Chercher la vérité, quoiqu’il en coûte, est un principe qui, je crois, fait l’unanimité. La vérité doit être regardée en face, aussi accablante et révoltante qu’elle soit. La vérité peut être parfois réellement choquante. Choquante pour nos convictions, notre tranquillité, notre intégration et notre position sociale.

La vérité, c’est de dire que le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) a été constitué dans les locaux de l’Ambassade de France après un coup d’Etat où les représentants du pouvoir légal et ceux pressenti dans le cadre des accords d’Arusha ont été assassinés. C’est dire que l’Etat français y a participé par l’intermédiaire de l’Ambassadeur de France au Rwanda, Mr Marlaud. Alors que le GIR était l’autorité qui a planifié, organisé, exécuté et surveillé le bon déroulement du génocide, la vérité, c’est dire aussi que le 27 avril, en plein déroulement de cette immense boucherie, les représentants du gouvernement génocidaire, Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères et Jean-Bosco Barayagwiza étaient reçu à l’Élysée par la cellule africaine, et, à Matignon, par Édouard Balladur et Alain Juppé. Comme d’ailleurs, c’est rappeler que François Mitterrand avait écrit personnellement le 1er septembre 1992, et pour le remercier, au même Barayagwiza, leader de la CDR, parti ouvertement génocidaire, peu après les massacres prégénocidaires que ce parti venait d’organiser. La vérité, c’est aussi mentionner l’entrevue du général Huchon avec un représentant des forces génocidaires entre les 9 et 13 mai 1994, alors que ces forces étaient en pleine action.

Toutes ces informations sont précisément documentées, datées, attestées. Elles ont été soigneusement occultées ou évitées par la Mission d’Information parlementaire française. Bicamumpaka a été arrêté le 6 avril 1999. Il est aujourd’hui à la disposition du tribunal pénal international d’Arusha, où il sera jugé pour crime de génocide. La vérité est parfois douloureuse. Ici elle met en cause, radicalement, la respectabilité de nos institutions.

Le choix du mensonge par révérence envers le pouvoir, était celui de certains journalistes pendant le déroulement du génocide. Ils ont couvert l’événement en se faisant les portes paroles du GIR, en interviewant ces dirigeants, en passant leurs communiqués. En 1994, le gouvernement intérimaire était reconnu par la France qui ainsi se trouvait engagée. La respectabilité du gouvernement français garantissait donc celle du GIR. Mais d’un autre côté, ces journalistes ne pouvaient ignorer qu’il s’agissait de dirigeants assassins dont les mensonges ont été incessants. Plus tard, ces mêmes journalistes placeront le "gouvernement en exil" de l’ancien Premier ministre Jean Kambanda, à égalité avec le gouvernement de coalition de Kigali. L’essentiel de la désinformation est là. Le rôle du journaliste était de révéler la réalité du drame en cours, d’en dénoncer les instigateurs et non de participer à la politique menée par François Mitterrand, malgré tout le respect que l’on peut avoir pour nos institutions. Si ces journalistes avaient fait leur travail de journaliste, le génocide n’aurait pu avoir lieu : celui-ci nécessitait le silence des médias. "Seuls les cris des spectateurs (...) interrompront la représentation du crime" nous dit Yves Ternon dans son livre, L’État criminel. Comme l’État, le silence est alors criminel.

Aujourd’hui, la politique africaine n’a pas changé. Il semble évident que tout changement demande d’abord de faire toute la vérité sur le Rwanda. Par respect pour un million d’innocentes victimes, par devoir de vérité, nous devons la réclamer. (J.P.G.)