Sujet : Contraception, IVG

Allocution de : Georges Fauré

En qualité de : Maître de conférences en droit privé à l’Université d’Amiens)

Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 30 mai 2000

La question de la dépénalisation de l’IVG est une question assez redoutable, parce qu’elle se situe dans un contexte de faux calme apparent. En réalité, elle fait l’objet d’un véritable enjeu passionnel et idéologique.

En effet, la pénalisation de l’IVG est utilisée comme argument dans d’autres débats juridiques, étrangers à l’avortement. Ainsi, lorsqu’ils s’intéressent à la nature (personne ou chose) de l’embryon, certains auteurs, pour éviter une interprétation analogique et extensive des textes, ne manquent pas de rappeler qu’en droit pénal français, l’avortement est interdit par principe et que ce n’est que par exception qu’il est permis

Avant de nous intéresser à la dépénalisation, voyons rapidement ce qu’est la pénalisation en matière d’IVG.

I - LA PÉNALISATION DE L’IVG : L’ÉTAT DES LIEUX

La pénalisation de l’interruption volontaire de grossesse renvoie d’abord aux textes concernant l’avortement illégal, mais aussi à ceux qui sont relatifs à la provocation à l’avortement.

A. L’avortement illégal

Je laisse de côté la situation - certes tragique, mais hors de mon propos - de l’avortement pratiqué contre la volonté de l’intéressée

Selon l’article 233-11 du code pénal, on parle d’avortement illégal, lorsque l’une des trois hypothèses suivantes n’a pas été respectée :

 ? le délai de dix semaines était dépassé ;

 ? l’IVG n’a pas été effectuée dans un établissement hospitalier public ou privé agréé ;

 ? l’IVG n’a pas été réalisée par un médecin.

D’autre part, il existe aussi dans le code pénal l’hypothèse de " l’auto-avortement " de la femme. La loi du 27 janvier 1993 a modifié l’incrimination prévue par le législateur dans le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994. Désormais, " l’auto-avortement " n’est plus sanctionné pénalement ; en revanche, celui qui aide dans cette circonstance la femme enceinte, commet un délit

Il convient de rappeler que, dans le projet gouvernemental de nouveau code pénal, l’avortement n’apparaissait plus ; c’est le Sénat qui a obtenu que l’IVG pratiquée illégalement reste un délit.

Enfin, quant à l’effectivité de l’article 233-11, j’ai effectué quelques recherches concernant les décisions publiées relatives à des avortements illégaux. J’ai ainsi découvert que, depuis vingt ans, il n’y avait pas eu de condamnations pénales pour ce chef d’accusation

J’avance trois explications :

· Il existe bien des jugements de condamnation, mais ils sont introuvables, car non publiés.

· Nous sommes dans un pays merveilleux, où l’on respecte les lois pénales (du moins dans le domaine des interruptions de grossesse...).

· Des avortements illégaux ont été pratiqués, mais ils n’ont donné lieu à aucune poursuite pénale.

B. La provocation à l’avortement

Quittons les dispositions du code pénal pour celles du code de la santé publique. L’article L. 647 de ce code dispose, dans son deuxième alinéa, que sont susceptibles de poursuites pénales, ceux qui, sauf dans les publications réservées aux médecins et aux pharmaciens, auront " fait de la propagande ou de la publicité directe ou indirecte " pour des établissements pratiquant l’avortement ou pour des " médicaments, produits et méthodes " permettant une interruption volontaire de grossesse.

Il faut savoir aussi que, selon ce même article, est pénalement répréhensible le fait de provoquer - d’inciter - une femme à avorter, et ce, même dans les hypothèses légales.

Voilà très brièvement évoqué la pénalisation de l’IVG. Qu’en est-il de sa dépénalisation éventuelle ?

II - LA DÉPÉNALISATION DE L’IVG : DES PISTES LÉGISLATIVES A EXPLORER

L’écueil qu’il faut absolument éviter, à mon sens, est ce que j’appelle la piste " du tout ou rien ", c’est-à-dire la dépénalisation totale ou le maintien du statu quo. En revanche, la piste de la modération qui passerait par une dépénalisation partielle, me semble une issue législative préférable.

