incessante dont il fera l’objet 6 ans plus tard à l’occasion du « Printemps arabe » syrien. Aux mensonges et affabulations médiatiques, s’ajoutaient d’extraordinaires manœuvres politico-juridiques…
Thierry Meyssan : Il est toujours plus facile de comprendre les événements avec retard qu’à chaud. En 2005, on se proposait déjà de condamner Bachar el-Assad, et le secrétaire général de l’Onu (pas l’Onu elle même) a créé un prétendu « Tribunal spécial » dans ce seul but. Comme les témoignages de sa culpabilité se sont tous révélés faux, il n’est plus d’usage d’évoquer cette affaire. Désormais, on l’accuse de torture ; une accusation qui n’est pas plus sérieuse.
Lorsque j’ai écrit ce livre, en 2006, j’ignorais le fin mot de l’histoire. Par la suite, je l’ai trouvé. Les pièces à conviction attestent sans l’ombre d’un doute que Rafic Hariri n’a pas été tué au moyen d’un explosif classique —une thèse stupide qui est toujours celle du « Tribunal spécial »—. J’ai publié mes recherches dans une grande revue russe, Odnako. Le Jerusalem Post m’a accusé d’être un agent rémunéré par Vladimir Poutine et le « Tribunal spécial » a dépensé en vain des dizaines de millions de dollars pour tenter de prouver que j’avais tort. Les éléments que j’ai réunis montrent que l’arme est de conception allemande. Le Hezbollah a diffusé des vidéos qui attestent d’une implication israélienne. Il n’existe pas pour le moment de preuve que l’opération a été organisée par l’ambassadeur US Jeffrey Feltman, mais la suite des événements ne laisse guère de doutes. Vous avez ajouté mon article sur ce sujet dans la réédition de ce livre.
Question : La diabolisation du Hezbollah, par l’intermédiaire de sa chaine de télévision al-Manar, en préambule à la guerre du Liban en 2006 et pour la préparer, est remarquablement expliquée. Tout comme les mensonges (Fake News) du quotidien Le Monde sur cette guerre, véritables modèles du genre en termes de propagande, ce qui est proprement sidérant quand on pense que ce journal ose se présenter comme le champion de la lutte contre les Fake News alors que depuis des décennies, il n’a cessé d’en colporter…
Thierry Meyssan : Vu la campagne conduite par Le Monde contre mon travail, je n’ai pas pu m’empêcher préventivement de reproduire quelques une des « unes » les plus mensongères du quotidien. Entre autres, lorsqu’il annonce la victoire d’Israël à Bint Jbeil, alors que ce fut sa plus dure défaite au Liban. Du coup, Le Monde s’est abstenu de conspuer ce livre.
Question : La « Fake News du siècle » à laquelle Le Monde a largement contribué, restant sans doute l’accusation selon laquelle l’Iran d’Ahmadinejad voulait rayer Israël de la carte… un bobard tellement rabâché que Michel Onfray se croit obligé de le répéter aujourd’hui encore en toutes occasions. Sur cette affaire, vous expliquiez pourquoi les gouvernements occidentaux, via leur chancellerie en Iran, ne pouvaient pas être dupes ; ceci dit, le président iranien aurait pu clarifier ses propos, et il ne l’a jamais fait, ce qui peut apparaître comme une grave faute politique, voire irresponsable.
Thierry Meyssan : Pas du tout. L’Iran a émis une réponse et a exigé que l’agence de presse qui avait délibérément falsifié les propos du président Ahmadinejad publie un rectificatif. Mais rien n’y a fait puisque c’était une opération de propagande de l’Otan à l’adresse du public occidental. Il ne sert à rien d’avoir raison quand vous n’avez accès à aucun média et que ces médias sont partiaux.
Il n’y a pas de débat possible et encore moins de démocratie lorsque l’on a racheté un à un les principaux médias et qu’ils prennent tous le même parti.
Question : Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’avant 2002 (avant L’Effroyable Imposture & Le Pentagate), vous étiez très respecté pour votre travail au sein du Réseau Voltaire. Tout a changé quand vous vous êtes opposé à la « guerre contre la terreur » et au « choc des civilisations », vous êtes subitement devenu l’ennemi public numéro 1 (et accessoirement, persona non grata aux USA). D’autant plus que, quelques années après le fameux discours de de Villepin à l’Onu, (2003), la France est rapidement rentrée dans le rang en réintégrant l’Otan et en devenant plus impérialiste que l’Empire ! C’est parce que vous avez estimé que votre sécurité n’était plus assurée en France que vous avez jugé préférable de quitter le territoire.
Thierry Meyssan : Malheureusement, la France n’a pas pu tenir sa position dans la durée. Cependant, lors de mes voyages, le président Chirac m’a protégé face aux États-Unis et à Israël bien que nous étions des adversaires politiques.
