La Turquie a une nouvelle fois échappé aux conséquences de ses actes, cette fois au Haut-Karabagh. Elle est probablement aujourd’hui dans la ligne de mire du Pentagone qui souhaite la détruire comme tous les autres États du Moyen-Orient élargi. C’est bien là le problème : elle risque d’être mise à feu et à sang pour poursuivre la « guerre sans fin » et non pas pour vaincre son idéologie raciste. Il ne faut pas se tromper d’adversaire : l’ennemi ce n’est ni le fantasque Erdogan, ni son pays la Turquie et son allié l’Azerbaïdjan, c’est l’idéologie suprémaciste et raciste du loup des steppes.
La Turquie constitue d’ores et déjà un problème mondial, les États-Unis, l’UE et la Russie, refusent tout simplement d’accepter cette réalité.
Nous allons expliquer pourquoi la Turquie constitue un problème mondial.
Le monde a abandonné les idéologies totalitaires, car elles ensanglantaient l’humanité. Le fascisme, le nazisme, le communisme [1] ont été testés et l’histoire les a classés aux objets non réclamés.
La seule idéologie totalitaire qui perdure dans le temps, est le racisme turc qui, au cours du 20ème siècle, a pris diverses formes, telles que le racisme nationaliste (et islamiste) des Jeunes Turcs de Mustafa Kemal et des Loups gris, tandis qu’elle a également acquis de fortes caractéristiques islamistes au 21ème siècle sous le régime de Tayyip Erdogan.
Cette idéologie totalitaire a perpétré le génocide des populations chrétiennes de l’Anatolie, qui a culminé entre 1914 et 1923 [2].
Tout le monde connait ce qui s’est passé alors et surtout les États-Unis, puisque certains de ses hauts diplomates tels que Henry Morgenthau et George Horton ont décrit dans leurs rapports et livres les événements sanglants de cette époque.
Ceux-ci sont également connus de l’Angleterre laquelle, après le traité de Moudros, avait pris le contrôle de la capitale de l’Empire ottoman, Constantinople, et, à la demande des Arméniens, avait forcé le sultan à mettre en place des tribunaux militaires pour juger les instigateurs du génocide. De plus, lorsque les nationalistes en Turquie se sont révoltés après les premières condamnations et pendaisons des instigateurs, l’Angleterre avait transféré les accusés à Malte, où les procès se sont poursuivis. Ce n’est que lorsque la Grande-Bretagne « s’est entendue » avec Mustafa Kemal qu’elle a mis fin aux procès, échangeant les accusés avec quatre officiers britanniques arrêtés par les forces de Kémal dans la ville de Van.
En tout état de cause, les minutes et compte-rendus des procès maltais se trouvent aujourd’hui en Angleterre et celle-ci connait mieux que quiconque ce qui s’est passé réellement alors.
L’Angleterre a joué un rôle clé dans la rédaction du traité de Lausanne, par lequel a été fondée la République turque, et c’est du reste le pays qui avait fait de Mustafa Kémal son favori. Selon ses détracteurs en Turquie, qui le décrivent même comme agent de l’impérialisme britannique, il a violé le serment national [3], cédé Kirkouk et Mossoul aux Britanniques, aboli le califat et désislamisé la Turquie, et en créant un « État laïc ». Par conséquent, l’Empire britannique, qui, à la suite d’un accord avec Mustafa Kémal et Ismet Inonu, avait acquis une grande influence en Turquie, n’a pas pu ou voulu soulever de questions quant aux responsabilités dans le génocide des Grecs, des Arméniens et des Assyriens.
Les États-Unis ne faisaient pas partie des négociateurs de ce traité et ne l’ont donc pas signé et, selon la bibliographie turque, jusqu’en 1927, ont refusé de reconnaître la République turque, précisément à cause des crimes commis par des Jeunes Turcs et des Kémalistes, et que par conséquent cet État était le résultat de crimes contre l’humanité. C’était alors l’époque où prévalaient l’esprit de Wilson et les valeurs universelles humanistes aux États-Unis.
