Sujet : Contraception, IVG

Allocution de : Nathalie Bajos

En qualité de : Chercheure à l’INSERM

Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 30 mai 2000

Je vais essayer, à travers la présentation des principaux résultats des multiples recherches que nous menons actuellement à l’INSERM, au CNRS et au CRESP, de donner la parole à ces millions de femmes qui ont, au cours de leur vie, recours à l’IVG. En effet, il faut rappeler que l’IVG concerne, au bas mot, entre 30 et 50 % des femmes. Ces recherches sont sociologiques, démographiques et épidémiologiques. J’aborderai aujourd’hui exclusivement le cas des mineures, bien que, dans nos recherches, nous étudions la population dans son ensemble, et, en particulier, le cas des femmes en situation hors délai et des femmes étrangères.

Madame Danielle Hassoun a rappelé tout à l’heure que la situation démographique en France était relativement bonne en ce qui concerne le recours à l’IVG et excellente, si on peut s’exprimer ainsi, en ce qui concerne le taux de natalité chez les très jeunes. Je voudrais vous présenter, dans un premier temps, les résultats d’une recherche comparative qui porte sur les grossesses et les avortements chez les mineures dans plusieurs pays industrialisés. Cette analyse comparative met en évidence, au niveau des contextes sociaux, ce qui influe sur ces phénomènes et ce qui peut être modifié par des politiques de prévention.

I - PRÉVENTION ET SEXUALITÉ CHEZ LES JEUNES

La France et la Suède connaissent un faible recours à l’IVG et une faible natalité chez les mineures. Une situation intermédiaire est enregistrée au Canada et en Grande-Bretagne. Les Etats-Unis sont un des pays industrialisés où le phénomène du recours à l’IVG chez les mineures est le plus fréquent. En affinant l’analyse, on se rend compte que le phénomène est moins fréquent dans la communauté blanche que dans les communautés hispanique et noire.

Je voudrais souligner que, quel que soit le pays considéré, il existe toujours de très fortes disparités sociales en matière de recours à l’IVG.

La comparaison entre tous ces pays, par le biais d’une analyse approfondie des contextes sociaux, politiques et préventifs, révèle quelques éléments qu’il me paraît important de souligner dans une perspective de santé publique.

Tout d’abord, plus l’acceptation sociale de la sexualité est importante, moins les taux de grossesse et de recours à l’IVG sont importants. Dans la même logique, plus le discours est positif sur la sexualité des jeunes, moins on médicalise et moins on parle de risques, moins le recours à l’IVG est fréquent. Plus le discours social est favorable à la sexualité des jeunes, plus ces jeunes femmes auront facilement accès à la contraception, parce qu’elles se sentiront reconnues et acceptées dans leur sexualité. Ce dernier point est très important, sans doute le plus important, pour limiter le recours à l’IVG. Le fait que l’accès aux soins pour une IVG soit difficile au niveau juridique, matériel et financier ne limite pas le recours à l’IVG. Les aides sociales données pour les mères célibataires ne représentent pas non plus un frein au recours à l’IVG.

Des statistiques ont été présentées, précédemment, concernant les pays européens. Je voudrais juste rappeler que, dans une perspective historique, en remontant les années 1980, nous constatons un mouvement de baisse de la fécondité, et un retard de l’âge moyen de la maternité, qui touche aussi les mineures. Aujourd’hui, les dernières statistiques disponibles, qui datent de 1995, montrent que chez les mineures, le taux de recours à l’IVG est de 4,9 0/00, soit une légère baisse par rapport aux années 1980, où il était de 5,6 0/00.

Quand on parle de grossesse adolescente, il faut bien garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une population homogène. Il y a des grossesses adolescentes qui sont désirées. En 1995, sur 2 460 naissances vivantes chez les mineures, 5 % seulement de ces grossesses étaient non désirées.

Cette baisse de la fécondité et du recours à l’IVG chez les mineures est fortement liée à la scolarisation des jeunes filles et à leur insertion sur le marché du travail. Quels que soient les milieux sociaux en France, la scolarité est perçue comme le principal vecteur de réussite. C’est un point fondamental pour expliquer ce mouvement de baisse. Si, pour certaines jeunes femmes, avoir une grossesse est véritablement un choix, il n’en demeure pas moins que nos données chiffrées attestent d’une inégalité sociale très importante dans l’accès à la contraception chez les jeunes. Ainsi, chez les jeunes filles scolarisées dans l’enseignement général, 1,8 % des 15-18 ans ont déjà eu recours à l’IVG, contre 9 % pour celles qui sont scolarisées dans l’enseignement professionnel.

Deux autres résultats sont issus d’une analyse qualitative et approfondie portant sur les mineures qui ont recours à l’IVG en France. Cette étude est en cours, mais nous voulons vous en donner les premiers résultats dans le cadre de ce colloque. Ces résultats rejoignent d’ailleurs ceux de l’analyse internationale présentée précédemment. Les analyses ont été faites par Sandrine Durand. Elles mettent en évidence les déterminants sociaux sur lesquels des politiques préventives peuvent jouer. Ces résultats montrent que la non-acceptation de la sexualité des jeunes représente un frein massif à leur accès à l’information et à la contraception. Il ne suffit pas de mettre en _uvre des politiques d’information, si ces jeunes femmes ne se reconnaissent pas le droit d’y avoir accès parce que leur sexualité est socialement réprouvée. En outre, certaines jeunes femmes, puisque leur sexualité est niée, se sentent socialement stériles. D’où les explications du genre : " Je ne pensais pas que cela pouvait m’arriver ", qui ne relèvent pas uniquement d’un déficit d’information.

