La Commission d’enquête parlementaire sur la milice du Front national vient d’être effectivement constituée après deux ans de tergiversations. Elle aura six mois pour faire toute la lumière sur " les agissements, l’organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit "Département protection sécurité" et les soutiens dont il bénéficie ".

Cette première étape nous conduit à une bataille beaucoup plus difficile. Les résistances que nous avons rencontrées dans la phase de constitution de la commission vont s’exacerber en son sein pour en dévier le travail.

Lors du débat dans l’hémicycle, le 9 décembre 1998, les interventions de certains députés de l’opposition et de la majorité ont pris la tournure d’une dispute très privée, dont les enjeux n’étaient connus que des seuls protagonistes. Comme si l’on se menaçait à mots couverts.

Le groupe RPR a confié à Nicole Catala le soin de présenter une " question préalable " dont l’objet était de démontrer qu’il n’y avait pas lieu de constituer cette Commission d’enquête. Mais au lieu d’argumenter directement son propos, le député de Paris s’est livré à un très long exposé apparemment hors sujet. Rappelant que Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (" Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude "), Nicole Catala a accusé le Parti socialiste de vouloir se donner une image vertueuse face au Front national alors que, selon elle, il en serait le créateur. Retraçant l’histoire du parti d’extrême droite, de sa fondation à nos jours, elle s’est efforcée de prouver que son succès " trouve son origine dans le soutien, dissimulé mais efficace, de François Mitterrand ".

Ne comprenant pas l’opportunité de ce réquisitoire, José Rossi pour le groupe Démocratie libérale a argumenté la question préalable du groupe RPR, à la place de Nicole Catala. Selon lui, la Commission d’enquête est inopportune. En effet, si des actes délictueux ont été commis par le DPS, c’est à la police et à la justice de les réprimer, et non pas à l’Assemblée de suppléer à leurs carences.

Renaud Donnedieu de Vabres, pour le groupe UDF-Alliance, s’est joint aux efforts de José Rossi. Selon lui, s’il convient de dissoudre le DPS, c’est au gouvernement qu’en revient la responsabilité et il ne saurait se défausser du sale travail sur les députés.

La parole revenant au groupe socialiste, c’est Gaëtan Gorce, un ancien collaborateur de François Mitterrand qui leur répondit. Le choix de l’orateur avait été opéré à l’avance. Il répondit à la question préalable en rappelant que la Commission d’enquête n’avait pas pour objet d’instruire les débordements du DPS, mais d’examiner si cette série d’éléments relevait d’un hasard malheureux ou d’un plan programmé. Puis avec colère, il répondit à Nicole Catala. Il défendit la mémoire du défunt président et dénonça la manœuvre antisocialiste de son accusatrice.

Le débat portait sur le DPS, pourtant il était dominé par une querelle sur l’éventuelle responsabilité de François Mitterrand dans le développement du Front national. Le débat général qui suivit fut à l’avenant, hormis les recadrages de Geneviève Perrin-Gaillard et de Guy Hermier.

Vint le moment de la conclusion. Elle échut au socialiste Bernard Grasset. Cet ancien directeur général de la Police nationale, connu pour son engagement antifasciste, écarta d’un revers de main toute polémique sur François Mitterrand. Il réaffirma que la Commission d’enquête devait se borner à vérifier si le DPS agit ou non dans un but de déstabilisation des institutions.

Dans cet étrange débat parlementaire, Bernard Grasset avait trouvé grâce auprès de la direction du Parti socialiste. Aussi, contre toute attente, fut-il soudainement promu rapporteur de la commission d’enquête. Dans les couloirs de l’Assemblée, il assura à ses collègues qu’il veillerait à éviter toute dérive de la commission : on s’en tiendrait au DPS et l’on ne parlerait pas de la " cellule élyséenne ".

Telle était donc la menace qu’évoquait Nicole Catala sans jamais la nommer.

Précisément, si la Commission d’enquête, dont le champ d’investigation comprend explicitement " les soutiens " dont le DPS bénéficierait, s’interdisait a priori d’examiner le rôle éventuel de la " cellule élyséenne ", elle donnerait l’impression de céder à un chantage. Elle accréditerait l’idée de Nicole Catala selon laquelle ce soutien, " dissimulé, mais efficace ", ce serait François Mitterrand lui-même qui l’aurait fourni. Pour lever le soupçon, il est donc indispensable que Bob Denard, Paul Barril (cf. RV 98/0352), Charles Pellegrini, Christian Prouteau, et Anne Pingeot soient convoqués et auditionnés publiquement.

Une version officielle des événements assure qu’en 1993 Jean-Marie Le Pen recherchait un grand professionnel pour reprendre la direction du DPS. Bernard Courcelle, alors employé par la Réunion des musées nationaux au sein d’un comité chargé d’améliorer la sécurité de l’ensemble des musées, en aurait été informé par son ami Charles Pellegrini. Il aurait été engagé au vu des recommandations.

Cette présentation mérite quelques développements. En 1989, Bernard Courcelle apparaît comme émissaire du capitaine Barril, chargé de négocier avec Bob Denard son retrait des Comores, dans le cadre d’une vaste opération française dans l’océan Indien, supervisée par Jean-Christophe Mitterrand. En 1993-94, Bernard Courcelle, employé par la Réunion des musées nationaux, était particulièrement affecté à la sécurité du Musée d’Orsay. Et de fait, plus précisément encore, à la sécurité de la conservatrice du musée, Anne Pingeot, la maîtresse de François Mitterrand. Pour ce faire, il travaillait en étroite collaboration avec le commandant Christian Prouteau, chef de la " cellule élyséenne ". Son ami Charles Pellegrini, ancien chef de la Brigade de répression du banditisme, était aussi ancien membre de la " cellule élyséenne ", qu’il avait quittée, en 1985, pour créer une société privée de sécurité, la SPII. Or, les activités de la SPII semblent avoir été liées à celles de la " cellule élyséenne ". Ainsi, en 1986, les trois voitures blindées soldées par l’Élysée avaient été vendues directement à la SPII. Surtout, en décembre 1987, trois employés de la SPII furent arrêtés en flagrant délit. Ils posaient des écoutes téléphoniques chez un huissier du Conseil supérieur de la magistrature qui avait diffusé des correspondances secrètes du président Mitterrand et de la présidente du CSM, Danièle Burguburu. Les hommes de Charles Pellegrini étaient venus sur les lieux dans une voiture appartenant à la " cellule élyséenne ", et munis d’une fausse carte grise émanant du même service.

Les parlementaires ont été soumis à de fortes pressions pour les empêcher d’enquêter sur cet aspect du DPS. Le plan de travail de la Commission devait être déterminé, mardi 12 janvier 1999, lors d’une réunion à huis clos, réunissant les seuls six membres de son bureau. C’est pour faire échec à une tentative d’étouffement que nous avons décidé de rendre ces éléments publics.

Thierry Meyssan