Sujet : IVG
Audition de : Martine Aubry, Ségolène Royal, Dominique Gillot
En qualité de : ministre de l’emploi et de la solidarité, ministre déléguée à la famille et à l’enfance, et secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés.
Par : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)
Le : 3 octobre 2000
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je vous remercie, Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, d’accueillir, dans votre salle de réunion, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous sommes aujourd’hui réunis avec nos collègues de cette commission pour recevoir Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, ainsi que Mmes Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l’enfance, et Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés.
La Délégation aux droits des femmes a déjà eu l’occasion d’entendre, au mois de mars dernier, Mme Dominique Gillot, venue nous parler des problèmes de gynécologie médicale et d’IVG ainsi qu’au mois de juillet, Mme Ségolène Royal, venue nous présenter les résultats de la conférence de la famille et les problèmes liés à la contraception d’urgence.
Notre Délégation a également organisé, au mois de mai dernier, un colloque sur le thème de l’IVG et de la contraception, dont les travaux étaient axés sur les problèmes d’accueil dans les structures publiques et d’allongement des délais ainsi que sur les problèmes rencontrés par les femmes étrangères - problèmes qui ont été réglés
entre-temps - et sur le transfert d’articles relatifs à l’IVG du code pénal au code de la santé publique. Les débats de ce colloque ont également porté sur les problèmes de contraception et d’IVG des mineures avec la difficulté, majeure, que constitue, pour elles, la nécessité d’obtenir une autorisation parentale.
Comme vous le voyez, les thèmes de l’IVG et de la contraception des femmes sont au coeur des préoccupations de la Délégation aux droits des femmes et seront d’ailleurs le thème de notre premier rapport annuel, puisque, comme vous ne l’ignorez pas, notre Délégation aura bientôt une année d’existence. Nous sommes, aujourd’hui, particulièrement heureux et heureuses de vous accueillir pour que vous nous exposiez, en avant-première, le projet de loi sur l’IVG et la contraception.
Tout le monde a pris conscience que la société a évolué et que s’impose une révision des lois Neuwirth et Veil. Vous-même, Mme la Ministre, dès 1998, avez commandé différents rapports sur l’IVG, notamment aux professeurs Israël Nisand et Michèle Uzan. Vous avez également envoyé, au mois de novembre 1999, une circulaire aux directeurs d’hôpitaux relative la prise en charge des IVG dans les structures publiques. Demain, vous présenterez en Conseil des ministres un projet de loi dont nous souhaitons l’inscription rapide à l’ordre du jour de l’Assemblée et une adoption définitive avant le printemps prochain.
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Je vous remercie, Mme la présidente, de votre accueil et de nous avoir invité Dominique Gillot, Ségolène Royal et moi-même devant cette Délégation aux droits des femmes pour parler de la loi sur l’IVG, que je vais replacer dans le cadre général de l’action que nous menons sur les droits spécifiques des femmes - les droits à la contraception et à l’IVG.
Je souhaite excuser l’absence de Mme Nicole Péry, qui se bat sur un autre terrain, puisqu’elle est actuellement au Sénat pour discuter de la proposition de loi relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mais les propos que je vais tenir aujourd’hui sont bien ceux de ces quatre femmes, qui ont d’ailleurs fait des propositions communes au Premier Ministre, il y a maintenant plusieurs mois, pour faire avancer la contraception et l’accès à IVG dans notre pays.
Je voudrais, en notre nom, vous dire combien nous sommes heureuses de constater que la parité règne au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est un premier pas, qui ne nous étonne pas, quand on connaît son président, M. Jean Le Garrec, dont on sait le combat qu’il a mené pour le droit des femmes. Les hommes sont tellement rares à le faire que son action est à saluer et il est vrai que cette commission met la parité à l’ordre du jour.
Nous savons que les droits des femmes ne sont jamais acquis et qu’il faut toujours se battre pour les maintenir. Ce ne sont pas les débats actuels qui nous démontreront le contraire. Ils sont l’occasion pour moi de saluer ceux et celles qui ont fait avancer ces droits, bien évidemment l’ensemble des femmes qui, à partir du Planning familial, des associations féministes et des associations pour le droit des femmes, ont permis à M. Neuwirth de déposer et faire voter la loi sur la contraception et ont donné à Mme Veil le courage de faire adopter la loi sur l’IVG, grâce, il faut bien le dire, au vote de la gauche. Il ne faut pas l’oublier aujourd’hui, car ce sont le combat de ces femmes et le courage des hommes et des femmes politiques qui, en votant ces textes, ont permis que les droits des femmes entrent dans la réalité.
A notre arrivée en 1997, nous avons pu faire, avec un certain nombre d’entre vous d’ailleurs, un constat assez clair : il n’y avait pas eu de campagne générale sur la contraception depuis 1982, et si l’IVG ne s’était pas banalisée dans notre pays, comme le craignaient les adversaires de cette loi au moment de son vote en 1975, on comptait néanmoins, en France, plus de 200 000 IVG par an - chiffre très important par rapport aux 700 000 naissances enregistrées -, 10 000 grossesses non désirées chez les mineures dont 7 000 aboutissant à une IVG, et 5 à 6 000 femmes partant de France chaque année parce qu’elles ont décidé d’avoir recours à l’IVG et ne peuvent le faire dans les délais légaux fixés dans notre pays.
Nous avons effectivement demandé aux professeurs Michèle Uzan et Israël Nisand de travailler sur les sujets de la contraception et de l’accès à l’IVG. Puis, j’ai demandé un rapport complémentaire, sur la pilule de troisième génération, au Professeur Spira, car il nous semblait nécessaire de traiter l’ensemble du problème, de la contraception à l’IVG.
Nous avons, en juillet dernier, avec Mme Nicole Péry, annoncé un plan d’action destiné à faire progresser l’accès à l’IVG et la contraception dans notre pays. Nous n’avons conçu ce plan qu’après avoir lu les rapports, écouté nombre de spécialistes de ces questions, et avoir réuni pendant un an - de septembre 1998 à juillet 1999 - un comité de pilotage dans lequel étaient représentées les associations du Planning familial, des associations féministes, des associations familiales mais aussi des chercheurs et des professeurs, dont ceux que vous avez cités tout à l’heure.
Avec eux, nous avons bâti un plan, annoncé en juillet 1999, qui s’articulait autour de trois idées clés. Il s’agissait, tout d’abord, de définir des politiques fortes d’accès en matière de contraception car, pour nous, l’IVG est bien un ultime recours et nous espérons faire en sorte qu’elle soit, chaque fois que possible, évitée, d’où l’importance que nous attachons à la contraception. Ensuite, tirant les conséquences des conclusions du "rapport Nisand", il convenait de rendre plus effectifs les droits existants en matière d’IVG, notamment l’accès à l’IVG dans les structures publiques. Enfin, ce plan invitait à travailler sur une éventuelle révision de la loi Veil, à laquelle nous nous sommes effectivement attelées cette année.
Sur ces trois sujets, le Gouvernement a tenu parole et je vais maintenant évoquer devant vous les principaux points des deux premiers axes d’action, avant de parler de la révision de la loi Veil. Je crois en effet utile de la replacer dans un cadre plus général, car c’est bien ainsi que nous concevons le problème de l’IVG.
Premier axe : mener une action forte en faveur de la contraception.
Pour ce faire, vous le savez, nous avons mis en _uvre une vaste campagne d’information dotée d’un budget de 20 millions de francs, ciblée sur les populations les plus vulnérables et doublée d’une campagne dans les médias tournant autour de l’idée "La contraception : à vous de choisir la vôtre !", puisqu’aujourd’hui, le problème n’est pas le droit à la contraception mais bien le choix que chaque femme pourra faire de sa contraception ; cette campagne comportait une déclinaison particulière pour les DOM où le nombre d’IVG est particulièrement élevé ; elle était relayée par plusieurs milliers d’initiatives locales dont l’objectif était une information de proximité sur la contraception, à partir d’un guide de poche.
La Délégation aux droits des femmes vient de dresser le bilan de l’ensemble de ces actions et vous verrez que les associations du Planning familial, les délégations départementales aux droits des femmes ou encore certains préfets, pour prendre des vecteurs différents, mais aussi diverses autres associations ont conduit des opérations très variées, allant d’actions dans les écoles à des pièces de théâtre, en passant par un travail auprès des détenus ou des gens du voyage, pour développer et faire connaître la contraception.
