Sujet : Contraception, IVG
Allocution de : Danielle Gaudry
En qualité de : Présidente du Mouvement Français pour le Planning Familial
Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)
Le : 30 mai 2000
Je voudrais d’abord dire que pour notre association, l’IVG n’est pas un échec, mais un droit et un choix pour les femmes.
Je parlerai des cinq mille femmes environ qui partent chaque année à l’étranger pour accéder à un droit qui leur paraît tout à fait légitime, celui de pouvoir avorter en dehors des limitations imposées par la loi de 1975.
I - QUELQUES CHIFFRES
Je vous présenterai l’analyse que nous avons faite à partir de 1 870 cas de femmes qui se sont présentées pour une demande d’avortement dans vingt-trois de nos permanences d’accueil du Mouvement français pour le planning familial en 1999.
A. Répartition selon l’âge
Parmi ces 1 870 femmes, 1 056 sont domiciliées dans la région parisienne. Les chiffres de l’année 1998 sont à peu près identiques.
Les mineures ne représentent que 238 de ces 1 870 femmes (soit 12 %) et 21 d’entre elles n’ont pas d’autorisation parentale. La grande majorité des femmes qui demandent donc un avortement hors des délais légaux, c’est-à-dire plus de douze semaines après les dernières règles, sont des personnes majeures.
Quand on analyse un diagramme du nombre d’avortements par classe d’âge, dans le cadre de la loi de 1975, c’est à peu près superposable, c’est-à-dire que ce ne sont pas forcément les plus jeunes qui demandent l’IVG hors le cadre de la loi.
B. Part représentée par les femmes étrangères
Les femmes de nationalité étrangère ne sont que 299 sur les 1 870, soit 15 %. Seulement 10 % de ces 15 % sont sans carte de séjour. Donc, la grande majorité des femmes que nous recevons en situation de dépassement du délai légal sont de nationalité française.
C. Répartition selon le nombre de jours de dépassement du délai légal
40 % de ces femmes sont entre 12 et 14 semaines depuis les dernières règles, 29 % entre 15 et 17 semaines, 16 % entre 18 et 20 semaines et 9 % au-delà de 20 semaines.
D. Les pays de destination
66 % des femmes partent en Hollande, 13 % en Espagne ; la Grande-Bretagne ne sera une destination que pour 4 % d’entre elles. Ce phénomène est relativement récent ; en effet, il y 10 à 15 ans, la principale destination était la Grande-Bretagne.
E. Comment ces femmes arrivent-elles dans nos permanences d’accueil ?
Comme Madame Chantal Blayo l’a déjà souligné, le milieu associatif sert de béquilles au service public.
Le plus souvent, elles nous sont adressées par l’établissement hospitalier (ou le service médical, ou le praticien) dans lequel elles sont allées consulter. Elles ont découvert, à ce moment-là, le terme de leur grossesse au cours d’une échographie qui a été faite pour diverses raisons. Elles apprennent par la même occasion qu’elles sont hors-la-loi. Quelques-unes nous seront adressées par leur médecin de ville directement, ou bien sur les conseils d’une amie ou bien par le réseau associatif.
II - POURQUOI CERTAINES FEMMES DÉPASSENT-ELLES LES DOUZE SEMAINES ?
A. Raisons d’ordre psychologique ou médical
· Certaines ont cru avoir leurs règles alors qu’il s’agissait de saignements.
· Certaines femmes ont un cycle très irrégulier qui ne leur permet pas de disposer de repères.
· Il y a également les femmes qui allaitent ; on écrit encore de nos jours, dans certains articles, que l’allaitement protège d’une grossesse.
· Certaines femmes pensaient être ménopausées et n’ont pas fait de test.
· Le médecin peut s’être trompé ou il n’a pas demandé de test, par erreur ou - malheureusement - par opposition idéologique, quand il sait que la grossesse n’est pas désirée par cette femme venue consulter.
· Certains tests peuvent être faussement négatifs.
Toutes ces situations représentent 27 % de l’ensemble.
B. Problèmes relationnels au sein de la famille
· La rupture du couple alors que la grossesse est déjà connue. Le compagnon s’en va ou la femme décide de partir parce que la situation est intolérable.
· Il peut y avoir un décès.
· Le mari ou le compagnon ne veut absolument pas de cette grossesse, alors que la femme la désire. Elle a lutté pied à pied jusqu’à un certain délai et s’aperçoit qu’elle ne peut aller au-delà sans provoquer une séparation.
