Sujet : Contraception, IVG

Débat contradictoire

Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 30 mai 2000

Madame Yvette ROUDY, ancienne Ministre, vice-Présidente de la Délégation

Les femmes n’ont pas demandé à être considérées comme des criminelles, passibles des sanctions prévues par le code pénal. Mais, certains ont jugé que les femmes sont irresponsables, criminelles et ne savent pas ce qu’elles font.

Je donne maintenant la parole à Madame Martine Chosson, conseillère conjugale, pour un témoignage sur le problème de l’entretien préalable obligatoire.

Mme Martine CHOSSON, Conseillère conjugale et familiale au centre de planification de la maternité des Bluets

Je travaille dans un hôpital qui comprend un centre de planification et un centre d’orthogénie. Je mesure tous les jours le bien-fondé et l’intérêt de réunir en un même lieu ces deux fonctions. Nous devrions réfléchir à la possibilité, pour un centre d’interruption de grossesse, d’assurer une continuité entre la contraception et la prévention de l’IVG, permettant ainsi d’associer le travail de prévention et d’accompagnement. Il faudrait, à cet égard, revoir la répartition des compétences entre l’Etat, responsable des centres IVG, et les départements, responsables des centres de planification.

Je voudrais replacer l’entretien préalable obligatoire dans l’accompagnement général des femmes demandant une interruption volontaire de grossesse. Cet entretien est effectivement une des fonctions assurées, notamment par les conseillères conjugales, dans les centres de planification et d’interruption de grossesse. Il représente un moment important pour la femme qui y trouve un lieu de parole à propos de ce qui lui arrive : cette grossesse qu’elle a désiré et qu’elle ne peut plus poursuivre. Lors de ce dialogue, la femme peut essayer de donner sens à cet événement et trouver les moyens de l’intégrer dans son histoire de couple, dans son histoire de femme.

L’essentiel dans cet entretien est que la parole de la femme soit respectée. Le Professeur Israël Nisand a évoqué le problème de la maltraitance des femmes durant l’entretien préalable. Il y a fait allusion encore aujourd’hui. Les personnes habilitées à pratiquer cet entretien doivent avoir une formation adaptée à cette fonction. Pour une femme, partager ces événements très intimes lui permettra, plus tard, quand elle en aura besoin, de faire confiance à des personnes qui sauront l’écouter et de ne pas rester dans sa solitude.

L’entretien préalable permet également de donner des informations sur les différentes pratiques possibles de l’interruption de grossesse. La femme peut ainsi choisir ce qui lui paraît le mieux adapté. Je ne pense pas qu’il faille appliquer une méthode unique. Le plus important est de donner aux femmes le choix entre les différentes méthodes.

Je pense que l’entretien est utile, qu’il ait un caractère légalement obligatoire ou non. Il est primordial que l’enjeu de l’entretien proposé soit bien perçu par le médecin ou par toute personne habilitée à le faire. Qu’on arrête de dire aux femmes : " Allez chercher ce papier et je vous ferai une IVG " ! L’entretien n’a pas cette finalité. Il est un moment d’écoute à la disposition de la femme.

Je voudrais remercier toutes les femmes, les couples, les associations et les députés qui ont permis le vote de la loi de 1975. J’espère que tous pourront contribuer à l’améliorer, en ce qui concerne le problème des délais, des femmes étrangères, des mineures et de l’entretien préalable.

Madame Danièle ABRAMOVICI (CADAC)

Toutes les interventions montrent la nécessité de revoir le contenu de la loi de 1975 (dépénalisation, délais, statut des femmes étrangères, etc...). Est-il prévu de modifier la loi, et, dans l’affirmative, dans quels délais ?

Madame Yvette ROUDY

C’est une bonne question. Nous, les députés, allons tenter de vous répondre sur nos intentions et notre volonté, mais ce n’est pas nous qui décidons de l’ordre du jour des textes soumis à l’Assemblée nationale.

Madame Martine LIGNIÈRES-CASSOU

Comme je le rappelais en préambule, le colloque d’aujourd’hui sera intégré dans un rapport annuel d’activité de la Délégation aux droits des femmes. Nous avons, à travers ce rapport, la possibilité de faire certaines propositions de modifications législatives. Nous sommes tous et toutes convaincus que si nous voulons obtenir une modification de la loi, cela devra se faire dans les mois qui viennent.

Madame Yvette ROUDY

Nous ferons tout pour que les choses avancent. L’engagement des associations dans ce domaine est un appui.