Nous savions par ailleurs qu’il nous fallait atteindre une cible particulière, qui était celle des jeunes filles. En effet, la nécessaire diligence que les divers gouvernements ont eue pour faire connaître la nécessité du préservatif a entraîné, chez certaines d’entre elles, un oubli de la contraception, et, lorsque, après une relation relativement engagée avec un jeune homme, elles ont décidé de vivre avec lui, elles ont arrêté le préservatif, oubliant toute contraception.
C’est ainsi que nous avons vu ces dernières années des IVG touchant des jeunes filles de milieux non difficiles, parfaitement informées sur le préservatif, par exemple, mais n’ayant plus la connaissance de la nécessité d’une contraception qu’avait pu avoir notre génération ; peut-être n’avons-nous pas rempli suffisamment notre travail d’information.
Trois éléments sont à noter en ce qui concerne le bilan de cette campagne.
Premièrement, un post-test réalisé par l’institut BVA fait ressortir que 40 % des Français déclarent avoir lu, vu ou entendu la campagne. Ce taux de mémorisation est très élevé pour les jeunes : 75 % pour les jeunes, 60 % pour les 15 à 25 ans et dans les DOM ; 91 % des personnes interrogées l’ont trouvée compréhensible et informative. En ce qui concerne la campagne grand média, le petit guide de poche que nous avons réalisé avec les associations, notamment avec le Planning familial, a servi de support à la mobilisation des acteurs de terrain. La campagne média a permis, me semble-t-il, de replacer la contraception au centre du débat public.
Nous avions demandé, parallèlement au post-test de l’institut BVA, à une équipe de l’INSERM de travailler sur "l’avant et l’après" de cette campagne de contraception. Le rapport nous sera remis dans quelques jours, mais on peut déjà en donner les principales conclusions. Selon l’INSERM, une telle campagne ne peut pas être une simple campagne audiovisuelle, ce que nous savions, puisque nous avions mis en place d’autres actions de proximité. Le Docteur Nathalie Bajos, qui nous a présenté cette étude, nous a dit également qu’il faudrait essayer d’obtenir un changement de comportement des professionnels de santé - médecins généralistes, gynécologues, pharmaciens, infirmières scolaires - et faire en sorte que ces professionnels, qui sont chargés de prescrire, de distribuer ou d’administrer cette contraception, soient capables d’engager le plus tôt possible un dialogue avec les jeunes filles concernées.
Je peux vous dire, d’ores et déjà, que le Gouvernement a décidé que cette campagne de contraception devrait être réitérée, année après année, et que les spots les mieux reçus seront repris dans une nouvelle campagne avant l’été 2001. De même, nous rééditons le guide de poche et organisons actuellement d’autres actions locales.
Il nous faut donc maintenant établir le principe de campagnes régulières sur la contraception, car les nouvelles générations de jeunes filles ont besoin d’être informées.
Nos efforts pour développer une politique active en matière de contraception ne se sont pas résumés à cette campagne sur la contraception.
Tout d’abord, dès notre arrivée, nous avons incité à la mise sur le marché des premières pilules du lendemain : le Tétragynon, d’une part, et le Norlévo, d’autre part. Je ne m’étends pas sur la détermination qui a été la nôtre avec Bernard Kouchner pour faire en sorte, dans un premier temps, que cette pilule du lendemain puisse être mise en vente en pharmacie sans prescription médicale - la proposition de loi sur la contraception d’urgence permettra d’en assurer définitivement les bases - ni sur la détermination qui a été celle de Ségolène Royal, pour faire en sorte que des jeunes filles en situation d’urgence et de détresse puissent se la voir délivrée par les infirmières scolaires, sachant que dans notre esprit l’effet en est d’engager un dialogue avec la jeune fille et de la diriger vers un gynécologue ou un centre de Planning familial. Il ne s’agit, en aucun cas, de faire de la pilule du lendemain un moyen de contraception ordinaire. Ce serait une erreur totale. Il s’agit bien de gérer un problème de détresse pour, par la suite, entrer dans une contraception classique.
Récemment encore - pour illustrer le fait que, sur ces problèmes, rien n’est jamais acquis - le laboratoire qui commercialise le Norlévo a décidé, après l’annulation par le Conseil d’Etat de la circulaire de Mme Ségolène Royal, d’en augmenter le prix. J’ai réagi aussitôt pour que le prix soit ramené au prix antérieur. On se rend bien compte que, dans ce domaine aussi, tout est toujours permis.
De même, toujours à propos des moyens contraceptifs, nous avons fait en sorte que le recours au stérilet ne soit plus pénalisé pour des raisons financières, en fixant le prix de vente au public, qui était auparavant libre et de l’ordre de 300 francs, à 142 francs, remboursé à 65 % par la sécurité sociale. En conséquence, aujourd’hui, le coût d’un stérilet est de l’ordre de 50 francs pour une femme, alors qu’il était de 250 francs auparavant.
Enfin, j’ai continué à _uvrer à la mise prochaine sur le marché d’un générique de la pilule de troisième génération alors même que, avec l’arrivée des brevets sur le marché, les laboratoires sont beaucoup plus ouverts qu’ils ne l’étaient, les années précédentes, pour accepter d’en réduire le prix.
Je précise d’ailleurs qu’une étude nous pose problème en ce qui concerne les effets secondaires de la pilule de troisième génération ; aussi, avant de poursuivre les discussions, nous avons demandé une étude complémentaire sur ce point. Je vous rappelle que le "rapport Spira", que j’avais demandé à mon arrivée au ministère, confirmait que, s’il n’y avait pas d’apport supplémentaire en terme de contraception, il n’y avait pas non plus d’effets indésirables moins importants pour la pilule de troisième génération que pour celle de la deuxième génération. Cela ne justifiait en aucun cas que son prix puisse atteindre 130 francs alors qu’il est d’une quinzaine de francs pour une pilule de deuxième génération. Mais une étude récente laisse à penser que la pilule de troisième génération provoquerait certains effets indésirables. J’ai donc demandé que soit approfondie cette question avant de poursuivre les discussions sur son remboursement, à un tarif naturellement inférieur à celui d’aujourd’hui.
Voilà pour la contraception ; nous devons donc continuer à lancer régulièrement des campagnes d’information et nous disposons maintenant d’un certain nombre d’outils à la disposition des femmes à des prix corrects.
Deuxième axe : améliorer l’accès à l’IVG, notamment à l’hôpital public.
Le "rapport Nisand" nous montrait que l’hôpital public ne remplissait pas totalement son rôle.
L’accès à l’IVG des femmes au sein de l’hôpital pose problème, tout d’abord, parce qu’il mêle souvent des femmes enceintes qui viennent pour les visites prénatales à des femmes venues se faire pratiquer une IVG.
Ensuite, certains hôpitaux ne laissent pas la possibilité de choix entre le RU 486, c’est-à-dire l’interruption médicamenteuse, et l’interruption médicale. Dès notre arrivée au Gouvernement, nous avons dû rechercher un laboratoire qui produise le RU 486, puisque le détenteur du brevet, le Docteur Sakiz, avait rompu avec le laboratoire qui le produisait et qu’à notre arrivée, le RU 486 n’était plus produit. Nous avons trouvé les moyens d’assurer sa production et, actuellement, il est exporté partout, même aux Etats-Unis. Nous faisons d’ailleurs des études pour savoir si son utilisation ne pourrait pas se faire au-delà du nombre de jours actuels. J’y reviendrais ultérieurement.
Les points importants sont donc : l’accès à l’IVG ; le choix du type d’interruption de grossesse par la femme à chaque fois que c’est possible médicalement ; une interruption volontaire de grossesse dans les meilleures conditions possibles de sécurité et de soutien psychologique, lorsque cela est nécessaire ; et la nécessité d’un accompagnement à la sortie, car il est important que la femme ne sorte pas sans avoir eu une discussion sur sa contraception pour éviter une nouvelle IVG. Ce sont ces conditions d’accueil à l’hôpital que nous avons traitées, en ajoutant des moyens en personnel médical, en donnant le choix entre les diverses techniques, en élargissant les commissions régionales de naissance pour que chaque femme puisse, à partir d’un bureau ouvert dans chaque département, connaître les lieux d’accès à l’IVG à tout moment.
De même, il y a maintenant une planification d’ouverture des centres pendant l’été, pour éviter les problèmes que nous avions constatés précédemment. Deux études réalisées pendant l’été 1999 et l’été 2000 montrent que, si tout n’est pas encore parfait, notamment en Ile-de-France, où il reste des problèmes lourds, cette planification a déjà été entreprise.
Par ailleurs, nous avons souhaité que le bon fonctionnement de l’activité d’IVG soit pris en compte dans les contrats d’objectif signés entre les agences régionales hospitalières et les hôpitaux, pour que celle-ci soit prise en compte comme une réelle action de santé publique et non, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, comme une action marginale.