A. La piste du " tout ou rien " : la dépénalisation totale ou le maintien du statu quo

· La dépénalisation totale

Il s’agirait de considérer que l’avortement illégal, pratiqué bien sûr avec le consentement de l’intéressée, n’entraîne aucune sanction pénale directe. L’incrimination disparaîtrait tout à la fois du code pénal et du code de la santé publique.

Le danger d’une telle option législative est que l’enjeu passionnel et idéologique évoqué plus haut déboucherait sans nul doute sur une confrontation. Une dépénalisation totale risquerait donc de mettre le feu aux poudres et de réactiver la lutte entre partisans et adversaires de l’avortement.

· Le maintien du statu quo

C’est l’autre écueil qu’il faut éviter. Pourquoi ? Parce que maintenir le statu quo pourrait renforcer l’opinion des opposants systématiques à toute IVG : accréditer l’idée que l’on ne peut plus rien toucher à l’équilibre actuel des textes législatifs relatifs à l’interruption volontaire de grossesse pourrait être perçu comme traduisant une sorte de faiblesse originelle du droit à l’avortement.

B. La piste de la modération : la dépénalisation partielle ou indirecte

Je pense que cette piste législative est à privilégier. Le Professeur Israël Nisand, dans son rapport, opte aussi pour cette solution quand il propose " un transfert de la loi sur l’IVG vers le code de la santé publique "

Quel en serait l’avantage essentiel ? Tout d’abord, cela permettrait de faire " sortir " l’avortement illégal du code pénal et de sa symbolique pour le rattacher logiquement au code de la santé publique. Dans cette perspective, nous pourrions alors avoir dans le code de la santé publique un article L. 162-14-1 relatif aux sanctions pénales encourues en cas d’irrespect des conditions légales d’avortement, prévues aux articles L. 162-1 et suivants.

L’introduction de l’avortement illégal dans le code de la santé publique pourrait aussi, dans un souci de parallélisme, amener le législateur à rendre identiques les sanctions principales encourues pour entrave à l’IVG et pour avortement illégal.

Accompagnant cette dépénalisation partielle, le législateur pourrait aussi procéder au dépoussiérage de certains autres textes. Je vise plus précisément l’article 84 du décret-loi de juillet 1939, toujours en vigueur, qui prévoit pour un médecin condamné pénalement pour avortement illégal l’interdiction définitive d’exercer dans un établissement pouvant accueillir des femmes enceintes. Or, ce décret-loi de 1939 est un texte de sinistre mémoire. Son objectif législatif était, pour le moins, explicite :

" Nous avons résolu d’organiser la protection de la maternité. Nous pourchasserons l’avortement qui a exercé tant de ravages en France (...). Par ailleurs, nous vous demandons d’approuver l’aggravation de la répression des vices et la lutte contre les fléaux sociaux qui constituent autant de dangers pour l’avenir de la race... ".

Symboliquement, ce serait une bonne chose que de voir ce décret-loi de 1939 totalement abrogé. De plus, ce texte est inutile, car un médecin qui ne respecte pas les règles légales en matière d’avortement est passible de sanctions disciplinaires.

De même, certains compromis nécessaires à l’époque de la loi Veil n’ont plus lieu d’être, me semble-t-il, vingt-cinq ans après : l’article L. 647 du code de la santé publique pourrait donc être abrogé, au moins partiellement, pour ce qui est de " l’incitation " à avorter.

III - CONCLUSION

Finalement, la dépénalisation partielle - ou indirecte - de l’avortement illégal, ainsi que l’abrogation pure et simple du décret-loi de 1939 ou partielle de l’article L. 647 du code de la santé publique semblent une bonne perspective législative, de lege ferenda.

Cela dit, il est quand même paradoxal, pour un enseignant de droit pénal, de prôner le transfert d’un texte du code pénal vers le code de la santé publique. En effet, nous sommes à une époque, où - codification oblige - on essaie de rassembler les éléments épars de la législation. Il semblerait donc naturel de trouver dans le code pénal les textes relatifs au droit pénal ! Mais l’intérêt de la " lisibilité " du droit à l’avortement pour les femmes en difficulté justifie bien une entorse aux logiques de la codification.