Un certain nombre de questions ont été posées par écrit. Je vous lis la première :

" Le Professeur Israël Nisand a souligné, en introduction, que " gérer la reproduction est un souci qui n’échoit pas aux hommes ". Et les hommes dans cette affaire ? Est-ce que sur le plan éthique, sur le plan de la morale citoyenne, on peut faire éternellement peser sur la moitié féminine de la population le poids total de la gestion de la reproduction ? "

Je regrette que la question ne soit pas signée. J’aurais aimé savoir si c’est un homme ou une femme qui la pose.

Deuxième question :

" L’information des jeunes par des adultes extérieurs à l’école est fondamentale. N’y aurait-il pas d’autres modalités d’information - par campagne publicitaire, par exemple - ? Comment aider les parents ? "

Cette question trouvera une réponse au cours de la deuxième table ronde. Il en est de même d’une autre question sur la formation et l’information des jeunes en milieu scolaire.

Troisième question :

" A Lille, l’association Couple et Famille, composée de conseillères conjugales et familiales, intervient dans les collèges et les lycées. La formation des conseillères dure au minimum trois ans. Elle est payante. Beaucoup voudraient se former, mais au regard du salaire des conseillères - 54 francs bruts par heure de vacation versés par le conseil général -, beaucoup abandonnent. Que proposez-vous pour améliorer la reconnaissance de cette profession et permettre l’accès de tous à la formation ? "

Je pense que nous devons proposer une amélioration du statut de ces conseillères et de leur salaire.

Quatrième question :

" Henri Leridon, directeur de recherches à l’INED a déclaré que la France détenait le record mondial d’utilisation des contraceptifs modernes ( pilules et stérilets). La France se situe au sommet des taux d’IVG en Europe occidentale, mis à part les pays scandinaves où l’IVG est dépénalisée. Comment expliquer ce paradoxe ? La contraception est-elle la seule mesure susceptible de faire baisser le nombre d’IVG ? "

Au contraire, Madame Chantal Blayo, intervenante à la première table ronde, nous a présenté des chiffres montrant un taux décroissant d’IVG.

Madame Chantal BLAYO

Nous ne sommes absolument pas le pays d’Europe occidentale où le taux d’IVG est le plus important. Il y a beaucoup plus d’IVG pratiquées en Italie, par exemple.

Le rôle de la contraception dans la lutte pour la baisse du nombre d’IVG est une illusion. Contraception et IVG ne s’opposent pas nécessairement. Plus les femmes veulent maîtriser leur fécondité, plus elles sont disposées à avorter dès qu’il y a un échec.

Madame Yvette ROUDY

La question suivante s’adresse au Professeur Israël Nisand.

" Votre rapport à Madame Martine Aubry est récent, mais vous l’avez rappelé : tout évolue, y compris vos positions. Qu’en est-il vraiment de l’allongement des délais pour l’IVG ? La France ne peut pas rester au ban des pays d’Europe sur cette question. Toutes les interventions de cette table ronde prouvent, tant pour les femmes en situation irrégulière que pour les mineures, que nous devons rallonger ces délais. Déjà en 1975, nous l’avions souhaité. Aujourd’hui, il serait impensable que nous n’adoptions pas cette modification. "

Cette déclaration n’appelle peut-être pas de commentaires. Monsieur Israël Nisand, souhaitez-vous intervenir ?

Professeur Israël NISAND

Je voudrais réagir à la question concernant le rôle des hommes. Dans un avion, il n’y a jamais deux pilotes, mais un pilote et un copilote. L’homme a une position de copilote dans le domaine de la contraception. Je pense que, de ce point de vue, il y a des bons et des mauvais copilotes. Si j’étais une femme et qu’on me disait " ne t’inquiète pas, je m’occupe de la contraception ", je penserais qu’il faut être rudement crédule ou naïve pour faire confiance à un homme qui, en tout état de cause, ne pourra jamais être " enceint ".

Sur les délais, je vais vous livrer une réponse tout à fait personnelle. Il ne faut pas confondre les rôles. La loi de 1975 a donné aux femmes la possibilité de choisir avec qui et quand elles pourront faire des enfants. Les hommes n’ont pas cette possibilité et tout accroissement du pouvoir est un accroissement des devoirs. Il faut éduquer nos jeunes femmes à gérer leur fécondité. Je crois qu’il faut le faire aussi pour les jeunes hommes, mais on ne peut pas ne pas inviter les femmes à gérer leur fécondité. Sur l’allongement du délai, je suis d’accord avec vous pour penser que des solutions doivent être trouvées. Mais maintenant se posent des problèmes supplémentaires. Je ne vous cacherai pas que le corps médical, dans sa grande majorité, à l’exception de quelques médecins qui sont favorables à l’IVG, n’est pas favorable à un rallongement des délais de l’IVG. Or, ce sont les médecins qui pratiquent les IVG. Ce serait donc un manque de pragmatisme de considérer que ce problème est accessoire. C’est un problème qui a son importance : il faudra lui trouver une solution. Celle que je propose, dans mon rapport, est de confier l’acte d’IVG à des médecins qui acceptent de le pratiquer au-delà des 12 semaines.