Un an après, le bilan est le suivant : renforcement des moyens en personnels et en argent ; mise en place d’une permanence téléphonique dans tous les départements, sauf un aujourd’hui - nous avons attribué 60 000 francs à chaque région pour sa mise en place ; planification durant l’été. Le problème demeure Paris intra muros ; paradoxalement, l’accès à l’IVG est plus facile dans des petites structures de petites villes que dans de grands hôpitaux des grandes villes, peut-être parce que certains professeurs considèrent que cette action n’est pas importante ou "intéressante" médicalement. Nous avons essayé de leur expliquer que l’important était de traiter les problèmes des femmes venues les voir et non pas de valoriser leurs propres actions.
Les autres mesures du plan IVG seront progressivement mises en place. Vingt régions ont intégré les thèmes de la contraception et de l’IVG dans les missions de la commission régionale de naissance. Nous avons travaillé à faciliter le recours à l’IVG médicamenteuse. Nous avions saisi l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé pour savoir si, comme à l’étranger, il était possible d’utiliser le RU 486 jusqu’au 63ème jour d’aménorrhée contre le 49ème jour aujourd’hui. L’AFSSAPS vient de répondre positivement. Des circulaires de bonne pratique vont être élaborées par l’ANAES dans les jours qui viennent.
Voilà une présentation rapide du problème, mais il faudrait dire beaucoup encore, notamment notre souhait de faire en sorte que tout centre qui pratique les IVG soit, à terme, un centre qui puisse avoir accès à un bloc opératoire, comme cela est déjà le cas pour les IVG médicales, ainsi que sur la nécessité d’un soutien psychologique et de conseil en matière de contraception après une IVG.
En ce qui concerne la révision de la loi Veil, troisième axe de notre plan d’action,
Nous nous étions donné un an pour y travailler, un an pour remettre les choses dans le bon ordre, c’est-à-dire parler d’abord de contraception et ensuite d’IVG ; un an pour travailler avec les experts et les médecins sur les diverses possibilités de modification de cette loi.
En premier lieu, en ce qui concerne l’allongement du délai de dix à douze semaines, je rappelle que, dans quasiment tous les pays étrangers, notamment ceux qui ont récemment voté une loi sur l’avortement - comme l’Espagne et l’Italie - en se fondant sur les études médicales les plus récentes, c’est le délai de douze semaines qui a été retenu. Certains pays, comme la Grande-Bretagne, ont un délai de vingt-quatre semaines, hors interruptions médicales. C’est dire que la France avec ses dix semaines - qui s’expliquent en partie par le fait qu’elle avait voté une loi plus tôt que les autres - était en retard, si je puis dire, par rapport aux pays étrangers.
Mais, nous nous devions - cela a été notre volonté à Nicole Péry, Dominique Gillot et moi-même - de vérifier qu’il n’y avait pas de problème de santé publique à passer de dix à douze semaines. Nous nous devions de poser la question de savoir s’il y avait nécessité de mettre en place des éléments particuliers en termes d’accompagnement médical et psychologique pour ce passage de dix à douze semaines. Après avoir réuni pendant un an un groupe de travail, la réponse de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de santé (ANAES) a été de nous dire qu’avec les nouvelles techniques d’IVG, notamment ces médicaments qui permettent de dilater le col, la veille de l’intervention, il n’y avait pas de problème de santé publique particulier au passage de dix à douze semaines et qu’en conséquence, rien ne justifiait de prendre des mesures particulières sur le terrain médical.
Je ne reviens pas sur le problème éthique qui a été traité lors du vote de la loi de 1975. D’ailleurs, le Comité national consultatif d’éthique n’a pas souhaité être saisi à nouveau de cette question, considérant qu’elle était derrière nous et que le passage de dix à douze semaines était un problème de santé publique. C’est donc bien sur ce problème que nous avons travaillé pendant un an avec l’ANAES ; après les multiples consultations que nous avons menées, nous avons présenté ces propositions.
Le Professeur Israël Nisand, qui continue à préconiser le passage de dix à douze semaines, a néanmoins fait état, avant l’été, du fait qu’aujourd’hui, les nouvelles techniques d’échographie permettaient de déterminer, dès dix semaines, le sexe de l’enfant ainsi que certains handicaps. Il en avait à l’époque, tiré la conclusion - ce qu’il semble dénier aujourd’hui -, que les femmes pourraient pratiquer un certain "eugénisme ou des IVG de confort". Si nous n’avons pas été choquées, bien au contraire, du fait qu’il nous saisisse de ces nouvelles techniques échographiques, car nous devons prendre des décisions en toute connaissance de cause et qu’il était de sa responsabilité de le faire, je dois dire que nous avons toutes - je dis toutes, car ce sont des femmes qui se sont occupées de ce dossier, messieurs, mais je pourrais peut-être dire tous, vous nous le direz dans un moment - été choquées par ces termes. Chacun ici sait bien qu’une femme ne pratique pas une IVG par confort, que c’est toujours douloureux et traumatisant. Je donnerais pour preuve que cette tentation d’eugénisme n’a aucun sens, le fait qu’en Grande-Bretagne, où l’IVG peut être pratiquée jusqu’à vingt-quatre semaines, aucune modification n’est intervenue en ce qui concerne les raisons de demandes d’IVG ou le taux de naissance entre garçon et fille. C’est donc une question théorique, que seul un homme peut d’ailleurs se poser, me semble-t-il, et, évidemment, nous n’avons pas été amenées à retenir un tel sujet.
Si dans quelques mois - comme les tests commencent à avoir lieu aujourd’hui - à partir d’une goutte de sang, on pourra connaître à partir de quatre ou cinq semaines le sexe de l’enfant, remettra-t-on en cause le droit à l’IVG ? Cela n’a aucun sens. Si nous croyons que les femmes doivent avoir le choix - et c’est notre cas - de la procréation ou de la non-procréation, cet acte doit leur appartenir en totalité. Il n’est pas question de les mettre sous une quelconque tutelle médicale, dès lors qu’il n’y a pas de problème de santé publique, ce que nous avons vérifié. Nous n’avons donc pas eu d’hésitation, à partir du moment où les problèmes de santé publique, les problèmes médicaux étaient traités, pour proposer d’allonger ce délai de dix à douze semaines.
Le deuxième sujet qui nous était posé était celui de l’autorité parentale pour les mineures. Sur ce sujet, le débat a été, dès le départ, assez difficile car nous savons bien que nombre de mineures, de milieux qui peuvent être divers, n’ont pas la possibilité aujourd’hui d’obtenir une autorisation de leurs parents et pourraient prendre un risque pour leur santé, aussi bien physique que mentale, d’ailleurs. Certaines, refusant de la demander, ont aujourd’hui à nouveau recours à des pratiques que nous croyions oubliées dans notre pays, quand elles ne sont pas obligées de trouver de l’argent, par des moyens divers et variés, pour pouvoir aller à l’étranger.
En même temps, je le dis clairement comme je l’avais dit dès juillet 1999, ce n’est pas au moment où nous accordons à la responsabilité parentale et à la consolidation des liens familiaux un poids particulier, au moment où nous demandons aux parents de prendre toutes leurs responsabilités de parents qu’il faut annuler cette obligation d’autorisation parentale pour les mineures, alors même, nous le savons, que la jeune fille vivra avec encore plus de difficulté ce moment traumatisant. Cela d’autant plus que, pour elle, c’est souvent un des premiers actes sexuels de sa vie, quand ce n’est pas une violence qui a entraîné la demande d’IVG.
Aussi, après avoir beaucoup discuté avec les médecins qui les pratiquent, les infirmières et les assistantes sociales qui les reçoivent, il ressort très clairement que, dans trois cas sur quatre, la jeune fille dit qu’elle ne peut pas en parler à ses parents, mais que, dans 90 % des cas, après discussion avec l’assistante sociale et le médecin, après l’avoir aidée à trouver les mots, elle peut le faire. Je pense donc qu’il faut que nous gardions ce principe de l’autorisation parentale pour ne pas laisser seules ces enfants, parce que ce sont pour beaucoup des enfants, sans le soutien de leur famille et de leurs parents dans un moment difficile. Encore faut-il les aider à avoir ce dialogue, qui n’est pas facile.
