Intéressons nous à la 3ème partie " Analyse des responsabilités " où dans le chapitre " facteurs à l’origine du génocide " l’on oppose 2 théories. L’une appelée " théorie intentionnaliste ", et défendu, semble-t-il, par Jean Pierre Chrétien uniquement, remonte l’origine du génocide aux premières années de l’indépendance et à l’instauration d’un régime basé sur l’ethnisme. L’autre qualifiée de " théorie fonctionnaliste ", exposée par les autres (... !) qui prend en compte les facteurs économiques (crise des années 80) et surtout les facteurs socio-politiques avec, comme " catalyseur " principal, l’attaque du FPR en 1990. Ces deux théories permettent de remettre au goût du jour la notion de co-responsabilités1 du génocide par toutes les parties impliquées. Le génocide, si l’on suit le raisonnement, est attribué à la fois au régime autoritaire de Juvénal Habyarimana et à ceux qui ont pris les armes et constitué un maquis dans le nord du pays à partir de 90.

Cette présentation a également l’avantage de pré-positionner LA raison de l’engagement de la France au Rwanda, et qui sera reprise plus loin dans le rapport : pour maintenir à la table de négociation l’ensemble des belligérants et garder une situation politiquement stable, il faut contrer militairement le FPR et garder les forces armées rwandaises en bon état.

Malheureusement, et si l’on veut être logique, cette co-responsabilité devrait aussi s’appliquer à la France qui, selon les constat de la mission d’information, est devenu co-belligérante en choisissant son camp.

Plus loin dans le rapport, sous le chapitre intitulé " des erreurs d’appréciation "(2), le rapport semble penser que la France est intervenue pour changer la face du conflit interne au Rwanda. Sans elle, le FPR prenait le contrôle militaire du pays.

" Il est plus que probable qu’en l’absence de la France, le FPR aurait remporté, en février 1993, une victoire militaire décisive. Février-mars 1993 constitue une période " bascule ", pour reprendre les termes du Général Quesnot qui a considéré que la France avait à ce moment atteint les limites d’une stratégie indirecte. "(3)

La raison de cet engagement est donc de garder la tête hors de l’eau au régime Habyarimana

" Face à la certitude du FPR d’obtenir une victoire militaire, il convenait de permettre aux FAR de résister pour préserver la capacité de négociation politique et diplomatique rwandaise. "(3)

Pourtant, la France n’obtient, voire même, ne demande aucune contrepartie démocratique du régime Habyarimana. Au contraire, au moment où les forces française sont les plus nombreuses, des massacres et pogroms sont à leur paroxysme.

" Ce soutien intensif à l’armée rwandaise, déclarée " exsangue " par la mission militaire française d’évaluation en juin 1992, ne trouve dans la politique intérieure rwandaise que peu de contreparties dans la démocratisation intérieure rwandaise " (3)

" Les pressions exercées sur le Président Habyarimana pour qu’il pratique la démocratisation de son régime sont restées faibles et sans commune mesure avec l’intensité de notre coopération militaire. " (3)

" la démocratisation viendra davantage de la vitalité des mouvements d’opposition au régime plutôt que de pressions exercées par la France. " (3)

Cela contredit donc les propos de Mme Edith Cresson, ancienne Premier Ministre, qui justifiait l’intervention de la France

" pour prôner avec vigueur auprès des pouvoirs en place l’ouverture démocratique et le dialogue avec les opposants. " (3)

Le rapport estime donc que la France a été plus loin qu’elle ne devait et s’est engagée au delà de ce qui se fait habituellement lors d’accord d’assistance militaire avec un pays africain.

" Du 20 février au 20 mars 1993, la présence militaire au Rwanda a franchi un cap qu’elle n’aurait pas du passer. Les soldats étaient trop nombreux, selon le Ministre de la défense, M. Pierre Joxe, et certaines de leurs missions on dépassé par ailleurs le cadre habituel des opérations d’aide et d’assistance à des forces armées étrangères. " 3

" ...certains militaires français aient pu avoir le sentiment de construire une armée, dont il fallait de surcroît s’assurer qu’elle serait régulièrement alimentée en munitions. A cela se sont ajoutées les nouvelles missions des détachements Noroit ; les patrouilles, les contrôles de zone autour de la capitale et les vérifications d’identités aux points d’accès de la ville. "(3)

L’obsession d’un maintien d’un équilibre des forces militaires est donc la seule raison d’un tel acharnement de la France. Toutefois, le rapport n’arrive pas a déterminer qui est l’obsédé. Est-ce dans " la multiplicité des intervenants " ? Ou bien dans " le circuit d’information " où " la situation de crise "

" fait intervenir trois hiérarchies parallèles, celles des Affaires étrangères, de la Défense et de la Coopération et fait apparaître inévitablement des problèmes de coordination. "(3)

On ne sait pas !

" Il est apparu extrêmement difficile à la Mission de déterminer comment les éléments d’information sur le contexte sont pris en compte et intégrés dans un raisonnement politique qui permettra ensuite d’élaborer une stratégie "(3)

Il semble toutefois que les rapporteurs de la Mission lorgnent plutôt vers l’Elysée

" En période de crise, la cellule du même nom se réunissait tous les jours, voire plusieurs fois par jour (à l’Elysée). En plus de ces réunions, le Président de la République provoquait la réunion de conseils restreints. (...) Ces indications ne renseignent pas précisément sur l’autorité qui prend la décision, même s’il est avéré que les opérations Noroit, Amaryllis et Turquoise ont été engagées sur décision du Président de la République, agissant en tant que Chefs des armées. De même, celui-ci a donné son accord sur la prolongation de la présence des troupes de Noroit ou d’un conseiller auprès du Chef d’état major des FAR. " (3)

En revanche, ne cherchez pas d’éléments sur la présence de Paul Barril à Kigali le jour de l’attentat sur l’avion présidentiel (il n’a pas été entendu par la mission), pas non plus d’implication des militaires français dans l’entraînement des milices Interahamwe (information pourtant remise en cause dans un article paru dans le Figaro au lendemain du dépôt de ce rapport), pas de révélations sur des livraisons d’armes après le déclenchement du génocide, pas d’élément nouveau sur les causes de l’attentat...

Quand aux propositions, elles ne sont mêmes pas à la hauteur des quelques révélations du rapport. Alors qu’on reconnaît que la France a fait des erreurs et est allé bien trop loin dans son appui à un régime qui a conduit à un génocide, on ne se contente que de quelques propositions techniques pour améliorer les relations entre état major et ministères de tutelle !

Quand on reconnaît une erreur aussi tragique, on tente de la réparer et on rend justice aux victimes. Ici, pas un mot .

Alors, à nous de proposer la conclusion qui s’impose...(T.L.)