Tout a changé lorsque Nicolas Sarkozy a été élu président. Il a négocié avec les États-Unis et s’est engagé en contrepartie, entre autres, à me faire éliminer. Je n’ai eu que quelques jours pour quitter ma patrie. Personne autour de moi ne voulait croire que la France pourrait assassiner un de ses propres ressortissants. J’avais du mal à le croire moi-même. Je pensais que c’était un malentendu et que les choses rentreraient rapidement dans l’ordre. J’ai dû déchanter.
Cependant à chaque chose malheur est bon. Comme je ne savais où aller, je suis parti en Syrie où j’ai immédiatement bénéficié de la protection de l’État. J’y ai vécu huit mois et j’ai donc connu ce pays avant la guerre.
Lorsque je suis allé prévenir l’ambassadeur de France au Liban, Denis Pietton, que des employés de son ambassade avaient organisé une souricière pour m’enlever et me remettre aux services US, il a été terrifié.
Pour moi il est stupéfiant qu’aucun responsable administratif ou politique français n’ait dénoncé, au cours des douze dernières années, l’attitude d’un service de l’État contre un de ses ressortissants. La démocratie est morte parce que nous l’avons laissée mourir.
Question : Vous êtes parti de France pour aller vivre successivement en Syrie, au Liban, en Libye puis à nouveau en Syrie, 3 pays qui étaient dans la ligne de mire des États-Unis, dont 2 furent victimes non pas de révolutions populaires spontanées, mais de sanglantes déstabilisations (guerres de 4e génération) en vue de changements de régime favorables à l’Empire. Et vous êtes de facto devenu le témoin privilégié de ces guerres, notamment l’un des Français qui a vécu le plus longtemps en Syrie assiégée…
Thierry Meyssan : Durant cette période, j’ai aussi beaucoup voyagé, notamment au Venezuela et en Iran où j’ai suis resté au total six mois. Je suis fier d’être revenu en Syrie en novembre 2011 et d’y résider depuis.
Question : Certains, ici ou là, vous reprochent de ne pas avoir immédiatement compris ce qui se passait dans la région quand commencèrent les « Printemps arabes » ; d’autres ne vous pardonnent pas d’avoir accusé Kadhafi d’être en lien avec Israël, ce qui l’aurait affaibli internationalement à un moment critique, quand il avait le plus besoin d’aide…
La presse ne pense pas de manière scientifique :
elle ne remet jamais en question ses hypothèses
Thierry Meyssan : Durant les trois premiers mois du printemps arabe je me suis laissé intoxiquer par la propagande qui régnait à l’époque. Certains gardaient leur confiance à un gouvernement particulier, mais ils ne comprenaient pas plus que moi ce qui se passait dans la région. Lorsque j’ai été invité en Libye, j’ai immédiatement constaté que les informations diffusées par les agences de presse internationales étaient complétement mensongères : les télévisions du monde entier parlaient du bombardement d’un quartier de Tripoli où se situait mon hôtel. Mais il ne s’y était rien passé, il n’y avait aucune trace de guerre civile.
Depuis, j’ai cherché à analyser cet écart entre la réalité et le discours. J’ai reconstitué la manière dont les Britanniques ont conçu cette opération sur le modèle de ce qu’ils avaient fait en 1915 avec Lawrence d’Arabie. Là encore, alors que tous les éléments sont désormais disponibles, la presse internationale persiste à présenter les événements comme elle l’avait fait sur le moment, c’est-à-dire comme des révolutions. C’est une chose étonnante : la presse ne pense pas de manière scientifique, elle prend ses hypothèses de l’instant pour la réalité et ne les remet jamais en question.
Concernant les relations de Mouammar Kadhafi avec Israël, mes déclarations ont choqué à la fois les imbéciles et les antisémites. C’est être responsables pour les autorités libyennes que d’entretenir des relations — au besoin secrètes— avec chacun de leurs États voisins. Cela n’a rien à voir avec ce que l’on peut penser de la politique israélienne et de la libyenne. Malheureusement cela fait voler en éclats la rhétorique des uns et des autres.
Question : Nos concitoyens ne peuvent pas savoir, ni même mesurer, l’ampleur de la diffusion internationale de vos analyses et réflexions. Elle est absolument considérable, car réellement planétaire. En basculant le Réseau Voltaire vers des enjeux internationaux (par opposition aux questions sociales et politiques certes importantes mais franco-françaises de ses débuts), vous êtes devenu une source d’informations alternatives particulièrement crédible. Rappelons que le Réseau Voltaire est disponible en 18 langues, ce qui est proprement stupéfiant.