En même temps, la réalité est bien celle que nous connaissons. Il y a des jeunes filles - peu, quelques centaines - qui chaque année rencontrent de véritables difficultés. Aussi, proposons-nous, dans le projet de loi, de maintenir le principe de l’autorisation parentale mais de faire en sorte qu’après un premier entretien, au cours duquel le médecin aura entendu la jeune fille expliquer qu’elle ne peut pas en parler, après avoir essayé de la comprendre, essayé de l’inciter à en parler, cherché à la convaincre, que si cette jeune fille revient au second entretien avec l’incapacité d’en parler, il sera possible au médecin, non pas de passer outre à toute autorisation et accompagnement, mais de passer outre à l’autorisation des parents de la jeune fille, de permettre à celle-ci de venir accompagnée d’un adulte référent, adulte qu’elle devra choisir, soit dans sa famille soit, si elle n’a personne, au sein du Planning familial. Le Planning est tout à fait prêt à assumer cette tâche.
Il nous semble que cette solution permet à la fois de conserver l’importance du rôle de la famille dans des moments douloureux pour les jeunes filles et de traiter d’autres cas tout aussi douloureux et même extrêmement dangereux pour la jeune fille, que nous connaissons aussi aujourd’hui.
Troisièmement, nous proposons la suppression des sanctions pénales liées à la propagande et à la publicité pour l’IVG car, pour ne prendre qu’un seul exemple, le numéro vert que nous avons mis en place et qui permet aujourd’hui dans chaque département d’appeler pour savoir où l’on peut avoir une IVG, à quel moment et où sont les places disponibles, pourrait être considéré comme des informations et de la propagande pour l’IVG. Ces sanctions s’expliquaient bien à une certaine époque, elles n’ont plus de sens aujourd’hui.
Nous avons, par ailleurs, intégré quelques modifications complémentaires dans le texte.
La première consiste à faire en sorte que la prise en charge financière des IVG, réalisées sur des mineures qui souhaitent garder le secret, puisse être assumée intégralement par l’Etat, ticket modérateur compris, de façon à ce qu’aucune facture ne parvienne aux parents.
La deuxième a pour objet d’ouvrir la possibilité qu’une IVG puisse éventuellement demain, si l’évolution des techniques l’autorise, se pratiquer en ambulatoire - on pense bien évidemment à l’IVG médicamenteuse - par des praticiens ayant passé convention avec un établissement de référence. Nous n’allons pas modifier cette loi de 1975 tous les jours, il faut donc anticiper sur les nouvelles techniques.
La troisième modification vise à lever l’ambiguïté qui perdure sur le fait de savoir si un chef de service peut refuser d’organiser des IVG dans son service en invoquant la clause de conscience. Soyons clairs : la clause de conscience restera bien évidemment dans la loi, car chacun doit pouvoir ne pas réaliser, s’il le souhaite, une IVG, mais il nous semble qu’aujourd’hui, un chef de service ne peut pas accepter les fonctions de chef de service, s’il s’oppose à ce que ses collaborateurs pratiquent cette IVG dans son service. Il gardera la clause de conscience pour lui-même mais devra accepter, alors qu’il y a aujourd’hui des pressions très importantes, que l’IVG puisse avoir lieu dans son service.
La quatrième modification a pour objet d’étendre aux Territoires d’Outre-Mer les dispositions du texte. Il nous est, en effet, apparu que ces mesures, parce qu’elles sont relatives au droit des personnes, devraient s’appliquer sans distinction à toutes les populations du territoire national.
En ce qui concerne l’accès à l’IVG des étrangères en situation irrégulière, je vous confirme que le problème a été réglé lors de la recodification du code de la santé publique, en juin dernier.
Enfin, nous travaillons actuellement avec le ministère de la justice pour proposer un amendement qui permettrait de "muscler" un peu la loi Neiertz, pour éviter que n’aient lieu des perturbations à l’accès à l’IVG ainsi qu’aux conditions de travail des personnels et d’accueil des patients. Je pense bien sûr aux actions de certaines associations, qui sont sanctionnées pénalement, mais dont certaines pratiques ne le sont pas.
Nous avons donc tenu l’ensemble de nos engagements et respecté les délais que nous nous étions fixés avec l’idée de faire progresser les droits spécifiques des femmes mais aussi avec l’idée que la santé publique devait être notre mode d’approche de cette question. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes entourées du maximum d’avis médicaux afin de nous assurer que ce débat n’ouvrirait pas à nouveau le débat sur le droit à la contraception et l’accès à l’IVG dans notre pays mais, au contraire, le conforterait.
M. Jean Le Garrec, président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes, ma présence à votre côté est tout à fait volontaire et marque un symbole, celui de l’engagement du débat devant cette commission et devant votre Délégation.
Mon propos se limitera à quelques remarques liminaires, étant donné que je suis en plein accord avec ce qui vient d’être exprimé par Mme Martine Aubry.
Je voudrais, d’une part, rendre hommage à M. Lucien Neuwirth et à Mme Simone Veil qui ont mené, en leur temps, des combats extrêmement difficiles, que chacun a en mémoire, notamment celui de Mme Veil et, d’autre part, rappeler que, si j’étais présent dans le combat des droits des femmes, je n’en ai guère de mérite, car je ne fais qu’accompagner le combat de ma femme.
Je raconterai simplement une petite anecdote : avant 1981, avant que je n’entre au gouvernement, pendant très longtemps, quand je tenais des réunions en province, après la sortie du premier livre de ma femme, qui portait le très beau titre des Messagères, on me demandait si j’étais le mari d’Evelyne Le Garrec. C’est le plus bel hommage que je puisse vous rendre, Mesdames.
Pour revenir au débat de ce jour, vous avez raison de lier en permanence contraception, IVG et information. Il faut que ce discours soit nettement perçu, car on a tendance dans le débat à séparer les deux, ce qui est une erreur fondamentale.
Vous avez souligné un aspect très important, celui des décalages de situations qui peuvent exister entre des structures différentes. Vous avez notamment fait remarquer que l’on trouvait probablement une meilleure approche des problèmes dans les petites structures, et une approche plus difficile dans les grandes. Nous devons y prendre garde, car cela peut créer des inégalités extrêmement lourdes. Votre souci de lier en permanence bloc médical, soutien psychologique et contraception me semble fondamental.
J’insiste, pour ma part, sur le soutien psychologique car je suis de ceux qui ont été choqués - tout en respectant le professeur Israël Nisand - par l’utilisation de termes que nous ne pouvons accepter, ceux d’eugénisme et d’IVG de confort. Car ce n’est pas vrai. Pour toute femme, le recours à l’IVG est un traumatisme qui implique d’ailleurs un soutien psychologique. En la matière, Mme la ministre, cette dimension de votre réflexion est essentielle.
Il faut poser le problème en des termes différents qu’il y a vingt ans. Vous avez raison de le poser en termes de santé publique. Nous vous soutenons en la matière. L’approche psychologique, qui est la marque d’un profond respect, et le fait d’assumer une responsabilité, qui est celles des femmes, doit être très nettement marquée dans nos positions et les discours que nous tiendrons. Croyez bien, mesdames les ministres, que nous seront à vos côtés dans ce combat et auprès de la Délégation aux droits des femmes.
M. Michel Herbillon : Je poserai deux questions. Je sais que vous avez mis en place toute une série de barrières pour empêcher et prévenir les dérives et les dérapages qui peuvent exister dans ces domaines, mais comment pensez-vous éviter que la pilule du lendemain, qui ne devrait être qu’un moyen d’extrême urgence dans des cas de détresse, ne devienne un moyen de contraception plus ordinaire ?
Vous avez indiqué que l’autorisation parentale restait nécessaire pour les mineures, sauf cas d’impossibilité majeure. Là aussi, ne craignez-vous pas que le recours à l’adulte référent ou au service du Planning familial ne devienne avec le temps une règle plus courante ? N’aurait-on pas pu imaginer des solutions pour, quoi qu’il arrive, essayer d’initier le dialogue, même s’il est difficile, surtout s’il est difficile, entre la jeune fille mineure et ses parents ?
Mme Marie-Thérèse Boisseau : Tout d’abord, je suis pour ma part incapable de parler de droit à l’avortement. Nous n’avons pas droit à l’avortement...
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Je n’en ai pas parlé. J’ai parlé d’accès à l’IVG.
Mme Marie-Thérèse Boisseau : ... mais je pense que la société a le devoir de venir en aide aux plus démunis. Nous avons aujourd’hui environ 220 000 avortements en France par an et 5 à 6 000 femmes qui vont à l’étranger. Je les ai rencontrées et je considère qu’elles sont parmi les femmes les plus démunies et que la société française a le devoir de régler les problèmes de ces femmes de ne pas les envoyer chez nos voisins. Passer de dix à douze semaines de grossesse ne résoudra pas les problèmes. On pourra discuter pour savoir si ce sont 40, 50 ou 80 % de femmes qui seront touchées par cette mesure. D’après les nombreux témoignages que j’ai eus, j’affirme qu’elles sont au maximum 40 %. Je vous pose donc la question très concrètement : que faites-vous pour les 60 % qui restent ?