Mais voila, les États-Unis, après la Seconde Guerre mondiale et la fondation de l’Otan ont pris de la Grande-Bretagne le relais de l’influence géopolitique en Turquie, et ils ont soudainement « oublié » ces crimes et fermé les yeux sur les politiques génocidaires et de nettoyages ethniques que la Turquie a continuées à appliquer [4].
Ainsi, plus d’un siècle s’est écoulé avec cette idéologie, une idéologie de tolérance zéro pour tout ce qui n’est pas turc et musulman, une idéologie qui a continué et continue de commettre des nettoyages ethniques et même de vouloir changer les caractéristiques de tout un peuple.
Le système de pouvoir en Turquie est tellement dur et inflexible qu’il ne permet à personne de remettre en question l’idéologie raciste du nationalisme turc, qui, bien qu’elle porte toujours en elle-même l’idéologie du djihad, c’est-à-dire de la guerre sainte au nom de l’islam, sous le régime d’Erdogan, ce racisme turc a commencé à prendre progressivement les caractéristiques d’une idéologie islamo-fasciste.
C’est pourquoi tous les partis en Turquie sans exception, même les partis de gauche, lesquels, s’ils ne défendent pas ouvertement cette idéologie, ne la contestent pas, à la seule exception du Parti Démocratique des Peuples (HDP), situé politiquement à gauche et issu du mouvement politique kurde.
S’il y avait des gens qui considéraient le texte ci-dessus comme des assertions exagérées, ils se rendent compte maintenant, après la reconnaissance par les USA du génocide des Arméniens perpétré par les Ottomanss, que les choses sont exactement telles que je les ai décrites.
Toutes les partis turcs ont condamné les États-Unis pour avoir reconnu le génocide, à l’exception du HDP, qui a appelé le gouvernement et l’État turcs à reconnaître cet acte honteux.
Et comme si cela « allait de soi », tous les partis ont condamné le HDP, y compris le parti du réformiste d’Ali Babacan, qui promettait entre autres une solution à la question kurde, l’un des ses hauts responsables déclarant même aux Kurdes : « vous aussi aurez le même sort, pour en finir ».
Si l’on étudie les déclarations des politiciens turcs sur le sujet, il est impossible de ne pas être littéralement horrifié. Appel d’offres à la sauvagerie et à la barbarie.
Le propre conseiller d’Erdogan en Histoire, l’universitaire Murat Bardaksi, a déclaré par le passé que les archives montrent que 950 000 personnes ont été perdues lors des déportations des Arméniens et qu’il s’agissait d’un génocide.
Aujourd’hui il est conseiller du président turc, et il n’est donc pas possible qu’il ne lui dise pas la vérité.
Donc Erdogan le sait.
Tout comme ils connaissent très bien la vérité concernant la planification du génocide arménien, mis en œuvre par les néo-turcs, les kémalistes, et tous les politiciens et universitaires turcs.
Néanmoins et en tout état de cause, ils défendent passionnément ce qui est un crime contre l’humanité, en n’en rejetant même les responsabilités aux victimes du génocide, affirmant que celles-ci… étaient coupables de leur propre mort.
Toutefois, lorsque vous défendez un crime aussi odieux contre l’humanité d’une manière aussi absolue, cela indique clairement que vous êtes prêt à commettre d’autres crimes qui menacent la « pureté » de la nation turque et de la société musulmane sunnite turque.
Nous parlons donc d’un État impénitent, qui a comme éléments constitutifs de sa fondation, la mort et la destruction, le génocide et le nettoyage ethnique, et il ne peut s’en débarrasser.
Ce qui se passe aujourd’hui, alors que nous écrivons ces quelques lignes, à Afrine, Tell Abyad (Girê Spî) et Ras al-Ayn (Serê Kaniyê) contre les Kurdes, est une copie conforme de la politique qui a été appliquée aux autres génocides et nettoyages ethniques.