· C’est une femme très jeune qui n’a pas osé en parler au sein de sa famille et qui attend jusqu’à ce que cela ne soit plus possible de cacher la grossesse.
Cette deuxième catégorie représente 20 % des cas, ce qui est très important.
C. Autres catégories
6,5 % des femmes ont des difficultés socio-économiques importantes qui ne leur permettent pas de poursuivre leur grossesse. Seulement 0,7 % des femmes finissent par déclarer qu’elles ne veulent pas garder cette grossesse, car elle est le résultat de violences sexuelles et qu’être enceinte leur rappelle tous les jours les violences qu’elles ont subies. Très peu de femmes arrivent à le dire. Il y a celles qui ont des dénis de grossesse ou bien ont une ambivalence importante vis-à-vis de la poursuite ou non de cette grossesse (environ 10 % des cas rencontrés). Il y a les échecs de la contraception. Parfois, la contraception a été arrêtée parce que la femme ne pensait pas avoir de rapports, ou pensait se protéger autrement (9 % des cas).
L’ignorance de la loi ou sa mauvaise application représente 4 % des cas en région parisienne. Nous ne disposons pas de chiffres au niveau national. Nulle n’est censée ignorer la loi. Toutefois, il existe un article qui interdit toute publicité ou propagande pour l’avortement. C’est pourquoi nous en parlons, tout en étant potentiellement menacées par cet article de loi. Il doit être possible de trouver une solution à la plupart de ces cas en parlant plus simplement de la loi, ce qui éviterait à un certain nombre de femmes de croire qu’il est possible d’avorter en France jusqu’à trois mois de grossesse révolus.
D’autres explications entrent aussi en ligne de compte. Le refus de donner un rendez-vous, l’attribution d’un rendez-vous trop tardif ou la multiplication des examens exigés de ces femmes peuvent aboutir au dépassement du délai de douze semaines depuis les dernières règles.
Bien évidemment, plusieurs causes peuvent être cumulées par une même femme. Dans ce cas, on peut considérer que ces femmes sont en grande détresse. Elles pensent toutes trouver, en venant nous voir, une solution simple à leur problème. Or nous n’en avons pas. Nous n’avons pas de solutions simples pour les lieux d’avortement et pour l’aide financière. L’avortement à l’étranger coûte cher. Certaines femmes pensent même que l’avortement, dans ce cas-là, est remboursé par la sécurité sociale et sont souvent fort étonnées quand il leur est expliqué que c’est illégal et que, de fait, elles ne seront pas remboursées par la sécurité sociale. Elles découvrent durant l’entretien la législation existant à l’étranger sur le sujet, les difficultés qu’elles peuvent rencontrer. Toutes ces difficultés contribuent effectivement à renforcer leur détresse, leur souffrance et leur solitude. Parce que être dans l’illégalité n’est pas facile à supporter, aller dans un pays étranger quand on n’est jamais sorti de son département est encore plus difficile. Quand la femme n’a pas de papier d’identité en cours, cela complique encore plus les choses. Enfin, les soucis financiers sont très importants.
Notre association n’a pas de solutions miraculeuses, contrairement à ce que certaines assistantes sociales et praticiens peuvent penser ; les services hospitaliers non plus, nous le reconnaissons. Je voudrais souligner que, malgré toutes ces difficultés, la plupart des femmes vont jusqu’au bout de leur démarche. Quand elles viennent nous voir, l’avortement est leur seule solution.
III - CONCLUSIONS
Comment leur proposer un accompagnement lorsqu’elles vivent cette situation comme une injustice, une inégalité par rapport aux autres femmes qui sont mieux informées, mieux entourées ?
Comment éviter que cet épisode de leur vie ne soit vécu comme une exclusion ?
Il est de la responsabilité de chacun, que nous soyons élus ou non, de travailler pour que la marginalité de cinq mille femmes par an soit examinée, car cette situation repose franchement sur une hypocrisie. Ne pouvons-nous imaginer comme pistes de réflexion - comme certaines équipes médicales et comme le Professeur Israël Nisand l’ont proposé - la création de structures d’accueil, d’informations et de soins appropriés en France, plutôt que de laisser se pratiquer des IVG tardives dans d’autres pays européens où l’ordre public n’est pourtant pas plus perturbé qu’ici.
Pour toutes ces femmes, je propose que nous recherchions ensemble et que nous trouvions des solutions.
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