Thierry Meyssan : D’abord restons réalistes : nos articles sont parfois accessibles en 18 langues, mais plus souvent en une dizaine seulement. Ensuite, nous avons toujours cherché à nous adresser aux professionnels (diplomates, militaires, universitaires), tout en restant compréhensibles par le grand public.
Question : Mais le plus remarquable, c’est qu’alors que vous êtes complètement exclu du paysage médiatique français (vous êtes interdit d’antenne, y compris sur de modestes radios associatives censées être de gauche), vous êtes peut-être le journaliste français le plus lu dans le monde. Vertigineux paradoxe !
Thierry Meyssan : C’est effectivement très paradoxal. Toutefois les choses ont évolué : il y a quelques années, j’écrivais dans les plus grands journaux de la planète, Ce n’est plus le cas. Le département d‘État US a démarché les propriétaires et directeurs de ces médias pour qu’ils cessent de m’héberger dans leurs colonnes. Mais dans cette période, j’ai acquis une notoriété auprès des professionnels de ces pays qui ont continué à me suivre sur Internet. Par exemple j’écrivais chaque semaine dans Kosomolskaïa Pravda, le plus diffusé des quotidiens en russe, que ce soit en Russie même ou dans 17 pays russophones, dont Israël. Son propriétaire ayant des intérêts aux États-Unis a fait le choix de ne pas entrer en conflit avec eux. Aujourd’hui mes articles sur le Net sont reproduits dans les revues de presse gouvernementales de la majorité des pays où ils étaient disponibles sur papier.
Question : Et en même temps, vous restez présent tel un spectre dans l’esprit de beaucoup… On s’en rend compte de manière incidente, quand votre nom est mentionné sans qu’il vous soit donné le moindre droit de réponse,, comme par exemple dans l’article de l’illustre directeur-inconnu du magazine Le Point (« Thierry Meyssan a fait des émules. ») à l’occasion de la sortie du livre de Fabrice Arfi sur le financement par Kadhafi de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007 ; incidemment, vous avez été l’un des premiers à révéler cette affaire.
Thierry Meyssan : Je suis toujours étonné quand des chaînes de radio ou de télévision —généralement du service public— consacrent une émission pour me conspuer. Bien sûr, elles ne discutent jamais mes analyses et se contentent de me décrire comme le scribouillard des dictateurs. Cela fait douze ans que j’ai quitté la France et qu’elles me ferment leurs antennes, mais je leur pose visiblement toujours un problème.
Question : Ou encore quand France-Culture entend « clarifier les idées » de ses auditeurs sur les « théories du complot », à coup d’arguments-massues totalement ineptes (du style : tant que George Bush n’avoue pas, face caméra, que le 11-Septembre a été orchestré par sa propre administration, il faut raison garder) !
Thierry Meyssan : Je me réconforte en pensant aux honneurs que j’ai reçus dans d’autres pays. Celui dont je suis le plus fier, c’est l’Ordre des Libérateurs qui m’a été remis par l’université de la Patria Grande (Argentine) pour mon travail au service de l’égalité des peuples.
Nous autres, Européens, n’avons jamais admis que les peuples soient égaux. Durant la Conférence de Versailles, en 1919, nous nous sommes opposés à ce que le texte final précise cette pensée (sauf le radical-républicain Léon Bourgeois). Nous avons refusé que la SDN le fasse et nous en avons profité pour continuer le colonialisme. Aujourd’hui, nous continuons à refuser que les Syriens choisissent leur président. Nous parlons de « transition politique » en Syrie, non pas entre la guerre étrangère et la paix, mais entre la République et le régime que nous voulons mettre en place.
Question : À cause de l’outrance de leurs mensonges, contre-vérités, propagande, partis-pris en faveur des guerres, des élites et de la mondialisation, les médias (mais aussi les politiques) ont graduellement perdu l’essentiel de leur légitimité aux yeux du peuple (lequel est encore très largement victime de cette propagande incessante et multiforme dont il n’est que très partiellement conscient). Il faut en effet beaucoup de mensonges pour faire accepter une guerre à une population qui n’en veut pas… (D’ailleurs, comme Daniele Ganser le souligne dans son livre Les Guerres illégales de l’OTAN, on ne dit jamais « guerre », et on préfère les termes « intervention » ou « opération » dont la connotation est bien plus positive).
Thierry Meyssan : Le travail de Daniele Ganser a porté ses fruits. Il n’est plus possible aujourd’hui dans les milieux universitaires de dénier l’organisation par l’Otan de coups d’État et d’attentats sous faux drapeaux en Europe dans les années 1970 et 80.
La constitution française faisait du Parlement le décideur ultime de la guerre et de la paix. Mais au cours des dernières années, on a considéré que des interventions militaires ne sont pas des guerres et que le Parlement doit simplement en être tenu informé. Ce fut le cas dans les Grands lacs africains, au Kosovo, en Libye, en Syrie et au Sahel. Cela illustre que la France n’est pas une démocratie. La Politique étrangère et de Défense n’est pas du ressort des citoyens, mais du « domaine réservé » du président de la République.