Un autre point important porte sur les structures de santé, largement sous-utilisées par les jeunes filles pour plusieurs raisons. Les motifs indiqués sont que ces structures ne sont souvent pas connues, mais, surtout, que les services proposés sont trop médicalisés. En ce qui concerne le contexte de la prescription, de l’information et de la contraception pour les jeunes, il y a, en effet, un affrontement entre la logique d’efficacité médicale, qui vise à une protection théorique maximum des jeunes et la logique, propre aux jeunes, liée à leur vie socio-sexuelle. Les jeunes ont des relations sexuelles brèves et espacées, souvent imprévues, et souvent, pour les jeunes filles, non désirées. On observe également des réticences très fortes de la part des jeunes hommes - qu’il est important de mobiliser - quant à l’utilisation du préservatif. Cela peut créer des situations " à risque ", parce que les jeunes filles ne pratiquent pas nécessairement la contraception la mieux adaptée à leur mode de vie. Les conditions de prescription ne leur permettent pas suffisamment de s’approprier leur choix contraceptif.

Je voudrais revenir sur un point important souligné par le Professeur Alfred Spira : la contraception dans l’ombre du sida. On constate, lors des entretiens, que de nombreuses jeunes filles ont relégué au second plan le risque de grossesse non prévue, pour ne s’en tenir qu’au risque du sida. Le premier risque les préoccupe moins. Les derniers chiffres laissent à penser qu’il y a un relâchement de la vigilance contraceptive chez les plus jeunes.

II - TYPOLOGIE DES JEUNES PAR RAPPORT À L’AUTO-RISATION PARENTALE

Nous avons dégagé une typologie en trois points des réactions des jeunes par rapport à l’autorisation parentale.

A. Premier cas : milieu familial tolérant vis-à-vis de la sexualité et prévenu

Le plus souvent, il n’y a pas de crise, cela se passe bien. Il peut y avoir une crise positive au sens où les parents, qui ont eu l’impression d’avoir tout expliqué à leurs filles, culpabilisent parce que l’échec s’est produit néanmoins. Mais, la crise passée, un dialogue peut se renouer entre les parents - souvent la mère - et la jeune fille.

Ce premier cas est le plus fréquent statistiquement.

B. Deuxième cas : milieu familial hostile à la sexualité et prévenu par obligation

Nous avons des cas de crise positive. Cette obligation a, en quelque sorte, permis de renouer le dialogue avec les parents.

Mais la plupart du temps, dans cette situation-là, c’est une crise négative : la jeune fille subit des violences psychologiques, voire physiques.

C. Troisième cas : milieu familial hostile à la sexualité et non prévenu

Certaines jeunes femmes réussissent, comme l’a dit Madame Joëlle Brunerie-Kauffmann, à accéder à l’IVG en France. Mais nombreuses sont celles qui partent à l’étranger.

Dans tous les cas, les jeunes filles sollicitent un adulte pour parler de leur situation. C’est rarement leur mère, mais c’est souvent la mère d’un copain ou d’une copine, une s_ur aînée, une cousine. Ces jeunes filles recherchent la parole et le soutien d’un adulte. Dans tous les cas également, la situation de crise, liée à l’obligation de révéler sa sexualité, quand elle n’est pas connue des parents, retarde l’annonce aux parents et l’accès au système de soins. Pour certaines, l’entretien obligatoire est vécu comme une instance de contrôle et de culpabilisation supplémentaire.

Dans cette perspective, du point de vue du chercheur en santé publique, l’obligation de l’annonce de sa sexualité aux parents représente une violence symbolique qui renforce la non-acceptation sociale d’une sexualité responsable des jeunes. Et, par voie de fait indirecte, c’est un facteur limitatif d’accès à la contraception.

III - CONCLUSION

J’ai évoqué la relative stabilité du recours à l’IVG chez les mineures, mais j’insiste sur la nécessité d’être vigilant chez les plus jeunes, à cause des enjeux du sida qui deviennent prioritaires et conduisent certaines jeunes filles à placer la contraception au second plan.

Je rappelle l’hétérogénéité des grossesses adolescentes qui ne sont pas toutes dramatiques même si, pour beaucoup d’entre elles, c’est le cas.

Permettre aux jeunes femmes de poursuivre des études, qui les conduisent à envisager des perspectives d’intégration professionnelle, devrait leur permettre d’effectuer un réel choix quant à leur calendrier reproductif.

Il est important, à travers l’éducation sexuelle, de favoriser l’acceptation sociale de la sexualité qui permettra un meilleur accès à l’information, à la contraception et à la contraception d’urgence. Il est important également de " démédicaliser " la contraception et l’ensemble des moyens contraceptifs disponibles doit être offert. Ce point est d’ailleurs valable pour toutes les femmes et pas seulement pour les mineures. Il revient véritablement aux femmes, et aux hommes, quand ils sont concernés, de s’approprier le meilleur choix contraceptif par rapport à leur vie sociale et sexuelle.

Il faut avoir une vision globale des risques liés à la sexualité. On ne peut détacher les enjeux de la contraception et des grossesses non prévues de ceux liés aux MST, au sida et aux violences sexuelles.

Il est nécessaire de renforcer les logiques de soutien que recherchent les jeunes femmes. De toute façon, elles s’adressent à des adultes. Pourquoi aller à l’encontre des tendances qu’elles développent spontanément ?

Toutes les modifications à envisager à la situation actuelle doivent s’inscrire dans une perspective de réduction des inégalités sociales qui demeurent importantes aujourd’hui.