J’ai tendance, sans doute par déformation professionnelle, à faire confiance aux techniciens et aux praticiens et à beaucoup écouter et regarder avant de conclure. J’en ai rencontré beaucoup depuis un an et il est vrai que, du témoignage des uns et des autres, il ressort qu’il n’y a que peu d’avortements de confort. Mais il est vrai aussi que j’ai entendu parler, de toutes parts, de risques d’eugénisme. Cela vous arrange de les nier, mais il n’empêche que les spécialistes tirent, à ce sujet, la sonnette d’alarme. Je pense que vous faites un peu trop rapidement l’impasse sur ce grave problème.
M. Denis Jacquat : Le texte présenté reflète une évolution nécessaire, qui demande cependant plus de garanties à mes yeux. Mme la ministre a évoqué le problème de la prévention, qui doit être renforcée, de l’éducation sexuelle à l’école, du rôle des parents et surtout celui des infirmières scolaires, ce qui m’inquiète beaucoup quand je vois leur nombre insuffisant. Je suis donc d’accord avec ce que vous avez dit, mais il faudrait nous donner plus de garanties.
Par ailleurs, les sages-femmes nous ont saisis, car il apparaît que les infirmières auront le droit le donner la pilule du lendemain, alors que les sages-femmes libérales et même territoriales ou hospitalières ne l’ont pas. "C’est notre métier. Pourquoi pas nous", disaient-elles.
M. Yves Bur : Le constat du nombre élevé d’avortements qui sont encore réalisés en France est un constat douloureux. Il nous appartient d’y apporter une réponse, certes de santé publique, mais aussi une réponse humaine. Il est absolument essentiel de rendre les politiques d’information et d’éducation plus efficaces. La nécessité de ces politiques avait déjà été soulignée, au moment du vote de la première loi, et nous ne sommes pas parvenus à des résultats probants. Il faudrait vraiment que des efforts particuliers soient consentis.
Le développement du nombre des infirmières et de leurs fonctions en milieu scolaire, ainsi que tout ce qui a été engagé par le Gouvernement tout récemment va certainement dans le bon sens, mais ces efforts doivent pouvoir durer. C’est là que doit se porter l’effort, car les avortements ne sont que la résultante d’un ensemble d’échecs, dont l’échec en matière d’éducation et d’information.
En ce qui concerne les risques d’eugénisme, il faut respecter ceux qui expriment de telles opinions, notamment le Professeur Israël Nisand. Cependant, si l’on veut dépasser le simple constat d’une divergence forte, ne serait-il pas souhaitable de consulter le Comité d’éthique, non pas sur le problème du délai, mais sur le risque d’eugénisme lui-même, afin qu’il nous éclaire de son avis d’ici le mois de novembre. Nous aurons sans doute l’occasion d’avoir un débat sur ce thème, qui ne sera pas celui de la durée, de ces deux semaines d’allongement, mais bien un problème de fond. Nous aurions là un éclairage qui serait utile pour faire avancer la réflexion de tous.
M. Hervé Morin : Ma collègue Mme Marie-Thérèse Boisseau évoquait le chiffre de 6 000 femmes qui aujourd’hui vont pratiquer une IVG à l’étranger. A-t-on une idée du nombre de femmes réellement concernées par cet allongement du délai de dix à douze semaines ?
Je me demande également pour quelle raison on s’arrête à douze semaines.
Mme Christine Boutin : Il existe dans notre pays deux courants de pensée : l’un, qui est le droit des femmes à disposer de leur corps et l’autre, qui est le respect de la personne humaine dès la conception. Je me situe dans la seconde, ce n’est pas un scoop, mais il faut bien constater que ces deux courants de pensée sont inconciliables.
Mme Yvette Roudy : Tout à fait.
Mme Christine Boutin : Quant au débat que vous proposez - et je vous remercie de déposer ce texte pour qu’il y ait débat -, je tiens à dire solennellement à la Délégation aux droits des femmes et à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales que, pour ma part, je n’ai pas du tout l’intention de passionner le débat. Je souhaite que nous l’abordions avec paix et dans le respect des courants de pensée des uns et des autres.
Vous avez une logique qui n’est pas la mienne. Elle est la vôtre, elle est celle de la majorité ici, elle est respectable. Il se trouve que j’ai une façon d’aborder l’avortement qui est autre et je trouve tout à fait dommage que cette autre manière ne soit pas prise en compte. Nous sommes toutes d’accord, en tout cas, pour dire que l’avortement est un échec, un échec pour la femme, un échec de la société. Nous sommes toutes d’accord pour dire que la femme est soumise à des pressions - pressions économiques, pressions affectives, pressions familiales - et qu’on la laisse absolument seule face à la décision qu’elle a à prendre, une décision gravissime qui lui appartient.
Personnellement, je ne juge aucune femme qui décide de recourir à l’avortement, mais je trouve tout à fait dommage, alors que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il y a, pour des raisons très variées, une ambivalence, au moment de la décision entre le recours à l’avortement et le fait de pouvoir garder l’enfant, que l’on n’envisage pas, à l’occasion de ce débat, la possibilité de permettre à la femme d’avoir un véritable choix.
Aujourd’hui, vous proposez de rallonger le délai légal d’avortement. Cela ne diminuera pas le nombre d’avortements. Vous justifiez cet allongement par le fait qu’un certain nombre de femmes partent à l’étranger. Ce sont exactement les mêmes arguments qu’il y a vingt-cinq ans. Je comprends ces arguments, je les respecte, mais je trouve fort dommage que vous n’offriez pas la possibilité d’une alternative.
J’ai déposé une proposition de loi qui a été cosignée par quarante-trois députés. Je souhaiterais qu’il y en ait davantage et je suis convaincue, d’ailleurs, que, s’il n’y avait pas d’a priori en raison du fait que c’est moi qui ai déposé cette proposition de loi, même dans mon propre camp, cette proposition aurait été davantage cosignée. Quarante-trois députés, ce n’est déjà pas si mal.
La question que je vous pose est simple : serait-il possible de travailler avec vos services pour voir si, véritablement, cette proposition de loi que j’ai déposée pourrait être intégrée dans le cadre de votre révision ? Elle ne remet absolument pas en cause votre orientation mais elle donne une autre façon d’aborder le problème de l’avortement.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés : Que proposez-vous ?
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La proposition de loi de Mme Christine Boutin consiste à proposer, notamment, la création d’un fonds financier qui aiderait des femmes qui, placées devant le choix de l’avortement, le feraient pour des raisons sociales. Nous sommes sur une conception de l’avortement qui est un échec lié à des conditions sociales difficiles.
Mme Christine Boutin : Je ne comprends pas votre intervention.
Mme Hélène Mignon : Je vous livrerai deux réflexions.
On parle d’eugénisme actuellement, mais lorsque les femmes de mon âge contractaient une rubéole en étant enceinte ou lorsque, dans l’entourage de ces femmes, une personne était atteinte de rubéole, le médecin ou le gynécologue leur conseillaient l’avortement, et puis s’en lavaient les mains. On aurait pu dire que c’était de l’eugénisme. Cela s’est pratiqué longtemps.
En ce qui concerne l’autorité parentale, il est vrai qu’il faut absolument chercher à renouer le lien avec la famille, mais l’on sait très bien que, dans certains cas, ce ne sera pas possible, que ce serait même au risque de la vie de la jeune femme. On dit qu’il faut un accord parental pour une interruption de grossesse ou, éventuellement, pour la contraception du lendemain, mais lorsque cette jeune fille, si elle n’interrompt pas sa grossesse, se retrouvera mère, elle peut abandonner son enfant sans demander l’autorisation de ses parents et, si elle ne l’abandonne pas, c’est elle qui se trouve chargée de l’autorité parentale. Il y a là une cohérence à retrouver.
Autre interrogation : on parle beaucoup des jeunes en milieu scolaire et universitaire, mais se pose aussi le problème des jeunes handicapés, en institution médico-sociale. Qu’en est-il de ce point de vue ?
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Je voudrais tout d’abord dire à Mme Marie-Thérèse Boisseau que je n’ai pas parlé de droit à l’IVG parce que je n’en parle jamais. Je pense que c’est d’un accès à l’IVG dont il faut parler, pour des femmes qui ont été en échec de contraception ou qui se sont vu violentées, par exemple, comme cela existe souvent. Vous n’avez donc jamais entendu ces termes dans ma bouche. Je comprends que certains les emploient, mais, en tout cas, je ne les emploie pas.