Ce qui se passe aujourd’hui dans le procès de Kobané (Aïn al-Arab), à Ankara, à nouveau contre les Kurdes, qui ont renversé Daech et les djihadistes terroristes massacreurs, soutenus par Erdogan et son État barbare, est une répétition des pratiques du passé de tueur brutal et sanguin qu’est l’État turc.
Et les menaces lancées par les Turcs sur cette question, même contre les États-Unis, montrent que la Turquie, tant qu’elle reste imprégnée de cette idéologie raciste, constitue un problème mondial.
Un pays qui non seulement ne renonce pas à son passé sanguinaire, mais continue obstinément de le faire, avec l’ensemble de tout son système politique soutenant ces pratiques,
Un pays qui attaque les États-Unis, première puissance de la planète,
Un pays qui, au lieu de baisser la tête et de s’agenouiller en souvenir des millions de morts qu’il a causés, remet même en question l’existence de l’État de la République d’Arménie, affirmant qu’il a été fondé sur des terres ottomanes volées.
Un pays qui a envahi militairement Chypre, l’Iraq, la Syrie, la Libye, le Haut-Karabakh,
Un pays qui menace directement la Grèce, avec la « Patrie bleue » et la plus grande flotte de bateaux de débarquement au monde, qui visent clairement à occuper les îles grecques, l’Otan jouant à l’âne ignorant et déclarant qu’il n’y a là aucun problème.
Et oui alors, ce pays constitue une menace mondiale, puisqu’en raison de sa taille et de la possibilité d’entraîner d’autres pays musulmans dans cette folie politique, il menace des dizaines de pays et de peuples, et menace donc l’humanité elle-même.
J’espère qu’après les réactions sauvage de l’ensemble du système politique, des universitaires et de la société turque elle-même à la reconnaissance par le président Biden du génocide commis contre les Arméniens par les Ottomans [5], les plus sceptiques de la communauté internationale et en Grèce auront été convaincus.
Bien que j’ai des doutes en ce qui concerne M. Irakleidis, Mesdames Repousi [6] et Gianakkakis [7], et M. Filis.
P.S. Je ne pense pas que Maria Giannakaki ait envoyé un télégramme de condoléances pour la reconnaissance du génocide à l’ambassadeur de Turquie à Athènes. Et je dis cela parce que dans le passé, elle fut la pionnière avec ce qu’il y a de plus raciste, pro-kémalien et inhumain en Grèce, afin de pas inclure le génocide des Grecs de l’Anatolie dans le projet de loi antiraciste qui criminalisait la négation du génocide.
[1] Remarque de l’auteur : la référence aux idéologies totalitaires ne signifie pas leur égalisation. Certaines prônaient le fascisme et le nazisme, d’autres le communisme. Mais tous les trois sont caractérisées comme des idéologies totalitaires.
[2] Killing Orders : Talat Pasha’s Telegrams and the Armenian Genocide, Taner Akçam, Palgrave Macmillan, 2018 ; Ordres de tuer : Arménie 1915, Taner Akçam, CNRS éditions, 2020.
[3] « Serment national turc », Réseau Voltaire, 28 janvier 1920.
[4] « La Turquie d’aujourd’hui poursuit le génocide arménien », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 26 avril 2015.
[5] « Joe Biden rend hommage aux victimes du génocide arménien », par Joseph R. Biden Jr., Réseau Voltaire, 24 avril 2021.
[6] Maria Repousi rédigea dans les années 2000 un manuel scolaire sur l’histoire de la Grèce, sous l’autorité de Maria Giannakaki. Il provoqua la plus intense polémique du pays durant deux ans, avant d’être retiré des écoles. Il minimisait les crimes commis contre des Grecs par des nations désormais alliées de la Grèce. NdlR.
[7] Maria Giannakaki est une historienne de gauche, qui fut députée de la Gauche démocratique, puis candidate de SYRIZA. NdlR.
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