Question : En 2002, on vous a accusé de faire du « révisionnisme en direct » ; pendant un temps, on a appliqué le terme « théoricien du complot » au seul 11-Septembre, puis on l’a élargi à l’assassinat de JFK, et très vite à toutes sortes d’interrogations circulant sur le Net ; à toute forme de contestation du discours politiquement correct ambiant, de l’innocuité des vaccins au « poison motel » que représente le dioxyde de carbone. Un mélange informe jusqu’à la caricature, avec la « théorie de la Terre plate », tentative (pathétique) de bien ancrer dans les esprits que s’écarter de la doxa pouvait rapidement mener à la folie.
Thierry Meyssan : On mesure la panique de nos dirigeants avec ce sondage de la Fondation Jean-Jaurès selon lequel plus d’un Français sur 20 croit que la Terre est plate. Je n’ai jamais rencontré personne qui tienne de tels propos, c’est juste un sondage imaginaire pour nous convaincre que nous sommes des imbéciles.
La première fois que l’on m’a accusé d’être « complotiste », je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. Par la suite, j’ai appris que c’était un mot états-unien utilisé par le FBI pour décrire les opposants politiques : les gens selon qui JFK n’avait pas été tué par un homme seul, mais par plusieurs, c’est-à-dire juridiquement par un complot. Le fait d’utiliser un mot étranger qui n’existait pas dans la langue française indique bien d’où vient cette campagne.
Question : On peut reprocher au Réseau Voltaire de ne pas s’être suffisamment intéressé à tout ce qui a trait à la lutte contre les « Fake News » et « théories du complot ». Car avant le projet de loi sur les « Fake News » annoncé par Macron en janvier 2018, (et qui a été récemment refusé par le Sénat pour la seconde fois), l’Éducation nationale s’était mobilisée sous la présidence Hollande pour établir un plan d’action contre les « théories du complot » aussi bien dans les programmes scolaires que sur le Net, avec le site « On te manipule ». Alors bien sûr, il ne s’agit pas de nier que circulent sur l’Internet des théories et infos parfaitement absurdes et délirantes, voire odieuses… mais de rejeter l’amalgame qui est fait entre ces idées délirantes et de légitimes questionnements. Par ailleurs, il semble évident que ces initiatives tendent à minorer ou à détruire la crédibilité croissante des sites d’informations alternatives et/ou étrangères ; en ce sens, on pourrait tout aussi bien les appeler lois anti Russia Today, ou anti Réseau Voltaire, bien que ces 2 médias très différents ne soient évidemment pas les seuls concernés…
Thierry Meyssan : Il y a évidemment beaucoup de théories idiotes qui circulent sur le Net, mais il en circule tout autant dans la presse subventionnée. Les exemples que j’ai relevés en 2006 dans Le Monde et publiés dans L’Effroyable imposture 2 en sont la preuve.
Contrairement à ce que vous dites, le Réseau Voltaire a beaucoup travaillé sur la rhétorique des Fake News, mais avant qu’elle n’envahisse l’Europe. Nous ne nous intéressons pas à commenter l’actualité au fur et à mesure, mais à examiner ce qui n’est pas encore considéré comme de l’actualité et à prévoir ce que cela va donner. Nous traitons des sujets souvent un ou deux ans avant qu’ils n’entrent dans le débat public. Vous trouverez par exemple sur notre site une analyse de 2016 du plan à venir de l’Otan en matière de falsification de l’information. Au demeurant, nous nous serions saisis de ce thème si le Conseil constitutionnel n’était pas intervenu. Il n’a pas censuré la loi, mais l’a rendue largement inapplicable.
Question : D’une certaine manière, n’est-ce pas la loi Gayssot de 1990 sur le révisionnisme qui a ouvert la boite de Pandore, c’est-à-dire l’instauration de vérités historiques officielles ?
Thierry Meyssan : Franchement, je ne crois pas. Nous avions déjà des vérités officielles sanctionnées par les tribunaux. Nous devons relire Casamayor, qui fut magistrat au procès de Nuremberg et qui, en tant que juriste, critiqua vertement ce tribunal des puissances victorieuse. L’acte final de Nuremberg, auquel la loi Gayssot fait référence, comprend quelques passages étranges que les vainqueurs souhaitaient y faire figurer bien qu’ils n’aient pas été traités durant les débats. Le rôle de la Justice est de juger équitablement des prévenus, pas de condamner des politiques vaincues.
Le problème ne réside pas dans un texte particulier, mais dans notre incapacité à accepter d’être contredits.
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