Je pense que nous devons faire en sorte que le nombre d’IVG diminue dans notre pays. 220 000, ce n’est pas la banalisation que certains craignaient, mais 220 000, c’est trop. C’est la raison pour laquelle nous avons fait les choses dans le bon sens, me semble-t-il, c’est-à-dire que nous avons d’abord mis l’accent sur la contraception. Nous parlons donc d’accès à l’IVG justement pour accompagner, pour aider des femmes qui se trouvent à un moment donné dans une situation particulière et qui n’ont pas le désir d’avoir un enfant.
Mme Christine Boutin, personnellement, je respecte les courants de pensée, c’est-à-dire que chaque personne a le droit de s’appliquer ce à quoi elle croit. C’est la raison d’être de la clause de conscience pour la pratique de l’IVG. De même, chaque femme a aujourd’hui, contrairement à ce que vous dites, la possibilité de choisir : elle utilise ou n’utilise pas le droit à la contraception comme l’accès à l’IVG. C’est un choix personnel que je respecte totalement, mais faut-il encore donner à chacun le choix d’avoir accès à l’IVG, notamment si elle le souhaite. Personne n’est obligé de se voir pratiquer une IVG dans notre pays...
Mme Christine Boutin : Mais si, vous savez très bien que si.
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Donc, l’alternative aujourd’hui existe.
La situation réelle des femmes, c’est souvent, avant des pressions sur l’IVG, des pratiques sexuelles obligées. C’est cela la vérité. Je ne crois pas que l’on puisse dire que les courants de pensée, que je respecte dès lors qu’ils ne dépassent pas un certain vocabulaire - ce qui n’a pas été votre cas aujourd’hui - ne soient pas tout à fait respectés. Chacun a le droit de s’appliquer ce dont il a envie.
Je regrette que les problèmes d’eugénisme se présentent au moment où nous révisons la loi sur l’IVG. Je le dis très clairement. Aujourd’hui, et peut-être parce que nous avons, nous aussi, beaucoup consulté - je pense pouvoir dire sans exagérer que nous avons dû rencontrer, par petits groupes, entre cent et cent vingt personnes qui pratiquent des IVG -, ces personnes nous disent la même chose : premièrement, aujourd’hui, des malformations sont déjà connues dès les premières semaines et ces problèmes, que l’on nous pose maintenant, sont déjà posés. Par exemple, dans le service du professeur René Frydman qui aujourd’hui adopte les mêmes positions que le professeur Israël Nisand, j’ai rencontré des femmes qui pratiquent des IVG parce que, lui, n’en pratique plus, semble-t-il, depuis un certain temps. Il y a ainsi, aujourd’hui, par exemple, des problèmes qui se posent à des femmes en attente de jumeaux et de triplés et qui se demandent si elles ne vont pas pratiquer une IVG partielle. Ces problèmes-là se posent d’ores et déjà. C’est à chaque femme, bien informée sur les risques de santé, sur les risques sur sa propre vie en fonction de ses possibilités économiques, d’assumer un rôle parental, de prendre sa propre décision.
Le passage de dix à douze semaines ne change en rien ces problèmes. C’est la raison pour laquelle le professeur Didier Sicard, qui préside le Comité national consultatif d’éthique, que nous avions contacté, nous a dit qu’il ne pensait pas souhaitable que ce comité soit consulté, considérant que le problème éthique était derrière nous, que le passage de dix à douze semaines ne changeait rien au problème éthique et qu’il s’agissait essentiellement d’un problème de santé publique.
Je reprends l’exemple de la Grande-Bretagne parce que je crois qu’il est sain et parce que nous disposons d’études. Dans ce pays, où l’IVG se pratique jusqu’à vingt-quatre semaines, les médecins ne disent pas qu’il y a aujourd’hui des choix liés au sexe : cela paraît évident pour une femme, mais je comprends que certains se posent cette question, même si je ne crois pas que l’on puisse la poser en ces termes.
Combien de femmes va-t-on aider en passant de dix à douze semaines ? Et pourquoi s’arrêter à douze semaines ?
Les études laissent à penser que ce sont 80 % des femmes, qui aujourd’hui dépassent le délai, qui seraient concernés par son allongement. C’est ce qui est demandé par ceux qui pratiquent quotidiennement l’IVG, parce qu’à partir de douze semaines, on se trouve face à un enfant formé, donc, face à d’autres difficultés, y compris pour les médecins, et parce que le passage à douze semaines, c’est-à-dire quatorze semaines d’aménorrhée, laisse à penser que, même des femmes en détresse, qui ont un déni de grossesse, qui n’ont plus de contact avec leur propre corps, qui ne prennent plus en compte leurs propres difficultés, après trois mois et demi d’aménorrhée se posent ces questions. C’est la raison pour laquelle ceux qui pratiquent - car ce n’est pas notre opinion personnelle qui compte, mais celle de ceux qui pratiquent, - des experts, des médecins, des chercheurs - nous disent que le passage à douze semaines est nécessaire.
Je suis d’accord avec Mme Marie-Thérèse Boisseau et M. Denis Jacquat pour dire que tout cela n’aurait pas de sens, si nous ne l’accompagnions pas d’information et de prévention, faites notamment par le biais de l’éducation sexuelle, de campagnes de contraception et autres. Il est vrai que nous ne réglerons pas tous les problèmes en passant à douze semaines, mais nous pouvons espérer que cet allongement du délai accompagné d’une action permanente d’information et d’éducation, notamment des jeunes, fasse reculer, dans notre pays, le nombre d’IVG qui est, pour toute femme, un traumatisme réel.
J’en arrive aux problèmes des parents. Sur ce point, M. Michel Herbillon me posait deux questions : la pilule du lendemain ne risque-t-elle pas de devenir un moyen de contraception ordinaire ? Il faut dire les choses telles qu’elles sont. C’est effectivement un risque, s’il n’y a pas d’information et d’éducation. Simplement, s’il n’y a pas la pilule du lendemain, il y a l’IVG à terme ! La pilule du lendemain, c’est ce qui permet aujourd’hui d’éviter une IVG. C’est aussi ce qui permet le contact. Ségolène Royal pourra y revenir tout à l’heure à propos des infirmières scolaires, ainsi que Dominique Gillot, qui sera au banc du gouvernement avec moi lors du débat sur la proposition de loi relative à la contraception d’urgence. Je pense que toute personne en contact avec une jeune fille qui vient demander une pilule - et les pharmaciens mettent en place actuellement des formations à ce sujet - doit dire à cette jeune fille qu’elle doit aller chez un gynécologue ou doit lui donner l’adresse d’un centre de Planning familial pour qu’elle entre dans une logique de contraception. C’est, guidée par cette même logique, que Ségolène Royal avait prévu que ce contact soit l’occasion pour les infirmières d’insister sur la nécessité de la contraception. Il était prévu, qu’après avoir pris le rendez-vous, la jeune fille devait revenir voir l’infirmière pour lui dire si elle avait bien vu la personne du Planning familial ou le gynécologue et si elle avait maintenant un moyen de contraception.
Si on laisse faire sans barrières, le risque existe. Mais, si l’on utilise cette occasion pour engager le débat et aller vers un moyen classique, normal, de contraception, nous en réduisons très considérablement les risques.
De la même manière, pour ce qui est de l’adulte référent, tous les médecins que nous avons consultés nous disent que, pour nombre de jeunes filles, en parler à leur famille est difficile - mais ne pas en parler, pour la plupart d’entre elles, est également difficile- et qu’il n’est pas facile de se retrouver avec un adulte extérieur dans un moment aussi douloureux. La plupart d’entre elles ont besoin qu’on les accompagne, qu’on les aide à trouver les bons mots pour engager le dialogue avec leurs parents. C’est ce qui est prévu dans la loi.
Cela dit, pour les cas dont nous avons parlé et que nous connaissons tous, qui ne se produisent pas uniquement dans les milieux maghrébins de quartiers difficiles, il faut que cet accompagnement existe. Je crois que l’on peut faire confiance à ceux qui reçoivent ces jeunes filles, lors de ce premier entretien, pour faire en sorte, autant que possible, que la famille puisse être informée et donner son accord.