Docteur Joëlle BRUNERIE-KAUFFMANN

Je voudrais réagir aux propos du Professeur Israël Nisand en soulignant que le corps médical n’était pas favorable dans sa grande majorité à l’adoption des lois de 1967 et de 1975. Le corps médical suivra car, dans le passé, les médecins ont vu qu’ils perdaient leurs clientes lorsqu’ils ne prescrivaient pas de pilules. Les plus âgées d’entre nous s’en souviennent : en 1967, les médecins ne voulaient pas prescrire de pilules. Quand les femmes ont commencé à changer de cabinet médical, ils se sont décidés à en prescrire. La même chose est valable pour la loi de 1975. On n’a pas imposé de pratiquer des IVG aux médecins, mais, il est clair que souvent - au moins dans le secteur privé - les médecins qui font les accouchements en clinique ne peuvent pas refuser à leurs patientes de faire une IVG. Ils ne seront pas contents si un rallongement des délais était permis ? Tant pis pour eux. Nous en avons assez d’aller jouer les hypocrites en Angleterre et au Mouvement Français pour le Planning Familial.

Il a été dit précédemment qu’il n’y avait pas eu jusqu’à présent de condamnation pour avortement illégal. Cela m’a beaucoup intéressée. Alors, allons-y et violons les lois. Si Madame Martine Aubry ne change pas la loi, je vais faire ici un appel à la désobéissance civile. Il faudra signer des pétitions, comme nous l’avons déjà fait : oui, nous avortons des mineures, oui nous avortons des femmes ayant dépassé les délais.

Madame Yvette ROUDY

La parole est libre.

Professeur Israël NISAND

Le mieux serait quand même de travailler avec les médecins.

Madame Yvette ROUDY

Madame Joëlle Brunerie-Kauffmann est médecin.

Docteur Joëlle BRUNERIE-KAUFFMANN

Il est vrai que certains médecins, dans nos centres, ne veulent pas aller au-delà des huit semaines parce qu’ils ont des appréhensions. Ils paniquent. On ne peut pas les obliger à pratiquer une IVG s’ils ne le souhaitent pas. D’autres, parmi nous, sont prêts à le faire. Simplement, il faut que la loi soit la même pour tous.

Madame Yvette ROUDY

Je vais donner lecture d’une question de Monsieur Frédéric de Chacabre, au nom de l’Association " Droit de naître ". La question est la suivante : " Alors que les derniers sondages apportent la preuve qu’une large majorité de Français est opposée aux projets gouvernementaux (délais, autorisation parentale), pourquoi une minorité agissante et passionnée continue-t-elle à travailler à la modification de la loi de 1975 ? La loi étant votée en adéquation avec la volonté populaire, une telle modification viendrait saper les fondements de la démocratie. Quelle est la légitimité d’une telle réunion ? "

Je voudrais juste répondre à la question sur la légitimité de cette réunion pour dire que nous avons, nous parlementaires, le droit d’organiser des réunions. Nous sommes parfaitement libres et nous pouvons donner à l’Assemblée la parole à ceux qui la demandent. Cette question, qui reflète une opinion personnelle, en est bien la preuve.

Monsieur de CHACABRE, Association " Droit de naître "

C’est l’opinion de la majorité des Français...

Madame Yvette ROUDY

Non, Monsieur. J’ai lu votre question. Nous avons répondu. Je ne peux vous redonner la parole.

Je passe maintenant à la dernière question qui est la réflexion d’une gynécologue : " Je constate que, jamais ou presque, les sciences naturelles sur la reproduction ne sont enseignées en classe de quatrième. Ce cours doit devenir obligatoire. Les jeunes ne savent plus rien sur le cycle et donc sur les comportements amoureux dangereux. Que faire ? Je voudrais faire un petit rappel sur l’importance de la présence en ville de gynécologues médicaux ou de généralistes informés et concernés, ainsi que sur la nécessité de centres ouverts après les heures de cours. "