Ce sont là des sujets difficiles, je le dis très simplement. J’ai beaucoup travaillé et beaucoup réfléchi, non pas parce que je ne suis pas favorable à l’extension du droit des femmes, mais parce que, quand on touche aux problèmes de santé publique, c’est notre responsabilité, à Mme Dominique Gillot et moi-même, d’y réfléchir, parce que nous savons que ce sont toujours des moments douloureux et que nous devons savoir comment accompagner ces jeunes filles, ces femmes en difficulté. C’est pour cela que le soutien psychologique est aussi tout à fait essentiel dans les centres hospitaliers. C’est bien dans cet état d’esprit que nous avons fait ces propositions, tout en précisant à chaque fois quels sont les risques et la façon dont nous pouvons y remédier.
M. Pierre Hellier : Vous avez parlé de risques pour la santé de la femme, mais, à ce moment-là, elle ne se trouve plus du tout dans le cadre de l’IVG normale mais dans un cadre d’interruption médicale de grossesse.
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : La réduction embryonnaire n’est pas un cas d’interruption médicale de grossesse. L’interruption médicale de grossesse intervient lorsque la vie de la femme ou des enfants est mise en cause. On peut très bien attendre des triplés et ne pas souhaiter avoir des triplés parce que l’on pense que l’on ne pourra pas avoir les moyens ou, tout simplement, l’envie de pouvoir les éduquer...
Mme Hélène Mignon : C’est du confort.
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Non, ce n’est pas du confort, c’est un choix. Ces questions se posent aujourd’hui à l’intérieur des dix semaines. Quand vous attendez un enfant et que l’on vous explique que vous en avez trois, vous pouvez vous demander si vous allez réussir à les éduquer. Ce problème se pose tous les jours à l’intérieur du délai de dix semaines.
M. Hervé Morin : Ce n’est pas une question de confort, c’est simplement que vous vous trouvez face à un médecin qui vous dit qu’avec trois embryons, vous avez un risque de les perdre tous les trois.
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Cela, c’est un autre sujet.
Lorsque le professeur Israël Nisand nous dit qu’à partir de dix semaines, on voit le sexe, on peut lui répondre que demain, on pourra le faire à partir de quatre ou cinq semaines et qu’un tel argument pourrait ramener l’IVG à rien.
Le professeur Israël Nisand nous dit que l’on peut déceler certains handicaps ou problèmes à partir de douze semaines, mais aujourd’hui, on en voit en dessous des dix semaines. Dans le service du professeur René Frydman, il y a eu énormément de problèmes de cette nature. Des psychologues sont attachés au service. Ils voient des femmes qui disent ne pas se sentir capables d’élever trois enfants ou ne pas souhaiter avoir trois enfants et ce n’est pas pour des raisons médicales ou parce que leur grossesse risque de ne pas arriver à son terme, car dans ce cas, on est dans l’interruption médicale de grossesse. Quand cette question se pose, le débat a lieu avec le médecin. Les décisions sont prises. Ces sujets se traitent aujourd’hui déjà dans le dialogue qui s’instaure entre le médecin et la femme, l’assistante sociale et la femme.
En revanche, la question que nous posions concernant le passage de dix à douze semaines, que nous nous devions de nous poser, Mme Dominique Gillot et moi-même, était de savoir si les risques étaient plus importants pour la femme dès lors que l’on passe de dix à douze semaines. Les réponses sont en général négatives.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés : Pour compléter la réponse sur le risque de généralisation de la pilule du lendemain comme contraceptif ordinaire, les indications en provenance d’autres pays, qui ont mis en place cette contraception d’urgence, depuis des années, montrent exactement le contraire. En Finlande, par exemple, le recours à la contraception ordinaire a été fortement amplifié depuis l’intervention de la pilule du lendemain. Quand la contraception est un sujet abordé à l’occasion d’une situation d’urgence, c’est-à-dire lorsqu’une femme se sent en situation de risque de grossesse non désirée, cela conduit à une meilleure compréhension de l’intérêt de la contraception ordinaire.
Cela dit, même si une jeune fille prenait cette pilule du lendemain plusieurs fois dans le mois, il n’y aurait pas de contre-indication, pas de problème de santé médical pour elle. Le problème serait plutôt financier, parce que la plaquette est très chère. Je pense donc que l’on arrivera assez logiquement à un autre mode de contraception, mieux adapté aux besoins de la sexualité en cause et aux moyens financiers à mobiliser.
Quant au passage de dix à douze semaines, Mme Marie-Thérèse Boisseau s’est interrogée sur le fait de savoir ce qu’allaient devenir les autres femmes qui ne sont pas concernées, celles qui seront encore au-delà du délai des douze semaines. J’indiquerai simplement qu’une femme qui dépasse le délai de dix semaines aujourd’hui, a eu une difficulté de compréhension de ce qui lui arrivait, un retard de prise de conscience, un retard de décision, un retard tout court d’ailleurs. Ensuite, il a fallu qu’elle trouve l’adresse, la filière, les moyens pour accéder à cette IVG, ailleurs que sur le sol français. Donc, les délais se sont allongés. Or, l’allongement de la durée des délais proposé aujourd’hui rentre dans un dispositif global qui contribue à améliorer l’information sur la contraception. La contraception d’urgence, l’amélioration de l’accès à l’IVG, l’amélioration de l’accueil, l’amélioration des réponses, la permanence téléphonique, vont forcément raccourcir les délais et conduire à une amélioration, à une généralisation, autant que faire se peut, de l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse. Ce procédé allégera considérablement l’activité des centres et des plateaux techniques et permettra donc de raccourcir les délais d’attente. Nous savons bien, en effet, qu’aujourd’hui, un certain nombre de dépassements de délai sont liés à la mauvaise réponse apportée à des femmes qui téléphonent pour avoir un rendez-vous.
Il faut vraiment voir cet allongement de la durée légale de recours à l’IVG dans un cadre plus général qui concourt à rendre plus facile l’accès à l’IVG quand il est nécessaire, de telle sorte que toutes les femmes puissent bénéficier de cette intervention sur le sol français, dans les mêmes conditions d’accueil, de sécurité sanitaire et de couverture sociale.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l’enfance : Je remercie très chaleureusement la Délégation aux droits des femmes soutenue par la commission des affaires sociales, car j’éprouverai une grande satisfaction dans l’hémicycle en faisant légaliser une circulaire qui, à l’époque, a fait l’objet de tant d’attaques et de mises en cause. C’est en effet une grande satisfaction de voir que, depuis, les esprits ont évolué, car si j’en crois un sondage réalisé, parmi deux grandes fédérations de parents d’élèves, l’adhésion au dispositif est maintenant massive. Tout le monde a bien compris que l’intermédiaire des infirmières scolaires était un plus dans le cadre de la vente libre du Norlévo.
Je dirai simplement qu’aujourd’hui, en tant que ministre chargée de la famille et de l’enfance, c’est-à-dire attentive à la question du droit de la famille, du droit parental et du droit des mineurs, je me sens, à nouveau, complètement en phase avec le dispositif qui est aujourd’hui discuté, basé sur la reconnaissance du droit des mineures lorsqu’elles le souhaitent et lorsqu’elles l’expriment clairement, mais, en même temps, sur l’invitation au dialogue avec les parents.
L’un d’entre vous demandait tout à l’heure pourquoi ne pas initier systématiquement le dialogue avec les parents. Je puis vous assurer que ce dialogue est systématiquement initié, puisque c’est aussi la mission qui est demandée aux infirmières scolaires et, en ce qui concerne l’IVG, c’est celui de l’adulte médiateur qui doit suivre l’adolescente pendant l’IVG et surtout après. On ne parle jamais de l’après, mais je crois que le principal traumatisme survient dans les mois qui suivent une interruption de grossesse. De ce point de vue, l’attention portée au suivi est capitale car, même s’il y a rupture du dialogue parental avant, on peut imaginer que, grâce à l’adulte référent, le dialogue pourra peut-être se renouer après l’IVG.
M. Hervé Morin : En lisant différents documents sur la contraception d’urgence, j’ai constaté que celle-ci pourra être donnée sans autorisation parentale. Très bien, j’y suis favorable. La question que je me pose porte sur la contraception normale, car, aujourd’hui, il faut une autorisation parentale, même si, dans les faits, cela ne se passe pas ainsi, puisque bon nombre de médecins du secteur privé ou de certains Plannings l’accordent sans autorisation parentale. Cette mesure sera-t-elle supprimée ?
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Nous supprimons effectivement l’obligation d’autorisation parentale pour la prescription d’une contraception aux mineures. C’est une nécessité.
M. Pierre Morange : Au sujet du projet de loi relatif à la pilule du lendemain, je tiendrais les mêmes propos que ceux que j’avais tenus au sein de la commission, puisque je ne vois aucun engagement financier ferme sur deux points qui posent problème. Le premier concerne l’embauche des infirmières scolaires ; tant que ce ne sera pas inscrit dans les faits, nous resterons dans le cadre d’une situation très symbolique, et le dispositif n’aura aucune crédibilité.
Même si l’on parle de prévention et d’éducation et même si j’ai bien noté l’enveloppe financière de 20 millions de francs, qui serait reconductible, je conserve le sentiment que cette enveloppe est considérablement sous-dimensionnée par rapport aux enjeux fixés.
Pour revenir sur l’augmentation de la durée légale de l’IVG, je ne reprendrai pas les arguments que je viens de citer. J’ai, pour ma part, le sentiment qu’il ne serait sans doute pas totalement inintéressant d’essayer de mettre en place des dispositifs permettant de raccourcir les délais administratifs actuels, car cela interfère fortement, on le sait, avec le problème de l’IVG.
Il me semble, aussi, pertinent de prendre en compte l’avis de sommités médicales comme le professeur Israël Nisand. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus en phase avec vos recommandations que leurs avis ne doivent pas être pris en compte.
J’ai le sentiment que le processus proposé ne répond pas à la totalité des demandes. On a fréquemment évoqué des cas dramatiques de jeunes mineures de quinze ans qui ont subi des violences sexuelles et qui se retrouvent avec des grossesses de quinze à seize semaines, pour lesquelles le dispositif prévu ne trouve pas de réponse. La proposition du professeur Israël Nisand concernant l’interruption médicale de grossesse me semblait une alternative intéressante. A tout le moins, je crois sage de l’étudier.
Enfin, je rappellerai un élément à propos de la notion de suppression de l’autorisation parentale. Au-delà des problématiques que cela évoque, la notion d’un adulte référent me paraît juridiquement contestable, car nous pourrions être confrontés à un certain nombre de contentieux. Il peut également y avoir des contentieux sur le devoir d’information donnée par le praticien aux patients.
Mme Jacqueline Mathieu-Obadia : J’ai écouté avec beaucoup d’attention vos propos concernant l’interruption de grossesse et la contraception et je suis parfaitement en accord avec vous pour dire à quel point il faut privilégier la contraception. Cela étant, je vous repose la question de manière très précise : quels sont les avantages du passage de dix à douze semaines ? Je ne les vois pas.
J’ai certainement interrogé beaucoup moins de chefs de service ou de praticiens de terrain que vous, c’est évident, mais que je n’ai pas du tout eu les mêmes réactions sur les risques pour les femmes d’une interruption de grossesse pratiquée à dix semaines par rapport à une intervention pratiquée à douze. Manifestement, les risques et les complications sont nettement supérieurs, même si, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, une dilatation du col, la veille du jour de l’interruption de grossesse, est faite.
Mme Catherine Génisson : Je me félicite de votre approche globale de la question et du fait que l’on mette l’accent sur la contraception. Cela me semble fondamental. Il est, à mon avis, très important, notamment pour les jeunes, d’avoir une approche multiple sur le sujet de l’éducation sexuelle, celle-ci pouvant se faire au niveau de la famille, de l’environnement périscolaire ou surtout en milieu scolaire. Il faut aussi savoir faire preuve d’imagination : les enseignants, s’ils sont aptes à le faire, ne sont sans doute pas les seuls intervenants à devoir prendre en compte cette question à l’intérieur du milieu scolaire. Les professionnels de santé ont aussi une part importante à jouer dans cette éducation sexuelle et cette sensibilisation à la contraception.
En ce qui concerne l’interruption volontaire de grossesse, l’allongement des délais prend toute sa signification dans la mesure où de nombreuses autres mesures ont déjà accompagné et accompagneront cette nouvelle prise en charge de la femme qui demande une interruption volontaire de grossesse. En effet, l’organisation des services qui vont les accueillir, qu’ils soient hospitaliers ou extrahospitaliers, puisque l’on ouvre aussi cette possibilité, me semble tout à fait importante.
Je m’attacherai particulièrement à défendre la formation des professionnels de santé, notamment celle des jeunes médecins. Il est important de leur donner la possibilité d’accéder à une formation spécifique sur ce sujet, non pas sur l’aspect purement technique, mais aussi sur l’approche psychologique de ces femmes.
Un autre sujet qui n’a pas été abordé, me semble important : celui de l’accompagnement des femmes, au moment de l’interruption volontaire de grossesse et après, par les conseillères conjugales. Nous devons être très exigeants sur la formation de ces personnels.
Mme Yvette Benayoun-Nakache : Je souhaiterais une simple précision sur les moyens juridiques que vous comptez mettre en place pour lutter contre ceux que l’on a appelé les commandos anti-IVG ?
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : Deux rapports ont été demandés au professeur Israël Nisand, dont l’un porte sur l’IVG, car dans l’Est de la France il dirige un service qui fonctionne extrêmement bien, de l’accueil de la femme à la sortie. Le professeur Israël Nisand continue à dire qu’il est favorable au passage de dix à douze semaines. Il ne dit pas qu’il y a des problèmes médicaux spécifiques ou de santé publique à ce passage, mais il précise que les nouvelles échographies font naître de nouveaux risques. Ce n’est pas pour des raisons médicales qu’il s’interroge.
Nous ne partageons pas ce point de vue. La quasi-totalité des personnes que nous avons rencontrées et qui pratiquent ces IVG, ainsi que ce qui se passe dans d’autres pays, une fois les dix semaines dépassées, montrent que ce risque n’existe pas dans les faits. Le professeur Israël Nisand nie aujourd’hui avoir tenu ces propos. Cela veut peut-être dire que sa parole était allée plus loin que sa pensée. Tant mieux, sauf qu’il a tout de même fait naître un débat qui, dans mon esprit, n’aurait jamais dû avoir lieu.
Aujourd’hui, les interruptions médicales de grossesse sont utilisées en cas de viol, par exemple. Nous travaillons actuellement avec le ministère de la justice à une nouvelle rédaction qui permettrait de préciser dans les textes la notion de viol et d’inceste, comme c’est le cas dans les autres pays européens. Cela pourrait faire l’objet d’un amendement. De même, nous menons un travail, avec le ministère de la justice, pour compléter la loi Neiertz sur les actions anti IVG. C’est parce qu’il y avait encore quelques problèmes juridiques que nous n’avons pas pu inscrire ces points dans le projet de loi au moment où il a été soumis au Conseil d’Etat, mais nous y travaillons actuellement avec Mme Elisabeth Guigou.
Nous savons que le passage de dix à douze semaines règle 80 % des cas de celles qui dépassent les délais aujourd’hui et que la technique est exactement la même à dix semaines qu’à douze semaines ; les médecins que nous interrogeons - nous nous sommes entourées de multiples avis - nous disent qu’il n’y a pas plus de risques à douze semaines qu’à dix, le risque d’infection ou de complication existant à dix comme à douze. D’ailleurs, aujourd’hui, un certain nombre de centres d’IVG qui ne sont pas reliés à un bloc opératoire refusent de pratiquer certaines IVG à partir de huit semaines. C’est la raison pour laquelle nous devons nous orienter vers des centres d’IVG liés partout à un bloc opératoire...
Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, M. Jean Le Garrec et M. Pierre Morange : Tout à fait.
Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité : ..., et qui devront fonctionner en réseau.
Nous avons déjà décidé de déterminer dans chaque département les centres IVG performants, en ce qui concerne l’accueil, le soutien psychologique et l’existence d’un bloc opératoire, pour que soient engagées à aller vers ces centres les femmes qui risqueraient de poser un problème, soit médical soit psychologique. Mon souci, à terme, - c’est pour cela que nous avons mis des moyens supplémentaires - est que tous les centres d’IVG en France offrent ces garanties, qui ne sont pas seulement médicales, mais aussi psychologiques. A partir du moment où les médecins me disent qu’il n’y a pas de problème particulier à douze semaines, par rapport à dix, notamment grâce à de nouvelles techniques de dilatation du col, je pense que nous pouvons les écouter. A cet égard, je n’ai pas de compétences, je ne fais que reprendre ce qui nous a été dit.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l’enfance : En trois ans, nous avons créé 1 600 postes d’infirmières, de médecins et d’assistantes sociales, sans doute autant qu’au cours des dix ans qui ont précédé. Il est vrai que certains établissements scolaires n’ont que des infirmières à temps partiel. Dans le prochain budget, M. Jack Lang créera 300 postes de personnels médicaux et sociaux. C’est un effort extrêmement important. Cette reconnaissance de leur rôle est un hommage rendu aux infirmières scolaires.
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La proposition de loi sur la contraception d’urgence servira de levier et permettra de reconnaître l’importance du rôle des infirmières scolaires en matière de santé publique.
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